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Histoire à rebours Empty Histoire à rebours

Mar 6 Nov 2007 - 0:28
0 . Fuite

« Bienvenue à bord de ce T.G.V. Atlantique à destination de Nantes via Le Mans, Angers et Rennes. Pour plus de facilité nous vous invitons à préparer votre titre de transport afin de le présenter rapidement lors du passage du contrôleur. Nous vous rappelons que des bars et des espaces bébé sont disponibles en voiture 4. Ce train est entièrement non-fumeur, sauf dans la voiture-bar. Merci de votre compréhension. La S.N.C.F. vous souhaite un agréable voyage. »

La jeune femme blonde n’écoutait que d’une oreille distraite les recommandations du chauffeur de train. Elle était trop pressée d’arriver à bon port, même si elle avait vécu le retour en France comme un soulagement. Toutefois, elle enregistra la présence de la nursery, et regarda de nouveau son billet : voiture 6, elle n’était pas loin. Elle sourit au nourrisson qui dormait paisiblement sur le siège à côté d’elle, et lui déposa un baiser sur le front. Elle l’enviait, cela faisait des jours qu’elle n’avait pas pu totalement fermer l’œil. Elle devait rester vigilante à toute heure, pour parer à leurs attaques mentales.

C’était la première qui avait foudroyé Jonas, qui avait aussi tué sa mère, et presque toutes ses connaissances. Et les rares mutants survivants étaient trop faibles pour résister à la seconde, ou à la troisième. Elle, elle pouvait, mais pour cela, il fallait qu’elle ne dorme pas.

Elle était aux aguets, traquée. Evidemment, les anti-mutants savaient qu’elle avait survécu, ils avaient des moyens pour la retrouver où qu’elle soit. Mais son bébé, lui, n’avait encore rien révélé. Il serait sans doute mutant, mais plus tard. Pour le moment, il n’était qu’une boule rose de trois mois endormie vers sa future demeure.

Elle ferma les yeux. La Bretagne…douze ans qu’elle n’y était pas revenue. La forêt serait-elle toujours aussi verte ? Les plages toujours aussi douloureuses pour les pieds ? Sa sœur toujours plus blonde qu’elle ? A cette pensée, elle sourit tristement. Elle n’avait pas le droit d’être reconnue, y compris par sa famille, pour ne pas les mettre eux aussi en danger. Parce que la commission ne cherchait pas à comprendre. Les mutants devaient être oubliés, totalement. Y compris si cela nécessitait la « disparition » de quelques personnes normales. Le devoir avant tout.

Elle serra les dents et les points, de rage et d’impuissance. C’est vrai, elle était dangereuse, et même très dangereuse. Mais elle se contrôlait. Elle n’avait presque jamais fait de mal à personne, et à l’exception d’une fois, ce n’était que pour se défendre. Pourquoi fallait-elle qu’elle meure ? Et pourquoi Jonas ? Qu’avait-il de si terrifiant, ce doux rêveur ? L’image de leur premier dîner en tête-à-tête revint aux premières loges de son esprit, lorsque, subitement, une myriade de cœurs étaient apparus tout autour de leur table, voletant, sortant des plats pour disparaître dans le plafond ou dans le sol. Jonas savait influer sur les longueurs d’onde des faisceaux lumineux, il pouvait changer les couleurs d’un objet s’il le désirait, ou tagger par la seule force de la pensée. Ce jour-là, c’était pour la séduire, elle, qu’il avait utilisé ses capacités. Pour la dernière fois, ou presque...

Un bruit la fit sursauter. C’était le contrôleur qui ouvrait la porte du wagon. Rien de grave, donc. La jeune femme résolut de dormir un peu. Si ses calculs étaient bons, elle n’aurait rien à craindre avant ce soir. Elle ferma les yeux, et ralentit brusquement son rythme biologique.

