La génitrice, le chapeauté et la dragonne.

Il fallait se savoir facétieux pour apprécier son propre humour. Mais, quand cette suffisance taquine était atteinte, on pouvait aisément se passer des esclaffes de l’audience pour jouir de sa finesse dans l’isolement. La vivacité d’esprit de Garcia ne le surprit pas autant que le port du chapeau, mais bien moins que sa faculté d’adaptation hors du commun. « Tu apprends vite, révéla-t-il, altruiste, si tu parviens à me détester suffisamment tu t’intégreras parfaitement ici. Je mets un point d’honneur à rendre la tâche moins ardu qu’elle n’y paraît ». D’une naïveté travaillée, il fit visiter l’immense hall de l’institut, à ce moment désert, et répondit, sur le ton le plus Alixtidien possible, à Mde Beccaria : « Gorgia, oui, c’est bien ce que je dis ».

Tout en conservant le rythme de la marche, il pointa une pièce du menton. « Voilà la cuisine, là où le petit Louis est mort, écrasé par une baignoire. Le professeur Fish à une conception de l’architecture plutôt unique, ainsi que pour l’Art moderne, que je trouve un peu morbide. Ce qui me fait revenir sur les problèmes que vous avez soulevés tous les deux, et qui coïncident habilement ». Daedalion pointa le plafond du doigt et fit tournoyer l’index. « Pas besoin de lettre pour partir à l’aventure, sinon votre postier mériterait des pourboires. Et, oui, Garcia je me moque bien du sort des plus infortunés puisque je finirais bientôt par les rejoindre. Mais si on y réfléchit, je sais, tu ne sembles pas apprécier ce mot, le cimetière en lui-même est une belle façon d’écarter les ordures de notre vue. Un peu comme une décharge, du moment qu’on ne peut ni la voir, ni la sentir, on se fiche bien pas mal de ce qui s’y trouve ».

Lorsque, enfin, ils arrivèrent devant le bureau de Carrie, le jeune homme frappa à la porte, croisa ses mains dans son dos et se balança sur ses pieds pour signifier son impatience. « Je me suis brossé les dents, dit-il à Garcia en lui offrant un regard innocent, mais si je parviens à intensifier ton inconfort par un fait indépendant de ma volonté, c’est tout bénef pour moi ». Jouant toujours de son air d’ahuris, il toqua une nouvelle fois en espérant une réponse.

Garcia faisait décidément preuve d’un aplomb surprenant. Il jouait des médisances de Daedalion pour retourner la situation à son avantage, une stratégie habile qui surprit et plût au jeune Dandy. La compétition se faisait rare dans la discipline, et tous les participants, même chapeautés, étaient les bienvenus. « Peut-être bien, mais je n’ai pas la colère facile, répondit-il, toujours dans cette posture d’attente, mes attaques sont arbitraires et ne sont jamais pertinentes. C’est une question d’intégrité, mon art, je me plais à l’appeler ainsi, n’a jamais pour objectif de porter préjudice, mais juste de réveiller quelques ardeurs ».

L’arrivée soudaine de Mlle Marcin refroidit immédiatement le garçon qui ne trouva pas le courage de confronter son regard. Il acquiesça à son ordre d’un hochement de tête et laissa les invités entrer dans le bureau. Les minutes s’écoulèrent et, après une courte absence, l’aspirant ressortit, portant toujours sur son crâne l’ornement ridicule d’une prestance tronquée par le besoin d’élégance. Maintenant appuyé contre le mur, il toisa le nouveau d’un air sérieux : « Elle fait peur, hein ? C’est la prof de sport, c’était un ancien agent secret ou un truc du genre. Elle aurait annihilé un paquet de cartes d’un claquement de doigt, et ce, uniquement parce qu’elle n’aime pas les jeux de hasards. Mais au final, elle tient vraiment à ses élèves, et si elle se montre menaçante à l’occasion, c’est uniquement parce qu’elle ne voit que le meilleur en chacun de nous et qu’elle ne supporte pas de nous voir gâcher notre potentiel. Des professeurs de cette trempe, y’en a pas beaucoup… Un peu comme les types capables de se coiffer d’un chapeau ».

