Ho Chi Minh Ville - La fin d'un rêve

Minka, c'était ainsi qu'il l'appelait, et c'était un surnom qu'elle chérissait plus que tout. Sa famille n'existait plus, de toute façon, il y avait bien longtemps que son père ne l'avait plus considérée comme sa fille, sinon il n'aurait pas laissé sa belle-mère agir de la sorte avec elle. Il y a bien longtemps qu'il serait parti à sa recherche. Elle n'aurait même jamais été chassée, si elle avait encore eu quelque place auprès des siens. Les siens. Elle n'arrivait pas encore à les considérer comme de parfaits étrangers. Pourtant c'était sans doute ainsi qu'ils la considéraient à présent : comme une étrangère, une intruse. Ca n'était pas pour rien qu'on l'avait fait partir.

Elle leur en voulait toujours un peu : elle n'avait pas été une si mauvaise fille pour qu'on la jetât dehors ainsi. Elle avait toujours fait ce qu'on lui avait demandé. Pourtant, s'ils ne l'avaient pas chassée, elle n'aurait jamais rencontré Roy, et n'aurais jamais compris ce qu'elle était devenue. Mutante. Elle avait beau être d'une certaine naïveté, elle avait bien compris qu'il valait mieux qu'elle taise son pouvoir si elle ne voulait pas qu'on la lapide en place publique. Roy l'avait mise en garde aussi. Mais il devait partir. On l'attendait, à l'autre bout du monde.

L'autre bout du monde. Un autre bout du monde. C'était là qu'il lui avait conseillé de se rendre, mais comment pouvait-elle faire, jeune fille perdue au milieu de la grande ville et n'ayant clairement pas les moyens de se payer le trajet ? Elle n'en avait absolument aucune idée, bien que l'idée de retrouver des gens comme elle lui parût attrayante.

Minh ne savait pas comment s'y prendre, c'était indéniable. Les gens la laissaient passer sans la voir, et l'animation ambiante semblait être le meilleur moyen de dissimulation qui existât. Tant qu'elle n'usait pas de son pouvoir erratique en plein milieu du marché.

Un instant, elle s'arrêta, une main en visière pour protéger ses yeux du soleil vers lequel elle relevait le visage. Et puis une voix retentit non loin d'elle, dans une ruelle adjacente. Au départ, elle crut au monologue d'une folle, et hésita à s'approcher. ce n'est que lorsqu'elle perçut une toute petite voix dont elle ne put déterminer le discours qu'elle s'arrêta et s'approcha de la ruelle. La jeune femme semblait parler à une petite figurine en carton, et Minh se demanda si elle devait intervenir. De ce qu'elle avait pu entendre de la conversation, la figurine avait été ainsi transformée pour avoir suivi la jeune femme et un frisson la parcourut. Finirait-elle ainsi, elle aussi, pour avoir tenté d'aider une de ses consoeurs ?

Son discours l'avait touchée. Elle non plus n'était ni riche, ni la plus belle, ni bien née. Elle aussi rêvait d'un mariage digne des romans à l'eau de rose, qu'elle ne contracterait sans doute jamais. "Mon amour est si fort et si pur..." Ces mots-là faisaient tellement écho à son propre engouement qu'elle ne put se retenir plus longtemps.

- Les temps anciens sont lointains, mais il existe encore quelques hommes et quelques femmes à l'âme assez chevaleresque pour se mettre au service de causes justes... Votre discours m'a touchée, je voudrais vous aider, mais je ne sais pas comment...

Elle n'avait aucune idée de ce dans quoi elle mettait les pieds mais ne pouvait se résoudre à rester là à ne rien faire. Roy avait pris sur lui pour l'aider à maîtriser son pouvoir, c'était à son tour d'aider quelqu'un, de quelque manière que ce fût.

