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Les Huit Empty Les Huit

Lun 16 Fév 2009 - 13:43
Le grand-père

L’offre était tentante, j’avais été incapable de résister. Déjà, elle était présentée comme une « bonne action ». Dans mon existence, j’avais été très « action », mais pas nécessairement « bonne ». Et n’étant pas quelqu’un de foncièrement méchant, ça avait forcément quelque chose de séduisant de défendre la veuve et l’orphelin. Quoiqu’en l’occurrence, point de veuve, mais plutôt un grand-père qui me proposait les deux moteurs de ma vie : de l’argent et de l’action, ou de l’action et de l’argent. L’ordre n’avait pas d’importance.

Il y’a des gens qui naissent avec le culte du fric et des apparences. Ca n’avait pas été mon cas, ma famille était des plus banales – je le pensais du moins. Un père « moyen-employé de bureau » et une mère infirmière, difficile de faire plus lambda. Qui fréquentent la paroisse, mais pas trop. L’inévitable œuvre de charité pour faire bonne figure. Le pick-up milieu de gamme pour monsieur, la petite berline pour madame. Deux enfants, ni trop ni trop peu, et évidemment un garçon et une fille, dans cet ordre. La neutralité totale se ressentait même dans les opinions politiques, puisque papa votait républicain et maman démocrate, dans le Swing State classique qu’est l’Ohio. Non, définitivement, malgré des heures et des heures de réflexion après coup, je ne voyais pas ce que ma famille avait de légèrement original. En tous cas, je ne comprenais pas ce qui avait pu les faire réagir comme ça en apprenant que j’étais une mutante.

Je l’accorde, la révélation s’est pas faite calmement, avec flegme, à l’anglaise. Elle a même eu le bonheur d’avoir vingt-huit témoins privilégiés, soit vingt-sept camarades de cours de sport et un prof d’EPS. C’était un peu de sa faute, d’ailleurs, à ce bellâtre de Mr Sackey. Le brushing impeccable même par avis d’ouragan, une publicité Milka apparente sous un T-Shirt délibérément trop serré et la petite étoile qui apparaît au coin des dents plus blanches que blanches en cas de sourire, il aurait pas dépareillé dans un épisode d’Alerte à Malibu. Chacun a sa pédagogie pour maintenir calme une bande d’adolescentes de quatorze à seize ans, lui c’était « l’incarnation des premiers émois de la puberté ». Bref.

Donc Mr Univers – qui, je l’appris fortuitement plus tard dans ma vie en reprenant contact avec une camarade ayant le malheur d’être elle aussi taggée « gène X », était gay, ce qui rendit ma stupidité encore plus…stupide, oui – avait aligné les cinq meilleures sprinteuses de la classe dont je faisais partie pour connaître la plus rapide, qui serait la première après le top à toucher le mur en pierre avec le graffiti, là-bas, vous voyez, non (suivi d’un geste ample pour dévoiler l’incroyable circonférence de ses biceps) ? Il s’était placé à côté dudit mur, et avait lancé un grand « Top ! ».

J’avais couru comme une dératée – et mes adversaires aussi. Nous étions toutes motivées par une idée assez nébuleuse qui était que « Mr Sackey nous remarque », en sachant pertinemment qu’il nous connaissait bien, qu’il avait deux virgule cinq fois notre âge et que s’il fantasmait, c’était certainement sur autre chose que des gamines avec de l’acné. A ce jeu là, j’en suis pas fière, mais j’avais été la meilleure. Ze best. Les autres, je leur avais mis quatre mètres dans les gencives avant d’aborder la fin de la course. Du coup, facile, avant même la fin, j’avais coupé mon effort et j’avais regardé l’éphèbe-juge, qui m’avait souri. Souri. A moi !

Je ne vous décrirai pas les circuits neuraux de réaction d’un cerveau ado face à ce genre de situation, toujours est-il que la course m’est totalement, absolument, rigoureusement sortie de la tête. Pfuit ! Disparue. J’avais oublié la compétition, le cours, le but, et surtout, surtout, j’avais oublié le mur. Grave erreur, dont je ne m’aperçus qu’après l’avoir traversé pour me retrouver dans un hangar sombre, humide, rempli de cartons moisis et de rats couinants. Dehors, évidemment, ça criait à l’incompréhension, d’autant que je n’avais même pas fait une micromarque à l’endroit où aurait du avoir lieu l’impact.

Une seconde huit dixièmes après le sourire de Mr Sackey, j’étais officiellement une mutante. Lui-même l’a bien pris – en y repensant plus tard, je me suis dit que l’acceptation de la différence, ça devait effectivement lui parler – et mes copines aussi, qui trouvaient ça de « cool » à « un peu flippant », mais rien de beaucoup plus profond. Du coup, à moitié effrayée, à moitié guillerette, je suis rentrée la fleur au fusil chez papa-maman pour leur annoncer la nouvelle. Seconde Grave erreur.

En passant une nouvelle fois les détails, j’étais sur le pas de la porte sans affaires, sans argent, sans domicile et sans famille douze minutes et plein de décibels plus tard. On m’avait clairement fait comprendre que je serais accueillie la fois prochaine par la 22 Long Rifle familiale. Le bonheur. J’avais précisément quatorze ans, sept mois, vingt-cinq jours et aucun avenir.

Quand j’y repense, j’ai eu du pot de tomber « rapidement » - sept mois plus tard – sur Joey. Mes premiers réflexes avaient été de sonner chez les amies, mais le téléphone de mes parents avait du surchauffer après mon départ, car pas un seul foyer à dix kilomètres à la ronde ignorait que j’étais une sale bête venue de l’enfer, arrière, démon, ou c’est l’eau bénite. J’ai donc passé pas mal de temps à utiliser mon pouvoir pour une noble cause : voler de quoi manger. Super gratifiant. Belzébuth qui pique dans les cabas des grand-mères, et qui s’introduit dans des épiceries miteuses pour sortir avec deux paquets de gâteau, dans un sens, c’est une forme de déchéance du Mal assez réjouissante pour les gentils.

Joey était mutant. Joey aussi avait été rejeté par tout le monde lorsqu’il avait montré qu’il pouvait, si ça le chantait, lancer des boules de feu. Malgré la qualité de son exposé sur les économies de briquets et d’allumettes, il disait se souvenir encore des coups de pied dans le derrière qu’il avait reçus. Il avait émigré, et il avait appris la seule chose qui semble-t-il pouvait lui servir dans sa situation : survivre. D’abord passivement, puis activement. Bon, en gros, il m’avait passé les détails, mais en Amérique du Sud on lui avait appris à être un mercenaire, il avait fait des trucs moyennement propres, mais il s’en tamponnait sévèrement vue son absence d’espoir dans l’existence et dans la nature humaine. Il avait gagné pas mal d’argent, suffisamment en tous cas pour revenir aux USA et former sa propre petite association de mutants chargés de toutes les besognes tant que ça ne vise pas les enfants et que ce n’est pas trop médiatique. Joey m’a recrutée et m’a formée, et trois ans plus tard, j’étais membre à part entière de son entreprise.

Paradoxalement, les contrats de mort étaient assez rares. Les mutants étaient visiblement considérés comme trop impurs pour des tâches aussi « nobles », mafieusement parlant, et si j’ai arrêté de compter le nombre de « colis à transporter », « valises à récupérer coûte que coûte » et autres « armes à livrer », je sais que deux fois seulement, j’ai eu à ôter des vies. Et les camarades étaient guère plus sanglants, malgré leur expérience supérieure. Joey s’en foutait, il disait que tant qu’on le payait grassement, il voulait bien aller récurer les toilettes d’une ambassade ou nettoyer un élevage de porcs. Si j’ai bien assimilé le côté vénal de l’entreprise, par contre, je me suis aperçue un peu plus tard que je fonctionnais pas mal à l’adrénaline. Il me fallait des shoots de stress, de l’angoisse, de l’exaltation, sinon je dépérissais. Et Joey le savait.

C’est pour ça que quand la lettre du vieux est arrivée en demandant « un ou une personne désireuse d’enrichir son compte en banque et sa bibliothèque d’émotions... - mazette, pépé se piquait de poésie en plus ! –...tout en faisant une B.A. », le chef a pensé à moi. A ce moment, j’avait vingt-trois ans, une belle pousse dans la fleur de l’âge qui rêvait d’avoir accumulé assez de fric à trente pour se retirer sur une île paradisiaque et oublier cette parenthèse mutante à la con entre dorage de pilule, nage en eaux turquoises, surf et colliers de coquillages. Oui, on peut être naïve à cet âge. La preuve.
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Lun 16 Fév 2009 - 15:49
La mission

Pépé – pardon, Mr Lenth – habitait un pavillon cossu de la banlieue huppée de Detroit. J’avais toujours aimé cette ville. Grise et instable, on s’y promenait tranquillement, et, même si je n’avais pas la plus petite preuve à ce sujet, j’étais persuadée qu’il se tramait des trucs pas nets dans le ghetto, avec des mutants ou non. Bon, j’étais curieuse, mais pas au point d’aller fourrer gratuitement mon nez dans les bas-fonds sordides, mais si par bonheur l’ancêtre avait eu la bonne idée de m’y envoyer, j’y aurais plongé avec joie. Et prudence, qui est mère de sûreté, elle-même petite-nièce de survie.

Donc Walter Lenth, une bonne soixantaine au compteur, pas bien grand, pas bien large, pas bien épais, dégarni sur le dessus et clownesque sur les côtés, le poil blanc comme neige et la barbichette volontaire, m’attendait dans son sofa, à côté desquels trainaient l’inévitable preuve d’appartenance au Rotary, la photo d’une femme qui avait sans doute du être la sienne et deux-trois trophées de chasse dont un élan dans les bois duquel étaient accrochées des médailles, visiblement de tennis. C’était bourge-land, j’aimais pas, mais ça augurait un nombre conséquent de zéros sur le chèque, donc dans ce cas, on laisse ses goûts de côté et on fait contre mauvais cœur bonne fortune. Il me fit asseoir sur une chaise, l’air de dire « le confort pour le boss, la sobriété pour le soldat ».


- Bonsoir miss. Comment faut-il que je vous appelle ? Elizabeth ? Lizzie ? Liz ?

- Lily, je préfère, si ça vous dérange pas.

- Bien sûr que non. Lily, d’après votre chef, vous êtes femme d’action et non de mots, donc j’irai droit au but. Avez-vous entendu parler de l’Arak ?


Je réfléchis quelques secondes. Ca me disait quelque chose, clairement. Ca devait être pendant une conversation avec des collègues. Je claquai des doigts.


- C’est un alcool, non ?


D’ores et déjà, je pressentais la misérable mission type « prohibition », un chargement de mille bouteilles à transporter dans une camionnette tellement banalisée qu’elle en devient immédiatement suspecte. Lenth, lui, ça l’amusait. Je sais pas pourquoi, mais je le trouvais sympa, avec sa tronche de savant fou qui se serait payé une dignité.


- Vous avez raison. Et tort. C’est une excellente boisson qu’on prépare au Liban, pour accompagner le repas, en effet. Mais je ne voulais pas vous parler de cet Arak-là.


Je soupirai de soulagement, assez intérieurement, mais pas suffisamment, parce que Lenth le remarqua. Il attrapa une chemise en carton, posée sur une petite table à côté de lui, et l’ouvrit.


- Roger Mills, Calypso Larkis, Menahem Eristein, José Perez, ça vous parle plus ?
- Ils sont morts, non ? Il y’a longtemps en plus…
- Exact. Des politiciens, tous très mystérieusement assassinés. Pas de traces, pas de preuves, et surtout pas d’enquête. Les rares journalistes rebelles n’ont toujours pas donné signe de vie. Non, je me trompe. On a envoyé la main de l’un au quotidien où il bossait, pour qu’ils lâchent vraiment l’affaire.


Lenth semblait se perdre dans ses pensées. Avec sa tronche, on l'imaginait plus en train de songer à la résolution d'un problème de physique quantique qu'à des affaires de meurtre.


- Je me suis renseigné sur le sujet. De mon côté. J’ai disons…quelques contacts. Je crois savoir que derrière tous ces meurtres, il y’a l’Arak. C’est un petit groupe de mercenaires, qui monnayaient leurs services aux plus offrants, sans le moindre scrupule, il y’a de cela cinq-dix ans.


Il me tendit la pochette, que je gardai soigneusement fermée. J’avais jamais été très douée en lecture, par contre, j’écoutais pas mal.

- Evidemment, identités secrètes, jamais de photos, rien. Officiellement du moins. Parce qu’officieusement…


De derrière son fauteuil, il tira une seconde pochette, plus fournie, mais celle-là, il la garda pour lui. Il en extrait simplement une feuille, qui ressemblait vaguement au CV d’un type patibulaire.


- Disons que j’ai fait mes propres recherches. J’ai les noms, les photos, et les activités de presque tous ces chers mercenaires. Et j’aimerais que vous les éliminiez. Jusqu’au dernier.


Mes yeux s’écarquillèrent. D’accord, j’avais déjà tué, mais c’étaient deux malheureux crétins de trafiquants de drogue qui s’étaient mis sur mon chemin, et qui avaient chacun un lourd, un très lourd passif. Là, non seulement c’était du gros gibier, mais en meute en plus.


- Ils sont combien ?


Lenth reprit son sourire à moitié sarcastique qui lui donnait l’air sympa.


- Arak, Araignée, ils sont huit. Chacun une des huit pattes, chacun avec son rôle.


Finalement, il me donna le dossier. J’allais avoir pas mal de lecture, finalement.


- Il y’a d’abord le cerveau. Je ne sais presque rien de lui, mais je ne désespère pas d’obtenir des informations plus tard, lorsque votre…travail aura débuté. Il coordonne les opérations, et s’occupe des négociations. Ensuite, il y’a le leader, une femme, la seule. Puis le combattant, l’espion, le logisticien, le sapeur, le sniper et le détective.


Il avait compté sur ses doigts, au cas où je sois illettrée et demeurée au point de pas connaître mes chiffres jusque là. Sage précaution. Cependant, une question commençait à m’indisposer : pourquoi moi ? Ou non, rectification : pourquoi un homme – une femme en l’occurrence – de Joey ? J’essayai de la poser sans paraître inquiète, ou méfiante, ni rien. Je l’étais pas, mais y’a des types susceptibles sur cette planète.


- Et…hum…qu’est-ce qui vous a fait me…enfin pas me mais…pourquoi Joey, vous le connaissiez ?


Pour l’absence de soupçons, c’était râpé, et je me mordis la langue en promettant de réfléchir avant, la prochaine fois. J’avais l’impression d’être une pie attirée dans une cage par un truc brillant. Et Lenth sentit que j’étais mal-à-l’aise. Il répondit sur un ton badin.


- Ah ! Quel étourdi je suis, je ne vous l’ai pas dit ?


Il se leva, et alla se servir un verre. Dans une armoire ornementée, forcément. En chêne massif, forcément. De bourbon, forcément.


- Tout simplement parce que ces huit mercenaires sont tous des mutants. Et comme on dit, « il faut combattre le feu par le feu », n’est-il pas ?


Je restai interdite. Des petits trafics, je me retrouvai chargée d’éliminer des mutants surentraînés, sans doute surarmés, surméfiants. Il était encore temps de dire « non merci, vraiment, vous êtes SUPER sympa, mais j’ai une passionnante histoire de trafic de packs de bière à régler ». Seulement, à vingt-trois ans, on est naïf, et pépé paraissait de bonne foi. On croit à la grande aventure, à l’héroïsme et à la gloire. Et on accepte comme une cruche, sans se douter de ce qui va se passer.
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Lun 16 Fév 2009 - 19:03
Dans son infinie bonté, ou son infinie prudence, ou ses infinis doutes concernant mes capacités intellectuelles, Pépé m’avait fourni un ordre dans lequel remplir les contrats. J’aurais trouvé un agenda complètement rempli avec l’heure à laquelle se brosser les dents le matin que ça m’aurait à peine étonnée. Il semblait avoir vraiment pensé à tout, et si j’en croyais la lecture des premières fiches, il voulait que la difficulté soit croissante, parce que les derniers poissons se laisseraient pas facilement avoir.

Donc pour se mettre en bouche, en entrée, le chef vous propose un duo de méchants, avec tout d’abord l’espion, Rodrigo La Paz, petite frappe qui semblait avoir fait ses armes dans la mafia mexicaine en passant de la drogue à travers le Rio Grande, et qui accessoirement était métamorphe, ce qui rendrait sans doute la traque d’une incroyable simplicité. Heureusement, il était précisé que La Paz était toujours accompagné d’un acolyte, Hans Borman, le sapeur, qui à vue de nez devait être un teuton assez colossal. C’était sa photo que Pépé m’avait montrée vite-fait pendant notre entrevue, et effectivement, il était patibulaire.