Les vibrations sont à la base de toute chose. Lorsque l’on frotte la corde d’un instrument, évidemment, mais aussi lorsque l’on entend un bruit, ou lorsque l’on fait un mouvement, un influx nerveux parcourt le corps jusqu’au cerveau, avant de renvoyer son message par la même voie. Quel émerveillement cela avait été lorsqu’elle avait compris que tous ces mécanismes, elle pouvait les accélérer ou les ralentir selon sa volonté ! Elle pouvait voler une pomme sur l’étalage d’un marché, et faire en sorte que le vendeur ne s’aperçoive de la supercherie que cinq minutes plus tard – une fois qu’elle avait décampé. Elle savait exactement lorsque son adversaire, au tennis, frapperait la balle…pour peu qu’elle le fasse juste un peu trop tard…mais surtout, elle pouvait modifier les messages envoyés par son propre corps, et ainsi tromper les télépathes. C’était ce subterfuge qui lui avait sauvé la vie, quand elle avait senti que quelqu’un cherchait à farfouiller dans son esprit pour le court-circuiter. Et toutes les autres fois aussi, même si les tentatives étaient toutes plus faibles que la première. Et cela l’aiderait à emmener son garçon jusqu’à un lieu où il serait accueilli. A Nantes, elle avait noté l’adresse d’un orphelinat d’excellente réputation. Elle avait déjà caché l’argent dans le panier-sac de couchage, et glissé la lettre d’explications sur le côté. Son fils grandirait normalement, en ignorant tout de la véritable vie de feu sa mère. Et elle priait pour qu’il ne révèle pas ses pouvoirs avant que la Commission Eden n’aie disparu faute d’ennemis à massacrer.

Elle s’éveilla brusquement. Des voix retentissaient dans l’espace entre les compartiments. Le contrôleur semblait discuter à bâtons rompus avec un homme et une femme habillés dans des tons sombres. L’air de rien, elle tendit l’oreille, et attrapa quelques mots au vol.

« …blonde d’une trentaine d’années… »
« …permission de lancer notre opé… »
« …risation expresse du gouver… »


Son sang ne fit qu’un tour. Ils la suivaient déjà. Elle n’avait pas dû suffisamment prendre ses précautions, elle avait certainement donné un indice sur sa destination lors d’une de ses précédentes escales, alors même qu’elle avait pris soin de brouiller les pistes, et de signaler qu’elle allait « en Afrique », « en Amazonie », « retrouver ma famille en Italie »…elle aurait dû s’en douter, c’était stupide lorsqu’on s’appelait Floc’h, du moins comme nom de jeune fille, de s’enfuir vers la Bretagne. Leurs agents avaient certainement pris un abonnement à l’année pour surveiller les allées et venues autour de la Gare Montparnasse. Elle ne devait pas paniquer. Pour son bonheur, le train ralentissait pour atteindre la gare de Rennes. Elle se leva tranquillement – en extérieur – et marcha vers ceux qui la traquaient, puis ouvrit la porte. Ils se retournèrent, et elle les regarda. Ils n’eurent leur réaction suivante qu’une fois le train reparti depuis deux minutes. La femme cria « C’est elle !» face à une porte fermée, puis regarda son collègue sans comprendre. Celui-ci décrocha son téléphone, pour y dire quelques mots. « Raté. Elle est descendue à Rennes. Envoyez une nouvelle équipe. Ah bon…très bien. Terminé » Et il eut un sourire de satisfaction, qui fut bientôt partagé.

Pendant ce temps, la femme traquée avait couru hors de la gare de Rennes, et « emprunté » une voiture – son propriétaire s’était retrouvé devant un emplacement vide, sur le parking, sa clé ayant disparu. Rapidement, elle avait bloqué le siège enfant sur la place passager, et avait démarré en trombe pour s’enfoncer en direction de Brocéliande. Il fallait qu’elle trouve un plan de rechange, quelque chose qui lui permettrait de sauver son enfant. Elle n’avait plus beaucoup de temps. En plus, durant ce laps, elle devait trouver comment le nommer. Elle devait changer son prénom, pour diminuer encore les chances qu’il soit retrouvé. A cette pensée, elle faillit fondre en larmes, se souvenant de la longue discussion qu’ils avaient eu, avec Jonas, discussion d’abord calme, puis plus animée, qui avait dégénéré en dispute, puis en excuses des deux parties, pour se finir par une nuit de tendresse absolue. Et de ça, la Commission l’avait privée à tout jamais. Par leur faute, son garçon ne saurait jamais que sa véritable identité était Cillian Bourdeaux. Il porterait le nom de…

Matthieu.