La honte de la jeune femme se lisait sur son visage, et Minh en fut contrite. Elle ne voulait pas la mettre mal à l'aise, bien au contraire. Le petit personnage s'approcha d'elle et elle le salua comme s'il s'était agi d'un humain normal. Après tout, il tâchait de se comporter comme tel, et elle ne savait pas ce qu'il lui était arrivé, mais se doutait qu'un pouvoir mutant devait en être la cause. Elle était naïve sur certains points, mais pas complètement idiote, tout de même.

Elle écouta la voix nasillarde parler à la jeune femme, Thanh-Van, et hocha simplement la tête, silencieuse. Aimer n'est pas un mal. Elle était bien la première à le penser. Et quand la jeune fille parla de mariage arrangé, de la honte et du chagrin qu'elle disait avoir apportés aux siens, elle toucha une corde sensible chez sa jeune interlocutrice. Son âme un peu trop romanesque la poussa à aider cette jeune femme qu'elle ne connaissait pas, et elle hocha de nouveau la tête à la fin du laïus de l'amoureuse transie.

Elle avait peur. D'échouer, de finir comme John Six ou pire. Et en même temps, elle ne pouvait pas se résoudre à abandonner Thanh-Van à son malheur. Elle-même avait dû passer par bien des épreuves pour en arriver là, et l'aide de Roy avait été cruciale. C'était à son tour d'aider autrui.

- Peut-être, répondit-elle après quelques minutes de silence. Peut-être que je ne serai pas à la hauteur, mais j'aurais au moins essayé. Je ne peux pas vous laisser seule à votre détresse... Cela m'est juste... impossible. Et j'aime à croire que j'ai quelque talent qui pourrait vous être utile.

Encore une fois le silence plana quelques instants, et elle reprit finalement.

- Que puis-je faire pour vous aider ?

Thanh-Van fondit en larmes, des larmes de joie, certes, mais des larmes tout de même, qui surprirent Minh, trop habituée à ce qu'on ne montrât pas ses sentiments. Si la jeune femme était certaine de la capacité de la mutante à remplir sa mission, il n'en allait pas de même pour celle-ci qui commençait à douter en voyant l'état de John Six. Elle n'avait pas du tout envie de finir comme lui, mais elle ne pouvait pas les laisser comme ça, tous les deux, n'est-ce pas ?

- Attends mon retour avant de m'être redevable, j'espère ne pas finir comme ton ami...

Elle écouta attentivement les directives du petit bonhomme en carton, hochant parfois la tête. Investir la forteresse ne lui semblait pas impossible. Si seulement elle arrivait à maîtriser suffisamment son pouvoir ! Peut-être pourrait-elle créer une échelle de verdure jusqu'en haut d'un mur. Il ne lui resterait plus qu'a grimper avec John Six. Et ensuite, effectivement, personne ne la connaissait là-bas, elle pourrait se faire passer pour n'importe quelle bonniche, c'était ce qu'elle faisait pour gagner sa vie de toute façon.

- Je peux entrer et me faire passer pour une servante quelconque, mais je ne sais pas me servir d'une arme... Comment allons-nous faire pour la suite ? Et puis...

Elle hésita un moment, ayant peur d'être rejeté par la jeune femme et l'homme de carton pour son pouvoir, mais finit par poursuivre.

- J'ai un pouvoir moi aussi, mais je ne sais pas encore très bien m'en servir...

Elle chercha autour d'elle une plante qu'elle sur laquelle elle pût agir et tenta de leur montrer ce dont elle était capable.

- Je ne serai pas plus prête dans quelques jours que maintenant je crois, alors autant y aller tout de suite. L'amour n'attend pas, n'est-ce pas ?

Ca devait être une réplique qu'elle avait entendue dans un des feuilletons de sa belle-mère ou quelque chose dans ce genre-là. En tout cas, elle voulait aider la jeune femme et son ami de carton. Restait à savoir si elle y parviendrait...

Minh ne se fit pas prier quand John Six demanda à être pris dans ses bras et elle suivit ses indications pendant une bonne heure de marche. Ils arrivaient au fameux centre de relaxation, et la jeune vietnamienne sentit son coeur s'accélérer. Voilà, on y était. C'était à elle de jouer maintenant.

