Les choses à plat...

Jade déambula un moment dans les couloirs de l'Institut, s'arrêtant ça et là sur un mur pour reprendre ses esprits. Les images de la torniole qu'elle venait de mettre à Iacobo lui revenait en tête sans cesse comme si elles suggéraient qu'il manquait une partie à l'action, comme... la tête qui se serait décollé du reste du corps pour rouler piteusement sur le sol. Il aurait vu à quel point il était ridicule, à quel point il devait se taire, à quel point il n'avait aucune raison de rabaisser tout le monde, tout le temps...

A force de ne savoir où elle allait, elle fini par se laisser glisser le long du mur du couloir pour s'asseoir par terre, tranquillement. Le doute la prit...

Et si... Et si il avait raison et que l'attitude de Jade était irrespectueuse. Au fond, elle aurait peut être réellement dû rester cloitré dans sa chambre pendant tout ce temps, à pleurer et à ne penser qu'à Lyu. Peut être était ce là la marque du respect le plus total envers son ancien petit ami, mort au combat pour la cause mutante.

De plus, certaines conclusions à laquelle elle avait fini par aboutir suggéraient qu'elle pouvait être coupable de beaucoup de choses...

Non! Iacobo ne pouvait pas avoir tord! le monde ne pouvait pas être aussi horrible que ça... Elle avait besoin de sortir toutes ces pensées qu'elle avait en elle depuis tout ce temps, d'en parler. Cependant, la jeune fille avait peur de ne pas pouvoir poser de mots sur ce qu'elle ressentait.

Depuis le temps qu'elle en avait le projet, il fallait qu'elle aille voir mademoiselle Deneos. Elle pourrait surement l'aider, même après le cataclysme qu'avait provoqué Iacobo quelques minutes auparavant. La Française lunatique se releva alors, avec enfin en tête, un lieu vers lequel se diriger.

Elle arriva bientot devant la porte de la psychologue.

*Elle doit être vachement occupée en ce moment...* Songea t'elle.

Après quelques secondes d'hésitation, le point levé, prête à faire connaitre sa présence, elle frappa enfn à la porte.

Bureau de Vadim

Cassandre sortit du bureau de Vadim un peu plus frustrée que lorsqu'elle y était entrée. La conversation avec ses collègues, bien que plaisante, n'avait en rien apporté un nouvel éclairage sur son tourment intérieur, mais l'appel d'Yrianna n'avait pas manqué de lui rappeler son inutilité ; se retenant d'utiliser son pouvoir, la psychologue avait laissé Esther se rendre sur place pour juger de la situation. C'était sûrement mieux ainsi... Quand bien même le visiteur aurait été hostile, qu'aurait-elle fait ? Trouver le possible le plus propice à son expulsion de l'école, tout en sachant que cette décision lui reviendrait tôt ou tard comme un boomerang ? Ou alors laisser les choses se dérouler d'elles-mêmes ? Dans les deux cas, elle aurait été coupable.

Avançant lentement dans le couloir, la non-voyante s'attarda mentalement sur la discussion qu'elle venait d'avoir avec les deux nouveaux professeurs. Le professeur Bateson, dénominateur commun outre leur passé militaire, semblait avoir marqué particulièrement Esther et Vadim. Ses travaux étaient ambitieux... Mais il n'y avait pas que cela. Sa fibre humaine semblait également y être pour quelque chose, à en croire les souvenirs que les deux professeurs avaient échangés, et la nostalgie qui se dégageait de leurs voix.

Ce n'est que lorsque sa canne toucha les jambes de Jade que Cassandre sortit de ses pensées. Ne s'attendant pas à trouver quelqu'un devant son bureau, elle eut un léger mouvement de recul.

"Oh, pardon..." dit-elle simplement. Elle prit quelques secondes pour se concentrer sur son odorat.

"... Jade, c'est toi ? Je peux faire quelque chose pour toi ?" conclut-elle après avoir déchiffré le parfum de la jeune fille.

Jade était tellement concentrée sur la porte qu'elle s'attendait à voir s'ouvrir, qu'elle failli tomber de surprise lorsque la canne de la psychologue vint heurter ses jambes. Plus de peur que de mal, cependant. Elle regarda avec stupéfaction celle qui, malgré sa cécité, venait de la reconnaitre sans qu'elle n'ait encore fait quoi que ce soit. Peut être avait elle eu la vision de son arrivée... C'est ce qu'elle fini par supposer, ne connaissant pas en détail le fonctionnement des capacités de Cassandre.

