Mutants en excursion: Emplettes etc.

Petit tour d’horizon et brève analyse de la situation.

Alors, à sa droite, elle avait quatre jeunes hommes fringants, propres sur eux, costume sur mesure et barbe rasée de près, la mine aussi radieuse qu’arrogante, la cravate soigneusement nouée et les chaussures de ville lustrées ; ajoutez à cela les clubs de golf brandis comme des trophées, pour l’abruti de service qui n’aurait pas encore saisi qu’il avait affaire à l’élite new yorkaise dans toute sa superbe. Ca sentait mauvais l’école hors de prix, les soirées privées et les voitures luxueuses…

Un monde à mille lieues du quotidien de Kate et comme tout ce qui ne faisait pas partie de son monde, elle concéda très rapidement un jugement sans appel : elle ne les aimait pas. Aussi, elle ne put retenir un pouffement de rire quand l’un d’eux se plia en deux, sous la douleur d’un coup donné… ça lui avait rappelé un proche souvenir.

Et puis à sa gauche, elle avait quatre jeunes hommes plus… enfin moins… disons que leurs larges tee-shirts aux couleurs criardes et à l’effigie d’équipes sportives, ne revêtaient pas la même élégance. Des cheveux longs pour certains, en bataille pour d’autres, ils avaient en commun cet air survolté qui gonflait leurs voix, sifflait des insultes et des crachas et finissait en beauté par un coup de poing franc et direct dans le ventre d’un de leurs adversaires sans plus de préavis. Ca sentait mauvais les agités du bocal et le trop plein de testostérone.

Un état d’esprit à mille lieues de l’attitude de Kate et comme tout ce qui ne faisait pas partie de sa façon de voir les choses, elle concéda aussi rapidement un nouveau jugement sans appel : elle ne les aimait pas plus que les premiers. Mais elle rit moins quand elle vit le sang de Miguel couler et les lunettes de Lars voler dans les airs. La situation empirait.

*Si j’fais l’compte… moi j’vois huit branleurs qui ont envie de s’en mettre plein la tronche*

C’était la deuxième fois en 48 heures qu’on essayait de l’embarquer dans une baston générale alors à moins que l’un d’entre eux ne se fît pousser des cornes sur la tête ou de monstrueux tentacules, elle avait bien l’intention de passer son chemin cette fois et d’aller poser ses fesses au chaud. Les mains collées au fond de ses poches, elle lança…

« Mais oui bien sûr ! Ahem… deux p’tites secondes… laissez-moi réfléchir à ça… Hmm… voilà ! C’est tout réfléchi alors euh… non, désolée. Nan mais qu’est-ce que vous croyez au juste ?! Que j’vais m’élancer par un triple saut périlleux et balancer un coup de pied sur 180 degrés pour mettre vos p’tits champions KO ?! J’suis persuadée qu’ils vont très bien réussir à tous s’entretuer… et… et j’les connais même pas ces types d’abord ! »

*Allez Kate… il est temps de prendre la tangente… va te mettre au chaud… tu t’en fous… tu les connais pas… un peu de glace sur son œil et elle ira très bien… et… rha merde… pourquoi moi ?!*

Volte face dans le silence. Elle saisit la main de Katarina et lui chuchota : « Bon… j’vais rester avec vous mais il est pas question de séparer qui que ce soit hein ».

Sur ce, elle emplit ses poumons et hurla aussi fort qu’elle pût : « POLIIIIIIIICE ! AU SECOUURS !! POLIIIIICE !!! »

*Ah nan monsieur l’Juge ! Vous y êtes mais alors pas du tout… tout ça, c’est un malentendu d’ailleurs, je n’ai rien à voir avec tout ça… moi je suis une simple citoyenne australienne qui vient visiter ce magnifique pays qu’est les Etats-Unis… Je passais complètement par hasard… je cherchais la Statue de la Liberté… Comment ça c’est pas le bon quartier ? Ah oui mais c’est parce que je m’étais égarée et je m’apprêtais à demander mon chemin justement quand cette folle hystérique s’est jetée sur moi pour me demander de l’aide ! Et comme toute personne sensée, j’ai appelé les forces de l’ordre bien sûr mais je n’ai rien à voir avec ces jeunes loubards qui arpentent les rues à l’affût de la moindre castagne hein !*

Au moins, si elle se faisait prendre, Kate avait déjà préparé des arguments béton pour se défendre à la barre. Et si ça ne marchait pas, elle était prête à se jeter aux pieds de la cour, vantant l’innocence de son visage ou une imaginaire protection diplomatique.

