Escapade hors concert

Stade - Concert des divas

"- Ok. Toi tu t'en fiches de frôler la mort, pire ça te grise. Pas moi. Mais tu me proposes une pomme bien trop juteuse pour que je ne cède pas à la tentation, vil serpent. Alors je te propose un marché. On s'en va, on se trouve un coin tranquille, et je chante pour toi. MAIS. Mais au moindre signe que ça se déclenche, à la moindre douleur auditive, au moindre malaise, tu m'arrêtes. Toi ça t'es peut-être égal, mais pour moi, chaque vie est précieuse et doit être protégée. Je ne veux pas avoir la mort de qui que ce soit sur la conscience. Ni la tienne, ni aucune autre...
Et je sais pas toi, mais même si j'aime leur musique, moi j'ai pas spécialement envie qu'elle vienne me pincer les fesses..."


"Le vil serpent accepte ton marche jeune vestale , il est dailleurs etonne qu'un membre de l'Institut ne veuille pas sa mort , j'ai donc encore quelques annees a vivre !

Sinon tu as raison , je refuse de me faire pellotter par un transexuel s'il n'y a pas une remuneration derriere ...

Viens..."

Il faisait bien trop chaud , Iacobo rouvrit son blouson de cuir et prit a nouveau la main de la jeunne fille , fine et glacee ce qui le fit instinctivement penser a une coupe de champagne en crystal , fragile , esthetique et contenant des boissons l'ayant mene irremediablement a l'exces . Serait-ce de meme avec la mannequin maudite ? Le serbe resta sceptique quant a sa derniere idee .

Il l'entraina a travers la foule , serrant sa main pour ne pas la perdre , se retournant de temps a autre , apercevant son regard plonge quelquepart , la ou la musique l'emportait parfois et se demanda si son esprit etait tourmente par des notes , des airs , des hymnes .

Ils finirent par quitter le stade , la nuit etait tombee , quelques voitures tracaient leurs routes , des badauds adosses aux murs , fumant des cigarettes , buvant quelques bieres . Il etait encore possible d'entendre disctinctement les voix des transexuelles .

Un immeuble de haute taille , le portail et l'interphone . Iacobo sonna chez plusieurs personnes avant de tomber sur ce qu'il attendait : une femme agee n'ayant pas toute sa tete a qui il put raconter une histoire absurde de plomberie en retard . La porte s'ouvrit , ils prirent l'ascenseur jusqu'au dixieme etage puis le serbe la mena dans un autre escalier en direction du toit qu'il trouva aisement .

Le toit etait desert , seulement un grand ventileur dans un coin et quelques outils de nettoyage . Il faisait encore bon , la cocaine perdait de son effet et le ciel retrouvait peu a peu sa couleur initiale . Le prostitue retira son cuir et le jetta par terre avant de l'utiliser comme oreiller lorsqu'il s'allongea .

" Je suis tout ouie Barde Maudite "

Wind arqua un sourcil à la réponse du serbe. D'accord, il était bizarre. D'accord, ce qu'elle entrevoyait vaguement de son passé, de par quelques éléments épars de ses élucubrations, n'était guère glorieux, mais enfin, de là à vouloir sa mort à peine arrivé... Tout le monde n'était pas toujours super accueillant, mais tout de même.

- Qu'est-ce que t'as fait aux autres pour qu'ils t'en veuillent ?

A peine avait-elle achevé cette phrase qu'il ouvrait son blouson, et son sourcil monta d'un cran sur son front. Elle allait actionner son communicateur, pour demander à Kitty de bien rester auprès des professeurs et de Camille, pour prévenir sa soeur qu'il était inutile qu'elle la cherche, quand il l'attrapa et l'entraîna vers la sortie. Ca n'était guère la mélodie qui attirait son regard, son esprit, à cet instant, mais les jeunes filles qui étaient ou qu'elle considérait comme ses soeurs.

Dehors, il la guida à travers la nuit vers un immeuble, se joua d'une vieille dame pour en obtenir l'accès sous le regard outré de la blonde, l'emmena encore vers un ascenseur qu'elle trouva bien délabré, puis la fit monter sur le toit par la cage d'escalier, bien trop sinistre à son goût. Aussi ne fut-elle pas fâchée de regagner l'air libre. Il s'installait tranquillement, et elle en profita pour utiliser son communicateur, ses mains libres à présent.