"Oh! Heu... Bon... Bonjour mademoiselle!" Bégaya la jeune Française. "En fait, je venais pour... Enfin... je me suis dit que... peut être... je pourrais... enfin..."

Maintenant qu'elle se trouvait devant les faits, la voila qui hésitait. Elle commença à rougir. Elle avait honte, mais ne savait pas de quoi. De surcroit, à voir l'air maussade qui ornait le visage de la psychologue, ce n'était peut être pas le moment de la déranger avec ses problemes qu'elle n'était pas fichue de gérer toute seule... Jade souffla profondément.

"En fait je voulais vous voir!" Reprit elle enfin, plus calmement "Disons qu'il y a un certain nombre de choses qui me trottent dans la tête depuis un petit moment et... je crois que j'ai besoin de réponses et d'éclaircissements."

Sa formule faisait un brin cliché, mais elle ne savait pas vraimet comment expliquer sa démarche sans trop en dire. Un nouveau regard à la psychologue lui donna légèrement l'impression d'abuser. Elle rougit de nouveau en conséquence.

"Hum... Vous allez bien?" Elle hésita à lui demander si elle voulait en parler, mais la situation risquerait d'être quelque peu incongrue. "Je... je vais revenir plus tard peut être... Ce serait peut être mieux..."

Jade paraissait particulièrement fébrile, si bien que la psychologue se demanda ce qui avait bien pu la mettre dans cet état. Elle se garda bien cependant, de trouver elle-même réponse à cette question.

Cassandre hocha doucement la tête et se contenta d'ouvrir la porte du bureau, puis d'inviter la jeune fille à y entrer. Les mots de Jade accentuèrent le trouble intérieur de la Grecque : des réponses, des éclaircissements... Il lui semblait qu'elle était bien mal placée pour les lui fournir.

"Tu es la bienvenue, Jade." répondit-elle simplement avec une expression qui se voulait encourageante. Après tout, si la jeune fille était là, c'est que quelque part, elle lui faisait toujours suffisamment confiance pour solliciter son aide. De plus, se plonger dans le travail détournerait sûrement son esprit de toute autre considération, du moins l'espérait-elle, comme à chaque fois qu'un coup dur survenait.

"Je t'en prie, installe-toi." dit-elle en entrant elle-même dans le bureau. "Qu'est-ce qui te préoccupe ?"

Cassandre l'invita cependant à rentrer. Jade ne voulait pas déranger, mais la psychologue se voulait avenante, elle était tout de même disposée à prendre la discussion. Elle n'avait pas l'air bien, ca se voyait sur son visage, mais Jade n'insista pas sur ce point et entra. Depuis le temps, c'était la premiere fois qu'elle mettait les pieds dans cette pièce. A vrai dire, elle n'avait jamais réfléchi à sa disposition, mais à première vue rien ne la choqua. Tout semblait en harmonie avec la personne qui investissait les lieux. Comme celle ci le lui priait, Jade s'installa donc sur un des coussins qui ornaient le sol. Elle prit le temps d'observer la pièce de long en large, le temps que la psychlogue s'installe à son tour.

La jeune Française était assez confiante pour commencer, mais le serait elle assez pour continuer? A voir... Mais déja, par quoi commencer? Beaucoup de choses trottaient dans sa tête, galoppaient même, mais tout manquait d'ordre si bien qu'elle ne savait pas si une chose était plus importante qu'une autre pour la compréhension du tout.

Une fois que la professeure fut prête, elle commenca parce qui lui sembla devir venir en premier.

"Vous savez, j'ai toujours considéré ma mutation comme un don. Je dois tenir ca de mon enseignement catholique, je suppose. Mais de toute manière j'ai perdu ma foi en Dieu au même moment que je perdais ma foi en l'Humain."

Cela correspondait au début de son abandon parental et de son déclin social par rapport à sa mutation. C'est ainsi que sa mutation devint sa force et sa fierté et ce pendant longtemps.

"Mais aujourd'hui... Je me fais peur..." Ajouta t'elle d'une voix plus ethérée.

Le moment de la révélation approchait et le stress montait. Elle ne savait pas comment annoncer la chose à la jeune femme. Comment allait elle le prendre? Peut être allait elle lui hurler de s'en aller, ou lui donner des coups de canne en proférant des "Vade Retro!"