Mais en attendant que la police arrive et embarque tout ce beau monde sans se poser plus de questions, il fallait agir vite et bien ; peut-être même qu’elle pourrait éviter les menottes. Après tout, elle était loin de chez elle et personne ne la connaissait ici, surtout, personne ne pourrait la reconnaître. Il lui suffirait de choisir une direction au hasard et de détaler en vitesse, puis elle trouverait refuge à l’Institut. C’était simple et facile.

Et elle n’était pas la seule à y penser… faisons les comptes : deux Nez-qui-pissent, une Belle aux Bois Dormant, une hyène moqueuse, un Guillaume Tell à la ramasse, un mutant et son ramasseur de lunettes, la folle hystérique bien sûr et son amour sanguinolent…

*Attendez une minute, j’ai bien dit un mutant ? Mais oui je rêve pas ! Encore un mutant ! Et forcément encore une bagarre et… et moi qui ai appelé la police ! Ah mais ça va pas du tout ça… la police et les mutants, ça fait pas du tout bon ménage*

Elle protégea ses yeux de la main gauche, laissant les doigts légèrement écartés pour admirer les faisceaux irradiant de Lars ; la lumière, aussi forte que celle dégagée par une lampe de réverbère, baignait la troupe dans un halo et fit impression. Kate hésitait maintenant entre lui donner l’accolade ou le traiter d’abruti, ce qui était déjà un progrès notable.

La police allait sûrement débarquer d’une minute à l’autre, il était temps de prendre une décision. Les uns n’avaient pas l’air de vouloir insister, les autres étaient visiblement pressés de filer et elle aussi. Mais il y avait cette petite idiote qui chialait sur son homme, tout ça, c’était sa faute à elle !

Elle vit passer la lueur d’un grand sourire offert, le jeune homme aux longs cheveux noirs lui parlait mais elle n’entendait rien, son attention tout comme ses yeux étaient fixés sur ce sang, ce filet abondant qui s’échappait de l’épaule. Elle pouvait y faire quelque chose, enfin peut-être, mais l’éventualité de ce ‘peut-être’ l’agaçait plus que tout. Elle n’avait pas envie de l’aider, elle s’en foutait, c’était plus la curiosité qui la poussa à le faire.

*J’espère que ça marche aussi avec les mains parce que je compte pas rouler une pelle à cet abruti… faut pas déconner*

Dans un soupir de résignation, elle courut pour s’agenouiller auprès du blessé. Serrant les dents et gardant les yeux clos, sa main gauche tenta d’arracher d’un coup sec la flèche tandis que la main droite resta posée sur la plaie ouverte.

Mais pourquoi il se ruait sur elle en hurlant à la mort le fan de hockey d’abord ? Tout ce bazar, c’était de leur faute pour commencer, tout serait dans le meilleur des mondes s’ils n’avaient pas joué un mauvais remake de Rocky XXII en pleine rue, devant une foule de témoins encombrants.

Et elle, à cette heure-ci, elle serait tranquillement installée sur une banquette en faux cuir, les doigts serrés autour d’une tasse de café brûlant. Elle reprendrait des forces, écouterait d’une oreille indiscrète les conversations voisines et aurait acheté le nécessaire de survie dans cette mégapole glaciale, à savoir : deux pulls en laine, un manteau d’hiver, une cagoule, des moon boots en fourrure, une paire de moufle et une grande écharpe avec marqué 'I Love NY', total look touriste.

C’était raté, il avait fallu qu’elle y aille ! Elle ne pouvait même pas accuser un acte empli de magnanimité, la vérité, c’est qu’elle crevait d’envie de savoir si elle en était capable. C’était pas un sourire de mère Thérésa qu’elle affichait, c’était plutôt le genre ‘Ah ah ! Regardez bien bande de nazes, j’y suis arrivée ! Vous, vous ne faites que vous en mettre plein la tronche, moi, j’arrive et hop, tout disparaît, c’est le grand ménage’…

Enfin ménage, ménage… c’était vite dit, le résultat n’était pas reluisant : costume à 3000 dollars définitivement hors service, il n’y avait pas un pressing qui pourrait rattraper ça, la flèche ne valait pas mieux, abîmée entre l’impact et l’opération arrachage barbare, mais surtout il y avait le sang, partout : sur la victime, par terre et pire… sur les mains coupables de Kate. Il n’y avait pas meilleure preuve de son implication que ce rouge carmin poisseux qui recouvrait ses paumes.