Il enfonça ses mains dans les poches, fixa le vide d’un regard absent et attendit patiemment sa sentence.

Voilà longtemps qu’il n’avait pas pris place sur une chaise, devant le bureau d’un professeur, pour faire face à l’inquisition. Il appréciait toujours ce genre de confort, cette petite touche prétentieuse qu’offraient les puissants pour sanctionner dans l’opulence. Il s’était toujours gardé d’apprécier ce genre de confrontations, non pas qu’il les trouvât vaines, juste qu’il ne maniait jamais les mots pour en tirer profit. Mais dernièrement, le jeune garçon se sentait abandonné, délaissé par l’intégrité au profit de l’appréciation de l’abondance. Une tare pestilentielle qui sévissait sans distinction pour assombrir les opinions. Si, d’origine, il riait toujours des esprits étriqués, l’agacement parvenait à surmonter sa quotidienne misanthropie pour l’exposer un peu plus dans ce qu’il appréciait à nommer : son humanité.

Ainsi, sous la déferlante de reproche que lui assénait son professeur, il décida, pour une fois, de prendre sa défense et de tenir tête, fièrement, à ce qu’il considérait être une injustice. Daedalion March se craqua les doigts, remonta les épaules et secoua sa tête, un peu comme s’il contenait un frisson libérateur. « Mlle Marcin, commença-t-il, un large sourire dessiné sur son visage, je vais vous répondre, mais je prédis que vous n’apprécierez pas ma tirade, aussi, je choisirais mes mots très prudemment ». Il prit une pause, s’accordant quelques secondes de réflexion. « Si ma mémoire est bonne, je ne suis pas après tout Big Brother, je veux dire Cerebra, et il est possible que je commette une erreur, j’ai mentionné, en priorité, que l’institut avait pour objectif de nous aider dans l’épanouissement de nos pouvoirs. Ce qu’il fait, je vous l’accorde, avec brio. Quoiqu’il est vrai, et libre à vous de me contredire, que j’estime faire plus de progrès dans nos diverses missions que dans les enseignements professoraux. L’intensité de mon pouvoir c’est bien mieux amélioré après nos, il mima des guillemets avec ses doigts, excursions didactique à Paris ou en Australie. Mais il est vrai que je n’ai pour seule preuve la comparaison avec les étudiants délaissés à l’institut et qui n’ont pas le privilège de partir, de nouveau, il matérialisa la ponctuation, étudier à l’étranger ».

Il se dandina sur sa chaise, comme pour bien s’assurer du moelleux de son siège. « Concernant ma petite visite, que l’on pourrait hâtivement taxer de morbide. Je n’ai certes pas mentionné les cours où nous devions escalader, éviter des rochers roulants, des flèches, des flammes ou encore affronter des hypothétiques foules racistes et décérébrées. J’admets avoir omis ces légers détails que, je suis certain, vous vous êtes empressée de révéler à Madame Beccaria, dont sa fille est actuellement dans l’espace. Une information qui, d’ailleurs, a dû la rassurer. Était-ce judicieux de révéler à Madame Beccaria notre taux de mortalité ? En termes de logique, non, moralement, putain que oui ! Il est élevé, je suppose, je suis mauvais avec les chiffres. Mais en un an, au vue du maigre nombre d’effectif, et sachant que je peux nommer cinq noms de tête, j’estime que j’ai probablement raison. Les parents vous confient leurs enfants, la chose la plus précieuse qu’ils possèdent. Ils vous sont infiniment reconnaissants pour le travail que vous accomplissez, et vous donne toute la reconnaissance du cœur, de votre côté, la seule chose qu’ils vous réclament, c’est la vérité. Alors oui, je me suis empressé de souligner les morts qui nous entourent, pas de la meilleure façon, mais vous n’alliez pas le faire alors, j’ai agi selon mes convictions. Et c’est bien là tout le problème non ? Soit l’on s’accorde parfaitement à l’institut, soit il nous abandonne. Il est impossible d’éprouver quelques désaccords, bien que l’on rejoigne la majorité des actions entreprises par l’institut, sans se retrouver dans une impasse où l’on doit se justifier aux professeurs. Et bien, je prends le risque, même si je dois me faire renvoyer, je trouve que nous sommes militarisés. Les élèves sont divisés en équipe, ils disposent d’un uniforme. Un peu comme les commandos, non ? Deux des nouvelles recrues parmi les professeurs sont des vétérans. Je ne sais pas ce qu’enseigne Mr Volkov, mais la sociologie ne me paraît pas le choix le plus judicieux pour une matière scolaire. Vous-même, une des deux avocats de la bâtisses, ce qui, soit dit en passant, est bien pratique pour les affaires légales, êtes une ancienne espionne sur entraînée. Je n’ai rien contre le sport, mais bon, ce n’est pas, à mon sens, une priorité éducative. Nous agissons dans l’ombre, très souvent à l’encontre de la législation. La sentinelle peut nous traiter de terroriste, ce qui ne veut pas implicitement dire que nous agissons dans la faute ».