Visiblement, Laurel et Hardy – l’un était estimé à 2 mètres pour 110 kilos, tandis que l’autre émargeait à 1m65 pour à peine un demi-quintal – vivaient de leurs petites combines dans un coin pas super bien famé de Houston, Texas, là où y’a la NASA. Si on trouvait l’un, on trouvait l’autre. Et comme je suis une fille pratique, je me suis rapidement dit qu’il faudrait que je commence par traquer l’ami Borman, et qu’ensuite, l’autre viendrait tout seul, ce serait facile. Sauf quand j’ai lu le « Nb » de sa fiche, qui m’informa que son pouvoir consistait à pouvoir rendre explosif tout ce qu’il touchait. Sympa. Il devait avoir une poignée de main mortelle.

Commença donc un petit trip vers Fusée City, gracieusement offert par Lenth & co, visiblement maître ès magouilles. J’avais jamais voyagé en classe affaires, et ben c’est le méga-confort, on a même le champagne offert, jamais vu ça. Je notai d’appeler Joey pour lui dire que c’était une grosse radasse quand il nous donnait une mission, puis retour aux dossiers. Ca avait quelque chose d’inquiétant, de savoir qu’un type qui pouvait faire exploser n’importe quoi constituait, avec son pote changeant de forme, la « partie facile » d’un contrat. Ca augurait tellement du meilleur pour la suite que j’ai préféré garder la surprise, histoire de ne pas me liquéfier à 6000 mètres d’altitude. Fourbir ses armes et sa stratégie était plus constructif – car malgré sa prévenance, pépé m’avait laissé carte blanche sur la méthode, en disant juste de « ne pas être arrêtée avant d’avoir fini le boulot ». Pragmatisme.

Quand je pensais que Borman serait « reconnaissable », je ne pensais pas qu’il le serait autant. J’ai mis grosso modo dix minutes à le trouver, en dépensant la bagatelle de cinq dollars, offerts à un informateur improvisé, en l’occurrence un gosse sur un playground qui faisait mumuse avec une balle de foot. Effectivement. La montagne humaine était couronnée d’une chemise hawaïenne des plus flashy. Avec les Ray-Ban, ça faisait un peu « Un flic à Miami », mais qui a passé deux ans à Stockholm pour perdre son bronzage. Grâce à cette balise humaine, mettre la main sur La Paz fut d’une simplicité enfantine, ce qui me permit d’économiser mes capacités de filature pour une situation plus délicate. L’espion arborait lui aussi une tenue vestimentaire très fluo. J’hésitai à appeler pépé pour lui demander si c’était une blague, ce contrat, avec ces deux types visibles comme le nez au milieu de la figure qui se méfiaient de rien, mais je me ravisai. Peut-être étaient-ils plus forts qu’ils en avaient l’air. Donc, après avoir vérifié l’accessibilité du .50 rutilant – autre cadeau de Mr Lenth – dans la poche intérieure de ma veste, je suivis les deux zigotos. S’ils étaient des mercenaires mondialement craints, j’avais toutes mes chances dans la profession.

Par malchance, je ne trouvai pas de « bonne occasion » d’expédier le contrat dans la journée. Par malchance, et à moitié par mauvaise volonté, puisque le séjour m’était offert dans un quatre étoiles, et que j’avais très très envie de tester le confort des hôtels de luxe. Du coup, en les filant à distance, je cherchais la petite bête de chaque site d’exécution qui s’offrait à moi. Ca me faisait des révisions. Et le soir, j’étais dans des draps d’une matière que je connaissais même pas, dîner offert par la maison, avec deux-trois idées sur la manière de m’occuper du problème. Mine de rien, on dort bien dans un lit à baldaquin. C’est pour ça que les princesses en avaient toutes un.

Après avoir embarqué tous les produits de soin et toutes les serviettes de la suite, je partis tôt le lendemain matin, histoire de guetter une des deux cibles au réveil. Aucun n’était matinal. Effectivement, ça faisait très « entraînement ». Borman fut le premier à émerger, et une demi-heure plus tard il retrouvait La Paz près d’un garage. Visiblement, les compères s’occupaient de revente de matériel automobile, sans doute mal acquis. J’écoutai leur conversation avec le proprio, ils promettaient de revenir une heure plus tard. Trop-facile. Il n’y avait qu’un itinéraire pour arriver, qui comprenait une petite cour utilisée à moitié comme rue, à moitié comme déchetterie. Je me planquai entre deux containers dégorgeant des détritus, en rêvant des draps que j’avais quittés trop tôt le matin même.

Je n’avais qu’une hésitation. Lequel d’abord ? Lenth ne m’avait pas demandé de le citer, mais un peu d’effet de style, ça ne pouvait pas faire de mal, seulement, il fallait que je le fasse alors que les deux étaient à ma merci. Non. Une fois qu’un des deux serait raide et l’autre à ma merci. J’optai pour la montagne en premier, préférant ne pas avoir à connaître ses capacités. Certes, selon toute probabilité, je devrais être capable de pas trop subir, mais mieux valait ne pas tenter le diable.

Je vérifiai mon chargeur, frottai le Desert Eagle contre mon pantalon pour qu’il brille bien, et j’attendis. Longtemps. Les deux pères étaient à la bourre. Ils revinrent finalement, l’air joyeux. J’attendis qu’ils passent, à moitié cachée dans le mur, je sortis, et tirai dans le dos de Borman. Deux fois. Il chancela, et s’écroula en faisant un bruit comme « Euuurh », pendant que La Paz se retournait, sortait un flingue que je n’avais même pas soupçonné de sa ceinture et tirait. Les deux balles, bien ajustées, allèrent s’abîmer sur le mur de derrière après m’avoir traversé la poitrine et le cou. C’est dans ce genre d’instant que j’étais heureuse d’être une mutante. Ma troisième balle fut pour son bras, et la quatrième pour son ventre. Il avait lâché son arme, je m’approchai, et énonçai la phrase que je m’étais répétée.


- De la part de Mister Lenth.


Il devait être vraiment surpris, sur son visage ne se peignant que la plus profonde stupeur tandis qu’en fille sympa, j’abrégeai ses souffrances d’un dernier projectile dans la tête. J’essuyai le canon sur les couleurs atroces de sa chemise, tandis qu’une odeur bizarre se faisait sentir. J’inspectai le canon, rien, le chargeur, non plus, et mes aisselles, pas mieux. Je compris au dernier moment que la senteur venait de ce cher Borman. J’eus à peine le temps de phaser et de m’éloigner de quatre pas, que la petite cour était soufflée par une énorme déflagration qui me fit traverser le mur le plus proche – dont il ne restait plus rien quelques instants plus tard.

C’est dans ces instants que j’étais VRAIMENT heureuse d’être une mutante. Je me relevai et m’éloignai en courant, en me maudissant de mal entendre. Il avait pas dit « Euuurh », il avait dit « Ruuun ! ». Et il s’était transformé en bombe humaine, qui tenait assez mal dans ma main, il fallait le dire.

Je me rendis jusqu’à mon hôtel et pris un bon bain aux frais de la princesse. C’était pas subtil, ce qu’avait fait le sapeur, et je l’avais pas prévu. Il fallait que je revoie mes stratégies avant les prochaines missions, pour éviter qu’elles ne tournent trop au vinaigre. Pour moi, en particulier.

Cela dit, selon mes calculs, je venais de toucher deux fois trente mille dollars. Et deux terroristes sanguinaires venaient d’être effacés de la surface de la terre. L’un dans l’autre, c’était une bonne journée. A part pour les poubelles de la cour entre la 12ème et la 13ème rue, qui avaient subi un choc, les pauvres.
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Mer 18 Fév 2009 - 3:40
Le sniper

Mr Lenth était presque complètement satisfait. Je lui avais tout raconté dans les détails, encore sous le coup de l’excitation, jusqu’au grand « BOUM » final. A ce moment, il avait paru sincèrement désolé, semblant vouloir me dire quelque chose, mais s’était ravisé. Il n’y a guère que quand je l’ai cité qu’il a paru contrarié, il m’a dit que ce n’était pas nécessaire, que l’efficacité comptait plus que le panache, et que ça pouvait jouer de mauvais tours de trop vouloir en faire. J’étais un peu déçue, mais il m’a remonté le moral en me disant que c’était pas grave, et surtout en me filant deux belles liasses de billets que j’ai rapidement fourrées dans mon sac après décompte – on n’est jamais trop prudent.

Après ça, il m’a dit « bonne chance pour le sniper », en me conseillant de bien lire ses fiches. J’ai pris un air désinvolte de vieux briscard qui en a vu d’autres, et je l’ai rassuré sur le succès de mes opérations, ce à quoi il a répondu par un sourire énigmatique que je n’ai pas cherché à expliquer. J’avais du tueur à éliminer.

Oswald Seton, quarante-et-un ans, Canadien. 1m82, 75 kgs. A été trois fois champion national de tir à la carabine lors de son service militaire. Borgne suite à un accident lors d’un exercice, ce qui semble-t-il l’a poussé à quitter l’armée pour ne plus donner signe de vie (ou presque). Taciturne et extrêmement précis. Lance des rayons d’énergie, capables de traverser une porte blindée de 10cm d’épaisseur lorsqu’il est en pleine possession de ses moyens. Chapeau, pépé, des informations de première main. Les enquêteurs modernes étaient vraiment capables de fouiller jusqu’à l’intérieur du slip de leurs cibles. En d’autres circonstances, j’aurais joué ma parano, mais là, ça me servait plutôt, donc je gardai les considérations socio-philosophiques pour la retraite dorée que me fourniraient ces contrats.

Question parano, Seton se posait aussi là. Toujours d’après super-dossier, pour tuer le temps entre deux têtes à faire sauter, il était devenu expert ès pièges au point de truffer son appartement de dispositifs de sécurité. Pendant un instant, je me demandai si Lenth était pas son père ou son ex, pour savoir autant de choses, mais ça venait peut-être d’une expérience malheureuse de l’enquêteur. Genre « je pénètre innocemment par effraction dans le domicile de la cible, et je perds une jambe dans un piège à loups ». Coup de bol, les pièges, j’en faisais mon affaire. Du moins ceux qui me venaient à l’esprit.

Pour couronner le tout, il s’était posé à Miami. Miami, c’est un peu la synthèse de toutes les villes américaines. Il y’a du gratte-ciel dans le quartier d’affaires, du pavillon cossu là où logent les bourgeois, du taudis plus ou moins branlant chez les plus pauvres, un beau quartier « étranger », en l’occurrence cubain… Du soleil et de la pollution. Des rues sûres et des coupe-gorges. Miami était totalement schizo, tout le monde pouvait y trouver son compte, même un mercenaire à moitié siphonné. Qui visiblement aimait le confort, puisqu’il s’était posé dans la banlieue huppée, précisément dans une sorte de mobil-home avec vue sur la mer.

Je passai trois jours pleins dans un hôtel non loin de sa maison, jumelles à la main, à observer tous ses mouvements, même si à mon grand malheur je ne pus pas apprendre combien de fois il passait aux toilettes par jour. Seton sortait assez peu, deux fois deux heures par jour, et passait le reste de son temps à s’exercer au tir dans son jardin, ou à lire. Je n’aurais jamais pensé qu’un sniper pouvait aussi être un rat de bibliothèque, mais après réflexion, je me dis qu’il avait du passer beaucoup de temps seul, et que les scoubidous, ça va deux minutes, mais pour une planque de cinq heures, il faut emporter trente mètres de fil de réserve. Pas pratique, quand un livre de poche prend peu de place et peut occuper longtemps.

Après deux jours supplémentaires, je savais à quoi il occupait ses sorties. Celle du matin était pour un stand de tir dans lequel il avait sa carte. Celle du soir consistait en un passage dans une librairie, et éventuellement par un supermarché si les denrées se faisaient rares. Réglé comme du papier à musique, conformément à son caractère. Mon seul souci, c’est que, j’avoue, je flippais de m’approcher pour en savoir plus sur sa maison en elle-même, parce que je l’imaginais volontiers remplie de caméras. Le plan : entrer chez lui pendant sa pause de l’après-midi – le matin, il sortait armé… - attendre, le tuer, fumer une clope, même si j’essayais d’arrêter, et passer toucher ma prime. Facile, facile.

La première partie du plan se déroula comme prévu. D’une manière générale, quand on est hors-phase, l’infiltration est un jeu d’enfant. Si je pouvais, je passerais ma vie comme ça, mais rapidement, c’est fatiguant. Les murs étaient en carton, l’intérieur décoré de façon spartiate monomaniaque. Rien. Que dalle, à part le juste nécessaire. Pas terrible pour se trouver une planque. Je me permis une petite inspection, mode matériel, pour tuer le temps. Sa bibliothèque était en Ikéa, remplie de ce qui devait être une conséquente collection de thrillers – j’y connaissais rien, mais les titres me le laissaient penser. J’étais plus « frousses cinématographiques », c’était moins long et plus intense. Par certains côtés, je me sentais assez masculine.

Ma montre vibra six fois pour me prévenir de l’arrivée prochaine de ma cible, et je choisis de ne pas la jouer « ennemi de James Bond carré dans un fauteuil », même si l’idée était tentante. Je me planquai dans sa chambre, invisible de l’entrée, collée contre l’armoire – le seul meuble si l’on exceptait le lit. Et Seton fut d’une parfaite ponctualité.

Dans mes rêves, je le touchais au bras, il s’effondrait en tirant une rafale d’énergie que j’évitais en phasant, je lui disais d’une voix ténébreuse « De la part de Mr Lenth », mon gimmick, et je l’achevais. Sauf que quand je me retournai, le .50 à la main, lui tenait un Glock, et si je n’avais pas utilisé mon pouvoir de manière réflexe, j’étais bonne pour le cimetière. Il se jeta derrière le fauteuil et entreprit de me trouer de balles, que j’esquivai tant bien que mal en retournant dans la chambre. Dammit. Il m’avait grillée. Et il savait quel était mon pouvoir.

Je tentai de réfléchir, pendant que je l’entendais recharger calmement. A quoi s’attendait-il ? A ce que je passe n’importe où, excepté par la porte. Conclusion : je devais passer par la porte. Plus facile à dire qu’à faire. Avant que me vienne L’Idée. Je sautai dans l’embrasure, et explosai d’une balle la vitre derrière lui. Une roulade plus tard, pendant qu’il se couvrait la tête pour éviter d’être écorché, je vidai mon chargeur dans sa direction. L’efficacité ne fut pas de 100%, mais elle fut suffisante pour l’éliminer. Je fouillai rapidement ses poches, et trouvai un étrange boitier coloré. Après une observation sommaire, je compris à quoi c’était relié. Astucieux : monsieur avait des capteurs de vibration planqués partout dans sa baraque. Il les réglait pour qu’ils réagissent au poids minimal d’un voleur, que je dépassais visiblement. Quelle couillonne. C’était quand même plus discret qu’un piège à loup, qu’une hache qui passe à travers la porte ou qu’une boule de pierre géante.

En me maudissant pour ma confiance, je m’enfuis par l’arrière de la maison. Mine de rien, des coups de feu et une vitre explosée par balles, ça pouvait attirer les bleus. Et même mon plus charmant sourire n’expliquerait pas ce que je faisais ici.

En plus, j'avais pas réussi à placer ma phrase. L'Effaceuse avait encore des progrès à faire.
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Dim 15 Mar 2009 - 23:28
Le logisticien

Le dossier indiquait une immense qualité à ma cible suivante, à savoir Alex J. Kawan, Canadien et télépathe de son état : il résidait à Orlando. Ce qui m'évitait de traverser pour la cinquantième fois les USA. Ces derniers temps, j'avais développé comme qui dirait une "lassitude certaine" des transports, j'en avais ma claque de l'avion, du train et des bus. Pour le coup, j'ai même pris le luxe de louer ma propre caisse, et comme j'avais de l'avance, ça a été un petit cabrio sympa, tellement sympa que je me suis sentie forcée de me payer les lunettes de soleil qui allaient avec. Florida Spirit, une tueuse à Miami !

Le voyage a été assez cool, mais le contrat promettait d'être compliqué. Kawan était un télépathe, avec de faibles capacités de contrôle, mais d'énormes dons de communication et de détection. D'après Maître Dossier, il pouvait sonder les esprits d'une cinquantaine de personnes lorsqu'il se concentrait, et d'une quinzaine lorsqu'il ne se concentrait pas. Et son rayon d'action excédait les deux-cents mètres, ce qui interdisait toute approche belliqueuse frontale. Pour le coup, le rutilant AWP caché sous les lattes du plancher de Seton aurait pu être une bonne solution - sauf que je ne savais pas m'en servir, que je risquais de toucher n'importe qui, sauf ma cible, et que je ne l'avais pas pris.

Je me suis autorisé 24h de réflexion avant de commencer ma préparation, histoire que l'inspiration géniale me vienne. Et quand on est à Orlando, qu'est-ce qu'on fait ? Gagné, on va faire coucou à Mickey. On peut être une fille dangereuse et adorer les Disney, je vois pas ce qu'il y'a d'incompatible. Dans les films, les psychopathes adorent toujours Beethoven. Pas le chien, le compositeur. C'est pas moins décalé.