Accroupie au-dessus du jeune dandy, elle tâta plusieurs fois son épaule devenue intacte, pour se convaincre de ce qu’elle venait de réaliser. Il ne leur restait pas beaucoup de temps : d’ici quelques minutes à peine, les flics débarqueraient et bon gré mal gré, ils étaient tous dans le même bateau. Encore sous le coup de l’émotion, elle s’adressa à Lars.

« T’inquiète pas pour lui… ça ira. Ecoute… on a pas l’temps pour les présentations mais toi et moi, on est mutant, ça peut tourner très mal pour nous deux et j’crois qu’on a plus de chance de s’en sortir si on dit la même chose et qu’on se sert les coudes… »

Tandis que la voiture de police arrivait en fanfare, elle tourna ses yeux vers Katarina : « Et vous, ça s’rait sympa de vous souvenir que j’viens de soigner vot’ p’tit ami, ok ? »

*Merde et re merde… je savais que j’aurai dû me tirer ! J’peux p’têt essuyer mes mains vite fait sur sa veste, d’toute façon, elle est foutue et puis c’est son sang…*

Merde en effet. Pas le temps d’effacer les traces, les deux policiers étaient déjà là et avaient l’air de s’être enfilé du lion au p’tit déj’. On avait toujours deux hommes à terre, deux nez sûrement fracturés et un robinet larmoyant. Kate s’était relevée, l’air de rien, si ce n’est qu’elle tenait une flèche ensanglantée dans sa main. Le tableau était parfait.

On n’était loin du troufion en bleu, main nerveuse sur la matraque, avec un peu de sucre glace au bord des lèvres. Il avait la classe ce Terranova : veste en cuir, chemise noire satinée, cheveux tirés en arrière et petit bouc bien taillé. Inspecteur qu’il disait, on leur avait donc directement envoyé du lourd et ils avaient saisi en un coup d’œil ce qu’il s’était passé. C’était peut-être bon signe… ou pas.

*Les papiers… ok… classique. Pas de mouvement brusque ? Dommaaage… et moi qui songeais à mettre un bon coup d’boule à tout l’monde avant de tailler la route, main dans les poches… Ce qu’il s’est passé ? Vous m’croiriez pas si j’le racontais…*

Ca n’allait pas être de la tarte ; à première vue, tout ce petit monde avait un point commun, flics y compris : personne n’avait envie d’être là, mais il n’empêche, Kate était (s’était ? avait été ?) impliquée, bref, elle y était et jusqu’au cou ! Il s’agissait de ne pas empirer la situation et surtout qu’ils comprennent bien qu’elle avait retiré et non pas planté la flèche. Et après ? S’ils réagissaient mal tout de même et s’ils faisaient partis de ces lâches qui détestaient les mutants par principe ? Finalement, elle avait bien fait de préparer sa défense plus tôt pour le Juge. En attendant, elle ne voyait pas d’autre solution que d’admettre ce qu’ils avaient manifestement déjà compris. On n’allait quand même pas l’envoyer pourrir dans le couloir de la mort parce qu’elle avait guéri ce sombre crétin ?! Plongée dans ses pensées, elle jouait fébrilement avec l’arme du crime, restée entre ses mains quand la voix de Kotto résonna ; elle tressaillit alors, lâchant brusquement la flèche qui atterrit par terre.

Elle eût beau détourner le regard, elle dut se rendre à cette évidence : le second inspecteur entra dans le vif du sujet en la questionnant, elle. Il s’écoula trois bonnes secondes avant qu’elle ne répondit, peut-être quatre, c’est qu’elle essayait de choisir ses mots, en pinçant ses lèvres de nervosité.

« Je… oui… je confirme. Il souffrait alors j’ai préféré agir avant que les secours n’arrivent, maintenant son épaule est sauvée. Je l’ai fait pour son bien. Tout ça n’est qu’un malheureux accident… »

Elle fixa alors Katarina et son petit ami d’un regard appuyé qui voulait dire ‘c’est le moment ou jamais d’être reconnaissants’.

Elle n’avait pas rêvé… il venait vraiment de jeter sa carte d’identité aux pieds des inspecteurs fraîchement débarqués. Les paupières closes et les sourcils relevés d’exaspération, elle leva la tête au ciel dans l’attente d’un signe, un p’tit coup d’pouce du destin voire un miracle pour que tout le monde rentre chez soi sans passer par la case cellule puante et crasseuse.

*Mooooon dieu ! Y’en a qui cherche vraiment les noises…*

La réponse cinglante de l’inspecteur ne se fit pas attendre, gonflant un peu plus la tension déjà palpable. Les autres n’avaient peut-être rien à perdre, pire, séjourner une nuit au commissariat ou figurer dans la liste des dix criminels les plus recherchés par le FBI faisait partie de leurs rêves les plus fous mais elle, elle espérait toujours s’enchainer à un radiateur géant.