Oui, ce serait parfait. Jonas voulait qu’il s’appelle Matt, mais une fois de plus la persuasion féminine l’avait emporté, et il avait du s’incliner devant ses arguments, pas toujours très moraux bien que très convaincants. Il se nommerait Matthieu. Comme hommage. Comme son père l’aurait voulu.

Perdue dans sa réflexion, elle n’avait pas remarqué le coupé qui la suivait à distance raisonnable. Elle n’avait piqué qu’une Laguna, et à chaque seconde, la forme véloce derrière elle semblait se rapprocher.
C’était eux. Elle en était certaine. Ils l’attendaient, ils avaient prévu ses itinéraires pour pouvoir la cueillir quelle que soit l’issue, dès qu’ils avaient su qu’elle partait. Elle ralentit brusquement, puis réaccélèra, réduisant nettement l’écart entre les véhicules. Elle recommença plusieurs fois la manœuvre, jusqu’à ce que la 406 noire soit quasiment dans son coffre.
A ce moment, elle déboîta brusquement, se retrouvant sur la file de gauche, et pila. Au passage, elle se concentra, et les mouvements du conducteur se retrouvèrent bloqués. La voiture noire fila tout droit, oubliant jusqu’à l’existence du parapet qui annonçait l’arrivée du pont sur la Vilaine. Elle termina sa course en contrebas.

Reprenant ses esprits, elle reprit sa route à toute vitesse. Au premier village, elle changea de véhicule, opération répétée tous les dix kilomètres, et à chaque fois, elle prenait soin de bien laisser les clés de la voiture en évidence sur le contact, pour inviter les petits voleurs du coin à se servir. Avec un peu de chance, elles termineraient à des centaines de kilomètres de la Bretagne.

Après avoir changé cinq fois de monture, elle aperçut une large ferme entourée de pâturages, sur lesquels paissaient quelques vaches à l’air débonnaire. Elle aperçut le fermier au passage, et fut frappée par l’impression de douceur qui se dégageait de son visage. Un panneau indiquait « Ferme Duclerq ». Ce serait parfait.

Elle arrêta la voiture à quelques centaines de mètres, et revint discrètement en marchant. Là, elle arrêta l’attention de tous ceux qui auraient pu la repérer, et alla jusqu’à la porte principale, sur laquelle elle déposa le berceau, non sans avoir une dernière fois serré son fils dans ses bras. Et, après un dernier baiser sur le front, elle s’éloigna. Gilles Leclerq comprit qu’il avait eu une petite absence de cinq minutes, et voulut rentrer pour demander à sa femme ce qu’elle avait mis dans le pot-au-feu du midi. Il faillit marcher sur le petit garçon, sursauta, cria, et se dépêcha de le mettre à l’abri, en criant « Cathie ! Cathie ! Viens voir ! ».

La femme, elle, était repartie. Elle avait poursuivi son manège de vol de voitures encore une quinzaine de fois, jusqu’à revenir à Rennes. Une fois à proximité, calmement, elle avait pris un bus pour rentrer jusqu’à la gare. Elle avait rempli sa mission, elle pouvait mourir désormais.

~

Catherine Duclerq n’en revenait pas. Un nourrisson sur le pas de sa porte ! Elle se précipita pour voir s’il était propre, puis s’affaira pour lui trouver du lait, de la bouillie, de quoi se restaurer. Pendant ce temps, Gilles l’installait plus confortablement, sur un empilement de couvertures disposées dans le grand fauteuil en osier. En enlevant le bébé, il remarqua la présence de l’enveloppe, qu’il ouvrit rapidement. Un premier paragraphe était grossièrement rayé, qui disait « Madame, veuillez s’il vous plaît recueillir mon fils dans votre Institut… » suivi d’une brève explication sur le pourquoi de l’abandon. Ne subsistaient que trois lignes. « Je vous en prie. Je sens que vous êtes un homme bon. Prenez soin de mon Matthieu, je ne vous donnerai pas mon nom, pour que jamais il ne puisse me chercher. »

