Apres la nuit.

Bart ouvrit les yeux. Il se trouvait sur un banc, au milieu d'un jardin public. Il avait passé la nuit ainsi, emmitouflé dans une couverture qu'il avait "emprunté" a l'Institut. Il n'était pas sur d'avoir dormi. Les patrouilles de police l'avaient plusieurs fois forcé de changer de lieu, et il lui avait fallu rester eveillé pour se réchauffer grace a sa capacité mutante. Il y avait donc du bon a etre un mutant, parfois. Disons, entre deux tentatives de meurtre.

Il avait consacré sa nuit a réfléchir a ce qu'il avait vécu dans la journée précédente. Il avait pour la premiere fois tenté d'utiliser sa capacité pour blesser un homme, sans succes. Il ne savait s'il fallait s'en réjouir ou non, mais il était sur qu'il lui fallait trouver d'urgence un moyen de rentabiliser ce pouvoir. De ce qu'il avait compris, les mutants étaient des cibles désignées de nombreux groupes et sectes extrémistes et ceux qui étaient incapables de se défendre devaient s'en remettre a d'autres et leur abandonner leur liberté, leur indépendance. Same old story, toujours les faibles doivent laisser les forts décider a leur place. Bart n'avait aucune envie d'etre un faible, il avait surtout la prétention d'etre un homme libre. Si cela devait passer par acquérir la capacité de tuer, il n'y voyait pas d'inconvénient.

La journée serait consacrée a des expériences. Il en avait déja certaines en tete. Il se leva et s'étira. Une vive douleur, relique de sa rencontre a force vélocité avec un tronc d'arbre, lui parcouru l'échine. Elle le poursuivrait sans doute quelques jours. Renoncant a quelques exercices, il opta pour une maniere un peu plus frustre mais tout aussi efficace pour ranimer ses sens : il se dirigea vers une petite fontaine et s'immergea la tete jusqu'au cou dans l'eau glacée. Il la retira bien vite en soufflant tout l'air qu'il pouvait : l'eau était si froide qu'il était surprenant qu'elle ne soit pas gelée. Dans ses vetements thermo mutano régulés par ses soins, il avait presque oublié la froideur de la saison. La premiere expérience fut donc peu concluante.

Il avait pietre allure : il portait encore ses vetements de la veille, ceux avec lesquels il s'était battu contre le professeur Layne. Il n'avait de toute maniere rien d'autre a présent que sa chambre avait été transformée en ruines. Ses yeux lourds lui donnaient un air de chien battu, et il devait probablement dégager toute sorte d'odeurs désagréables. Il n'en avait cure, de toute facon il n'avait jamais cherché a plaire aux gens et ce n'est pas aujourd'hui _ surtout pas aujourd'hui _ qu'il allait commencer. Il avait des choses a faire, avant tout combler ce vide en lui, cette sensation de n'etre rien, combattre cette sensation en se donnant substance, en se donnant existence. La meilleure facon que les hommes avaient trouvé pour se souvenir qu'ils existaient, et ce depuis la nuit des temps, avait été d'apposer son nom, sa marque sur un objet pour en faire sa propriété. Les objets qu'on possede finissent par nous posseder, il n'y avait rien de plus vrai. Bart s'avanca donc par la banque du centre commercial pour en retirer suffisamment de devises et ainsi se donner contenance, existence.

Alixtide s'éveilla guilleret d'un long sommeil réparateur dans les bras du gros Niko. L'Atomix avait roulé sur lui pendant la nuit, ce qui expliquait pourquoi Gargoyle avait retrouvé son côté gauche aplati comme une crêpe bretonne. Une fois que son sang eut irrigué à nouveau la zone sinistrée par le rouleau compresseur, le jeune rescapé de l'attaque se leva tout fourmilleux, rajouta quelques couches de vêtements au hasard sur lui, des paires de chaussettes et des chaussures au pied, et sortit du hangar quasi-vide.