Le mieux était encore de le dire simplement. Elle inspira un bon coup

"Donc voila... En fait... En fait je crois que tout ce qui est arrivé... C'est de ma faute..."

Cassandre replia silencieusement sa canne qu'elle posa près du coussin sur lequel elle s'était installée. Captant les mouvements de Jade, elle se tourna dans sa direction approximative sans pour autant chercher à la "regarder".

Puis la jeune fille prit la parole. Les démêlés familiaux de Jade ne lui étaient pas étrangers, aussi ne fit-elle aucun commentaire, sentant bien qu'elle n'avait pas terminé. Mais qu'avait-il bien pu se passer qui justifie cette crainte d'elle-même ? Contrairement à certains élèves, le pouvoir de Jade n'était pas particulièrement dangereux, étrange et ne suscitait pas le dégoût.
Patiente, Cassandre inclina légèrement la tête sur le côté... mais la révélation de la mutante la laissa bouche bée.

Comment Jade pouvait-elle se croire responsable des dernières horreurs qui leur étaient arrivées ? Interloquée entrouvrit légèrement la bouche sans savoir quoi dire. L'attaque de l'Institut, la mort de River... C'était là les premières choses qui s'étaient imposées à son esprit. Elles ne demandaient en réalité qu'une pinchenette pour ressurgir. Mais en réalité, ce n'était que le reflet de sa propre culpabilité. De quels événements parlait véritablement Jade ? La mort de Lyu ? La psychologue n'en avait aucune idée et avait sauté sur une conclusion hâtive.
Troublée, elle tenta de se ressaisir, l'esprit perdu quelque part entre le rire hystérique et les larmes acides. C'était abérrant ! Comment cette jeune fille inoffensive aurait-elle pu être responsable de quoi que ce soit... Et à plus forte raison sans qu'elle, Sibylle, n'en ait rien su ?

Elle posa son communicateur près de sa canne sans écouter le message qu'il diffusait.

"C... Qu'est-ce qui te fait croire une telle chose ?" finit-elle par articuler, laissant traîner dans sa question un accent grecque plus marqué que d'ordinaire.

Jade se tut un moment afin de laisser la psychologue digérer cette première information. Après les faits, les explications suivraient. Elle-même avait eut un sacré moment de recueillement lorsqu’elle en était arrivée à cette conclusion. Cassandre semblait en effet bien mal à l’aise face à ce que Jade venait de lui dire. Peut être qu’elle savait… Peut être qu’au fond elle l’avait toujours su, mais qu’elle ne pensait pas que Jade découvre le fin mot de l’histoire. L’hypothèse paraissait incongrue quand on notait que celle dont il était question était la voyante la plus efficace du monde, et la moins escroc de surcroit. Mais tout ca, tout ce qui c’était passé, c’était impossible que ce soit le fruit d’une coïncidence. Ca ne pouvait donc qu’être ca…

Leur communicateur lançèrent un message au même moment. Il y était question de manger. Jade n’avait vraiment pas faim… La psychologue sembla de même peu s’intéresser à ce message puisqu’elle se débarrassait de son communicateur à coté d’elle et finit par parler. Le ton de sa voix était aussi troublé que son expression le montrait. Elle savait, c’était sur… La jeune fille reprit alors le cours de son sujet, d’une voix pas plus assurée que précédemment.

"Je sais que certains mutants ont des doubles pouvoirs, des capacités jumelles , des trucs comme ca. pour moi c'est déja un peu le cas, avec mes bulles de lumière et celles de... ténèbres" Elle insista bien sur ce dernier mot, comme si elle hésitait à l'utiliser, mais qu'en même temps il était essentiel. "En fait je crois que ces deux capacités n'en forment qu'une seule, mais que j'en ai bien une deuxième et que cette deuxième ne se voit pas. Pas à l'oeil en tout cas... et qu'elle est directement liée à l'utilisation de l'autre."

Elle fronça les sourcils et regarda Cassandre d'un air inquiet. Elle n'était pas certaine d'une part que celle ci ai bien suivi ce qu'elle essayait de dire. Mais comme elle partait du principe que la professeur était déja au courant, elle essayait plutôt de détecter une réaction sur son visage, qui la confirmerait dans ses pensées. Elle cherchait du soutien à sa théorie, qu'elle n'ai pas l'impression d'être ridicule. Sans avoir de certitude, elle reprit cependant.