~

La jeune femme arriva à la gare. Comme elle s’en doutait, sa réputation l’avait précédée, et c’est un groupe de six hommes armés qui patrouillait devant l’entrée. Elle ne chercha pas à fuir, elle savait qu’ils étaient autant à la suivre discrètement. Elle s’arrêta sur le parvis, jeta la tête en arrière, et s’autorisa enfin à fondre en larmes.
« Madame Gwenaëlle Floc’h, levez les bras, il est inutile de résister. »

Mais elle ne leva pas les bras, elle sanglotait, les mains sur le visage.
« Il n’y aura pas de sommation. »

Ses sanglots cessèrent. Ses doigts s’écartèrent pour lui permettre de voir un peu quelle était sa situation.
« En joue ! »
« Tirez ! »
Il fallut un instant avant que les gâchettes ne soient pressées.
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Mar 6 Nov 2007 - 22:22
« Chérie ! Cillian a faim !
- Et ben ? Il va pas manger tout seul, aide-le !
- T’as pas prévu quelque chose ?
- Je suis OC-CU-PEE ! Débrouille-toi, t’es pas manchot !
- Mais il est où, le lait en poudre ?
- Placard de droite au-dessus de l’évier, étagère du bas ! »


Jonas alla en sifflotant jusqu’au tas de vaisselle sale qui n’attendait que ses bonnes œuvres, ouvrit la porte, et attrapa la boîte cylindrique. Dans sa chaise, Cillian remuait d’un air décidé sa petite cuiller, menaçant son père en babillant joyeusement de se dépêcher d’amener la popote.

« Oh, oui, c’est pour le bébé le bon miam-miam, il va bien manger le gros bébé, hein, il va b…
- ARRETE de lui parler comme à un demeuré !
- Oui oui ! C’est bon ! Oh, qui c’est qui crie sur papa, c’est maman ! Parce qu’elle veut pas que papa parle à son bébé ! Hein que papa il a raison ! »


Papa dut considérer que son fils le soutenait, car il n’insista pas, et se concentra pleinement sur sa tâche, du moins autant que ne lui accordait son esprit sans cesse ailleurs. Jonas Bourdeaux avait la tête du rêveur, et lui parler n’arrangeait en rien la première impression. Grand brun très mince, aux immenses yeux bleus et aux cheveux bouclés, il donnait perpétuellement l’impression d’appartenir à un autre univers. Il mélangea la tambouille, l’agita en prenant soin de fermer le biberon – la veille, il avait oublié de rajouter la tétine, et Gwenaëlle avait passé trois heures à nettoyer les dégâts – et l’apporta à Cillian.

« Voilà pour le bébé. Il aime bien ce qu’il mange, le bébé ? Oh, peut-être qu’il le préfèrerait en vert, non ? »


En un instant, la teinte rose du lait aromatisé framboise était devenue d’un vert kaki du moins appétissant. Cela ne trompa pas l’œil exercé du nourrisson, qui eut un mouvement de recul.

« Pas vert ? Bleu alors ? »

Même opération, même manque de considération de son fils.

« Ah, bébé veut le biberon spécial papa ! Quel gourmand… »


Doucement, des lignes se formèrent, se dessinèrent, pour former de magnifiques rayures verticales brunes et blanches.

« Et voilà, le zèbre du bébé est avancé »


Gazouillant toujours, Cillian attrapa le biberon dans ses petites menottes, fort satisfait de son repas. Son père le regarda en souriant, puis Gwenaëlle entra dans la cuisine, une serviette sur la tête.

« Et voilà, tu as recommencé. Comment tu veux qu’il accepte quoi que ce soit de sa cantine, plus tard, si tu lui fais manger un Picasso à chaque repas ? »


La réprimande avait été prononcée avec un large sourire, et ponctuée par un baiser qui empêcha toute réponse de l’accusé. Mrs Bourdeaux, née Floc’h, sortait de la douche, et une fois de plus, tous ses efforts à distance pour l’éducation de son enfant avaient été vains. En soupirant, elle gratifia son fils d’un bisou sur la joue qui ne le détourna pas de son entreprise de vidage du biberon.