Il mit glorieusement au fond d'une poche le tendre petit mot chéri laissé par Niko lors de son silencieux départ. Alixtide était confiant pour lui et Georgia. Des mutants comme eux ne craignaient rien, et Niko saurait fuir au moment opportun. Pour être sûr il demanderait confirmation à Madame Cassandre si jamais elle se réveillait vite.

Il fallait maintenant revenir à la plate réalité de sa tâche : les corvées. Contrairement à Georgia, Alixtide n'avait pas gagné en maturité en une demi-journée, il devait donc comme Camille s'astreindre à sa peine. C'était d'autant plus nécessaire que l'Institut était en ruine, et que les chochottes de filles ne feraient rien d'autre que poser leurs fesses sur le premier canapé qui passe.

Le jeune mutant, appelé par le devoir et la faim, mit son blouson, deux écharpes et son bonnet et partit directement pour le centre ville. Il se munit également d'une carte bancaire précieuse de l'institut réservées aux corvéables de courses.

*Purin il fait froid encore... Alors quoi prendre à penser ? Pour refaire les murs, de la peinture déjà. Pour diluer les corps, de l'acide, ou des pelles. Ce qui saura le moins cher.*

Il marchait tranquille, les mains enfouies dans les poches de son blouson, quand une odeur familière vint lui chatouiller les narines encore bouchées de sang sec.

Sueur, savane, mauvaise nuit, sang, chaleur fruitée africaine, effluves de vêtements imbibés d'action et de pouvoir de la veille... C'était trop mâle pour être Madame Fouba la prédatrice... Barthélémy !

Alixtide repéra la silhouette sombre du clochard-thermos, qui se dirigeait d'un pas traînant on ne sait où. Il l'interpela. C'était un brave type qui cadrait très bien avec la bonne humeur d'Alixtide.

"Hé Bart ! Ohé purin la chance que je te creuse ici. J'arrive bien là pour m'aider avec les corvées. J'ai toute une purin de liste qu'il faut acheter pour redorer l'Institut. Le plus urgent me paraît bien la peinture."

Son ventre gargouilla. Alixtide encore barbouillé de sang sec et de poussière avait presque le teint du congolais. Il huma l'air et observa la place autour d'eux.

"T'as mangé ? Par respect pour ceux qui causent leurs pertes on devrait rien prendre de trop cher et luxurieux. On ramasse la croute vite fait et on va au ventre commercial ça te va ? Purin j'aurai besoin de tes deux bras. Tu fais quoi depuis ici là ?"

Alors qu'il marchait d'un pas trainant vers le centre commercial, Bart' entendit un cri qui l'appelait. Une voix familière, qu'il ne s'attendait pas a trouver ici, une voix de l'Institut. Et pas une voix désagréable, c'était la voix d'Alixtide.

La premiere chose que nota Bart' fut qu'il n'était pas aussi éveillé qu'il le croyait, ainsi Alixtide était parvenu juste a coté de lui sans qu'il ne se rende compte de sa présence. Ses idées avancaient a la vitesse d'un tracteur diesel rhumatisant, mais il percu tout de meme le cri de détresse provenant du ventre d'Alixtide, auquel son propre ventre répondit, peut etre par politesse. Lui aussi était sur les crocs.

"Depuis que je suis la ? Ben je ne sais pas trop. J'ai passé la nuit ici. Et non, je n'ai pas mangé. Ca te dis ?" dit il en avisant une épicerie, a quelques pas. Il pris conscience un peu tard qu'il venait de proposer au pire compagnon de table de l'Institut de casser la croute ensemble, mais ce n'était pas grave. Tant que la distinction entre les assietes serait respectée.

"Mais dis, tu penses encore aux corvées ? La moitié de l'Institut est par terre, ce qu'il te faudrait c'est un bulldozer, pas quelques pots de peinture. 'fin, tu fais comme tu veux. Moi aussi j'ai des courses a faire, de toute manière."

Alixtide soupesa du regard la proposition de Barthélémy, préférant dans son for intérieur un bon vieux fast-food à l'épicerie supermarché désignée. Le camarade avait des goûts de luxe, heureusement que le Breton tenait les cordons de la bourse. Il répondit en soufflant dans ses mains.