Il souffla de dépit, et reprit : « Nous sommes des résidents ici, c’est notre maison et nous aimons tous l’Institut. Moi le premier. Mais je suis libre d’être en désaccord sur certains points, je suis libre d’avoir des discussions qui vous embarrasse et je suis certainement libre de considérer certaines choses différemment que vous. Oui j’estime prioritaire de parler des morts, c’est ce qui inquiète principalement les parents. La seule chose que je demande, c’est de pouvoir entretenir la controverse quand je l’estime nécessaire, même si ça consiste détester des personnes en particuliers, parce que si à chaque fois que je pète de travers je dois vous avoir sur le dos, il vaudrait peut-être mieux que vous me « remerciez ». J’aime l’institut, ce qu’il représente et je ne vous serais jamais assez reconnaissant de m’accueillir ici. Je veux terminer mon enseignement, parce que je l’estime grandement, mais je ne peux pas non plus changer complètement, simplement parce que certaines de mes opinions dérangent. Je pense que pour faire un monde, il faut des positions dérangeantes, même sur des choses importantes, sinon, ce n’est plus une école, c’est une bulle. »

Sur ces mots, il s’enfonça sur son trône, et attendit, non sans crainte, la sentence de Carrie Marcin.

Assis en face de l’inspectrice maccarthiste, celui qui jouait le rôle d’un présumé rouge afficha un visage marqué par la surprise. Quel étrange question, pensa-t-il, elle n’avait pourtant rien à faire ici. Soit le prenait-elle réellement pour un idiot, soit elle-même appréciait la sottise. Étant donné qu’il s’épuisait pour rien, et que chaque interrogation qu’il osait se voyait éludées, il ne lui restait qu'à répondre. Choisissant ses mots très consciencieusement, il répondit :

« Ben, je suis un résident, non ? »

Croisant ses mains, sur ses genoux, il regarda son professeur en essayant de comprendre ce qu’elle pouvait bien attendre de lui.

D’un hochement de tête, Daedalion acquiesça à la supposition de sa supérieure. Le garçon se leva de sa chaise, salua Mlle Marcin d’un geste et sortit. La crise maintenant passée, il pouvait enfin repartir sur de bonnes bases pour éviter que ce genre d’incident ne recommence. En sortant, il croisa de nouveau Garcia, pour lequel il n’offrit qu’un simple regard neutre, et Madame Beccaria, qu’il préféra complètement ignorer au risque, encore, de dire une bêtise. Sans plus attendre, il déserta le couloir au plus vite et partit en direction de la piscine.

Mains dans les poches, le dos passablement voûté, il marcha dans sa démarche solitaire en fixant le sol. Il désirait s'isoler, au plus vite, pour ne pas se voir confronter à d'autres personnes susceptible de réveiller son animosité.