À l'heure du destin

Il faisait encore jour, mais le soleil commençait à décliner, et l’atmosphère à se rafraîchir, au moins légèrement à défaut de devenir réellement supportable, de sorte que l’anglaise, lors de l’appel des professeurs, avait suivi le mouvement sans trop de réticence. Le soleil et sa peau pâle ne faisaient pas bon ménage, et malgré les crèmes solaires dont elle se badigeonnait, et les vêtements légers de toile noire, mais couvrant qui la protégeaient des pieds à la tête, turban enserrant ses cheveux en prime, elle n’était pas certaine de résister tout à fait aux rayons de l’astre du jour trop longtemps. C’était donc parmi les derniers qu’elle avait rejoint ses camarades, restant à l’écart, les genoux relevés entourés de ses bras frêles. Son regard clair erra sur chacun des professeurs jusqu’à ce qu’Adam ne prît la parole, et si elle posa ses prunelles sur lui, elle ne semblait pas vraiment le voir, tout comme elle les dirigea tour à tour vers chacun des professeurs prenant la parole sans sembler réellement les regarder. Eussent-ils porté une chemise à fleurs bariolée, un tutu rose ou un costume de clown, elle n’eût guère manifesté plus de réaction.

Pourtant elle écoutait, aussi loin son esprit semblât-il s’être égaré. Elle écoutait, et si elle était plutôt d’accord sur l’idéal qu’ils cherchaient à atteindre et que citait le professeur Zachary, elle se demandait s’ils étaient seulement capables de protéger cette nouvelle nation émergente que semblait vouloir devenir Génosha, eux qui n’étaient pas même capables de se protéger eux-mêmes, de se protéger les uns les autres. Et puis n’était-ce pas là se couper davantage encore des autres humains, de marquer plus encore leur différence ? Elle repensa à Edouard Gourmin et à ses Elus, à leur prison sous-marine et au petit Justin. La mention de la Commission Eden lui arracha un frisson, comme nombre d’évocations de leurs missions, à tous et à toutes, plus ou moins glorieuses. Plutôt moins que plus aux yeux de la londonienne. « L’Histoire comptait sur eux »... et elle ne donnait pas cher de sa peau, à l’Histoire, si on devait s’en remettre à elle. L’idée de recroiser certaines de leurs précédentes rencontres n’était pas pour la rassurer davantage, et elle se recroquevilla sur elle-même, le menton posé sur ses genoux.

Ceux qu’elle aurait souhaité revoir, en revanche, elle doutait fort de les apercevoir ici, et le visage du serbe erra comme tant de fois devant son regard, jusqu’à ce qu’elle ferme les yeux et secoue légèrement la tête comme pour l’en chasser. Peine perdue. Il avait été avec eux la seule fois où elle avait mis les pieds sur cette île, tout ici le lui rappelait. Tout ici lui rappelait aussi le départ de Tim, la mort d’Enzo bien qu’elle eût lieu après et ailleurs, la brûlure de Jen... Pourquoi fallait-il que tout se rejoignît ici ? Elle n’aimait pas cet endroit, elle n’avait qu’une hâte : repartir. Mais faire l’autruche en attendant le retour au bercail n’était pas une solution envisageable. D’autres mutants étaient en danger, qui ne cherchaient qu’un havre de paix et elle ne pouvait pas ne rien faire, bien qu’elle ne vît absolument pas quoi faire. Elle avait beau être leader pour son équipe, à cet instant, elle se trouvait plutôt suiveuse, à attendre les réflexions des autres. Il y avait trop de paramètres, cependant, trop de fils qui s’entrecroisaient dans tous les sens, et si elle pouvait parfois avoir une certaine logique et faire montre de certaines déductions, là, elle était tout simplement perdue. Elle était plutôt artiste, à la base, pas politicienne ou scientifique ou quoi que ce fût qui eût pu l’aider à analyser parfaitement leur situation. Et plus les autres prenaient la parole, plus elle s’y perdait.

Et plus elle s’inquiétait aussi. La réapparition du professeur Malone, notamment, n’avait sans doute pas laissé Kitty indifférente, même si faction était peut-être un allié potentiel, et la présence des membres de Ganymède l’angoissait comme elle ne pouvait pas s’empêcher de penser que c’étaient eux qui avaient tué River, et que si elle croisait le fautif, elle ne pourrait pas rester sereine, assurément. Et comme certains, dont Camille, suggéraient de s’en faire des alliés, elle frissonna, s’imaginant mal être la coéquipière de l’assassin de sa soeur. Son regard se posa sur chacun de ses coéquipiers, actuels ou anciens, sur Jen et Nan, Charis et Liam tout récemment arrivés, Jonas, Yrianna en pleine messe basse avec Kalalli et Rachel... jusqu’à ce qu’un être visiblement aquatique, les rejoignît et leur souhaitât la bienvenue.