"Oh ben les bulldoseilles sont tous partis en France ou autre. C'est ça le problème. Il ne reste plus que ceux défaillants inutiles. Mais purin bien sûr ! On va faire commande d'ouvriers et de machines... Des porfessionnels viendront faire les travaux. Reste donc plus donc qu'à acheter la peinture."

Une entreprise du bâtiment serait sans doute ravie de décrocher un tel contrat. Alixtide décida de prendre en main cette affaire aussitôt rentré à l'Institut. On ne pouvait pas compter sur la psychologue pour le management de la reconstruction et la gestion des stocks.

"Tu dois acheter quoi ? Des vêtements non ? T'as pas beaucoup de couverture là..."

Il entraîna le Congolais dans l'épicerie où il faisait déjà plus chaud. Il sortit la carte bancaire de sa poche et avisa le jeune homme.

"Prends les trucs pas chers qui sont les plus bas des crayons. Si tu vois des fruits pourris tu m'appelles tout de suite s'il te plaît ? Ou mieux tu les prends."

Pour sa part il se mit en quête de dates de péremption dépassées dans les rayons des viandes et des laitages.

"Hé Bart ! C'est qui ton meilleur ami à l'Institut ? Ou à défaut le mu... surdoué que tu préfères ?"

Mieux valait rester discret, la caissière de service rôdait dans les parages.

"Je propose qu'on repeigne tout en rouge sang, ca fera moins tache au prochain apocalypse", grogna Bart' dans sa barbe. Il n'était pas suffisamment reveillé pour supporter la lumière agressive qui reignait dans ce supermarché. Bordel, n'y a t il aucune pitié pour les insomniaques, dans ce bas monde ? Tout en se baladant un peu au hasard parmi les rayons, il répondit a son camarade :

"Des fringues, un peu de matos pour vivre, pour se laver... heu, enfin, tu vois ce que je veux dire, non ?" A la réflexion, rien n'était moins sur, car la perspective de passer les prochaines semaines sans affaires de rechange et sans savon ne devait pas avoir le meme visage pour Bart' ou pour Alixtide. "On a tout perdu dans l'effondrement, et je sais pas toi, mais moi j'ai pas envie d'attendre que l'armée du salut vienne nous distribuer deux pullover et un jean troué chacun. Alors je fais chauffer la carte. Ca sert d'avoir des parents friqués et lointains."

Il se penchait pour suivre les recommandations de son collegue et découvrit tout un monde de promo discretes et de produits a bas prix. Il choisit notamment une sorte de brioche plus ou moins agrémentée de fruits secs. Il en prit plusieurs, apres tout si personne ne pensait a nourrir l'Institut, il n'y aurait plus aucun intéret a le rebatir. Enfin, avisant une jeune employée a l'air pas trop fine, il lui demanda, par acquis de conscience : "Dites, vous auriez pas des fruits pourris, par hasard ?" Devant le regard d'ovin alpin a l'approche du prédateur lupin que lui offrit l'employée, il préféra baragouiner un "c'est pas grave, on trouvera ca tout seuls" et passer son chemin.

Il arriva finalement a la caisse avec suffisamment de victuailles pour nourrir la moitié d'un régiment de fourmis rousses, c'est a dire pas grand chose, mais mieux que rien. Alixtide était en vue, et il répondit a sa derniere question :

"Mon meilleur ami ? Ah tu me pose une colle, vieux. T'a jamais fait gaffe ? Je suis pas ce qui se fait de plus sociable parmi les mut'... hem, parmi les sous doués de l'Institut. Mais si tu veux vraiment une réponse, je m'entend bien avec Math, on partage _ heu, partageait _ une chambre. Et toi je t'aime bien, p'tetre parce que t'es le premier a qui j'ai parlé ici." Pour une fois, il n'avait eu aucun besoin d'ajouter un sourire hypocrite pour accompagner ces mots. Et de toute facon, ses zygomatiques n'étaient pas encore sortis du pays des reves.

"Et pour les fruits pourris, t'inquiete. J'ai mon idée," termina t il mystérieusement.

On paye et => Centre commercial ?