Et pour tout vous dire, tous mes souhaits ont été comblés durant cette journée. Bon, peut-être pas tous, mais trois gros, du moins. D'abord, j'ai gagné une énorme peluche Pluto au chamboultou. Du premier coup ! Petite, je perdais toujours à ce jeu débile, alors que mon frère, qu'il crève en Enfer cet avorton car jamais il a pris de nouvelles de moi depuis qu'on m'a botté le cul hors de la maison, alignait fièrement la collection de voitures téléguidées, de ballons de foot et autres épées en plastique gagnées par le même biais. La honte ! Et vous pensez qu'il était du genre à m'aider à réussir, ou même - c'est déjà de la condescendance - à me prêter ces jouets-là ? Même pas en rêve ! Ca paraît négligeable, une grosse peluche orange avec une tête idiote, mais pour moi c'était une énorme revanche sur la vie. En plus, j'avais toujours aimé ce clébard. C'est Dingo que j'aimais pas.

Ensuite, de deux, j'avais l'air tellement cruche sous mon machin orange qui devait bien peser vingt kilos pour un mètre vingt, qu'un charmant jeune homme s'est chargé de venir m'aider. Sans entrer dans les détails, on a fini ensemble à l'hôtel le soir, après avoir passé une journée très divertissante. Le type s'appelait Shawn, il avait pas plus d'illusions que moi sur le futur de notre liaison, mais semblait lui aussi décider à en profiter le plus possible. Il était drôle, souriant, bien foutu, et bon au pieu, que demander de plus pour un coup d'un soir ?

Et de trois, passer la journée avec ma conquête - à moins que ce ne soit l'inverse - ne m'a pas empêchée de trouver mon plan d'attaque. On sortait d'une montagne russe, quand on a vu un groupe d'une dizaine d'ados commencer à prendre la tête à un marchand de barbe à papa pour une histoire de monnaie. C'est banal, ce qui l'était moins, c'est que pendant que tous s'injuriaient comme du poisson pourri, deux petits malins en profitaient pour attraper tout ce qui leur tombait sous la main dans la cahute. Bon, ils ont été rattrapés vite-fait bien-fait, mais là, l'évidence m'est venue : y'avait pas des caméras et un service d'ordre hyperefficace partout. Et le coup du leurre ben...ça pouvait marcher. J'ai pas plus développé, parce que ça me demanderait du boulot, et je voulais profiter du soleil et de mon mec du jour, mais j'ai gravé ça dans un coin de ma tête.

Après être passés trois fois dans les Pirates of the Caribbean, on s'est dit qu'il était temps de rentrer pour passer à "autre chose", ce qui nous a bien occupés de 19 à 23, c'est vous dire si j'avais bien choisi. Pour tout dire, je lui ai pas trouvé de défaut : le lendemain matin, il m'avait pas tiré mon portefeuille, le Shawn, mais j'y ai retrouvé son adresse, son numéro de téléphone et "Au cas où tu repasses dans le coin" griffonnés sur un post-it. Le bougre s'était enfui tôt. D'après ses dires, il était pompier, même si j'en doutais. Ca faisait carrément "cliché pour faire tomber les nanas", et lui en avait bien moins besoin qu'un autre. Maintenant, qu'il soit pompier, éboueur ou yuppie, c'était le cadet de mes soucis.

J'ai pu donc me mettre au travail le coeur léger, réfléchissant à la manière de procéder. Il me fallait une bande de glandeurs conséquente pour faire le "leurre", et j'étais peu familière des bandes louches floridiennes. M'enfin Orlando a beau être un paradis sur terre, il en reste que le bled a ses banlieues craignos et ses bars pourris, et que j'y ai trouvé un ramassis de branleurs qui ferait parfaitement l'affaire. Il a juste fallu que je broie légèrement les gonades de leur "chef" pour qu'il arrête de m'appeler "poulette" et qu'il cesse ses allusions douteuses. Une fois le fric sorti, et 75% supplémentaires promis, j'avais quasiment des esclaves.

Kawan était à l'opposé de Seton : un sociable, un peu geek. Il passait beaucoup de temps dans une salle de jeux en réseau appelée "Neverland", au milieu d'un ramassis de bigleux, qui adoraient certainement la dernière invention japonaise - vous savez, cette bestiole jaune et noire avec un nom débile ? - et avaient en commun un look lamentable, des cheveux gras et plus généralement des notions de l'hygiène tout à fait relatives. Je peux vous donner ces détails parce que pour vraiment connaître les lieux, je me suis forcée à y entrer, comprenant immédiatement pourquoi les filles préféraient les sorties shopping. Malgré mon coeur qui se soulevait, j'ai réussi à griller une sortie dérobée dans la ruelle de derrière, c'est tout ce qui m'importait. Pour faire bonne figure, j'ai acheté une peluche d'un bidule rose qu'ils appelaient "Kirby", en me disant que ça serait classe accroché au pare-brise de la Camaro décapotable de mes rêves. En sortant, j'ai eu l'impression d'avoir causé des ruptures d'anévrisme : visiblement, les personnes XX, même XX mutantes, n'étaient pas des adeptes de cette boutique.

Mon plan était bête : séparer mes bonshommes en 2 groupes pour bloquer les deux issues de la rue, les faire avancer avec les plus mauvaises intentions en direction de "Neverland" pour affoler Kawan et le faire paniquer au point de sortir par derrière, et le descendre. Problème : derrière, c'était une ruelle sur laquelle donnaient une trentaine de fenêtres d'habitations qui risquaient d'être occupées. Solution : j'ai passé une demi-journée à me dégoter une tenue qui limiterait au maximum les risques qu'on me reconnaisse. Un Feutre mou noir dans lequel j'avais caché mes cheveux - hors de question que je me rase le crâne, même pour une sacrée liasse de billets - un trois-quarts en cuir noir lui aussi, et des lunettes de soleil. Aussi remarquable et suspecte que les yeux au milieu de la figure, mais anonyme malgré tout. J'avais aussi noté l'emplacement de quelques poubelles environnantes, décidée à me changer en vitesse pour redevenir une Floridienne bronzée en villégiature. J'avais poussé le vice jusqu'à me prévoir une paire de Ray-Ban pour mon second look.

Et tout s'est magnifiquement déroulé, je me sentais comme une méchante machiavélique voyant le héros s'enfoncer dans tous les pièges, les uns après les autres. Kawan a réagi seulement après que je lui eus casé trois balles dans le buffet, un air de totale incompréhension sur les traits. Je lui ai murmuré mon gimmick, il a écarquillé les yeux, et il est mort. C'était grandiose. Je me sentais professionnelle.

Mes fringues ont disparu dans un container, malgré ma répugnance. Je m'étais vue dans une vitre, j'avais la classe, et je l'aurais encore plus eue si j'avais pu laisser trainer ma tignasse noire. Une prochaine fois. Quand j'aurais ma Camaro, mes biftons, et ma tranquillité. Quand je serais une méchante apaisée et fière de ce qu'elle a accompli.

Il restait plus qu'à faire en sorte d'éviter le sort du méchant de carnaval. Le piège tellement idiot qu'on ne pense même pas à l'éviter. Mais dans mon état d'euphorie, je ne l'envisageais même pas.

Et puis...étais-je vraiment une méchante ?
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Mer 18 Mar 2009 - 20:22
Le détective

- Vous dépassez mes attentes, Miss Crawford.

- Lily.


Sourire de Lenth.


- Lily, c'est vrai, si vous préférez. Vous vous en tirez très bien. Pour être honnête, j'imaginais avoir recours à au moins trois hum..."Employés" différents pour mener à bien toutes ces tâches, mais vous les exécutez avec une efficacité impressionnante.


Tout en m'accablant de compliments, il caressait le pelage lustré d'un magnifique Persan que j'évaluais dans les dix kilos. Poil bouffant, mais pas que. La bête en dessous devait aussi pas mal bouffer. Le matou finit par se lasser des gratouilles et sauta sur le sol avec la grâce d'un paquet de pâtes qu'on fait tomber d'un cabas. Et s'en fut en déhanchant son énorme postérieur. Ca me fascinait. Les mutants sont peut-être l'avenir de l'homme, mais si les hommes cherchent l'avenir des chats, m'est avis qu'ils partent dans la mauvaise direction.

Je repris contact avec la réalité et le chéquier vivant qui me faisait face.



- C'est très aimable, mais j'ai eu disons...des faux frais pour la dernière affaire.


Lenth plissa les yeux, puis sourit.


- Ne vous inquiétez pas pour ça. Vous avez réussi, donc vos frais étaient justifiés. Vous savez que vous êtes à mi-chemin ? Même si le plus dur est encore devant vous, votre travail jusque là a été exceptionnel. Vraiment.


Le bonhomme m'impressionnait. Il employait le ton utilisé pour féliciter un journaliste de talent, ou un trader au nez creux. Or il était en train de couvrir de louanges une tueuse, certes de vilains, mais une tueuse quand même. Je me dis que ce devait être la marque des riches.

Il me demanda ensuite si j'avais des questions concernant les dossiers suivants. Je secouai la tête, je n'y avais pas encore réfléchi. Il me félicita derechef, me remit une sympathique liasse de billets, un pas de plus vers l'existence de mes rêves, et nous prîmes congé l'un de l'autre. J'aime bien cette expression, "prendre congé". Ici elle était totalement à côté de la plaque, pour moi en tous cas puisque j'allais bosser, mais je la trouve classe.

Je sautai dans ma nouvelle voiture de location, une nouvelle bombe cabriolet. Une fois qu'on s'y est essayé, difficile de revenir à l'ordinaire. Lunettes de soleil sur le nez, je filai vers mon hôtel. Quatre étoiles. Ca aussi, on s'y habitue vite. En particulier, au fait de laisser ses clés au groom pour qu'il aille garer la caisse. Le panard. J'ai jamais aimé les parkings. Une fois sur mon lit et plus à mon aise - pour faire pro, je me fringuais presque en femme d'affaires lors des rencontres avec mon employeur - je commençai à potasser les trois dossiers qui me restaient. L'un était d'ailleurs un double, prévu pour être l'avant-dernier, et je focalisai mon attention sur le simple, en croquant les muffins apportés par la prévenance du service de chambre.

Thomas Guss, Suédois, la petite quarantaine, 1m85, 79 kgs. Je flashai sur la photo, c'était le premier de mes contrats a être vraiment beau gosse, même à quinze ans de plus que moi. Un visage quasi lisse, avec juste ce qu'il faut de rides pour paraître expérimenté et pas juvénile, des cheveux châtains mi-longs qui s'arrêtaient juste au-dessus d'épaules carrées, des yeux marron. Le quadra de mes rêves. Quand je le serai aussi. Je passai sur ces détails finalement sans intérêt, pour me concentrer sur la personnalité. Opiniâtre, déterminé, très bonne intelligence déductive. Etait chargé de tout l'aspect "Renseignement" qui pouvait entourer une mission. Combattant émérite, à l'arme à feu ou blanche. Fichtre. Il s'annonçait coriace. Et le pouvoir n'arrangeait rien. Réflexes améliorés, Sens surdéveloppés, Capacités d'anticipation. Il fallait "juste" que je me débarrasse d'un surhomme. Plus facile à dire qu'à faire. Bien que dans ce cas, le charmant .50 cadeau-bonus fonctionnerait parfaitement, à moins qu'il attrape les balles au vol.

Question localisation, c'était pas compliqué : Chicago. Pas loin. Tant mieux, je pouvais y aller en conduisant. J'hésitai à mettre l'essence comme note de frais, mais finalement, je renonçai. Mes émoluments étaient plus que généreux, pas besoin de jouer la grippe-sou. Et puis à Détroit, le carbu était moins cher qu'ailleurs. Autant en profiter.

M'enfin, tout ça, c'était que du détail. Rien de si différent - sex-appeal excepté - de mes petites affaires précédentes. Y'avait que 3 lettres qui transformaient ce boulot sans histoires en un travail nécessitant une grosse, une très grosse préparation. 3 lettres à la noix, après tout, en les arrangeant différemment, on pouvait faire "Poc !", c'est mignon "Poc !", c'est le bruit que fait une noisette cognant contre un carrelage.

Sauf que là, c'était "Cop". Flic. Poulet. Bleu. Le Guss était inspecteur, il bossait pour les Stups. C'était la première cible qui avait un vrai métier, les autres devaient survivre de leurs paies antérieures, ou combiner dans de petits trafics, comme Borman et La Paz. Un seul boulot dans la série, et faut que ce soit un gardien de la paix. La poisse.

De mémoire, ils n'aimaient pas qu'on descende l'un des leurs. J'aurais pu tuer cent cinquante fois Seton, ils auraient pas fait autant d'efforts que si je m'occupais du Suédois. Là, il faudrait jouer collé-serré, ne rien laisser au hasard, être d'une efficacité parfaite. Parce qu'ils sonderaient la ville jusqu'à la dernière poubelle pour retrouver une trace de salive qui leur donnerait un indice. Et ils retourneraient l'Etat pour savoir qu'elle vient de moi.

Raison de plus pour manger proprement.
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Jeu 19 Mar 2009 - 20:04
Lenth m'avait précisé qu'il voulait une réussite du premier coup, quel que soit le temps que ça prenne. Ce qui signifiait que je n'étais pas pressée. Donc première résolution : bien choisir mon hôtel. Les autres fois, le premier pas trop crado sur lequel je tombais faisait l'affaire, mais maintenant j'étais plus une débutante. Donc je pouvais me préoccuper de confort. J'ai trouvé mon bonheur pas loin de l'Université d'Illinois. Largement moins luxueux que ce à quoi je m'étais habituée en Floride, mais calme. Et, je m'en suis vite rendue compte, avec un service aux petits soins. Carrément douillet.

L'adresse du domicile de Guss était fournie, pour mon plus grand bonheur - je me voyais pas entrer comme une fleur dans le poulailler pour pouvoir repérer le lascar. Il créchait à l'autre bout de la ville, près d'un golf urbain, avec une jeune blonde. J'ai d'abord cru que c'était sa femme, ou sa copine, même s'il devait avoir deux fois son âge. Après l'avoir suivie jusqu'à l'université, j'ai pigé : sa fille, Linnea Guss, qui s'est avérée être étudiante en psychologie.

En découvrant ça, un plan a vite germé dans ma tête, digne des pires vilains de télé. Capturer la fille, attirer le père dans un piège, le descendre. Sur le papier, c'était séduisant, mais se heurtaient deux ou trois notabenes, un ou deux quiproquos qui grippaient la mécanique.
- primo, c'était carrément cruel de descendre le géniteur sous les yeux de sa fille. Ce que j'avais fait jusque là me faisait ni chaud ni froid - tuer des tueurs - mais là, c'était le grade au-dessus.
- deuxio, rien ne disait que Guss vienne seul. J'en faisais mon affaire en un contre un. Mais pas contre vingt agents du SWAT armés jusqu'aux dents.
- troizio, à supposer que j'y arrive, c'était pas ce que j'appelle une action discrète. Je m'en sortais tout à fait bien sans le FBI au derrière, et si je me mettais à jouer les kidnappeuses, rien ne disait qu'ils ne choisiraient pas de m'accorder un peu de temps.

Finalement, Linnea Guss est passée au second plan, et j'ai passé une semaine acharnée à suivre l'inspecteur sans me faire remarquer. Vaste programme, même pour une personne avec mes pouvoirs. Parce que ni lui, ni ses collègues n'étaient nés de la dernière pluie : mes maigres talents de filature ne m'autorisaient pas la moindre erreur, sous peine d'être fichée direct par quatre quadras expérimentés qui s'empresseraient de savoir qui j'étais, d'où je venais, pourquoi, comment, qui, que, quoi, dont, où ?

La seconde idée qui m'est venue était bien plus réalisable, bien que m'obligeant à jouer les funambules. Deux heures dans le ghetto m'ont suffi à trouver un dealer, trois de plus - et quelques coups de pied bien sentis - à ce qu'il me dise qui était son fournisseur. Il était alors trois heures de l'après-midi, j'ai rapidement repéré les lieux et les personnages - le type se faisait appeler Da Masta, oui, c'était un rappeur, un cliché vivant, blanc comme un cul, le crâne rasé, douze kilos de médailles en or accrochés au cou et une fille presque à poil sous chaque bras. Il s'est endormi du sommeil du juste, le lendemain, sa réserve de coke avait malheureusement disparu. J'avoue avoir regretté de ne pas avoir pu rester pour son réveil : un junkie qui perd grosso modo cinq cent mille dollars, ça doit valoir le détour.

Ca, c'était la partie A, que j'ai complétée en lui envoyant un message de rançon d'une naïveté démoniaque, lui disant que je lui rendais le tout pour dix plaques dans trois jours. Dans un entrepôt désaffecté, comme il se doit. J'ai précisé qu'il devait venir seul : j'imaginais que ça l'inciterait à rameuter le plus d'Uzis possible avec lui. J'en aurais besoin.

Partie B, moins périlleuse, j'ai identifié un indic de Guss, un Chinois qui crèchait à Fuller Park. Comme presque tous les indics, il dealait un peu de son côté - c'était exactement ce que je cherchais.