- Kitty, River, je suis partie faire un tour... Kitty, tu restes auprès de Mister Malone et de Miss Deneos, n'est-ce pas ? Riv', je te déconseille de rentrer sans Roscart, c'est glauque dehors la nuit... Amusez-vous bien les filles, je vous tiens au courant si je repasse par là. Sinon on se reverra "à la maison"...

C'était très étrange de dire ça comme ça... mais ça n'était pas tellement faux en définitive. Elle n'avait pas voulu dire l'institut, ne sachant pas qui autour des deux jeunes filles, entendrait son message, et l'expression lui avait semblé la plus judicieuse. Même si "la maison", pour elle, ça restait celle de Londres, avec tous les autres. Un nouveau soupir passa la barrière de ses lèvres. Est-ce que ça serait de nouveau la maison un jour ? Avec tout le monde ? Ce jour-là, elle en doutait.

Ses prunelles vert pâle se posèrent de nouveau sur Iacobo, allongé à même le sol, la tête soutenue par son blouson de cuir, qui l'invitait à commencer. Elle passa l'éponge sur la façon dont il l'appelait, pas trop sûre de vouloir le prendre à la dérision, pas trop sûre non plus de l'importance de la moquerie dans son propos, et dénoua le foulard blanc autour de sa gorge avant de lui demander :

- Y a quelque chose en particulier que tu voudrais entendre ?

A voir si elle connaîtrait le style ou le morceau cité, mais tant qu'à avoir une audience, autant tabler dans ce que celle-ci appréciait. Même si elle se demandait si ses goûts musicaux étaient aussi... spéciaux que sa vie "antérieure" pouvait être à ses yeux.

- Y a quelque chose en particulier que tu voudrais entendre ?


Elle etait debout a present , elle enleva son foulard , ce qui aurait pu paraitre comme un geste anodin mais elle avait cette petite gestuelle noble qui permettait de la distinguer d'une masse de porcs , ou plutot d'individus normaux .

Iacobo avait passe tellement de temps dans les milieux mondains qu'il avait fini par s'irriter de tout comportement populaire , peu classe et donc merdique . Il n'avait aucune passion et ce petit jeu l'avait amuse quelque temps .


"J'aime le rock froid et degeulasse , mais c'est un genre qui ne te sied guere . Je ne sais pas , ce que tu veux , quelquechose de beau , de spirituel , de transcendant , c'est ce qu'on dit lorsqu'on a sa loge a l'opera c'est cela ? J'affectionne assez les tres vieux morceaux de classique de l'ere precedente mais si tu es une amatrice de ballades langoureuses , alors allons y "

Belle image , la mannequin devant la lune presque pleine , le foulard a la main qui remuait au vent . Et la loque allongee , a ses pieds . Tragique .

Quelque chose de beau, de spritiuel, de transcendant... Il ne fallait peut-être pas exagérer, songea-t-elle en comparant ses talents aux qualificatifs employés par Iacobo, mais il fallait avouer qu'il n'avait pas tort : les airs d'opéras les plus célèbres avaient ce petit quelque chose de... si particulier qui l'emportait elle-même tellement facilement en dehors du monde et du temps... Un sourire éclaira son visage pâle, et, sans hésiter bien longtemps, se décida pour l'air de Gilda, dans la pièce de Verdi, Rigoletto. Il y aurait bien eu Rosine aussi, des Noces de Figaro, de Mozart, et puis Despina, l'espiègle, mais elle se sentait moins à l'aise dans le rôle de la frivole qui explique aux autres comment mener les hommes à la baguette que dans celui de l'amoureuse transie et l'air de Gilda restait le plus... transcendant, en tout cas à son avis. Même si elle affectionnait particulièrement le compositeur autrichien.

- Verdi ? questionna-t-elle plus pour la forme qu'autre chose, avant de fermer les yeux un instant, inspirant et expirant profondément avant de commencer à chanter, sa voix cristalline emplissant l'air alentour de notes plus aigues les unes que les autres.

"Belle image" ? Elle ne l'aurait pas cru une seconde si elle avait surpris le regard du serbe ou été capable d'entendre ses pensées. Et elle ignora tout d'abord la vibration de son communicateur, comme elle approchait de la fin du morceau, et des dernières vocalises particulièrement demandantes. Elle coupa court pourtant, aux plaintes de Gilda - enlevée par erreur par les hommes de celui dont elle chérissait même le nom - pour écouter le message. La voix de Miss Deneos retentit alors et les prunelles pâles de la londonienne se reposèrent sur son auditoire. Tout d'abord, elle s'inquiéta de son état et fit un pas en avant, l'air soucieux, puis elle s'enquit de son avis.