Elle posa sur lui son regard pâle quelque peu plus expressif cette fois comme elle restait intriguée par cette arrivée impromptue, d’un inconnu à qui personne ne semblait vouloir demander qui il était – était-elle la seule dans l’ignorance ? – attendant le message qu’il disait venir délivrer, que le professeur Zachary leur fit apparaître sur un écran apparu de nulle part aux yeux de la blonde.

Le monde souterrain suit la lumière du judas jusqu'à la perle d'ébène.

N’avaient-ils pas évoqué un groupe appelé Unders tout à l’heure ?

L'oeil blanc n'est qu'un des sept joyaux à Sa couronne d'épines, la ziggourat, Sa demeure d'airain.

La tour de Magnéto pouvait bien faire office de Ziggourat, mais qu’était cet oeil blanc ? Cassandre et ses yeux aveugles ? Qui étaient donc alors les six autres ?

Là, l'auguste colosse de pierre perd la tête en pluie de fer, aumône des dieux de l'atome.

Une sentinelle les attaquant lui traversa l’esprit, provoquant un nouveau frisson. Colosse de pierre cependant, se pouvait-il donc qu’il s’agît encore de quelque autre horreur inconnue d’eux ?

A ses pieds, la terre tremble d'une sourde menace.

Il y avait un volcan sur l’île, allait-il donc entrer de surcroît en éruption ? Ils n’avaient pas besoin de ça ! Mais c’était peut-être trop simple comme explication...

Arrête, car la mort vient du ciel, comme le bruit de mille cavaliers dans la plaine du marteau.

Par un réflexe absurde, elle leva les yeux au ciel, vide à cet instant. La mort vient du ciel, et qu’était donc la plaine du marteau ?

Frères de sang et frères de lait se battent contre des moulins à vent.

L’expression étrange – comme le reste du message - pour désigner mutants et humains lui fit penser à sa famille en Angleterre, à Wood disparu depuis trop longtemps maintenant pour qu’elle pût encore espérer le revoir un jour. Ils étaient donc dans l’erreur ? Mais à quel niveau, contre qui se battaient-ils en vain ?

Aussi de l'autre côté du miroir, tu chercheras les restes du paradis.

Le paradis, l’Eden, la Commission Eden. De l’autre côté du miroir... Quel miroir ?

Les Lex apportèrent des bribes de réponse et accentuèrent sa propre confusion. Trop de paramètres, trop d’entités, de noms à retenir. Elle ne s’y retrouvait pas. Quelque part, la voix d’Ivy prononçait le nom de code de Kitty, et elle chercha sa petite soeur de coeur du regard, qui renchérit aussitôt concernant son professeur référent. Elle ne pouvait pas vraiment lui en vouloir d’avoir une certaine rancoeur contre le professeur Malone. Il lui avait promis d’être là, et il les avait abandonnés. Elle approuva silencieusement la remarque de Dryade quant à l’identité de l’homme-poisson et sursauta à l’intervention de Georgia, cherchant la blondinette et colocataire temporaire des yeux, avant d’approuver pour sa part. Elle s’était faite la même réflexion, et pour l’heure ne voyait pas d’autre explication. Ce qui laissait une question en suspens qu’elle adressa à Miracle Lass et uniquement à elle.

- Je pense aussi, que l’oeil blanc est celui de Cassandre, et qu’elle nous délivre ce message, mais qui sont les six autres joyaux de sa couronne ?

Elle n’avait pas envie de prendre la parole devant tous, elle ne s’en sentait pas le courage, pas maintenant, pas après tout ce qui s’était passé. Peut-être que la Nexus prendrait le relais, peut-être que ses pensées resteraient pour elles. De toute façon, ça n’avançait pas à grand chose : elle n’avait pas de réponse à la question posée. A sa grande surprise, ce fut Nan qui alla dans son sens, sans doute involontairement. Elle hocha imperceptiblement la tête, notant la remarque de l’algonquin concernant Hammer Bay/Plain qu’elle n’avait pas vue venir, sans savoir en quoi cela pourrait les avancer. Et Kit abondait dans son sens concernant la commission Eden. La petite fille grandissait trop vite pour sa colocataire, qui elle, ne parvenait pas à tourner la page. Et qui ne pouvait qu’approuver la remarque de Jen : cette île portait malheur. Ou peut-être était-ce seulement elle-même qui n’amenait que la souffrance autour d’elle.

Elle avait vu Claire tendre quelque message au professeur Zachary, avait un instant hésité à se lever et traduire pour la jeune femme, mais ne s’était pas sentie la force de se lever. Elle n’arrivait pas à imaginer que l’être marin pût être de la Commission, elle ne pouvait pas envisager que le directeur remplaçant de l’Institut eût laissé un représentant de cette organisation les approcher. Par contre, si le miroir était l’eau, les Elus étaient-ils à la merci de ceux de l’Eden ? Esther prenait à partie le mutant amphibien, répondant par là même à Ivy Nora évoquait son passé, d’un ton neutre bien que l’anglaise crut y percevoir sa douleur. La télépathe évoqua un détecteur de mutant qui lui fit froid dans le dos, malgré la chaleur ambiante. Wind n’était pas scientifique, mais avait cru comprendre qu’à moins d’identifier les gènes d’un être vivant, il serait sans doute difficile de mettre quelque chose de ce type au point. Mais si c’était vrai ? Mieux valait ne pas y songer...