Un petit tour dans les friperies les plus pourries de la ville, et quelques coups de ciseaux et de crayon à maquillage plus tard, j'abordais l'indic, avec du mascara jusqu'au milieu des joues, les yeux rouges, les cheveux en vrac et une tenue on ne peut plus négligée, genre punkette à moitié SM. La conversation a donné quelque chose comme ça - en résumé et en "version polie" :


T'as pas dix grammes ?
Si, mais j'te connais pas
Masta est en rade, on lui a tout tiré, y m'en faut.
Quoi ? C'est le plus gros vendeur de South Shore, tu t'fous m'a gueule ?
J'te jure, pourquoi j'te raconterais des cracks ? Il est moins cher que toi, j'ai pas d'raison d'venir ici ! Bon, tu m'les files ou faut que j't'en taille une ?


Le type m'a alors jeté un regard qui m'a fait comprendre qu'il rêvait que de ça. J'ai hésité à l'écorcher vif, mais non, Lily, tu es pro, gâche pas une affaire à cause d'un pervers. Je me suis barrée en braillant, sans coke mais satisfaite. J'étais certaine qu'il avait tout gobé, ça s'est vérifié - deux minutes après mon départ, il téléphonait. A Guss.

Splen-dide.

Le jour J - celui du "Troc" - j'étais passablement nerveuse. J'avais l'impression que quelque chose se passerait de travers, sans pouvoir dire quoi. Désagréable. J'ai pas dévié d'un pouce dans mes prévisions, deux heures avant l'horaire donné, j'ai planqué les paquets dans le hangar, et je me suis installé dans une tour désaffectée avec une paire de jumelles, me demandant qui des flics ou des trafiquants seraient les plus en avance.

Da Masta est arrivé le premier, avec l'air toujours aussi débile, mais ce coup-là je lui aurais pas dit en face. Huit costauds avec un pistolet mitrailleur dans les mains l'entouraient, ce qui me laissait penser qu'effectivement, il avait pas l'intention de payer. Quatre des huit sont partis se planquer, comme prévu. Monsieur jouait double jeu, moi, je jouais quadruple.

Discrètement, j'ai assisté à l'arrivée de Guss et ses hommes. J'en ai compté dix exactement, ils ont pris position en attendant l'assaut. De mon côté, je suis redescendue, j'ai chargé mon flingue, et, en passant à travers quelques murs, j'ai fini juste derrière l'équipe de flics. Prête à les suivre, et à en descendre un.

Les policiers ont attaqué au moment où Masta pénétrait dans le hangar. Les balles ont commencé à siffler, j'ai profité de ce moment pour me glisser derrière la patrouille de flics, en priant pour que Guss me grille pas. Deux ou trois containers traversés plus tard, je l'avais en ligne de mire. Il a juste eu le temps de se retourner et d'esquisser un saut sur le côté. Trois balles dans le buffet. Exit le Détective. L'instant d'après, j'étais de nouveau dans mon container. Ni vue, ni connue. On ne se douterait de rien avant l'analyse ballistique.

Tout s'était mirifiquement passé.
Je me suis détendue. Et je suis repartie à pieds, passant avec un sourire devant les voitures de flics banalisées. Qui mettrait la main sur le magot, finalement ?
Puis, un bang étouffé. Et une horrible douleur dans l'épaule. Par réflexe, j'ai phasé pour aller me cacher derrière la bagnole de flics.
Bordel de merde. Il se passait quoi ? J'avais loupé un épisode ? Les flics tiraient à vue ?

Puis j'ai entendu une voix féminine qui hurlait.


SORS DE LA, SALOPE ! MONTRE-TOI !


J'ai risqué un coup d'oeil. Linnea Guss, un pistolet à la main.
La gamine travaillait avec papa.
Putain de naïve que je suis.
Je me penchai en grimaçant et en me tenant le bras droit pour regarder par dessous le châssis. Elle était à une trentaine de mètres de là. Ma seule issue c'était de traverser le mur face à moi, mais il était à cinq mètres, et elle tirait bien, pour m'avoir touchée de cette distance avec une pétoire.
Elle s'était arrêtée, scrutant les trois Chevrolet alignées. Puis elle a repris, à voix plus basse.

Alors comme ça, tu veux jouer à cache-cache ?


Un truc enflammé est apparu dans sa main. Non. Nuance. Sa main s'est enflammée. La boule de feu a pulvérisé la première bagnole, qui a explosé. J'ai phasé. Juste à temps. Je m'en suis sorti avec une entaille à la jambe : le capot avait tournoyé sur vingt-cinq mètres. Sans mon réflexe, j'aurais été coupée en deux.

Une mutante. Ca m'avait même pas effleuré l'esprit. Malgré son ascendance. Grand prix de bêtise humaine pour Elizabeth Crawford. Cramponnée à mon dossier, j'ai même pas cherché à voir plus loin. C'était pourtant évident...on devient pas champion de la loi et de la justice après avoir été un mercenaire sanguinaire. Guss devait trouver son compte quelque part, et c'était grâce à la fifille qui "nettoyait" en sous-main sur ce genre d'opérations. Sans doute pour récupérer une partie de la came.

Il fallait que je trouve quelque chose. Que mon esprit cesse de se focaliser sur ma niaiserie et mes bons sentiments, qui m'ont foutue dans cette situation à la noix. La deuxième caisse est parti en fumée l'instant d'après, et j'ai du tenter ce que je n'avais encore jamais essayé.

J'ai phasé, verticalement.
J'ai toujours été claustro, et mon pouvoir m'a aidé à lutter contre. Cela dit, je ne passais qu'à travers des obstacles que je savais finis, de peur de...ben de me retrouver coincée. C'est idiot, non, coincer l'immatériel ? Ben ça m'est jamais sorti de l'esprit. Et j'ai jamais tenté de traverser le sol, sauf que là, y'avait urgence.

Pour mon plus grand bonheur, les égouts étaient à deux mètres sous le bitume. J'y suis réapparue, cramponnée par mon bras valide à un tuyau courant au sommet de la voûte. Troisième déflagration. Celle qui m'aurait été fatale si j'étais restée en haut. Décidément, Linnea tenait de son père.

Il fallait un dernier effort. Elle était à trente mètres, mais en voyant que j'avais disparu, elle s'approcherait certainement pour voir où j'étais passée. Il fallait que j'en profite. Je me suis collée sous la surface de la route, guettant les vibrations. Des pas sont passés juste au-dessus de moi, puis se sont éloignés. L'instant d'après, je jaillissais, sans trop savoir ce que j'allais faire.

En fait, je sais toujours pas ce que j'ai fait. Ni comment. Pour tout dire, je l'ai presque regretté. J'ai comme un blanc de cinq secondes, qui me ramène à la situation suivante : moi, debout, tenant mon Desert Eagle d'une main tremblante, elle, hurlant, les deux jambes fusionnées avec le goudron. D'un coup de pied, j'ai fait valser son Magnum à deux mètres, j'ai serré les dents, et j'ai visé la tempe.


Je t'ai...trouvée.


Boum. Un trou rouge qui s'élargit. Exit la fille du Détective. Sacrée famille.

Après ça, j'ai descellé son corps. Il ne restait pas grand chose de ses membres antérieurs. Donc j'étais capable de ça ? Mais est-ce que j'avais le droit de le faire ? Trois balles dans le dos, ç'aurait pas été mieux ?

Je crois que je suis restée immobile pendant dix secondes, avant d'entendre des bruits venant du hangar. Les policiers avaient gagné. Tant mieux. J'ai filé par le mur de derrière, j'ai repris ma voiture que j'ai dirigée je ne sais comment jusqu'à un hôpital, j'ai caché le flingue dans la boîte à gants, et je me suis autorisée à m'écrouler une fois sur le lit des Urgences. J'avais soupiré une histoire de petit copain violent que le doc a trouvée convaincante.

Je me suis réveillée le lendemain, sous morphine, avec l'épaule bandée, et un sentiment de nausée.
Je n'étais plus une tueuse.
J'étais une meurtrière.
Linnea Guss n'appartenait pas à la Liste.
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Jeu 19 Mar 2009 - 22:07
Le guerrier et la meneuse

Pour la première fois, j'étais passablement de mauvais poil en rencontrant mon employeur. D'abord parce que j'avais un bras en écharpe, et que j'avais été du coup obligée de troquer mon beau cabrio pour une berline à boîte automatique qui me donnait l'impression de revenir de Wall Street plutôt que de Palm Beach. Ledit bras me lançait affreusement, même si le très compétent médecin avait parfaitement extrait la balle, et je me retrouvais obligée de me bourrer d'analgésiques. Ben oui, quand on est à moitié immatérielle, on perd l'habitude de la douleur, même quand on est pas une chochotte. Et les analgésiques en question, s'ils soulageaient mon épaule, me fusillaient l'estomac. Pour couronner le tout, j'avais du me carapater discrètement de l'hosto avant qu'on commence à faire des recherches sur mon identité et sur la raison pour laquelle j'avais une munition de calibre .357 planté dans le dos. Tâche ardue avec un seul bras valide, les infirmières n'ayant pas l'habitude de laisser les patients sortir librement après un séjour en soins intensifs. Il a donc fallu que je passe par des voies détournées, en clair que je traverse quelques cloisons. Et ce que j'ai vu au détour de certaines chambres m'a carrément saccagé le moral. Entre moi et ma voiture, il y'avait le département des grands brûlés.

Un journal m'avait appris que trois flics - Guss compris - étaient morts dans l'assaut, sans doute tués par un tir croisé, ainsi qu'une jeune femme d'identité inconnue -...- retrouvée à proximité du cadavre des véhicules de police. Quelle probabilité pour que l'affaire soit enterrée par un inspecteur peu scrupuleux ? Entre zéro et zéro. Toutes les dents longues du commissariat devaient crever d'envie d'être affectés à ce "fait divers sanglant". Et un inspecteur plus malin que les autres pouvait faire le rapprochement entre la fusillade et l'admission d'une jeune femme à l'hôpital en raison d'une blessure par balles. Ce qui me désappointerait au plus haut point.

Donc j'oscillais entre le morose et le massacrant en serrant la main - gauche - de Lenth. Il me demanda ce qui n'allait pas, je lui déballai le tout, et il me réconforta. Vraiment sympa, papi, prévenant et tout. C'est à ce moment que j'ai entendu un cri - mais pas un miaulement, puisque Pépère le Persan était enroulé dans toute la majesté de sa graisse sur un coussin qui jouxtait le fauteuil du chef.


- Qu'est-ce qui se passe ?

Il eut l'air embarrassé.

- C'est...oh, et puis venez voir, ça vaudra mieux qu'un long discours.

A pas lents, il me mena jusqu'à une porte, qu'il ouvrit délicatement.


- Marion ? Tout va bien ?

La Marion en question était un bout de chou brun que j'estimais entre douze et dix-huit mois. Elle gazouilla quelque peu pendant que son grand-père - je l'avais deviné, Lily Holmes à votre service - la prenait dans ses bras pour la réconforter. Cinq minutes plus tard, il me rejoignit dans le salon. Je n'eus même pas à lui poser la question.


- C'est ma petite-fille. Ses parents sont décédés l'an dernier. Lors de vos autres visites, elle était chez sa baby-sitter, mais elle a décommandé aujourd'hui.

La tristesse se lisait sur son visage, ce qui eut le don de me faire oublier ma mauvaise humeur. Je lui racontai à mon tour l'aventure que je venais de vivre, avec luxe de détails pour lui faire comprendre mon malheur. Il ne m'interrompit qu'à un moment.


- Sa propre fille ?

Il était pensif, les yeux dans le vague. Il finit par reprendre ses esprits, une fois mon récit terminé et mes interrogations sur les conséquences de mon geste formulées.

- Ne vous en faites pas, Lily. C'était vous ou elle. Et, je vous l'assure, vous valiez mieux. Vous avez bien fait.

Pour me réconforter, sans doute, il me proposa un thé. J'acceptai, par politesse, et il revint avec un service made in Maroc. Les effluves de menthe envahirent la pièce. Cet homme avait la classe. C'en devenait presque agaçant. Quelques gorgées plus tard, je ronronnais presque, et il revint au sujet qui nous intéressait.


- J'ai une piste pour le cerveau. Rien de concluant, mais je creuse. Dès que j'ai des informations complémentaires, je vous les ferai parvenir. Mais revenons à ce qui nous intéresse dans un futur plus proche. Vous sentez-vous prête pour les deux derniers cas ?
- Je n'ai pas encore lu les dossiers.
- Très bien, je ne vais pas vous assommer, vous avez eu votre quota d'émotions. Mais soyez prudente, Lily. Ces deux-là sont très dangereux. Surtout elle. Ne prenez aucun risque.


Il me serra la main - gauche - et nous prîmes congé. Je sais, je l'ai encore dit. J'étais calme. Et déterminée. A ne pas me remettre en danger. Et une vision revint, subitement. Celle du magnifique fusil caché sous les lattes de la maison de Seton. Une solution simple. Pure. Efficace. Pour ainsi dire parfaite.

Je décidai, sur un coup de tête, de retourner chez Seton. Un Detroit-Miami plus tard, je retournai sur les lieux de la troisième vie que j'avais prise. Avec une boule dans la gorge. Croyez-le ou pas, j'avais un malaise, qui s'apparentait plus à des scrupules qu'à des remords. Une pancarte "A vendre" barrait le portail, et me mit en joie : je n'aurai pas à déranger une honnête famille avec deux enfants virgule six. Je ne vous détaillerai pas les moyens utilisés pour rentrer, mais j'eus un second bonheur, puisque nulle âme n'avait pensé à fouiller la maison. Du moins pas au point de s'attaquer au parquet...car la baraque était vidée de fond en comble.

Sauf l'AWP. Salut, AWP ! Je sortis le joujou en manquant de me déboîter l'autre bras. Il pesait son poids en ferraille ! Parfaitement entretenu, juste un peu poussiéreux. Une sympathique réserve de munitions, même si techniquement je n'avais pas le droit à l'erreur.

Très bien.
J'avais mes cibles.
J'avais mon arme.
J'avais ma méthode.
Restait plus qu'à apprendre à m'en servir.
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Ven 20 Mar 2009 - 2:03
Le Seigneur AWP ne se laissait d'ordinaire pas facilement dompter. Ajoutez à ça que la dresseuse était manchot à ce stade-là, et vous comprenez rapidement que les exploits dignes d'un Guillaume Tell des temps modernes étaient largement hors de ma portée. Problème : il n'y avait pas le choix. Je devais devenir une tireuse de précision correcte pour espérer abattre le couple, ou le duo, suivant.

Telle était sa composition. D'abord, Paolo Bato, italien. Deux mètres de haut, et, paraît-il, cent-vingt kilos de muscles. Pouvoir ? Rien moins qu'une résistance physique suprahumaine, équivalente, selon Maître Dossier, à celle d'un mur d'acier épais d'un mètre cinquante. Autant dire qu'en face à face, mon flingue ne ferait pas l'affaire, même avec la meilleure volonté du monde. Et il n'était même pas dit que je parvienne à rééditer mon "exploit" dont Guss fille avait fait les frais. Non, c'est inexact : je n'avais nullement envie de recommencer. Mais, il y'avait un mais, Bato ne pouvait conserver cet état en permanence. Donc la surprise pouvait jouer.

Et ensuite, Laëtitia Salvi. Française. Corse, même. C'était précisé, ça me parlait pas trop, mais ça doit signifier quelque chose. Télékinésiste. Extrêmement dangereuse, souligné trois fois, redoutable, souligné trois fois, faire très attention en majuscules grasses. Je crois que le message était clair. Pourtant, si Bato faisait carrément vilain mastard, avec ses petites lunettes rondes qui me rappelaient le nettoyeur dans le film qui s'appelle...ah, j'ai oublié. Vous savez, un grand type avec un bonnet, un imper, des armes partout et une gamine qui lui colle aux basques avec son lapin ? Ben aussi patibulaire. Bref, je disais, si Bato avait une tronche de sale type, Salvi faisait carrément innocente. Cheveux aile-de-corbeau avec des mèches violettes, grands yeux marron. Très jolie. Mais un regard plus froid qu'un glaçon d'hélium. Ca devait être le signe extérieur de violence intérieure.

Donc un type dont il ne fallait absolument pas que j'approche sous peine de finir concassée, et une nana qui, selon la description, était dix fois plus dangereuse. De l'autre côté, moi et mon pistolet rutilant. C'était déséquilibré.

Raison de plus pour apprivoiser le fusil. Si possible dans la région d'intérêt. Donc direction l'Oregon, car le duo vivait à Portland, puis recherche frénétique d'un club de tir. Bonjour, monsieur, je voudrai m'entraîner, mon père m'a légué ça. Ouah, la vache, il avait des goûts de luxe votre paternel, sauf votre respect ! La carte est à 100 dollars, entrée illimitée, vous avez un prof entre 10 et 12 et entre 16 et 18, le reste du temps, les autres utilisateurs pourront vous conseiller. Merci, monsieur, vous êtes fort aimable. Ce n'est rien, soyez la bienvenue au 3 Miles Club.

Premier conseil avisé qu'on m'a donné : avoir deux mains. Bien. Donc direction une pharmacie, dévalisage en règle de tous les antidouleurs possibles et imaginables. Dès qu'il y'a écrit "paracétamol" ou "acide salicylique", je prends. Si y'a les deux noms, c'est encore mieux. On en avale quatre, et on se met au boulot.