Sur sa demande, elle reposa la figurine en carton au sol et observa l'immense bâtisse tandis que John Six s'éloignait à la recherche d'un conduit d'aération. Il y avait de la musique, des rires avinés, et de nombreux clients qui entraient encore, vraisemblablement passablement éméchés. Elle hésita un instant sur les trois options qui se présentaient à elle, et décida finalement de s'accrocher au bras d'un des clients potentiels du centre, suffisamment saoul pour accepter sans se poser de question la présence d'une jolie jeune fille à ses côtés.

Ne restait plus qu'à espérer qu'on les laisserait ainsi entrer tous deux, mais à en juger par le costume du client potentiel, il avait de l'argent à dépenser...

Bon, trouver un pigeon pour entrer avec lui n'avait pas été très difficile. D'ailleurs, il était même un peu trop heureux d'avoir une jeune asiatique à son bras au goût de Minh qui réprima une grimace de dégoût et lui offrit le plus beau sourire dont elle était capable.

Le luxe accapara son attention un instant, elle n'avait jamais eu l'occasion d'entrer dans de tels établissements, et c'était pour elle un pur émerveillement. Mais elle n'était pas la pour jouer les touristes, elle était là pour aider Thanh-Van, et elle comptait bien y parvenir, même si la route était semée d'embûches dont elle n'avait encore pas la moindre idée.

Repérer l'accès aux étages ne fut pas bien difficile, mais s'y faufiler le serait sans doute, à en croire les gros bras qui en gardaient l'accès. Et pour le coup, elle se demanda comment elle allait bien pouvoir faire pour se débarrasser d'eux.

Et de l'ivrogne, qui lui pelotait allègrement les fesses. Ma petite ? C'est combien ? Il la prenait pour... pour... Rien que d'y penser la révulsait. Il lui fallut faire tous les efforts du monde pour ne pas crier en plein milieu de l'établissement ce qui ruinerait sans aucun doute toutes ses chances de passer relativement inaperçue et offrit un sourire au type aviné.

- On a tout le temps pour ça. Si tu allais nous chercher quelque chose à boire tout d'abord ?

Elle espérait bien qu'il accepterait et se dirigerait vers la fille en costume de soubrette, prétextant un besoin urgent d'utiliser les commodités de l'établissement si elle parvenait à fausser compagnie à son pigeon ivrogne.

L'ivrogne ne remarqua pas sa gêne, lui sourit même - ce qui ne lui inspira que du dégoût - et invita tout le monde à boire. elle ne fut pas mécontente de pouvoir s'éloigner après qu'il eut fait claquer sa grosse main sur ses petites fesses à peine protégées par le pantalon de son ao dai.

Une pointe de vexation teinta les joues de la jeune mutante quand la soubrette éclata carrément de rire. Ca ne partait pas sur une bonne voie tout ça. Comment allait-elle pouvoir accéder aux étages ? Elle commençait à se demander si elle n'avait pas fait une erreur en acceptant d'aider Thanh-Van et John Six. Pourtant, même si l'envie de le faire la titillait, elle ne se voyait pas simplement rebrousser chemin.

Drôle... Elle avait l'air drôle. Ca ne semblait pas avoir fait rire les costauds qui gardaient les escaliers. Lamu, puisque c'était le nom de la soubrette, lui conseillait de se barrer, et une partie d'elle-même ne rêvait que de ça. D'un autre côté, il y avait Thanh-Van et John Six. Et elle ne se voyait pas leur faire faux bond, bien qu'elle doutât de plus en plus de ses capacités à les aider. Et de dépit, elle avoua le pourquoi de sa venue à la soubrette qui l'avait si bien percée à jour, à voix basse.