- Pouvoir audio-visuel... Audio... Je devrais peut-être y aller ?

Le ton interrogateur ne laissait planer aucun doute : Elle hésitait. Parce que si le message laissait entrevoir qu'on pouvait demander son aide - bien qu'elle doutât de l'utilité qu'elle pût avoir - elle craignait de ne causer plus de mal que de bien. Et ses iris vert pâle ne quittaient plus ceux du drogué.

[Je vais le bloguer pour te le faire écouter... Je dois pouvoir le mettre sur mon site, maintenant qu'il a l'air de fonctionner. Dire que je l'ai chanté fut un temps - après 2 ans sans cours, j'en suis bien incapable maintenant... Ca sera là : Caro Nome.]

- Verdi ?

La question etait purement formelle . Elle se mit a chanter .

Et quel chant ! Un terme lui vint subitement a l'esprit : pur . Sa voix etait haute , noble , sans faute et d'une purete incroyable .
Iacobo avait eu la chance d'accompagner certains de ses clients dans des operas d'exception , prenant gout au fur et a mesure a cette musique qu'il snobbait et taxait d'archaique en ricanant .
Mais personne n'arrivait a la cheville de cette jeune femme car elle avait plus qu'un don , elle avait un pouvoir .

Son chant etait si puissant qu'il pouvait presque le materialiser , une vague gigantesque , pleine d'ecume , rapide et venant s'ecraser sur le serbe , le laver par la noyade , la Nature chassant les elements nefastes sur Terre .

Iacobo avait compris pourquoi il aimait tant le classique : les sons y etaient d'une purete sans nom et venaient le fouetter spirituellement , le punir de son obsolescence .

Le morceau ne fut pas douloureux , loin de la . Mais l'intensite du chant de Wind activa chez lui une montee d'os involontaires qu'il ne vit pas directement : sa chemise se trouait sous les coups des os aiguises et lorsqu'il le vit , Iacobo s'empressa de cacher discretement ses bras derriere son dos pour ne pas inquieter la cantatrice ( absolument pas chauve ) .

Les sons s'eteignirent et Iacobo le sentit comme une chute apres une montee d'adrenaline sous extasy , le reve se terminait , Icare se brulait les ailes trop pres du soleil et tombait maintenant dans l'ocean .

Iacobo entendit disctinctement ce que Cassandre disait a travers le communicateur. Plus d'electricite , tant pis pour eux . L'obscurite les ferait peut etre reflechir sur leurs conditions minables . Le serbe pensa un instant a la possibilite d'un attentat et se rendit compte qu'il n'en avait pas grand chose a faire , idee qu'il ne partagea pas avec la diva .

- Pouvoir audio-visuel... Audio... Je devrais peut-être y aller ?

Leurs regards etaient a present plonges l'un de l'autre . Iacobo commencait a se perdre dans de somptueux nuages verts lorsque sa voix le ramena a la realite .

"-Audio , tu as bien entendu . Intepretation de Verdi superbe d'abord . Ensuite il est tres aise de voir que tu prefererais chanter devant un public nombreux , normal , plein de vie et beauf que sur un toit glauque devant un junkie serbe , comprehensible .

Je crois que je ne suis pas mort , les beaufs devraient survivre . Il faut saisir l'occasion n'est ce pas , surtout toi qui preche tes valeurs humanistes et genereuses , l'occasion revee pour faire partager ta passion ... meme s'ils n'en sont pas dignes .

Vas-y . Et Merci , j'ai rarement vu une voix aussi belle , ca me donnerait presque envie de croire en l'homme . Ha ha ..."

Et ce ne fut pas un mal que Wind ne s'aperçut pas de la "montée d'os" du serbe. Sans doute en eût-elle été effrayée, sans doute se fût-elle sentie coupable de la douleur (parce que ça devait bien être douloureux, non ?) qu'il ressentait sûrement. Elle avait été ravie de pouvoir chanter, devant lui, ce soir, quoi qu'il puisse en dire. Pour un ou pour mille, ça ne faisait aucune différence pour elle, lorsqu'elle chantait, elle y mettait tout son coeur... Et elle n'aurait pas cru pouvoir le faire de sitôt. Ses yeux s'embuèrent un instant, comme elle restait émue de ces quelques instants, magiques pour elle au moins, comme elle ignorait quel effet ils avaient eu sur lui.