"Et donc... je crois que cette deuxieme capacité agit comme... une contrepartie, je dirais. Une contrepartie à mes actions et à l'utilisation d'un type de 'bulle' plutot qu'un autre... En fait, depuis que je suis à l'Institut, j'utilise beaucoup mes bulles comme... un jeu, j'en jète à droite, à gauche, de temps en temps, et machinalement, presque tout le temps des 'bulles ténébreuses'. Et je crois que c'est là qu'est le problème. J'ai été inconsciente et imprudente..."

Jade s'interrompit une nouvelle fois, toujours pour observer les réactions de son professeur. Elle avait été plus rapide qu'elle ne l'aurait cru à aller droit au but, même si elle restait plutot évasive. Les larmes montaient et coulèrent même, rapidement. Jade avait honte... Honte de ce qu'elle pouvait être vraiment. Honte d'avoir été imprudente, de continuer à l'être. Honte d'être encore en ces lieux où elle jouait probablement avec la vie des autres. Elle se contenta de pleurer, encore, comme elle savait si bien le faire... Elle regarda Cassandre d'un air de détresse, les yeux inondés:

"C'est possible qu'on puisse avoir un pouvoir dont on ne soupçonne pas l'existence mais qui affecte les autres autour de soi?" Demanda t'elle en sanglotant.

Anxieuse, la psychologue se tut, pendue aux lèvres de Jade. On aurait sûrement pu lire l'incompréhension sur son visage grave si ses lunettes ne masquaient pas partiellement son expression.
Le souvenir des frères LeBrehan s'imposa à son esprit lorsque Jade entama ses explications. Des capacités jumelles... A chaud, Cassandre n'avait souvenir que de ces deux mutants, et encore, leurs capacités n'étaient pas réunies en une seule personne. Seule Jade à l'Institut du moins, était dotée de cette dualité.
Si l'enchaînement des idées était compréhensible, Cassandre ne comprenait pas ce qui avait pu éveiller chez la jeune fille un tel raisonnement... et surtout comment l'équipe pédagogique mutante aurait pu passer à côté d'un tel phénomène.

"Mais... quelle mutation secondaire crois-tu posséder, Jade ?" s'enquit-elle finalement, à défaut d'utiliser son pouvoir pour en avoir le coeur net.

"Eh bien... Je dois dire que la technicité des pouvoirs est plutôt le domaine d'Adam et Olivier... Le plus souvent, ils sont actifs, mais certains sont passifs, comme pour Alixtide par exemple."

Et si l'odeur d'Alixtide affectait effectivement son entourage, il en était lui bel et bien conscient.

"... Je ne crois pas avoir entendu parler d'un pouvoir qui affecterait autrui sans que personne ne puisse en percevoir l'influence. S'il y a une personne à qui elle n'échapperait pas, en tout cas, c'est bien Cérébra. Elle a été conçue pour ça." ajouta-t-elle avec quelques instants de réflexion.

Jade sécha ses larmes. Pleurer n’était pas le meilleur état pour une discussion. Elle réfléchit quelques secondes. Rien! Cassandre ne semblait pas vouloir lâcher le morceau. Pourtant, elle ne pouvait pas ne pas savoir… Elle qui savait toujours tout… Et si… Et si, justement, elle savait qu’il n’y avait rien à savoir ? Après tout, Jade avait ruminé ses idées toute seule pendant plusieurs mois! Cassandre demanda plus de précisions sur ce que Jade pensait être la cause. Oui! Cassandre pourrait surement l’aider à tirer les choses au clair. Jade reprit donc les explications d’une voix moins désespérée.

"En fait…" Dit elle en séchant une dernière larme. "Je crois qu’en utilisant mes boules sombres, j’attire le malheur autour de moi. Et réciproquement avec les boules de lumière. Seulement, je m’en suis pas rendu compte assez vite. J’ai joué avec ca et j’ai… tué des gens... Mais je vous jure ! Je voulais pas, je l’ai pas fait exprès !"

La fin de son explication était de plus en plus rapide, comme si elle avait peur que Cassandre ne la batte à mort avant qu’elle n’ait pu exprimer ses regrets. Une fois fini, elle regarda Cassandre dans les yeux attendant une réaction de sa part.