« Bon, mes amours, je vais travailler. Rien d’important pendant ma pause-hygiène ?
- Rien aux infos, non. C’est étrange. C’est comme si tous les mouvements anti-mutants avaient cessé d’émettre. A ton avis, c’est plutôt bon signe ?
- Je sais pas. J’en doute. Ca doit cacher quelque chose. Allez, soyez sages, maman revient ce midi. Ah, Jonas, j’ai une tache qui veut pas partir sur mon pantalon. Est-ce que tu…
- Quelle tache ? »


Gwen regarda son pantalon, le sourire beau fixe de son mari, le gratifia d’un baiser nettement plus torride que le précédent, et sortit en posant la serviette et en attrapant à la fois sa brosse et sa veste. Elle avait pris la coutume de se coiffer dans l’ascenseur, où les miroirs étaient bien plus larges et plus pratiques. C’est l’air pensif qu’elle lissa ses longs cheveux blonds durant l’interminable descente du quatorzième étage. Ils n’étaient vraiment pas rebelles, et l’engin vraiment pas véloce, héritage sans doute du début du siècle. Chaque problème génère ses avantages.

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Gwen tapotait pensivement sur la paillasse avec la gomme de son critérium.

« Tu crois ? Un système de dégradation ? Non, y’a autre chose, je le sens.
- Tu penses trop à la solution miracle, Gwen, c’est très Français.
- Merci pour les préjugés, Larry.
- Nan, mais pourquoi tu te bourres le mou à inventer de toutes pièces un mécanisme parallèle ? Si l’ARN disparaît, c’est qu’il y’a une régulation négative, de la transcription.
- Mais aussi inductible ? T’y crois ? »


La discussion était animée, les deux chercheurs devisaient rudement devant un agrandissement d’électrophorèse.

« Plus sérieusement, Gwen, je penses que tu considères trop la génétique comme quelque chose de totalement fantastique. Je dois dire…je sais ce que tu es, je le comprends, mais parfois, il faut savoir admettre que la réalité est banale, non ? »

Larry Parker. 45 ans, 1m 70, 95 kilos, pas un habitué des salles de sport. Fume comme un pompier, sauf le 4 juillet, en mémoire de l’Indépendance. Absolument charmant, malgré tous ces menus défauts, et farouchement tolérant.

« Peut-être, Larry. T’as raison dans l’essentiel des cas, et la science te soutient. Mais là, j’ai l’impression qu’il y’a…un petit truc qui varie. Non, y’a pas de pouvoirs à l’horizon, je dis juste qu’un truc cloche avec cette inhibition. Elle devrait pas exister.
- Je sais, mais c’est un processus logique, finalement, qui évite une surexpression : si tu ajoutes le gène, en trop d’exemplaires, la cellule s’arrange pour l’exprimer en réponse beaucoup moins. C’est vrai que ça favoriserait les tumeurs pour certains cas, mais tu as vu que c’est super régulable, donc le grand Messie des organismes doit savoir comment gérer tout ça.
- Ouais, et le grand Messie de l’estomac me dit qu’il est l’heure de manger et que je rentre. See ya, Larry.
- A cet aprem. »


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« Chéri ? Chéri !
- Je suis là, dans la petite chambre, Cillian dort, chut. »


A pas feutrés, Gwen pénétra dans son appartement, et tomba dans les bras de son mari.

« Tout va bien ?
- Oui, rien à signaler, enfin si : on m’a appelé pour une affaire à 16 heures. On a tout notre temps pour manger un bon repas. Je l’ai préparé, d’ailleurs et….oh nan, ça a crâmé. »


Jonas se précipita dans la cuisine, suivi de près par une blonde qui regardait d’un air las le plafond. Bah, il était fait comme ça, et elle l’aimait surtout pour ses défauts.

« Et toi, ta matinée ?
- La routine, on s’engueule avec Larry, gentiment, parce que je sens que je tiens mon scoop de post-doc, avec ça, à moi le poste de chercheur !
- Oula, me dis rien de plus, ça va me faire mal à la tête…en parlant de ça, c’était bizarre, ce matin, c’est comme si y’avait quelqu’un qui scannait ma tête. Tu sais, comme Phil, le télépathe. Ben pareil, sauf que Phil était pas là. »


Gwen écarquilla les yeux.