Les propos de Iacobo la laissèrent perplexe, comme à chaque fois qu'il ouvrait la bouche. Elle ne savait jamais trop comment elle devait prendre ses discours, mêlant toujours critiques et compliments. Au moins avait-ce eu le don de stopper les larmes qui avaient rendu ses yeux quelque peu trop brillants un instant. Il supposait qu'elle préférait aller là-bas, avec les risques que ça comportait, juste pour chanter devant plus de monde... Songeait-il donc qu'elle était à ce point futile ? Même les qualificatifs d'ordinaires positifs semblaient des attaques lorsqu'il les prononçait, c'en était plus que perturbant.

- Ce n'est pas une question de préférence Iacobo... Mais de devoir. Je suis ravie de voir que tu vas bien en tout cas...

Enfin, autant que possible, vu l'état habituel du junkie. Et le ton de sa voix ne laissait aucune équivoque, elle était sincère. Parce que quoi qu'il en dise, elle restait persuadée que toute vie était précieuse. Un sourire effleura ses lèvres comme il avouait que "ca lui donnerait presque envie de croire en l'homme". Presque. Et sur un ton ironique. Mais il l'avait dit.

- Presque ? Alors ça n'est pas complètement impossible, c'est déjà ça...

Elle salua son audience du jour, comme elle le faisait sur scène d'ordinaire. Pour un ou pour mille, ça ne faisait aucune différence. Et quand elle se redressa, elle plongea de nouveau ses prunelles dans les siennes, comme si au-delà des mots, son regard avait pu lui apporter une réponse claire.

- Ce qui m'ennuie, c'est le conditionnel dans ta phrase. Ils devraient survivre... et si ça n'était pas le cas ?

Elle soupira et renoua son foulard autour de son cou, comme il l'était avant qu'elle ne commence à chanter. "Vas-y", lui avait-il dit. Il ne l'accompagnerait pas, n'est-ce pas ?

- Merci à toi, d'avoir pris ce risque pour moi. Je suppose que tu ne comptes pas revenir là-bas avec moi ?

Il n'y avait rien à supposer à son discours, si ce n'est qu'elle envisageait mal de retraverser l'immeuble et les rues glauques seule. Elle n'insisterait guère plus, elle le savait, il venait déjà de lui offrir un cadeau des plus précieux, sans qu'il semble s'en rendre réellement compte...

- Merci à toi, d'avoir pris ce risque pour moi. Je suppose que tu ne comptes pas revenir là-bas avec moi ?


"Un risque ... oui tout est relatif . Je t'en montrerai des risques ... Quant a te raccompagner ..."


Le serbe se posa alors la question . Que pouvait-il aller faire dans cette concentration populaire et meprisable si ce n'est reentendre la cantatrice , mais d'une maniere tout a fait differente , elle serait partagee parmi tous ces esprits ingras , sa voix serait corrompue par ces masses abjectes .

En revoyant sa silouhette frele et ses yeux opales , le serbe se dit que la soiree n'etait pas terminee , qu'elle avait un besoin inconscient de quelquechose de decale , de marginal dans sa petite vie routiniere .

"Dans ma grande bonte , je te raccompagne jusqu'au stade , je ne retournerai pas voir ces porcs . Mais si cet avant gout rock n roll t'a plu , tu trouveras le seigneur du malsain que je suis aux alentours

Alez , viens "

Le prostitue tira une cigarette , l'alluma et fit en sorte de degager la fumee hors de portee de la diva , quitte a tordre etrangement son cou . Il lui reprit la main pour se diriger vers les escaliers .

Wind esquissa un sourire quand Iacobo accepta de la raccompagner. Qu'il ne veuille pas assister au reste du spectacle, c'était son droit, mais elle était reconnaissante qu'il ne la laisse pas faire le trajet en sens inverse seul. Il sortit une cigarette, qui lui fit légèrement froncer les sourcils, mais elle ne dit rien, d'autant qu'il faisait son possible pour rejeter la fumée loin d'elle.

- Merci, répéta-t-elle simplement, et c'était autant pour la démarche, comme il se tordait bizarrement le cou pour ne pas l'incommoder, que pour le fait de la raccompagner, que pour les quelques instants précédents, même si elle l'avait déjà remercié pour ça.

Elle actionna son communicateur, pour s'adresser à celle qui avait laissé, quelques instants plus tôt, un message d'appel à l'aide.

- Miss Deneos, je ne sais pas si je serai très utile, mais j'arrive dans quelques minutes.

Il lui reprit la main, et ç'en était toujours assez étrange pour elle, peu habituée aux contacts en dehors des membres de sa famille, mais une fois encore, elle garda le silence, et ils se dirigèrent vers les escaliers.

[ Stade municipal]