"Je sais que ca à l’air fou ! Mais… ma tante, la seule de ma famille qui ait toujours cru en moi, qui meurt quelques temps après mon arrivée à l’Institut… Lyu et… tous les autres… à peine quand je reviens à l’Institut, eux aussi... Tous ceux auxquels je m’attache et qui s’attachent à moi… Ils meurent les uns après les autres…"

Alixtide ! S’il y avait bien une personne que Jade croyait maudit à son arrivée à l’Institut, c’était bien lui. Pourtant, si ce qu’elle croyait s’avérait vrai, les autres devraient, elle aussi, l’éviter comme la peste. Elle s’imaginait déjà les regards dégoutés des gens et les messes basses lorsqu’elle passerait dans les couloirs de l’Institut, si cette histoire se savait. Même tout les amis qu’elle s’était faite, qu’elle adorait, comment pourraient ils lui pardonner d’exister et d’être parmi eux, alors qu’elle les mettait tous en danger par sa présence ?

"Pourtant j’ai essayé de rectifier mes erreurs. J’ai arrêté de jouer avec mes pouvoirs ou d’utiliser la lumière au maximum, mais… rien n’y fait. J’peux pas réparer mes erreurs… Alors, ces derniers temps j’me dis… que peut être… je devrais partir loin ! Loin d’ici et apprendre à contrôler cette contrepartie sans mettre les gens que j’aime en danger. Et quand je serais prête et que je serais plus un danger..."

Elle releva la tête et esquissa un sourire qui se voulait rassurant à la psychologue.

"… I’ll be back !"

Mais la psychologue introduisit un personnage dont Jade n'avait pas inclut dans son équation: Cérébra! Si quelqu’un, plus que Cassandre probablement, ne pouvait pas se tromper sur ce genre de choses, c’était Cérébra. Jade resta la bouche ouverte quelques secondes, ne sachant pas quoi dire. Devait-elle se réjouir de ne pas être la cause de tout ca, ou sonner l’alerte rouge que Cérébra était en panne ?

"Cérébra ? Vous êtes sûre ?" Dit-elle enfin "Elle… ne peut pas se tromper?" Une lueur d'espoir pouvait se lire dans ses yeux.

Il aurait été tellement plus simple que quelqu'un, en l'occurrence Jade, soit effectivement responsable des événements tragiques qui avaient frappé l'Institut... Mais il n'en était rien. Cassandre ne pouvait que ruminer ses sombres remords, seule.
La psychologue finit par reprendre la parole, avec un léger sourire rassurant :

"Rassure-toi, Jade, tu n'as rien à voir dans ce qui s'est passé. Nous voudrions tous pouvoir mettre une raison ou un nom sur la mort de nos proches... Pouvoir l'expliquer. Mais il n'y a rien à expliquer, c'est ce qui la rend si intolérable. Tout ce que nous pouvons faire, c'est l'accepter, et continuer de vivre malgré tout." répondit la jeune femme. Maintenant ou plus tard, leur destin était déjà gravé dans le marbre...

"Cérébra ne peut pas se tromper sur l'analyse des gènes mutants. Si une autre mutation avait été décelée chez toi à l'heure actuelle, nous en aurions été informés. Tu n'as rien à te reprocher." dit-elle, ses paroles résonnant avec amertume dans son propre esprit.

Cassandre hocha pensivement la tête aux paroles de Jade. Elles abordaient le coeur du problème.

"Le deuil ne prend pas forcément l'apparence d'un brassard noir visible avec les yeux. C'est un cheminement intérieur dont le rythme est personnel. L'image que tu peux renvoyer aux autres n'a aucune importance, tu n'as pas de comptes à rendre, Jade." lui assura la psychologue. Deux mois s'étaient écoulés, et il y avait aucun de réactions face aux événements survenus, aux morts, que de résidents à l'Institut.

"L'essentiel est que tu sois en paix avec toi-même." ajouta-t-elle légèrement plus bas, en tournant la tête vers la fenêtre, l'air absent. Pour une fois, il n'y avait là aucune manifestation de pouvoir, mais plutôt un profond désir de dissocier sa personne de leur sujet de conversation. Tentative avortée par la dernière remarque de Jade.
Cassandre entrouvrit la bouche, prise à contre-pied par cette dérive intime du sujet puis la referma aussitôt tout en se levant avec précaution. Esther, maintenant Jade... Elle devait foncièrement faire pitié à voir.