Remuant machinalement ses orteils à l’intérieur de ses baskets, à défaut de sautiller sur place, elle tentait de se faire oublier après ses explications. Contre toutes attentes, celles-ci semblèrent satisfaisantes et Kate acquiesça d’un regard approbateur à la dernière remarque de l’inspecteur Kotto à son attention.

*Mais c’est exactement c’que j’veux, moi ! D’ailleurs, je suis la discrétion incarnée… fermez les yeux, comptez jusqu’à dix et j’vous promets qu’vous me reverrez plus en les rouvrant*

Les autres ne s’en sortaient pas si mal finalement… Ils s’en fichaient de cette bagarre ? Parfait ! Elle n’en demandait pas tant, en y repensant, ils étaient même trop gentils tiens. Si ça avait été elle, elle les aurait embarqués tous, sauf elle naturellement, fallait pas mettre au trou celle qui avait soigné, nan… elle, elle méritait une médaille, ni plus ni moins. Une médaille et un radiateur géant, c’était peu cher payé.

En y réfléchissant encore un peu plus, elle se dit qu’elle n’embarquerait que ces fameux Van Damme. Les quatre autres pouvaient lui être utiles, enfin trois sur quatre pour être exact, parce que mutants. Avec un peu de chance, ils n’auraient aucun tentacule et mieux, ils connaitraient cet Institut où elle voulait se rendre. Et le quatrième ? Pas sûr. Pas loquace voire atrophié de la langue. Il marmonna quelques mots pour sa défense… mais on comprit qu’il avait mal à la tête. Kate ignorait dans quel pays ce genre d’argument pouvait tenir lieu de défense mais elle était à peu près certaine qu’aux Etats-Unis, il n’avait pas cours.

Oh et puis qu’il aille au diable ! Qu’est-ce qu’elle en avait à faire ?! Même ses « potes de galère » (c’était le mot, en l’occurrence) s’en foutaient de sa pomme. En tendant l’oreille, elle saisit vite qu’on parlait casse-croûte, il y en avait même un qui l’invitait, enfin un sujet sérieux. Super ! Il avait intérêt à avoir le porte feuille plein parce son estomac à elle était vide. Et puis elle n’allait pas prendre le risque d’attirer à nouveau le regard de l’inspecteur sur elle, maintenant qu’elle s’en était débarrassé. Elle s’adressa discrètement à Lars, Andrew et Miguel, appuyant ses mots :

« Tout à fait d’accord. Pour qu’on discute… et, s’empressa-t-elle d’ajouter… et pour que tu payes aussi d’ailleurs. » Puis elle reprit : « Et votre copain ? Vous en avez vraiment rien à faire ou c’est une impression ? Parce qu’il en a pas fini, lui… » en indiquant d’un coup de menton la voiture banalisée où, le micro de la radio entre les mains, l’inspecteur Terranova décidait du destin de Yan. De là où ils étaient, ils ne pouvaient rien entendre ni agir, dommage...

Yan. Pas de Yan. Aucune différence à ses yeux. Elle ne connaissait rien de lui. Son nom ? Etait-il mutant ? L’avait-il remercié d’avoir guéri cet imbécile qu’il avait embroché ? L’invitait-il à manger ? NAN ! Puisqu’il ne s’inquiétait pas de son déjeuner, elle ne s’inquiéterait pas plus de son devenir. Non, elle en avait assez fait, il était temps de mettre les voiles.

Prête à partir, elle jeta un dernier coup d’œil aux alentours et la vit : cette pauvre petite chose pathétique, toujours au sol, toujours en larmes, toujours penchée sur son amoureux…

*Minute papillon ! C’est pas son amoureux ! Il a dit la fratrie Van Damme… il a dit qu’ils étaient frères et sœur tous les cinq… Mais cette façon qu’elle a eu de se jeter sur moi… elle a dit « ces quatre garçons »… et pas « mes frères »… et cette façon qu’elle a eu de se jeter sur lui uniquement ! Un autre de ses frères a le nez pété et l’autre est tombé cul à terre, complètement KO mais elle n’en a eu que pour celui-là et cette façon qu’elle a de lui caresser le front…*

Kate la foudroyait du regard pour n’avoir rien dit à l’inspecteur, pour ne pas les avoir défendus mais surtout Kate l’observait avec insistance. Il y avait quelque chose de louche dans cette scène, quelque chose qui clochait vraiment.