J'étais pas une novice absolue. Je savais me servir d'un flingue. Mais le fusil, ça n'a rien à voir, et le fusil de précision, ça n'a rien à voir avec le fusil. Déjà, on tire couché. Ensuite, on doit beaucoup plus se concentrer, parce qu'on a pas de seconde chance. Le machin ne tire pas en rafales.

Je préfère ne pas m'étendre sur mes premières performances. J'avais entre les mains la Rolls Royce des armes à feu, le nec plus ultra de la mort à distance, et j'étais fichue de rater une cible à cinquante mètres. Il m'a fallu quatre heures et beaucoup, beaucoup d'essais pour toucher une première fois. Six pour la mettre au centre. Après, ça s'est rapidement enchaîné.

Parce que Lenth m'avait dit de prendre mon temps, certes. Mais je ne pouvais pas en prendre trop. Du coup, je passais huit heures par jour au club, à viser, arrêter de respirer, humer le vent, et tirer. J'avais plusieurs objectifs. Déjà, toucher à trois cents mètres - je serais certainement plus proche en situation, mais qui peut le plus peut le moins. Ensuite, recharger très vite, pour toucher une seconde cible. Si j'en laissais une s'échapper, elle me traquerait jusqu'à avoir ma peau.

Il m'a fallu cinq jours pleins pour me sentir opérationnelle. A ce moment, j'ai senti que poursuivre huit heures supplémentaires ne ferait qu'aggraver ma dépendance aux antalgiques, qui se faisait de plus en plus pressante. J'espérais juste que le pactole final pourrait compenser la chirurgie réparatrice de mon épaule meurtrie.

Une journée a ensuite suffi à trouver mon poste d'observation. Le quatrième étage en location d'un immeuble délabré. La logeuse a du être surprise par la forme de ma valise, étonnamment longue et plate, mais elle n'en a rien dit, puisque j'ai payé deux mois d'avance. Je me suis monté rapidement un "plan de travail" avec vue sur l'intersection qui m'intéressait, et j'ai attendu.

Bato et Salvi ne vivaient pas ensemble. Ne couchaient pas ensemble. Ils étaient de purs collègues. Tous deux trafiquaient des armes pour les gangs du coin, et ils se réunissaient fréquemment pour les ventes. Salvi s'occupait des négociations, Bato de l'intimidation, même si, à mon humble avis, elle ne devait rien avoir à lui envier. Ils arrivaient dans la vieille Buick du Guerrier, et repartaient de la même manière. Et ils se garaient immanquablement dans la rue en contrebas de mon immeuble, trottoir d'en face, à cent ou cent-cinquante mètres.

Dans les trois jours qui suivirent, cela arriva deux fois. Mais la première, c'était un test. La seconde, trois gamins passaient dans la rue, et mon foutu bon coeur me retint de leur offrir des cervelles en spectacle.

La troisième arriva. Il était vingt heures, la rue était déserte, je comatais devant une série débile, quand la voiture arriva et se gara. Bato en sortit son immense carcasse. Ca allait être dur de toucher la tête avec toute cette barbaque en-dessous ! C'était comme une balle de tennis collée au-dessus d'un fût de vin... Salvi le suivit. Elle ne payait décidément pas de mine.

Mon plan était clair. Commencer par Lui, car s'il se sentait menacé, je ne pourrais plus rien faire. Puis, très rapidement, m'occuper d'elle. Et ensuite, partir. Loin. Je me postai, et attendis. Attendis longtemps. Vue la taille du sac qu'emportait Bato, ce devait être une grosse soirée. Avec de grosses négociations. Mais je restai concentrée. Le viseur fixé un mètre devant la voiture. Là où ils ne manqueraient pas de passer. Non, finalement, cinq mètres. Non, c'est trop, et il y'a une embrasure. Trois mètres. Là, parfait. Ne bouge plus ma grande. Sauf l'index quand les deux affreux passeront.

Quinze, vingt, trente minutes qui passent, et je guette toujours fiévreusement le bout de la rue. Puis ils apparaissent, lui énorme, elle chétive. Je me mets en position. L'oeil fixe.
Cinq mètres...
Quatre, trois, deux, un, j'ai estimé la hauteur, pan, je tire. Bato s'effondre, la tête en sang. Je recharge, panique à peine, et fais de même avec Salvi. Je la vise.

Et là, énorme frisson. Elle me regarde. Enfin, elle regarde le viseur. Et elle sourit. D'un sourire qui donne envie de sauter par la fenêtre plutôt que de savoir ce qu'il signifie. Qui me montre qu'elle sait pertinemment ce qui l'attend. Et qui me fait m'interroger : si ce n'est pas à elle d'avoir peur, c'est à qui ?

Le frisson se propage à mon bras.
A l'arme.
Pan.
A moitié raté.
Je visais la tête, j'ai eu le coeur.
Je plie bagage.
Je saute dans ma bagnole.
Je pars en quatrième vitesse.
Je m'arrête sur un Motel en route.
Je fais des cauchemars toute la nuit. A cause de ces deux grands yeux noirs qui semblent se foutre de ma poire. Qui me disent "Tu penses que tu as gagné ? Vraiment ?"
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Ven 20 Mar 2009 - 22:36
Le cerveau

Réveil difficile après une nuit affreuse. Je titube jusqu'à la salle de bain, où, pour la première fois dans mon existence, je prends une douche glacée. L'Ohio de mon enfance n'avait rien de tropical, mais je me suis toujours sentie plus amie de la canicule que du blizzard, et la fraîcheur n'appartient clairement pas à mes sensations préférées.
Seulement, circonstance exceptionnelle. C'était ma septième victime, certes. Pas la moins coupable, je n'en doutais pas un instant. Mais pour la première fois, j'ai regardé droit dans les yeux d'une personne dont j'allais prendre la vie. Non. Elle m'a regardée. Elle souriait, elle savait ce qui allait arriver. Est-ce que je lui aurais rendu service ?

Trois minutes plus tard, frigorifiée, je sors et me rhabille. Je laisse un message à Lenth, un code convenu, "Cinq et deux font sept, huit moins sept font un". J'ajoute que je ne rentrerai pas le lendemain, que je prends un jour de repos pour me remettre. Mon épaule recommence à me faire souffrir, mais je me refuse à tout médoc, ce sera mon châtiment ; je retourne dans ma voiture, et je roule en droite ligne vers la Californie. Partie à sept heures, j'arrive à près de vingt-trois à L.A. Trois étapes de cinq heures, plus deux pleins. La journée crispée au volant, avec la musique au volume maximal, m'ont un peu détendue, et je dors du sommeil du juste dans la petite chambre que je m'offre pour la nuit.

Je passe l'intégralité de la journée suivante à marcher dans la cité des Anges, Ray-Ban sur le nez pour me fondre dans la masse. Ca ne m'empêche pas de toujours penser à la même chose, mais je commence à moins culpabiliser. Une soirée en boîte et quelques cocktails plus tard, j'ai fait une croix temporaire sur mes méditations dépressives, et je suis prête à retourner à Detroit pour faire mon rapport, et, qui sait, recevoir ma dernière affectation avant mon décollage pour un lieu lointain, très lointain, et très ensoleillé, je n'en doute pas.

Lorsque Lenth s'ouvre, il m'a l'air excité comme une puce. Il manque de me broyer la main, et me dit de me suivre avec des attitudes de gamin qui s'apprête à faire éclater un pétard sur le chemin du pasteur. Etonnant.


- Lily, j'étais impatient de vous revoir.
- Je...


...m'en serais doutée.


- ...me demande pourquoi.
- Regardez ça.


Il me tend une chemise cartonnée étonnamment fine. Les autres étaient toujours épaisses de dix à quinze feuilles et photos. J'ouvre. Un seul cliché, flou, montrant un type entre vingt et cinquante ans, mesurant un mètre soixante à quatre-vingts dix, brun, aubrun ou châtain. Un Monsieur X comme on en fait plus, de quoi jouer une partie passionnante de "Qui est-ce ?". Je lui fais part de mon avis sur le sujet.

- C'est un portrait-robot de 90% des Américains ?

Ca ne lui enlève pas son sourire satisfait.

- Non. C'est le Cerveau.
- Laissez-moi deux siècles, je le trouve.
- Tss tss tss...ne jouez pas la sarcastique. Cette photo a été prise hier soir à l'aéroport de Détroit.


J'ouvre des yeux comme des soucoupes. Le génie du mal sans visage, le Keyser Soze next-gen, aurait lâché tous ses secrets du jour au lendemain ?


- C'est un énorme coup de chance, une connaissance de connaissance de connaissance qui a entendu quelque chose...bref. Il doit participer à une transaction ce soir-même.

Il se carre dans son fauteuil et met ses doigts les uns contre les autres, en pyramide, comme un vieux sage. Qu'il est sûrement. Je ne sais pas quoi dire, il poursuit.

- C'est une occasion inespérée ! Mon contact m'a donné quelques détails supplémentaires : son "nom" actuel est Ivan Stokic. Brun, cheveux courts plus gel, costume de marque. Pouvoir toujours inconnu, pas de signe extérieur, mais on le soupçonne d'être hydrokinésiste.

Il retourne la photo.

- Voici le hangar évoqué. C'est un lieu de stockage de pièces détachées Ford, si vous voulez tout savoir. Des amortisseurs, des plaquettes de freins... J'ignore pourquoi ce lieu a été choisi. Sans doute parce qu'il y'a des centaines de lieux de ce genre dans la ville.

Il lève deux yeux brillants d'excitation. Un gosse ! A un point tel que ça me fait sourire.

- J'ai compris le message. Je serai sur place.

J'embarque photo et adresse, j'y ajoute les infos données de vive voix, au revoir Mister Lenth, ce fut un plaisir, préparez l'oseille, et je suis partie. A vingt-quatre heures du paradis. Puis une idée me vient à l'esprit, je tourne les talons.

- Mister Lenth ! Votre petite-fille...ses parents...

Son sourire disparaît. Voilà la dernière pièce du puzzle. Je n'insiste pas, murmure un petit "désolé" et franchis de nouveau le chemin qui serpente dans le petit jardin. Pour l'avant-dernière fois, je l'espère.
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Sam 21 Mar 2009 - 0:13
J'ai déjà dit que Detroit était vraiment pas une ville qui me bottait ? Non ? Bah je le fais, alors. C'est gris, ça pue et il fait froid. Exactement le contraire du lieu dans lequel je serai d'ici deux jours, le temps de ranger mes petites affaires. Pour commencer, Guadeloupe ou Maldives ? Cruel dilemme. Peut-être qu'en prime, je devrais reporter mon départ pour me faire remettre l'épaule en place. Elle bouge presque normalement, mais elle me tire tout le temps, et je lève le bras droit moins haut que le gauche. Dommage que ça puisse pas être reconnu comme accident de travail, ça m'aurait fait quelques revenus complémentaires.

Les berlines passe-partout, je finis par apprécier. Pour le simple fait qu'elles ne font pas tourner les têtes sur leur passage, des mecs en particulier.
"- Monsieur, avez-vous vu passer une Lexus noire dans la rue ?
- Beeen...
- Et une Ford Mustang ?
- Oui, une ! Rouge à rayures blanche, avec des jantes en titane et une double sortie d'échappement ! Et le bruit de son V8 ! Superbe bête !"
C'était caricatural, mais vrai. J'étais si proche du bonheur qu'il serait idiot de me coller un voyant rouge clignotant sur le front à l'heure de passer à l'action. D'autant que j'avais eu un moment l'impression qu'une petite caisse blanche me filait le train, mais non, ce devait être une illusion.

Je suis arrivée sur place à huit heures trente. Rendez-vous prévu à neuf. Je ne voulais pas me faire remarquer en restant à l'arrêt aux abords du lieu pendant trois plombes. Je suis sortie, et j'ai marché discrètement vers le hangar. Pour l'occasion, j'avais remis l'imper en cuir noir dont la fille Guss avait bousillé l'épaule. Recousu à la hâte, il me permettait d'être discrète dans la pénombre du quartier. Et classe, aussi. J'étais presque arrivée au stade "héroïne". Si je devais être prise en photo, hors de question d'être fringuée comme un sac.

Par contre, les sunglasses, rangées. Sinon j'y voyais rien. C'était le seul sacrifice vestimentaire. Arme dans la poche droite bien en place, munitions dans la gauche au cas où, parée.

Le lieu était silencieux. La cheminée de l'usine qui devait être à deux-cents mètres était l'élément le plus bruyant. J'ai failli poser la main sur la porte, avant de me souvenir que je n'en avais pas besoin. La tête passée par la fine paroi, j'ai vérifié : il n'y avait personne. Le lieu était un labyrinthe de caisses en tôle, sur lesquelles était peints des codes complexes, dont je me foutais royalement d'avoir la clé. La mission, Lily. La mission.

Je suis rentrée dans le premier container, restant trente secondes immobiles entre deux rangées de pneus. Pas un bruit, je devais être en avance. Continuant à avancer de manière saccadée, pour être certaine de ne pas me faire surprendre, j'ai fini par me résoudre à inspecter les lieux afin de trouver le meilleur emplacement possible pour me tapir avant de bondir.

Les allées se succédaient, les numéros et les chiffres aussi, sans que j'y comprenne goutte. Toutefois, je notai qu'elles s'élargissaient tout en s'approchant de ce qui devait faire office de centre du hangar. J'ai alors perçu comme une petite odeur, qui tranchait avec l'air aseptisé du lieu. Plutôt que par mes yeux, c'est par mon nez que je me suis guidée. Au plafond, des néons fournissaient un éclairage blafard et irrégulier, car les piles de caisses étaient trop élevées. Certains recoins étaient totalement obscurs, tandis que d'autres étaient d'une clarté quasi aveuglante. L'architecte qui s'était occupé de l'installation avait salopé son boulot.

J'ai finalement vu un objet noir qui dépassait d'une allée, et d'où semblait venir l'odeur qui commençait à être entêtante. Il était pas difficile à repérer : le seul truc qui ne soit pas rouge ou bleu et en tôle. J'ai sorti mon arme par précaution, et me suis avancée, mais le truc ne bougeait pas.

Forcément.
C'était un pied. Et le corps auquel il était attaché avait reçu suffisamment de plomb pour soigner les caries de la moitié de la ville. Le type était habillé en paramilitaire, il avait un pistolet à la ceinture, des rangers et un treillis noirs, donc, une cagoule remontée sur le haut du visage, les yeux grands ouverts, et était entouré de trois petits copains qui avaient subi le même sort. Un peu plus loin, trois autres corps, dont un qui dépareillait, face contre terre.

Un costume beige et des chaussures en cuir au milieu des marines en goguette.
Des cheveux bruns. Courts. Fixés par une dose massive de gel. Une barbe de trois jours.
Putain. C'était LUI.
Je me suis approchée à pas très lents, mais les huit traces rouges qu'il avait dans le dos ne trompaient personne. Il était mort. Raide mort. Je l'ai retourné sur le dos, il avait les yeux fermés et un visage paisible. C'était le seul dans ce cas. Il était mort heureux, visiblement.

Ses poches intérieures semblaient contenir des choses. Sans me fatiguer à prendre des gants, j'ai commencé par fouiller celle côté coeur, qui contenait un portefeuille. Voyons ça. Ivan Stokic, quarante-quatre ans, natif de Split, visa, titre de séjour, seconde carte d'identité au nom de Ljubo Sulic, qui lui était Serbe.

C'était LUI.
Le doute n'était plus permis.
Du coup, j'eus encore moins de scrupules à saisir les vingt jolis billets de 100 dollars qu'il se trimbalait, et à les mettre dans ma veste. Je levai la tête, toujours pas un bruit, si ce n'est le bourdonnement des mouches qui commençaient à s'amuser avec les dépouilles. Tout ça était frais, moins d'une heure. Celui qui avait eu le tuyau avait été blousé, mais moins que le Cerveau.

J'étais prête à repartir, puis j'ai vu la bosse dans l'autre poche, encore plus rebondie. Au toucher, c'était lisse et dur. J'ai essayé de sortir la chose, mais quelque chose bloquait. Après avoir agité frénétiquement la main pendant quelques secondes, j'ai fini par tirer un coup sec.

Et tout devint blanc. J'étais aveuglée, je ne voyais plus rien. Je venais de dégoupiller une putain de grenade incapacitante.
A tâtons, j'ai essayé de me remettre sur mes pieds. J'ai trébuché.
Et les trois coups de feu ont retenti. "Bang, bang, bang". Trois fois.
Trois douleurs.
Une encore à la même épaule, et deux plus en-dessous, là où devait se trouver mon poumon. Devait. J'ai essayé de phaser, mais c'était carrément impossible. Je suis tombée à genoux, à moitié posée sur le corps de Stokic, sans comprendre ce qui m'arrivait, toujours éblouie.
Des pas. Deux autres coups de feu qui irradièrent le bas de mon dos.
De nouveaux pas.
Tranquilles.
Sans doute des semelles en crêpe.
Pas des rangers, en tous cas.

Puis une voix douce.


Je suis sincèrement désolé, Miss Crawford.