« Tu m’expliques comment tu peux le sentir ?
- Je sais pas, ça change les couleurs dans ma tête…elles bougent un tout petit peu avant de revenir à la normale, c’est un peu la marque du passage, je reconnais tous ceux qui essaient, tu sais ! Mais là, pft ! Impossible.
- Un super-télépathe alors. Bah. Il devait se tester. Ou alors il connecte que les mutants. Maintenant que tu le dis, quelqu’un a essayé de jouer à ça avec moi, ce matin, mais j’aime pas quand on joue avec ma cervelle, je l’ai expulsé.
- T’es la meilleure. Pas comme moi avec la cuisine. Ce riz est une catastrophe. »


Pour prouver ses dires, de sa fourchette, il sortit l’équivalent d’une brique d’Uncle Ben’s mal cuit, qui pourtant semblaient avoir passé un certain temps dans la casserole.

« Ah, les secrets de la cuisine m’échapperont toujours. C’est parce qu’il faut être attentif, et concentré. Et moi j…AAAAAAH »


Jonas était tombé par terre, les mains autour de la tête. Gwen se précipita vers lui.

« Chéri… ! »

Elle s’accroupit vers son mari, mais au même moment, l’attaque mentale la cibla, elle tomba sur les genoux, tentant de se concentrer. Il fallait qu’elle accélère, qu’elle devance les signaux qui avaient pris le contrôle de son esprit. Elle ferma les yeux, et força, força, durant des moments qui lui parurent interminable. Le meurtrier était d’une puissance incroyable, mais il ne pouvait pas changer la vitesse des impulsions neurales. Petit à petit, Gwen reprenait le contrôle, axone par axone, neurone par neurone, puis région par région. Puis le signal cessa aussi brusquement qu’il était apparu.

Jonas gisait devant elle, les yeux fermés, l’air apaisé. Elle se jeta sur lui en hurlant, mais rien n’y faisait. Il était mort. Elle attrapa sa tête, et le colla contre sa poitrine, en sanglotant. C’est à ce moment qu’elle aperçut une forme étrange sortant de la main du cadavre. Avec mille précautions, elle desserra les doigts, pour se retrouver avec un bout de papier, le quart d’une feuille normale, une de celles qui traînaient toujours sur la table de la cuisine pour que Cillian puisse jouer avec ses feutres.

Avec ses dernières forces, Jonas avait imprimé leur famille. En dessin. Lui, dégringandé, l’air ailleurs, elle, blonde comme les blés, souriante et énergique. Au milieu, un berceau, et dans le berceau, un visage aux grands yeux noirs.

Cillian se mit à pleurer. Mais Gwen n’arrivait plus à se lever. Elle coucha sur le dos le corps de son mari, embrassa sa dernière œuvre, et alla consoler son fils, en séchant ses larmes. Il fallait qu’elle comprenne.

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« Phil…Phil ! Réponds, bordel ! »


Les yeux encore rougis par les larmes, Gwen tambourinait contre la force de l’appartement du télépathe, son fils dans les bras.

« Ouvre ! C’est moi ! Gwen ! C’est important ! Jonas est… »


Un officier de Police lui ouvrit.

« Qu’y a-t-il ?
- Je dois parler à Phil Ernst, c’est urgent.
- Pourquoi le connaissez-vous ?
- Pourquoi mais c’est…un ami ! C’est le seul qui peut m’aider ! Je…
- Philippe G. Ernst est décédé il y’a une heure. Rupture d’anévrisme. Nous sommes là en enquête de routine, pour interroger les voisins, mais nous n’espérons pas grand-chose. Quoi qu’il en soit, vu le nombre de ces cas signalés aujourd’hui, on ne peut décemment pas passer beaucoup de temps sur lui. Nous sommes désolés. »


Gwen n’arrivait plus à prononcer le moindre mot. C’était prémonitoire. Jonas l’avait dit. Jonas sentait ces choses-là, dans son monde bariolé inaccessible, il savait qu’il se passait quelque chose.
Elle rentra chez elle en tentant de garder la tête froide. Fallait-elle qu’elle appelle la Police ? Non, ils ne serviraient à rien, mieux valait ne contacter qu’une ambulance, pour un simple malaise.
Avec les dernières forces qui lui restaient, elle souleva le corps de son mari, et le déposa sur le lit. Il semblait en paix, et, en pleurant, Gwen lui déposa un dernier baiser sur la joue. Puis elle retourna voir Cillian, qu’elle avait remis dans son lit.