"Ne t'inquiète pas." dit-elle simplement, coupant court à l'aspect personnel de la conversation tout en interprétant ce changement de sujet comme son point final. Elle avait toujours eu horreur de parler d'elle, chose qu'elle avait presque toujours réussi à éluder depuis son arrivée à l'Institut.

Pas de compte à rendre. Oui ! C’était bien vrai après tout. En quoi pouvaient-ils savoir ce qu’elle ressentait au fond d’elle. Les événements avaient touché tout le monde, mais tout le monde d’une manière différente, à des degrés différents, et jusqu’à preuve du contraire, tout le monde avait la liberté de combattre ses démons de la manière dont il l’entendait… Et en l’occurrence, pour Jade, une bonne partie du travail était fait, et ce, grâce à Cassandre.

Manifestement, cette dernière avait elle aussi ses problèmes, et il devait être temps de prendre congé. La supposition semblait être exacte, puisque Cassandre ne voulait manifestement pas parler de ce qu’elle ressentait. Jade se disait que ca lui aurait peut être fait du bien, pourtant, mais trois minutes plus tôt, c’était Jade qui déballait ce qu’elle avait sur le cœur, il ne fallait pas inverser les rôles. Si Cassandre avait besoin de parler à un moment ou à un autre, elle ne choisirait surement pas une ado de dix-sept ans paranoïaque. Elle était assez grande et expérimentée pour savoir ce qui était bon pour elle.

Jade fixa la psychologue alors qu’elle lui assurait de ne pas s’inquiéter. Jade lui répondit par un sourire, lui signifiant au passage que sa mission était accomplie et ce, même si théoriquement, la psychologue ne pouvait le voir..

"Bon…" Dit elle en se levant "Je vous remercie, vraiment ! Je vais pas vous déranger plus longtemps, mais en tout cas vous m’avez vraiment aidé. Je crois que c'est à moi de faire la suite du travail"

A ces mots elle failli lier le geste à la parole et serrer la psychologue dans ses bras. Mais il fallait respecter le protocole et éviter au passage de l’effrayer. Puis, prise tout de même dans son élan émotionnel elle ne put s’empêcher d’ajouter :

"Merci pour tout ce que vous faites ici!"

A ces mots, elle se dirigea vers la sortie espérant que ces derniers mots l’aideraient à se sentir mieux. Une chose lui vint en tête et qui pourrait être plus efficace.

"Oh et hum… Vous inquiétez pas pour Jess! On s’occupera bien d’elle!"

Puis elle quitta la pièce, le sourire aux lèvres et l’esprit plus léger.

La tension de Jade semblait s'être dissoute. Malgré ses propres doutes, la non-voyante semblait encore pouvoir aider les élèves apparemment.

"Courage, Jade." répondit doucement la jeune femme. Surprise par ses remerciements chaleureux et sa dernière remarque, Cassandre resta silencieuse, laissant la porte se refermer sur la jeune fille. Jade semblait sincèrement préoccupée par son état d'esprit. Cette innocence de l'âme était aigre-douce. Bien que Cassandre se soit toujours efforcée de traiter équitablement tous les élèves sans exception, il ne faisait qu'assez peu de doute sur l'affection qu'elle portait, avec toute la réserve qui la caractérisait, à Jessica. C'est à contre-coeur qu'elle avait laissé Sahari la sélectionner chez les OryX, sachant toutefois que sa collègue saurait la protéger, physiquement. La protection affective qu'avait pu lui prodiguer Cassandre lorsque Jessica s'était retrouvée sans rien ni personne à San Francisco... l'adolescente n'en avait plus besoin.
Les OryX s'occuperaient bien d'elle. Elle serait entourée. Une nouvelle page se tournait pour la jeune fille, une page où Cassandre n'avait pas réellement de place. Mais qu'espérait-elle après tout ? Psychologue, c'était tout ce qu'on lui demandait à l'Institut.
Si les paroles de Jade la confirmaient dans son appréciation de la situation, elles ne faisaient que jeter du sel sur une plaie à vif.

La psychologue poussa un soupir las, ramassa sa canne, et quitta le siège de sa fonction, comme pour se débarrasser un instant de cette fatalité qui plus que sur ses épaules, pesaient sur son coeur.

Salon