Je sentis qu'on me mettait une crosse dans la main, et qu'on fouillait dans ma poche. Le Desert Eagle en sortit.


Après tout, là où vous allez, vous n'en aurez pas besoin. Je vous laisse les deux mille dollars. Pour Charon. Considérez cela comme votre salaire.


Petit rire. Eloignement, et grand rire. Rire qui me semble joyeux plus que cruel. La marche s'arrête, il doit se retourner.


Essayez de me détester. Juste pour voir.


Je n'y arrive pas. C'est totalement impossible.
Et incompréhensible. Je devrais le haïr.
Et je le trouve toujours sympathique.
Le rire reprend.
Les bruits de pas aussi, même s'ils deviennent de plus en plus faibles.
Comme ma respiration.
Je sombre.
Et Mr Lenth s'éloigne vers je-ne-sais-où.
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Sam 21 Mar 2009 - 19:44
Ascension

Il existe peut-être un phénomène d'acclimatation au fait de se faire tirer dessus. La première fois, c'est affreusement douloureux, mais la seconde, ça l'est moins. C'est presque familier, comme sensation. Ou bien, c'est lié au fait que je savais que j'allais mourir. On ne se lutte plus, on se laisse aller, et le cerveau cesse de tenter de sauver la baraque pour la suite des évènements.

Troisième possibilité : j'étais tellement focalisée sur mon entubage en règle que mes sens affectés étaient entièrement tournés vers la réflexion. J'avais été le pigeon de l'histoire, un pigeon trois étoiles, ou la tourterelle, qui fait ce que veut le méchant avec zèle, efficacité et sans questions. En fermant les yeux, je revis les petits signes qui auraient du me mettre la puce à l'oreille : le fait que Lenth connaisse si bien les dossiers, ou encore le "hasard" qui fait arriver le "Cerveau" dans la ville juste à la fin de mes autres boulots. C'était gros comme le World Trade Center, visible comme le nez au milieu de la figure, mais dès que j'étais avec ce vieux salopard, c'est comme si toute ma vigilance disparaissait. Le fait de le savoir papi ? Peut-être bien.

D'ailleurs, curieusement, j'ai fini par vraiment le haïr, mais une fois qu'il était assez éloigné. Juste avant de fermer les yeux pour la dernière et la plus longue fois. De toute façon, si je m'en sortais, j'étais certaine de finir aveugle, avec ce que j'avais pris dans les mirettes. Autant ne pas m'user les muscles des paupières.

J'ai eu le plaisir de voir qu'après la mort, ce n'était pas le néant. C'est un long rêve qui commence. J'ai revécu les dernières semaines de ma vie en accéléré, depuis l'explosion de Borman jusqu'au regard terrifiant de la meneuse, j'ai aussi repensé à ce mec sympa à Orlando qui n'entendrait certainement plus jamais parler de moi, et qui devrait se rabattre sur une autre touriste en goguette pour se faire offrir une nuit à l'hôtel. J'ai aussi entr'aperçu la villa de mes rêves au bord d'une eau turquoise, entourée de palmiers, avec une bande de sable n'appartenant qu'à moi. Tout cela éclairé par un crépuscule rougeoyant. C'est un peu ce à quoi avait ressemblé mon existence, non ? Pas grand chose pour commencer, de mieux en mieux ensuite et lorsque tout commence à trouver du sens et à être agréable, ça se finit déjà.

J'étais une série télévisée vivante.
Enfin...morte.

Puis après ce flashback, on finit par réouvrir les yeux, et on ne distingue rien qu'une lumière étrangement atténuée. On recommence à sentir la douleurs des projectiles et des traces qu'ils ont laissé dans la chair, en particulier dans une épaule déjà très douloureuse. On sent une surface molle sur laquelle on est allongé, l'impression d'être sous un drap - un linceul ? - et on sent une légère odeur d'alcool qui flotte. Les anges seraient alcooliques ?

Après vérification, on s'aperçoit vite que deux ailes ne nous ont pas poussé dans le dos, malheureusement.
Finalement, c'est un peu comme si on revivait.
On remue, ça tire les blessures, on gémit, et on se rend compte que ce qui obstrue la vision, c'est une double épaisseur de bandelettes de gaze. On essaie de les retirer, mais une main ferme nous en retient.

Voix androgyne.


Tu ne devrais pas. Tes yeux sont toujours fragiles.

Voix calme et régulière, que je n'ai jamais entendue, mais à laquelle j'obéis. Dans ma situation, je ne suis pas la plus au courant des dernières évolutions de mon état physique.

Qui êtes-vous ? Je ne vous connais pas...


Un petit rire, des pas qui s'éloignent, et un bruit d'eau qui coule dans un récipient. Il ou elle se rapproche, et la même main ferme me fait asseoir et boire, ce qui me tire un nouveau gémissement.

Bien sûr que si. Et tu peux me tutoyer. Je suis pour ainsi dire tout ce qui te reste au monde, autant nous exprimer familièrement.

Les quelques gorgées d'eau font du bien par où elles passent. Il ou elle me laisse me rallonger. J'essaie de poser mes mains sur mon ventre, mais la droite refuse obstinément tout mouvement. Tant pis. Seule la gauche aura le privilège de se nicher sur mon nombril.

Je ne suis pas morte, je suppose.


Ou bien cet être est l'Archange Gabriel, qui me préparerait pour le dernier voyage ? Les coutumes ont changé, même chez les Chrétiens. Parce qu'un ange ne serait que compassion et humilité, il ne partirait pas dans un grand éclat de rire suite à ma déclaration.

En effet. Je vois que tes talents d'enquêteuse n'ont pas disparu. Normalement, tu n'as pas subi de choc cérébral, le seul risque, ce sont tes jambes. Essaie de les bouger, pour voir ?


Je les plie, faisant ainsi bouger la couette.

L'une des balles est passée très près de ta colonne, le doc craignait que tu sois paraplégique. J'aurais eu à te déplacer jusqu'à la fin de tes jours. Je pense que ça m'aurait rapidement lassé.


C'est surréaliste, je fais des petits exercices pour une personne dont j'ignore tout, y compris le sexe, mais qui dit me connaître. Je respire un grand coup.

C'est sûr que je ne peux pas ôter le bandeau ? De toute façon, si je vois rien, je vois rien !


Légère pause.

Attends.


Il/Elle s'éloigne, passe dans la pièce d'à côté de ce qui me semble être un appartement. Les pas résonnent différemment des "vraies" baraques. Je patiente trente secondes en silence, j'entends fouiller, puis il/elle revient.

Ferme les yeux. Je te dirai quand les ouvrir.


Le ton est calme, mais autoritaire. Je m'exécute. Les bandes commencent à se desserrer de mon visage.

Pourquoi ça ?
Parce que je vais te mettre des lunettes. Pour atténuer la luminosité.


Bien. Prévenant. J'ai été recueilli par une personne au grand coeur, que je ne connais pas mais que je connais. Finalement, les branches glissent derrière mes oreilles.

Ouvre-les. Doucement.


J'obéis toujours. C'est d'abord flou, puis les formes se précisent et reprennent une signification : un motif mural, un poster encadré, des peluches suspendues au plafond - original, j'avais jamais trouvé comment ranger les miennes. Le tout dans les tons violets, puisque c'est de cette couleur que sont les verres.

Ca va ?
Oui...je crois.

Je tourne les yeux pour contempler le visage de mon sauveur.
De ma sauveuse, en l'occurrence.
Je commence par voir des pieds nus surplombés par un pantalon noir, puis une veste en cuir seyante, mais pas trop. Les mains sont cachées dans les poches, et le regard me fixe avec douceur. Deux yeux noirs que je ne connais que trop bien. Les mèches colorées finissent par me renseigner sur leur propriétaire. J'ouvre la bouche, mais impossible d'émettre un son. Ca se bouscule.

Je suis morte, maintenant, c'est certain.
Puisque mon médecin personnel est ma dernière victime. Laëtitia Salvi, la meneuse.
Elle sourit comme lorsque je l'avais dans mon viseur. Je deviens instantanément livide, je suis à la merci d'une femme impitoyable que j'ai essayé de tuer. Mon...désarroi ne passe pas inaperçu.

Bonjour, Elizabeth. Non, ne t'inquiète pas. Je ne t'ai pas sauvé la vie pour te torturer.


Je referme la bouche, puis la rouvre, puis la referme, comme un poisson qui manquerait d'air. J'articule péniblement deux syllabes.

Je...t'ai...
Tuée ? Oui et non, et je t'en remercie.


Son sourire s'est élargi. Moi, je referme les yeux, je ne comprends rien.

Je suis folle.
Au contraire. Tu as cessé de l'être.
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Dim 22 Mar 2009 - 1:49
Par où veux-tu que je commence ?

Après un moment légitime de stupeur, j'avais eu un coup de pompe de convalescente, et Laëtitia m'avait laissée me reposer. A mon éveil, j'avais eu la force de m'asseoir sur le lit, même si ça me faisait un peu tourner la tête. Du coup, je m'étais appuyée contre un oreiller, lui même disposé face au mur, afin d'éviter de m'abimer un peu plus le dos. Les projectiles avaient été parfaitement retirés, et les plaies évoluaient "bien". L'homme qui m'avait soignée devait repasser dans l'après-midi pour faire un nouveau bilan, et j'étais curieuse de connaître ce toubib au black.


N'importe. On est où, ici ?
A Grand Rapids. Chez moi.


A 200 bornes de Detroit, donc. Dans mon état, ç'aurait été étonnant qu'elle me trimballe jusqu'en Antarctique, si son intention n'était pas de me massacrer. Justement. Deuxième point, important.


Bon. Et...pourquoi est-ce que tu m'as sauvée ? Comment tu as survécu ? J'aurais pu te mettre une balle en pleine tête, si j'avais pas raté mon coup ! Et encore, je suis persuadée de ne pas t'avoir manquée !


Elle sourit, toujours du même sourire qui m'avait paru si effrayant. Certainement parce que son regard demeurait insondable, impossible à interpréter. On pouvait y lire de la cruauté, du vice, ou au contraire de la compassion et de la tendresse. Une énigme sur pattes, à laquelle j'avais encore de nombreuses questions à poser.


Raisonnons en professionnels. Je vivais en permanence avec Paolo. Quelqu'un cherche à nous éliminer. Par qui va-t-il commencer ?


Pure rhétorique.


Pas par moi. Parce que si lui est averti, il devient invincible. Conclusion : il faut le viser en premier. Et si je ne m'abuse, tu as également fait cette déduction.


Flippante. Elle était flippante. Exactement comme Lenth : elle parlait de mes meurtres comme des résultats de la NFL ou de la résolution d'un problème de maths. Même si j'avais une certaine expérience en matière d'élimination, j'étais à des millénaires de ce détachement émotionnel.


Connaissant mon ennemi, j'étais presque persuadée qu'il enverrait un tireur isolé. Quant aux méthodes pour nous tuer, en toute modestie, tu as usé de la bonne. Les autres étaient vouées à l'échec. Paolo était aussi dangereux que moi. Peut-être en faisant sauter la moitié de Portland...et encore. Une fois que je savais d'où venait le projectile, je n'ai eu qu'à l'arrêter tout en laissant croire qu'il m'avait tué. Tu es partie comme une voleuse, et j'étais officiellement ad patres.


Elle énonçait sa réflexion comme un professeur, avec sa voix chaude et grave et son léger accent coloré. Je ne savais pas comment le prendre. Etait-elle tarée ? Complètement réaliste ? Les deux à la fois ? Chacune de ses affirmations aurait amené une dizaine de questions, et elle n'avait même pas terminé. Elle ouvrit la fermeture éclair de sa veste, tira sur le col de son top noir, et me montra une petite cicatrice.


Voilà ce que je garde en souvenir de ta balle. Ca devrait disparaître d'ici un mois ou deux.

Elle remit ses habits en place. Sa puissance devait être assez stupéfiante pour stopper une balle en plein vol à trois centimètres de son coeur, mais pour tout dire, c'était loin d'être la chose la plus incroyable que j'avais en tête. Je poursuivis.

Et tu ne m'en veux même pas que j'aie tué ton pote ?

Elle semblait proche de répondre, puis se ravisa avant de parler.

Joker. Je pense que pour comprendre, il faudrait reprendre l'histoire depuis le début. Ca ne te dérange pas ?

Je secouai la tête.

Bon. Je suis née en Corse, à Bonifacio, il y'a vingt-six ans. Mon père était un "pur" Corse, et il s'est marié à une fille du continent. C'était très mal vu par là-bas, et il s'est fâché avec sa famille pour l'amour de ma mère. Tu connais cette île ?

Nouvelle négation.

Comment te dire...Il s'y passe pas mal de choses, il s'y est toujours passé des choses depuis que Napoléon est né. Même avant.

Napoléon, enfin un nom qui me disait vaguement quelque chose. C'était d'ailleurs le seul patronyme français qu'on enseignait en Histoire, avec La Fayette et De Gaulle.

Mais c'est hors-sujet. Parce que mes parents ne sont pas morts dans un attentat : ils ont été tués dans un accident d'avion. J'avais six ans. Et comme j'étais plus ou moins une "bâtarde", il était hors de question qu'un oncle ou un cousin m'adopte. Je me suis retrouvée en pension. Donc seule. Parce que les rumeurs vont vite, là-bas. "Ne fréquente pas la petite Salvi", "Elle n'est pas comme nous", tout ça...

Elle s'était assise, et pour la première fois, elle ne me fixait pas en me faisant son récit. C'était rassurant : elle pouvait avoir des émotions, même si elle n'était pas expansive.

Ensuite, comme toi j'imagine, j'ai découvert mon pouvoir. J'avais que ça à faire faute d'amies, donc je l'ai beaucoup, beaucoup développé. Je déracinais et replantais des arbres, pour m'entraîner, un à la fois, puis deux, puis trois...une nuit, j'avais onze ans, une fille a vu ce qui se passait, sans savoir qui était responsable. J'imagine que des journaux ont du raconter ce qui se passait, parce que deux semaines après, Arakis arrivait.

Elle me regarda. Finies les émotions, elle était redevenue aussi impénétrable qu'avant.

Je ne sais pas sous quel nom tu le connaissais. Manschitz ? Lenth ? Lenth. Bon, lui. Il est venu dans le pensionnat, et a commencé à parler avec les petites filles. Il rayonnait de gentillesse, et il nous a demandé à toutes de faire quelque chose pour l'impressionner. C'était...c'était plus fort que moi, il fallait que je lui plaise. J'ai soulevé à distance la petite valise qu'il portait, il a souri. Trois jours plus tard, il était mon tuteur légal - je n'ai jamais su comment il avait obtenu les papiers. Il m'a emmenée, et a commencé à m'entraîner, en même temps que sa fille Nadia, qui avait mon âge.

Main levée pour l'arrêter. Je préférais demander les détails au fur et à mesure, pour ne pas oublier les deux-tiers de mes questions.

Il a un pouvoir, Len...Atakis trucmuche ?
Bien sûr. C'est un empathe extrêmement puissant. Tu ne t'étonnes pas d'avoir trouvé si éminemment sympathique un presque vieillard vivant enfermé avec son chat ?
Ben si, mais...
Tu ne t'étonnes pas d'avoir hypothéqué ta motricité en t'entraînant comme une dingue au tir alors que la seule chose que tu aurais du faire était de te reposer ? J'ai trouvé la carte du club avec tes horaires d'entrée dans ton portefeuille.


Deux points pour elle.

Bien sûr, il y'avait la motivation financière. Mais tu n'étais pas suffisamment dans la dèche pour agir en dépit du bon sens. Il est impossible de le détester quand on est face à lui, et lorsque l'on est pas habituée, son influence peut perdurer pendant plusieurs jours. Et je sais de quoi je parle.

C'était le signe qu'elle revenait à ses moutons.

Il m'a formée pour devenir une mercenaire. Douze heures par jour. Tir, évasion, discrétion, résistance à la torture...à seize ans, j'étais une tueuse. Pire que ça. J'étais heureuse d'être une tueuse. Et Nadia aussi. Elle manipulait les métaux. Elle admirait son père. Elle n'a même jamais cessé de l'admirer. Moi non plus, à cette époque : Arakis, c'était Jésus.

Elle se gratta la tête, me demanda si j'avais soif, puis se servit un verre d'eau face à mon refus.

Il a recruté un autre garçon, Axel Kurz, un jeune néerlandais aérokinésiste. Je suis tombé raide dingue de lui, mais il a choisi Nadia, qui ne s'en est pas plaint. Puis, lorsque nous avons tous eu dix-neuf ans, il a commencé à ratisser plus "large". Il a recruté Kawan, un minable escroc. Puis Bato, dont la famille avait été massacrée par la Camorra, et qui s'était vengé d'une manière encore plus atroce - je te passe les détails, mais il a réussi à effrayer la mafia napolitaine. Nous étions déjà une petite escouade, remplissant quelques missions sans trop d'importance, comme des enlèvements avec rançon ou de petits braquages. Arakis parlait de l'"échauffement".

Visiblement, le terme la faisait toujours sourire aujourd'hui. Restait à savoir à quel degré.