Liam présentait le mutant aquatique, et la londonienne classa alors celui-ci dans les alliés, peut-être un peu trop rapidement – autant qu’il se défendait de l’agression de Miss Kofman – mais après tout, les autres professeurs n’avaient pas réagi – même si Loom ne semblait pas le connaître plus que ça en définitive - et son coéquipier leur avait été envoyé par lui. Et puis sa technique de camouflage semblait plutôt au point, il fallait bien avouer. Par-dessus le marché, le fait qu’il confirmât que Cassandre eût envoyé ce Dimitri, qui manifestement connaissant la psychologue, confortait la blonde dans les idées qu’elle partageait avec la ‘mitalienne’. Adam synthétisa toutes leurs idées, ajoutant des détails qui avaient pu leur échapper. Beaucoup de choses lui semblaient plus obscures encore, mais une la titillait encore : si la Commission Eden était sous l’eau, dans la baie, s’agissait-il d’une bulle sous-marine comme celle des Elus ?

Le cri de Camille la tira de ses pensées, et un nouveau frisson parcourut la londonienne. Vendredi 13. Elle ne s’était jamais sentie particulièrement superstitieuse, mais là, elle n’aimait pas ça. Et elle n’était pas très certaine de vouloir d’ores et déjà savoir quels sacrifices avaient été orchestrés par Cassandre et ses visions pour le bien de la communauté. Elle avait beau ne pas en vouloir particulièrement à la voyante, elle ne pouvait s’empêcher d’être assez craintive face aux lignes directrices que celle-ci leur donnait, et se demandait à présent qui ferait partie des dommages collatéraux... en espérant avoir au moins l’opportunité de tenter de sauver certains d’entre eux, quitte à y laisser sa propre peau, plutôt que de devoir encore assister au décès d’un des leurs, impuissante. Etrange écho ignoré aux réflexions qu’Esther formulerait peu après. Alors quand Robin évoqua une mission de reconnaissance, elle se demanda si elle pourrait être utile, au moins à ça. Alors quand son professeur référent appuya l’idée du repérage, elle hocha la tête légèrement, se sentant concernée. A tort ou à raison, aucune idée.

Les supputations se poursuivaient et si elle les écoutait, elle n’y prenait toujours pas part. Qu’ajouter de plus de toute façon ? A part répondre à Jason que non, décidément, on ne pouvait faire confiance à personne, certainement pas à Ganymède, ce qu’Ivy s’était d’ailleurs déjà empressée de faire. Et si les hypothèses s’accumulaient, elle n’était pas certaine qu’on y entrevît ne serait-ce qu’un début réel de réponse.

Elle sursauta quand son nom traversa le campement, prononcé par Lucas. Aucune idée quant à la faisabilité de ce qu’il annonçait, mais si le Shoggoth absorbait tout, était-il seulement possible de le piquer, étant donné sa forme physique, ou la seringue serait-elle elle-même absorbée avant d’avoir fait son office ? Réagissait-il seulement aux mots aussi, pour qu’elle eût pu être d’une quelconque utilité ? Aucune idée non plus de leurs chances de survie face aux robots qui lui rappelaient douloureusement la sentinelle. Une version améliorée ? Peut-être. Toujours était-il que l’idée de se retrouver en face de ces machines à tuer n’avait rien de particulièrement réjouissant. Il y avait eu un article, quelque part, à ce sujet, n’est-ce pas ? Elle n’était plus trop certaine de ce qui se disait, mais il lui semblait bien qu’une société avait mis au point ces super-robots pour aider les policiers à lutter contre les délinquants mutants.

Il y eut au moins un point – à vrai dire, ça n’était pas le premier, mais elle avait encore du mal à admettre que Miss Kofman pût avoir nombre de points communs avec elle – sur lequel elle était d’accord avec la professeur référente des Lex et d’autres élèves : ils ne pouvaient pas rester là les bras croisés à attendre patiemment qu’on leur tombe sur leur coin du nez. Certes, il ne fallait pas agir dans la précipitation, et un minimum d’organisation était de mise, mais on ne pouvait pas ne rien faire non plus. Comme Esther démentait l’idée de plan mise en avant par Lucas, l’anglaise se recroquevilla de nouveau sur elle-même, elle qui avait redressé le buste et levé la tête pour observer les derniers intervenants. Ils partaient en guerre, et elle irait, pour protéger comme elle le pourrait les autres. Mais pour l’heure, elle ne voyait pas comment leur cause pouvait finir triomphante d’un combat perdu d’avance face à de trop nombreuses factions, et de trop nombreuses inconnues.