- Je ne suis pas la copine de ce gros lourdaud, mais il fallait que je rentre. Il faut que j'accède aux étages, j'ai promis d'aider Thanh-Van. Et de toute façon, je n'ai pas d'études, de petit fiancé ou de quoi que ce soit d'autre à aller retrouver. Il faut que je trouve Tran...

Lamu était visiblement mal à l'aise de discuter avec elle, et Minh n'était pas mieux. Qu'allait-elle pouvoir trouver pour gagner les étages ? Ca lui semblait particulièrement impensable, maintenant qu'elle était dans la place. Une vraie forteresse avait dit Thanh-Van. Elle avait sans doute raison.

La mention de Thanh-Van n'intéressa manifestement pas Lamu, mais elle réagit au nom de Monsieur Tran. Minh n'avait pas vraiment idée du pétrin dans lequel elle s'était fourrée, à vrai dire, mais elle ne détrompa pas Lamu. Si ça pouvait lui permettre d'avoir de l'aide... Aide qu'elle acceptait de lui donner à la condition qu'elle l'aide à sortir de cet endroit où elle était retenue prisonnière. Comme Thanh-Van l'avait dit de ce Monsieur Tran qui avait tant fait réagir la soubrette. Minh s'imaginait délivrer les deux prisonniers, histoire de faire d'une pierre, deux coups, bien qu'elle ne réalisât pas encore les difficultés au devant desquelles elle s'avançait.

- Je marche, eut-elle à peine le temps de répondre que Lamu lui attrapait déjà la main.

Elle lui expliqua le petit jeu qu'elle allait devoir mener, et il ne lui sembla de prime abord pas si compliqué, bien qu'un peu plus que celui de s'agripper au bras d'un ivrogne. Mais elle n'en imaginait pas non plus les conséquences. Ragaillardie par la confiance de Lamu, elle s'approcha des gros bras dont la soubrette avait fait mention et les salua avant de prendre aussitôt la parole.

- Je voudrais travailler ici. Je ne suis pas une experte en combat, mais j'ai déjà le charme, et j'apprends vite.

Elle faisait de son mieux pour avoir l'air sûre d'elle et charmante, et d'ailleurs ponctua son phrasé sur le charme d'un clin d'oeil. Restait à voir si cela suffirait à les convaincre.

Pendant quelques instants, Minh se demanda si tout n'était pas perdu d'avance, tandis que les gros bras la jaugeaient. Mais quand ils acquiescèrent finalement et s'écartèrent pour la laisser passer elle réprima un cri de joie qui ne passa pas la barrière de ses lèvres, et monta à l'étage sans attendre, des fois qu'ils changent d'avis entre temps.

Elle arriva donc dans une salle qui semblait être la pièce principale de l'étage et qui constituait une salle d'entraînement. Combattantes de charme avait dit Lamu, elle était vraiment dans le bain maintenant... Elle avisa la porte de sortie, la seule qui lui fût visible et la jeune femme aux gants de boxe, une géante à ses yeux de petite asiatique.

- Oui, je suis nouvelle. Et j'ai besoin de cours d'à peu près tout je crois...

Elle s'approcha un peu timidement, se demandant si Lamu la rejoindrait bientôt et tendit une main qui se voulait ferme à la blonde qui venait de se présenter sous le nom de Marcelle.

- Minh. Enchantée.

La dénommée Marcelle ne la regardait plus, est-ce qu'elle lui rendrait seulement son salut ? Aucune idée. Mais histoire de ne pas rester sur un échec, elle enchaîna.

- Qu'est-ce que je peux apprendre le plus rapidement possible ?

Mieux valait qu'elle eût l'air intéressée par le fait d'être là, même si, à force, elle ne doutait plus que l'endroit fût une véritable prison pour les jeunes filles qui y séjournaient.

Marcelle, puisque c'est ainsi qu'elle s'était présentée, retira un gant et serra la main de la petite Minh. Elle lui offrit même un sourire, que l'asiatique lui rendit, avant qu'elle ne s'excusât de son manque de chaleur. Minh secoua légèrement la tête avant de lui répondre.