Le suivant a été Seton, un sniper froid, qui terrifiait les habitants des ruines d'une ville iranienne. Ca a été ma première mission "personnelle". Je l'ai confronté, je l'ai capturé, il a accepté notre offre, et nous a rejoints. La Paz et Borman ensuite - ils bossaient pour le Cartel de Quito. Et enfin Guss, ce cher Guss, qui cumulait toutes les tares des flics ripous. Nous étions enfin au complet.
Mais alors vous étiez dix ?
Exactement. Il a inventé autre chose ? Attends...il a du dire que nous étions sept ? Non, huit ? Ah oui, forcément, avec lui ça faisait huit. Oui, dix, c'était même notre fonds de commerce, la "Décade". C'était le nom donné à notre escouade. Pendant cinq ans, on a tourné à plein régime. Meurtres, putschs, kidnappings, extorsion d'informations...on était tout-terrain. La formation changeait suivant la mission, mais on était très efficaces.


Elle leva les yeux vers le mur derrière moi.

Et je te propose de poursuivre devant un morceau. J'imagine que tu dois avoir faim ?
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Dim 22 Mar 2009 - 17:01
Nous étions installées l'une en face de l'autre dans la petite salle à manger de l'appartement. Je m'étais fait une toilette, m'habillant avec les affaires de Laëtitia dont je partageais les mensurations. J'avais conservé les lunettes, par précaution et parce que j'aimais bien le contraste funky entre le violet transparent et mes cheveux châtains. Ca me donnait un look de DJ déglinguée. Alors que quand ma sauveuse les remettait, non. Elle était plus dans la veine "soldate hyperdangereuse". Ce qui était plus proche de la réalité que moi aux platines.

On mangeait surgelé. Laëtitia s'était expliquée en disant qu'elle connaissait vingt et une façons de tuer un homme sans aucune arme, mais que niveau cuisine, elle était nulle. Son argumentation était construite de sorte qu'il était difficile de le lui reprocher. J'attaquais mes frites lorsqu'elle reprit son récit.


Je t'ai dit que j'étais tombée amoureuse de Kurz. Ca va faire conte pour midinettes, mais je crois que c'est à cause de ça que l'organisation a disparu. Sans ça, je serais encore à parcourir la planète en tuant et en volant.


Elle avait très peu rempli sa propre assiette, expliquant qu'elle ne mangeait pas beaucoup, et parlait en croquant de temps à autre une frite. Face à elle, ma gloutonnerie détonnait d'autant plus.


Avec le temps, l'influence d'Arakis s'est relâchée. Je commençais donc un peu à réfléchir pour moi, et pas pour lui. J'ai essayé de draguer Axel, mais il m'a toujours jetée. Lui et Nadia, c'était fusionnel. D'ailleurs, ils ont fini par avoir une petite fille, qu'ils ont appelée Marion. Comme la fiancée de Robin des Bois. Ils se prenaient vraiment pour des justiciers, et le chef ne faisait rien pour que cette idée change. Alors que moi...


Elle parlait plus lentement, comme si elle cherchait ses mots.


...je m'apercevais que souvent, nos opérations n'étaient pas...bonnes. De l'extérieur, ça paraît dingue, mais Arakis était un gourou. Il nous transcendait - et la plupart des membres étaient de toute façon des ordures. Les trois "jeunes" étaient potentiellement les seuls encore récupérables. J'ai essayé de parler à Nadia, à Axel, mais ils ne m'écoutaient pas. J'étais la rabat-joie, la pleurnicheuse qui ne comprenait pas son bonheur. J'ai donc changé mon fusil d'épaule, j'ai essayé de saboter l'organisation.


Son rythme était redevenu normal. Elle semblait avoir du mal à justifier ses actions avec le recul. C'était compréhensible. J'étais maintenant dans la même situation : j'avais tué sous les ordres d'un monstre. Et même si Laëtitia me confirmait que mes victimes confirmées étaient des enflures, j'étais loin d'être en paix avec mes opinions.


Elaborer un plan m'a pris plusieurs mois. Il fallait qu'on ait l'impression que l'échec était du au hasard, et non à une action interne. Je savais que si Arakis m'interrogeait, je serais incapable de lui cacher mes agissements. C'est te dire l'influence qu'il peut exercer sur un esprit. L'occasion s'est présentée pendant une opération qui devait éliminer trois banquiers, à Zürich. Ils logeaient dans un hôtel, et plusieurs d'entre nous étions déguisés en room-service trois jours à l'avance pour que l'on s'habitue à notre présence. Dans le même bâtiment logeait un politicien célèbre. Je l'ai empoisonné.


Elle souriait. J'avais renoncé à percer son ambiguïté. Mon opinion se dessinerait avec le temps - j'étais coincée avec elle pour encore un petit bout de temps.


Il n'est pas mort, mais le soupçon s'est aussitôt porté sur le personnel, qui a fait l'objet d'un interrogatoire en règle. Guss et La Paz ont craqué, ils se sont enfuis, de peur d'être attrapés. La police est remontée jusqu'à leur appartement, à trouvé suffisamment de documents prouvant l'existence de l'organisation pour s'y intéresser...profondément. Interpol, des services secrets, ils ont sorti le grand jeu. Nous sommes retournés aux USA, et Arakis a annoncé la dissolution et la dispersion.


Je me resservis des frites sous son regard amusé.


Ca doit être normal, tu as dormi pendant cinq jours. Donc l'histoire aurait pu s'arrêter là, sauf que Nadia et Axel avaient un peu trop écouté les histoires de papa, ou beau-papa. Ils se sont transformés en Bonnie and Clyde. Arakis en était très fier, surtout quand ils ont récupéré cinq cent mille dollars en enlevant et en tuant une jeune mannequin. J'ai lu ça dans les journaux, les signes ne trompaient pas, ils étaient les responsables. Je savais que les autres n'auraient rien à cirer d'avoir fait copain-copain avec des psychopathes. Il fallait donc que je fasse quelque chose. Je les ai pistés pendant un mois. Je les ai trouvés, et je les ai tués. A mon grand regret, leur gamine était chez son pépé, mon intention était de la récupérer pour m'en servir comme protection. Tu l'as vue ?


Je hochai la tête, la bouche pleine.


En ce moment, c'est la seule personne qu'il aime au monde. La famille est sacrée, les six autres milliards de personnes sont des sources potentielles de revenus. S'il t'a montré sa petite-fille, ce devait être la seule fois où tu l'as vu sincère. Même si à l'arrivée, ça renforçait sa couverture de vieux type sympa. Bref, je pouvais difficilement nier que j'étais responsable de la mort de sa fille, et je savais qu'il découvrirait la vérité. Pour me protéger, je suis retournée vivre avec Bato. Une enflure finie, mais qui avait de l'affection pour moi. Je crois qu'il voulait me baiser, mais il avait des principes, il n'a jamais essayé de me toucher. Je lui dois ça.


Elle avait fini son assiette, j'attaquais le dessert.


Je me doutais qu'il tenterait de se venger. Il a enquêté, retrouvé tous les membres du commando, et tu connais la suite. Il t'a embobinée, et tu as nettoyé. Ainsi, personne ne pouvait plus le menacer. Je pense qu'il avait ça en tête depuis la dissolution, et que je n'ai fait que lui donner le prétexte.


Elle se tut, puis me fixa droit dans les yeux. Frisson. Ca me le faisait à chaque fois.


C'est pour ça que je n'en te veux pas pour ce que tu as fait, au contraire : tu as éliminé six mauvais types qui ne méritaient pas mieux, et tu m'as "tuée", ce qui fait qu'Arakis ne me cherchera plus. Du coup, je t'ai rendu le même service dans le hangar. Sauf que toi, tu as une enquête de police aux fesses, maintenant.


Sa déclaration me fit m'arrêter, bouche ouverte, alors que j'allais attaquer une nouvelle part de tarte au citron. Enquête de police ? C'était une blague ?


En quel honneur ? J'ai fait une erreur sur une des affaires ?
En quelque sorte...sur la dernière. On a retrouvé ton sang et tes empreintes sur les lieux du crime. Coup de bol, j'étais là la première, donc ils n'ont pas eu l'arme en prime.


En disant celà, elle fouilla dans sa veste et sortit un Glock.


J'ai quoi à voir avec cette chose ?
C'est avec cette "chose" que tu as tué sept personnes, Elizabeth.


Je n'eus même pas la force de lui dire "pas Elizabeth, Lily" - alors que c'était un réflexe, chez moi. Je ne supportais pas de porter un nom royal, même s'il était anglais. Et je trouvais "Liz" affreusement pédant, allez savoir pourquoi. Sept morts, mazette. Un trophée de choix pour toutes les polices américaines


Bien sûr, tu n'as pas été identifiée. Mais on te recherche comme "témoin-clé" - ils savent que tu es une fille à cause de l'ADN et de la formule sanguine - et, comme par hasard, un coup de fil anonyme a mentionné qu'une belle plante correspondant à ton signalement se baladait près du hangar.
Comment tu sais tout ça ?
J'ai lu une copie du rapport d'enquête. Rien n'a filtré dans la presse. Même pas le nombre de victimes. C'est une chance : Arakis est persuadé de t'avoir massacrée.
Et je vis comment, maintenant que les flics peuvent me tomber dessus à tout moment ?
On va improviser.


Génial. Ennemie publique, je rêvais de ce statut. Enfin...j'étais vivante. Je revins à l'intrigue, cherchant quelles pièces du puzzle me manquaient.


Et qu'est-ce que tu faisais dans le hangar ?
Je te suivais. Depuis mon assassinat, je ne t'ai pas lâchée. Je pensais que tu me conduirais à Arakis, et j'ai eu raison - sauf qu'il t'a piégée avant que je ne tente de l'éliminer. J'avais le choix entre te laisser en plan et le suivre, ou te sauver.


Elle avait baissé les yeux, gênée. Il faut dire que ça faisait une grosse faille dans l'armure de la guerrière impitoyable. Elle ne devait pas avoir l'habitude d'éprouver de la compassion.


Je me suis dit que si je voulais devenir quelqu'un de bien, il fallait commencer par le commencement. Sauver des vies. Une, en l'occurrence.
Merci, Laëtitia.


J'eus l'impression que mon remerciement lui redonnait de l'espoir. Et même qu'il y'avait comme une lueur dans son regard, lueur de quelque chose de bon, encore non identifié.


Et...qu'est-ce que tu comptes faire de moi maintenant ?
Rien. Tu décides. Mais j'ai un petit travail à te proposer. Tu te doutes de quoi il s'agit.


Evidemment. Eliminer Arakis.


Seulement, en t'aidant, j'ai perdu sa trace. Tout ce qui reste, c'est ce foutu rapport d'enquête avec le nom des victimes du hangar. Je connais le bougre, il ne les a pas choisies au hasard, les autres meurtres devaient le servir d'une certaine manière. Il n'avait pas besoin d'un carnage pour te piéger.


Je venais de finir la moitié de la tarte. J'étais repue. Un peu chamboulée par tout ce que j'avais appris, j'intégrais point par point.


Je dois être sacrément recherchée...ça risque de pas être de la tarte.


Elle plissa les yeux d'un air moqueur.


J'ai une solution radicale, Elizabeth. Si tu es prête à un sacrifice.
Il n'y en a un que je n'accepterai pas. Que tu continues à m'appeler autrement que "Lily". Pour le reste, j'ai plus rien à perdre.
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Dim 22 Mar 2009 - 18:15
Non ! Je refuse !
Tu as dit que tu n'avais rien à perdre...
Si ! Ca, je l'ai aussi à perdre, figure-toi.
Mais Leslie est un as ! Elle te loupera pas !
M'en fous, c'est non. Point.


Qui était Leslie ? Une gamine asiatique toute menue que Laëtitia avait fait venir dans son appartement. J'avais rien contre elle, elle était gentille, très timide, et était certainement très compétente. Sauf qu'elle devait me relooker, et je refusais qu'on touche à ma tignasse. Non-négociable.


Lily, ne sois pas une gamine...le plus con des inspecteurs repèrera une perruque. Il te faut une nouvelle coupe. Si tu vas en taule, ce sera automatique, et moins joli que ce qu'on peut te faire ici et maintenant.
Je...


Bon argument, elle appuyait là où ça faisait mal.


Qu'est-ce qui me dit que ce sera pas n'importe quoi ?
Les compétences de Leslie. File-lui le bouquin, Les' !


La coiffeuse sortit de son sac en bandouillière un classeur rempli de fiches plastifiées. Une tronche fashion par page. Je le parcourus, en rejetant tout d'emblée.


Ca...même pas en rêve. Ca ? Je suis punk, peut-être ? Et ça, si je faisais le tapin, pourquoi pas après tout ?


Mais petit à petit, je tiquais sur certaines coupes, franchement sympas. Laëtitia s'en aperçut, et n'insista pas, persuadée que je craquerais avant d'arriver au bout de la liste. Ce qui arriva.


Celle-là.


C'était une coupe courte - hérésie ! - qui tranchait franchement avec l'actuelle, où les cheveux m'arrivaient presque au milieu du dos. Laëtitia la regarda, et approuva d'un air connaisseur.


Excellent choix.


Leslie prit à son tour la fiche.


En quelle couleur ? J'ai blanc, plein de blonds, rose, bleu, noir, auburn, roux, différents bruns...?
Blond très décoloré.


C'était sorti tout seul. Je faillis revenir dessus, mais bon, après tout, pourquoi pas. J'étais vaincue, et je me laissai faire alors que mon calvaire commençait.
Une heure plus tard, j'étais fin prête. Je fis quelques remarques désagréables dans la glace, comme "n'importe quoi...", "à quoi je ressemble ?", mais sans conviction, et finalement je remerciai Leslie qui empocha deux billets de cinquante dollars avant de s'en aller.


Ca coûte cher d'être coiffé !
La liberté est à ce prix. Pour cent dollars, tu as la coupe et son silence. Même si elle n'est pas du genre à baver à toutes ses connaissances. Au contraire, si on l'interroge, elle est plutôt du genre à dire qu'elle t'a transformée en brunette frisée.


Le fait de rester immobile avait ankylosé mon bras blessé, et je me permis quelques étirements, pendant que Laëtitia me causait "suite des opérations".


J'ai la liste des victimes. Il faudrait qu'on enquête pour savoir ce qu'elles faisaient dans ce hangar. Il y'en a bien un qui a du raconter sa vie à sa femme ou à un ami.
On y va ensemble ?
Je préfèrerais qu'on se sépare. Deux nanas qui enquêtent, c'est pas très discret. Une seule, c'est plus banal.
OK.
Tu te sens d'attaque ?


Ca faisait trois jours que je m'étais réveillée. J'étais loin d'avoir retrouvé toute ma mobilité, mais je pouvais conduire, ou marcher.


Oui.


