Le sourire d'Hélios

[ Saut temporel]

Il profita de la protection que lui octroyait l’austérité de la nuit pour s’adonner aux délices de la débauche. L’alcool savait, après tout, le réconforter bien mieux que son prochain. Il jouissait de sa condition pour ne pas tenter une vague de dissuasion malpropre émergeante d’une hostilité évangélique tronquée par des idéaux de pureté. Il rappelait aux optimistes la dureté du quotidien et, dans son ivresse prétentieuse, il confortait les pessimistes pour les raviver d’une combativité oubliée. La veille, Daedalion se savait imbibé. Le jeune homme connaissait les symptômes qu’il accueillait toujours d’un rire stupide. Il eut du mal à trouver le sommeil tant ses sens s’amusaient à le taquiner. Mais lorsqu’il sombra dans les bras de Morphée, aux côtés de Dionysos, il se souvint de sa fureur. Tel un poing l’assaillant en pleine poitrine pour bousculer son cœur, il fut frappé par ses démons qui riaient de sa prochaine hibernation. Ils moquaient sa corruption d’un doigt inquisiteur pour lui rappeler son effroyable aveuglément. La misanthropie n’est pas une tare, elle exprime la lucidité des cyniques.

Au réveil, Daedalion se traîna jusqu’à la douche où il s’éternisa. Son mal de crâne s’apaisait au contact des gouttes chaudes qui s’écrasaient sur son corps ; les vapeurs épaisses l’isolaient dans leur nuage, l’enveloppant dans leurs bras pour lui offrir une étreinte immatérielle. Il s’imaginait seul, délivré des contraintes de sa condition malsaine. La hiérarchie ne tentait plus de l’endoctriner dans une sociabilité qui n’était plus sienne. Les autres comprenaient son exil vers ses contrées minoritaires où sa stupidité n’était pas perçue pour son apparence, mais ce qu’elle s’efforçait à dévoiler.

Une fois séché et habillé, Daedalion sortit au plus vite des murs de l’Institut pour profiter du jardin. Il s’alluma une cigarette, déambula difficilement sur la pelouse pour s’y écraser prés du portail. Le regard tourné vers le ciel, il s’amusa du soleil qui, lorsqu’il s’enlisait dans ses périodes de doutes, lui souriait ses espoirs et ses rêves les plus fous. Il se promit de faire des efforts, mais se jura de ne jamais s’oublier. Il défendrait la controverse pour se prouver son existence, la seule façon qu’il connaissait pour s’exprimer.

Daedalion dut s’admettre sa propre stupidité. Rester prés de la grille impliquait bien des devoirs déplaisants, dont l’accueil, cette besogne ingrate qui consistait à accueillir les itinérants en quête d’un toit. L’apparition de Cerebra l’informa de l’arrivé de deux énergumènes, mais, comme si Fortune s’était décidée à le gâter, la femme fut présentée comme Madame Beccaria, génitrice obligatoirement défaillante de Gorgia la volage. Bien qu’étant l’une des personnes les plus orgueilleuses de la planète, il estimait ce présent des Dieux bien trop important pour lui être accordé. Habité d’une force nouvelle, il se leva, s’épousseta de quelques saletés, et alla à la rencontre des deux arrivants. « Bonjour, répondit-il à l’adulte, je m’appelle Daedalion March et j’étudie ici ». Le jeune homme semblant bien plus pressé, il estima nécessaire de calmer ses ardeurs. « Ho ralentis, lâcha-t-il, cool. Le directeur fait le tour du monde, Gorgia est partie en… vacance scolaire avec son professeur référent et l’adjoint à la direction aussi ». Le dandy se gratta la tête en s’écoutant parler, autant d’absence sonnait louche. Il reprit : « Ce que je peux faire c’est vous amener à mon prof référent, Mlle Marcin. Je suppose que c’est elle qui est en charge puisqu’elle a plus d’ancienneté que le poupon qui polit sa roche continuellement. Bon suivez-moi, et si vous avez des questions n’hésitez pas ».

Il fit demi-tour et se dirigea vers l’entrée. « L’institut fut fondé il y a tout juste un an par Mr Fleury, Mlle Deneos et Mr Zachary. Il s’agit d’un internat pour mutant qui a pour vocation de nous aider dans l’épanouissement de nos pouvoirs. Pour ma part je peux matérialiser des visages dans des saucisses. Ce n’est pas très utile, mais ça rend les hot dogs plus savoureux. Sur votre gauche, il tendit sa main, le mémorial de l’institut. On le voit mal d’ici, mais c’est là que gisent tous les cadavres de mes anciens camarades tombés suite à divers incidents. Notre taux de mortalité est élevé, mais vous remarquerez que ça n’ôte en rien le sourire des élèves ». Pour bien prouver son point, il tourna rapidement son visage vers ses auditeurs et montra un rictus digne de Rachel. « L’infirmerie se trouve dans les sous-sols, dit-il, l’air toujours oisif, Madame Beccaria, si vous voulez y déposer les pilules pour votre fille, nous pouvons toujours y faire un crochet. Elle est près de la salle des dangers que vous ne pourrez pas voir pour des raisons évidentes ». Il approcha son visage de Garcia et lui murmura, « c’est dangereux » comme s’il le prenait pour quelqu’un de lent. Enfin à destination, il ouvrit la grande porte menant au Hall et déclara d’un ton solennel : « Ce n’est pas aussi catastrophique que ça, rassurez-vous, nous avons toujours du rab à la cantine ».

[ Là où se trouve Carrie]