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« Qu’est-ce que tu as, Gwen ?
- Jonas est mort, Larry. Quelqu’un l’a tué.
- Tué ? Mais appelle la Police, qu’est-ce que tu fais enc…
- Non, rien à voir. Pour un flic, il est mort, il n’a pas été tué. Tu n’as pas reçu une nouvelle d’arrêt cardiaque soudain, ce midi ?
- Si. Un ancien collègue, à Minnesota. Pauvre gars…il avait que trente-sept balais. Un brave type, un peu fêlé, j’avais toujours l’impression qu’il pouvait jouer avec la fum… »


Larry devint livide.

« Tu veux dire qu’ils ont tous été…mais tu es…
- …un peu spéciale. Mais je sais pas quoi faire, Larry. Comment je peux savoir s’ils ne recommenceront pas ?
- S’ils pensent que tout le monde est mort, ils ne recommenceront pas. Ce serait du gâchis.
- Mais s’ils savent que j’existe ?
- Ah, dans ce cas…faut que tu disparaisses. Attends la fin du boulot, je réfléchirai à un truc. En échange, tu m’expliqueras ta théorie des ARN antisens. Je te dois bien ça.
- Merci, Larry. »

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« Je t’explique. J’ai le passeport de ma femme et de mon gosse, sur moi. Je vais aller m’assommer avec un vieux tuyau, dans la ruelle derrière le ciné. Tu me piques mon portefeuille. Si on me retrouve, tu m’as attaquée pour prendre mes papiers, mais je le dirai pas avant 24 heures, soit le temps pour toi de quitter ce pays pourri et de mettre les voiles vers ailleurs, où tu auras déjà piqué un passeport – ou plusieurs, je te conseille même. Te connaissant, ça ne posera pas de problème. »

Tout en marchant, Larry expliquait son plan à Gwen. C’était assez étrange, mais la grande mince et le petit gros étaient devenus très proches pendant ces quelques mois, peut-être justement grâce à ces différences profondes. Et puis…Larry acceptait Gwen comme elle était, il l’avait deviné, pendant un petit exercice simple de réflexion. Il avait vu qu’elle avait été trop vite pour avoir fait tous les raisonnements.

« Là. Suis-moi.
- Attends, Cil veut quelque chose. »


L’homme rondouillard s’était engagé dans la rue pleine de détritus et de containers remplis à ras-bord de produits divers. Gwen s’arrêta pour murmurer quelques mots à son fils, puis reprit la marche, le tenant toujours fermement dans ses bras.
Elle était quelques mètres derrière Larry. Soudain, il s’écroula en gémissant, et une tâche brune commença à se répandre sur son dos. Gwen réagit.

Ils étaient trois. Un sur l’escalier, en hauteur, et deux devant eux. Ils arrêtèrent net tout mouvement, et celui qui se tenait près de la rambarde bascula et chuta sans pousser un cri. La Française ne savait pas quoi faire, elle enrageait, mais était trop paniquée pour penser à autre chose qu’à elle-même. Elle attrapa le portefeuille de l’homme désarticulé sur le sol, dans la doublure de sa veste, puis son arme, et la retourna contre les deux agresseurs. Elle s’approcha d’eux, et en tenant Cillian fort contre elle, elle les abattit tous les deux. Une balle chacun, dans le cœur, pile là où ils l’avaient tuée, elle, le midi.

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« Nous amorçons notre descente vers Buenos Aires. Nous espérons que vous avez fait un agréable vol.
- Vous n’avez besoin de rien, madame Grösser ?
- Nein, danke. »


Lors de ce vol, elle était Elfrida Grösser, accompagnée de Heinrich Grösser, son fils. C’était leur quatrième étape. Encore deux, et ce serait Paris. Après Paris, la Bretagne. Puis la délivrance, pour Cillian.
Elle ferma les yeux. C’était sa dernière tâche, mais elle devait la mener à bien. Elle devait être héroïque, pour la première et la dernière fois.
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