Commença alors notre enquête parallèle. Nous nous devions d'être discrètes, parce que les flics aussi traînaient dans les parages. Après deux rencontres infructueuses, je sonnai chez Mrs Bradley, veuve. Elle me laissa entrer. Visiblement, leur couple n'était pas au beau fixe, elle était pas éplorée pour deux sous, et me laissa fouiller le bureau de feu son mari. J'y découvris plusieurs feuilles portant des listes de lettres et de chiffres qui me disaient quelque chose, sans parvenir à me rappeler quoi. J'embarquai le papier suspect, et prit un thé proposé par la maîtresse de maison. Je m'étais présentée comme une employée chargée par Ford (ou bossait son mari) de faire la lumière sur des problèmes de chantage sur les lieux de travail. Elle me raconta que John - le macchabée - semblait depuis quelques mois beaucoup s'intéresser à la mécanique, alors que jusque là il était informaticien. Mais il ne lui avait pas parlé d'une mutation ou d'un changement de poste. Après quelques banalités sur le climat qui foutait le camp et une série TV dont j'ignorais tout, je la remerciai et partis.


~~~~~~~~


J'en ai aussi déjà vu, des codes comme ça.


Silence. Laëtitia et moi avions les yeux rivées sur la feuille.


Ca veut pas revenir non plus ?
Non...et pourtant, ça me paraît évident.


Nouvel ange qui passe. Puis elle claqua des doigts.


Je sais ! Quel est le seul endroit dans lequel nous avons toutes les deux été ces derniers temps ?
Ton appart.
A part mon appart !


Deux secondes plus tard, je voyais où elle voulait en venir.


Le hangar.
Ce sont les codes sur les containers.
Et ils veulent dire ...?
J'en sais rien. Mais il y'a un moyen de l'apprendre.


Le soir même, intégralement vêtues des tenues de mission de Laëtitia, qui, je dois reconnaître, étaient rudement pratiques ET élégantes, nous sortions de sa voiture devant le Ford building. Nous étions collées au mur, et parlions à voix basse.


D'après mes sources, c'est au vingt-neuvième étage.
Vive les ascenseurs.
Tu plaisantes ?


Elle sauta, se propulsant contre une vitre du quatrième, me faisant signe de la suivre.
Ha ha ha.
Je lui fis signe de redescendre, elle s'exécuta.


Et je fais comment ? Je me colle des réacteurs sous les chaussures ? Un coup de bigot à Boeing, et je te rattrape !


Elle fit mine de réfléchir.


Voyons...d'après Newton, la gravité ça marche comment ?
Tu m'en demandes trop, là.
C'est la masse qui compte, grande nouille. Et quand tu phases, ta masse est de... ?


Ah bah oui.
Zéro.
C'est très con.
Et j'y avais jamais pensé. Par réflexe, je n'avais jamais décollé du plancher des vaches une fois mon pouvoir activé. Une auto-tarte plus tard, je me risquais à poser un pied dans le vide, à trente centimètres du sol. Il tenait parfaitement. Laëtitia me regardait faire d'un air goguenard, je fis mine de l'ignorer et entamai l'ascension, moins vite qu'elle toutefois.

Nous finîmes collées à la vitre du vingt-neuvième. J'avais légèrement le vertige, et je traversai donc. Une fois à l'intérieur, j'ouvris une fenêtre et mon acolyte me rejoignit. Fouille systématique. Par chance, les vigiles ne passèrent pas à notre étage.


Gotcha !


Un classeur recensait les lieux de stockage des pièces détachées de l'entreprise. Ou plutôt, listait les hangars qui contenaient les containers.


On l'embarque ?
Non. On le copie.


Elle sortit un petit appareil-photo, et commença à prendre des clichés de chacune des pages correspondant à nos références. Une fois que ce fut fait, la sortie fut un jeu d'enfant, à tel point que Laëtitia dut me rappeler à l'ordre pour que je cesse de faire l'idiote dans les airs. C'était carrément grisant, une fois qu'on avait testé.

J'eus la surprise de découvrir que le développeur des photos n'était autre que Leslie, visiblement femme couteau-suisse. L'analyse suivit de près.


Tu penses que ça nous mènera à Arakis ?
J'en sais rien, je pense...de toute façon, on n'a pas d'autre piste.


Les nouveaux lieux de recherche étaient éparpillés dans tout le Michigan, et les inspecter tous nous prit près d'une semaine, durant laquelle nous nous étions de nouveau partagé le travail. Je fus totalement déçue de ce que je découvris : des amortisseurs, des plaquettes de freins, des éléments de carrosserie, des systèmes de direction assistée ou des ABS. Rien d'excitant. Laëtitia n'était pas de mon avis.


Je pense de plus en plus qu'Arakis trempait là-dedans.
Il était garagiste au black ?
Non, mais Ford est la deuxième plus grosse boîte au monde. Combien valent ses secrets industriels, selon toi ? Même un truc aussi débile qu'un système d'antipatinage nouvelle génération ?
Alors tu penses que c'est du trafic de brevets ?
Oui. Les types volent les pièces et les envoient à l'analyse chez le concurrent. Qui n'a rien à concevoir, juste à copier. Des milliers d'heures de travail économisées, c'est un sacré plus financier. Sans compter le préjudice pour ceux qui se sont faits avoir.


J'étais tout de même déçue. Je m'attendais à quelque chose d'un peu plus...médiatique. Laëtitia sortit une calculatrice, marmonna "prix horaire...main d'oeuvre...production en série..." en tapant sur certaines touches, puis me montra le chiffre qui en résultait. 850 millions.


Ca fait gagner ça. Arakis prend 10 à 15%. Fais le calcul.


Grosso modo 100 millions de dollars. Tout de même.


Mais comment on va le retrouver ? Il peut être n'importe où !
Ca m'étonnerait. Tous les grands constructeurs sont implantés ici. Je suis persuadée qu'il est toujours à Detroit.
Et comment tu connais tous ces trucs d'économie ?
Il m'avait formée pour que je lui succède. Il croyait vraiment en moi. Je suis son échec. Pour en revenir à lui, il suffit de surveiller les numéros qu'on a retrouvés. A un moment ou l'autre, ses hommes vont s'attaquer à ces containers.
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Les Huit Empty Re: Les Huit

Dim 22 Mar 2009 - 20:24
Je vous passe le détail des jours qui suivirent. Nous avions chacune choisi un entrepôt, situés non loin l'un de l'autre, autour duquel nous passions nos nuits. C'était pas enrichissant, mais on n'avait pas le choix. Je dormais pendant la journée, Laëtitia, elle, ne dormait jamais. C'était incroyable. Ses nuits duraient trois heures, et elle était pimpante dès le matin. Moi, sans mes sept heures, j'étais dans le pâté.

Mon énième voiture de location possédait, innovation high-tech pour l'année 1998, un lecteur CD. Sur les deux mille dollars qui me restaient de ma douloureuse dernière mission, j'en claquai mille cinq-cents en disques divers, partagés avec mon amie. Oui, amie. Je m'étais attachée à l'ex-mercenaire, et réciproquement. Même si elle possédait encore un semblant de vie sociale, contrairement à moi, nous étions chacune la bouée de l'autre, ça crée des liens. Nous en étions venues à discuter de ce que nous ferions "après". Et la même conclusion s'était imposée pour chacune de nous : aucune idée. Pas d'avenir. Pas de famille. Le genre de scénario plus supportable lorsque l'on est pas rigoureusement solitaire.

Alors que le chanteur et sa guitare criaient "Marijuana illegal" - la plupart des disques, je les avais choisis au pifomètre, c'est comme ça que j'étais tombée sur ce...Manu Chao, c'est ça - quatre types apparurent à proximité du hangar. Coup de fil, Laëtitia rapplique, remontée comme une pendule.


Un flic m'a collé un PV pour stationnement interdit. Sur une zone d'activité ! J'ai les nerfs.


Je la suivis jusqu'à proximité de la porte, qui explosa littéralement pour nous laisser le passage. Je l'avais toujours vue maîtresse d'elle. Et je ne l'avais vue vraiment en action. Il allait y avoir du sport.

Sans stopper sa marche, elle écarta tous les containers sur les bords du hangar, dévoilant une voie centrale dans un concert de tôles froissées, et au milieu de laquelle se trouvaient les zigs, éberlués. Ils sortirent des armes et tirèrent, leurs projectiles s'arrêtèrent à cinq mètres de nous, virèrent à 180°, et leur hachèrent les bras.

Waoh.

L'interrogatoire ne fut pas si simple, puisque les quatre cakes comprirent qu'on avait besoin de leurs informations et qu'on ne pouvait pas les tuer. Laëtitia en allongea deux, et déplaça un container au-dessus d'eux, le faisant descendre petit à petit.

J'ai pas besoin de quatre langues.

Soudain plus coopératifs, ils donnèrent le numéro de téléphone qu'ils appelaient pour recevoir leurs ordres. Pour les remercier de leur gentillesse, elle les laissa vivants.
Sur le toit du hangar.

Leslie, toujours elle, les informa que le numéro pointait dans une banlieue pavillonnaire de Detroit, différente de celle où se trouvait la maison que je connaissais. Surveillance, c'était bien Lenth. Ou Arakis. J'allais sortir pour le massacrer, mais Laëtitia me retint.

Pas une chance. Et je t'interdis de reprendre ton Arctic, tu n'es pas encore remise.

Une fois de retour dans son appartement, je lui livrai mon point de vue.

C'était une occasion en or !

Elle n'était pas convaincue.

Il faut que notre plan soit sûr de réussir. A 100%. Sinon, il nous fera nous entretuer. Et il peut nous sentir à une distance qui excède ma limite de précision.

Pas faux. Problématique tout de même.

Tu as une autre solution ?
Non.

Grand silence.

Moi j'en ai peut-être une.

Tirée de mon expérience personnelle. Ce qui a marché une fois, peut marcher deux fois. D'autant que nous avions plusieurs atouts dans notre manche. Je lui exposai, elle semblait d'accord avec mon point de vue. Le lieu d'action finalement retenu fut le café très fréquenté dans lequel tous les matins, Lenth/Arakis lisait son journal.


~~~~~~~~


Arakis buvait tranquillement son capuccino devant le New York Times, quand il sentit comme une piqûre au milieu de son dos. Il se retourna, mais ne vit rien de suspect, et reprit sa lecture. Ce devait être son arthrite qui le reprenait. Cinq minutes plus tard, alors qu'il s'apprêtait à payer l'addition et à s'en aller, il vit arriver une silhouette qu'il ne connaissait que trop bien. Il replia tranquillement son journal, et croisa ses jambes.


Laëtitia ! Quelle heureuse surprise ! Tu n'as pas changé de coiffure !

Laëtitia ne répondit pas, et vint s'asseoir face à lui en souriant.

Salut, Angelos. Tout va bien ?
Mes vieux os me laissent tranquille.

Ils se regardèrent droit dans les yeux, en silence.

Tu sais, je ne t'en veux absolument pas d'avoir essayé de me tuer. C'est de bonne guerre, je suppose.

Arakis serra les dents avant de répondre.

Pourquoi aurais-je fait cela ?
Bah, pour plein de raisons ! Parce que j'ai saboté l'organisation de ta vie, ou parce que j'ai massacré ta fille. Tu sais ce qu'elle m'a dit avant de mourir ? Elle a...

Laëtitia se tut, et s'affala sur sa chaise, comme privée de toute volonté. Arakis héla le garçon, un air mauvais peint sur les traits.

Un autre café.

Il fut servi presque instantanément. Il le but à petites gorgées, pendant que son ancienne employée continuait à fixer un point vague dans le lointain. Il reporta son attention sur elle.

Ne trouvez-tu pas que l'idée d'un plongeon dans les Grands Lacs est séduisante ? On pourrait y aller ensemble ! Qu'en dis-tu ?
Oui...
Alors comme ça, c'était toi le coup de Zürich ! J'aurais pu deviner. Tout ça parce que tu étais trop moche pour Axel, qui avait fait le bon choix en préférant ma fille.

Il leva les yeux au ciel.

Gamineries ! Enfin, je continue mon boulot, plus rentable que jamais. Tu es au courant ?

Elle hocha la tête.

Je vois que tu n'es pas venue désarmée. Pourtant, tu savais que tu n'avais pas une chance, n'est-ce pas ?

Cette fois, elle fit "non". Intrigué, Arakis ouvrait la bouche quand il sentit l'aiguille s'enfoncer dans sa colonne vertébrale. Il resta immobile, puis se crispa. Dans le même temps, Laëtitia reprenait du poil de la bête, et moi, je passais devant lui en le saluant.

Bonjour, Monsieur Lenth.

Cette fois, il marqua le coup de me voir en vie, seulement, il était incapable de parler.

Vous n'êtes pas bavard...barbouillé ?

Je pouvais le voir se contracter sur son siège, comme sil cherchait à serrer une tasse invisible jusqu'à la faire éclater.

C'est ironique, celui qui m'a sauvé la vie va aussi prendre la vôtre.

Je pris un siège, et m'installai à côté de mon amie, qui poursuivit.

J'espère que vous n'étiez pas vacciné contre le tétanos. Sinon, ça risque d'être beaucoup plus long et douloureux.

Il s'écroula à moitié sur la table, ayant du mal à respirer.

Le médecin qui a soigné Lily s'intéresse aux toxines. Vous êtes en train de tester un cocktail de sa composition, avec surtout de la tétanique. Beaucoup trop concentrée pour votre malheureux système immunitaire.
Ca doit être difficile de se faire tuer par deux de vos victimes. Si ça peut vous apaiser, dites-vous que nous sommes des fantômes.

Il essayait d'articuler quelque chose, sans que nous sachions quoi. En lisant sur ses lèvres, Laëtitia déchiffra.

Ma...ri...on.

Elle le regarda dans le blanc des yeux, sans savoir s'il voyait encore.

J'en prendrai soin. Elle deviendra une charmante petite fille. Son éducation contre mon adolescence...c'est équitable, non ?

Levées en même temps, ce fut moi la dernière à parler.

Adieu, Mr Lenth. Comment on dit...See you in hell, c'est ça ? Pour ma part, j'espère y échapper.

Pendant que son dos commençait à prendre une forme convexe comme s'il cherchait à faire de la gymnastique, nous nous éloigniions avec Laëtitia. Pas fières de nous, mais soulagées. David, le docteur, qui avait aidé à marquer dans le dos d'Arakis le point où je devais enfoncer l'aiguille, nous rejoignit dehors.

Ca a marché ?
Oui. Merci beaucoup pour ton aide.
C'était rien.

Il me regardait.

C'est lui qui t'avait...?

Je hochai la tête.

Bon, alors c'était mérité. Comment il a réagi ?

Laëtitia lui détailla les différentes phases d'action de son mélange. C'était le deal : il nous fournissait gratuitement, il voulait connaître les effets. C'était un biologiste un peu fêlé, passionné par les poisons, qui cherchait à inventer la toxine ultime. Il parut satisfait de notre description.

Je vais pouvoir continuer mes recherches. Et vous, vous allez faire quoi ?

Double haussement d'épaules. Puis, en choeur :

Baby-sitter.
Maman.


~~~~~~~~

Deux ans plus tard (2000)
Quimper, France


Je me trouvais cruche en blanc. Mais il paraît que la mariée devait s'habiller dans cette couleur. C'était une tradition, de pureté, comme si j'étais pure. Je réajustai les fleurs avec lesquelles on m'avait douloureusement coiffée, et une fois satisfaite du résultat, je me levai et fis quelques pas. Avant de trébucher. Les talons étaient immenses, et la traine...traînait.

C'est du propre ! T'auras pas le droit à l'erreur, dans l'église !

Dans une superbe robe bordeaux, Laëtitia m'applaudissait en riant.

Entraîne-toi vite, le compte à rebours a commencé !

Mon regard essaya d'être réprobateur, mais impossible. J'étais sans doute trop heureuse pour ça.

Depuis quand les témoins se moquent de la mariée ?
Depuis moi, il faut croire. Allez, dépêche-toi, sinon Ludo va nous faire un malaise.


Ludo était l'homme de ma vie. Je l'avais rencontré un mois après notre installation sur la côte Bretonne, soit deux mois après la mort de Lenth/Arakis. Laëtitia pensait que l'air de la mer ne pouvait qu'être bon pour Marion, et nous avions trouvé deux maisons mitoyennes dans un petit village au milieu de nulle part. C'est parce qu'il était au milieu de nulle part que j'avais pu rencontrer celui qui serait mon mari dans quelques minutes : il était venu nous installer internet. Nous ne nous étions plus séparés, et il avait fini par s'installer chez moi.

Officiellement, j'étais la cousine d'Amérique de Laëtitia, elle-même héritière d'un couple de notaires installés aux USA. Tout en récupérant Marion, nous avions fait main-basse sur la cagnotte conséquente de son grand-père, persuadées que là où il était, il n'en aurait pas l'usage. De quoi vivre tranquillement jusqu'en 2453 environ.


Maman !

Marion Salvi arriva en courant du haut de ses cinq ans. Elle était aussi brune que sa mère adoptive.

T'es très belle Tata Nelly.
Merci beaucoup, Marion.


J'avais aussi changé d'identité. Adieu Elizabeth Crawford, bonjour Nelly Williams. Le surnom restait le même. De toute façon, dans une demi-heure, ce serait Nelly Moizan. La petite s'accrocha à la main de sa mère. Laëtitia rayonnait. Elle était devenue une vraie mère-poule en un claquement de doigts. Elle avait à coeur de rattraper ses aventures passées - même si nous n'en parlions plus. A quoi bon ressasser les mauvais souvenirs ?

Je finis par trouver l'équilibre, et sortis de la salle d'essayge - qui n'était autre que ma chambre. Nous marchâmes toutes les trois jusqu'à la voiture outrageusement décorée qui devait m'emmener jusqu'à l'autel, ou peu s'en faut.

Finalement, je n'avais pas mon île paradisiaque personnelle. Mais sincèrement, plus le temps avançait, et plus je me disais que je m'y serais ennuyée. Contre rien au monde je n'aurais échangé ma vie actuelle.


~~~~~~~~

Treize ans plus tard (2013)
Rennes


Salut !
Bonjour...
Ca fait plusieurs fois que je te vois dans le quartier, t'es nouvelle ?
Oui, on a emménagé il y'a deux semaines, avec mon oncle.

Marion, dix-huit ans, était assise sur un banc public. Un jeune homme à vélo lui tenait la jambe.

Ton oncle ? Tu vis avec lui ?
Oui, il m'a suivi pour mes études.

Les yeux bleus de son interlocuteur étaient fixés sur elle.

Tu fais quoi ?
Médecine.
Et...ils sont où, tes parents ?
Ma mère est morte.

Elle n'avait pas envie d'en dire plus, mais l'autre était sincèrement gêné.
Et mignon. De très beaux yeux bleu clair.

Elle est morte dans un accident de la route, en même temps que ma tante. Elles étaient très proches. C'est pour ça que c'est mon oncle qui m'a recueillie.
Aaaah d'accord.

Il avait posé son VTT, et s'était lui aussi assis.

Moi j'ai que mon père. Ma mère est partie quand j'avais deux ans. Elle vit en Amérique, il paraît.


Silence.

C'est super gai, comme discussion.
Tu m'étonnes !


Marion le regarda avec un petit sourire.

Je te pardonne de m'avoir fait déprimer si tu m'offres un verre.
Accordé. Monte sur le porte-bagages. Au fait, tu t'appelles...?
Marion. Marion Salvi. Et toi ?
Axel Mahé.
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