- C'est rien...

Et malgré le soupir de la grande blonde, Minh continua de lui sourire, espérant naïvement que ça lui mettrait un peu de baume au coeur. De toute façon, il fallait qu'elle attende Lamu et apprendre quelques mouvements de combat ne lui semblait pas inutile à présent. Elle n'aimait pas cet endroit, elle n'aimait pas la tristesse de Marcelle et la peur panique de Lamu. Elle n'aimait pas les savoir prisonnières, et dans son esprit un peu trop fleur bleue, elle s'imaginait déjà les délivrant toutes les deux... voire toutes les autres.

Elle était loin de ce résultat, pour l'heure, et vit Marcelle s'avancer sur le tapis de combat. Deux, trois conseils de boxe française. Elle ne savait même pas ce que c'était mais qu'à cela ne tienne. Elle enfila rapidement les vêtements peu reluisants indiqués par Marcelle, le plus rapidement possible afin de ne pas s'exposer trop longtemps à moitié nue, notant l'hésitation que la blonde avait eue quant à l'ancienne propriétaire de ceux-ci, et s'avança à son tour sur le tapis de combat.

Elle l'écouta parler, trop disait-elle, mais enregistra les informations. Non, elle n'avait pas fait ça avant, et elle redoutait le ça en question, mais elle avait promis à Thanh-Van. Elle devait trouver Monsieur Tran, comme Lamu l'avait appelé. Et elle espérait que Lamu réapparaitrait rapidement. En attendant, elle se positionna face à Marcelle.

- C'est pas grave si tu parles, moi je peux écouter. On est dans le même bain maintenant, de toute façon.

Et elle espérait pouvoir s'en sortir sans trop de gnons dans la tête comme avait dit Marcelle.

Minh sourit à Marcelle. Elle devrait plaire aux clients, ça devait être un compliment, non ? Bon, même si plaire aux clients comme celui avec lequel elle était entrée n'était pas tout à fait dans ses objectifs, ça devait être un compliment, alors autant le prendre comme tel. La blonde s'excusa une fois de plus de trop parler, et l'asiatique secoua la tête. Vraiment, pour elle, ça n'était pas grave, qu'elle ait besoin de vider un peu son sac, mais le "il va m'arriver un jour des bricoles" lui fit froid dans le dos. S'il fallait avoir affaire aux mastodontes de l'entrée, elle imaginait à peu près le genre de bricoles qui pourraient leur arriver, à l'une comme à l'autre, et elle n'était pas pressée que ça arrive.

Elle était face à elle à présent, prête à encaisser les coups. Et Marcelle continua à parler, ce qui lui laissa quelques instants de répit. Elle lui expliqua qu'il y avait un championnat dangereux qui se mettait en place et qu'une personne qu'elle aimait y était désignée d'office. Et elle dépeignait un portrait de Monsieur Tran peu reluisant s'il la mettait dans le championnat en question pour avoir seulement demandé à ce qu'un nom soit retiré de la liste.

Minh ne comprenait pas. Thanh-Van était amoureuse de Monsieur Tran, et il lui semblait qu'il était lui aussi prisonnier de cet endroit, alors pourquoi faisait-il peur à Marcelle ? Toute à ses pensées, elle ne vit pas arriver le coup de pied de la blonde et eut à peine le temps de mettre ses mains en rempart que le coup lui arrivait déjà en plein visage. Elle n'eut guère le temps de voir Lamu entrer, toute occupée qu'elle était à ne pas perdre complètement l'équilibre.

Le coup de pied lui fit un mal de chien. Elle ne s'était vraiment pas attendue à ce que Marcelle y aille aussi fort dès le départ. Lamu riait de sa mésaventure mais heureusement, la blonde la rattrapa avant qu'elle ne tombe au sol. Sans son intervention, Minh aurait sans doute perdu l'équilibre et aurait fini les quatre fers en l'air.

- C'est pas grave, fit donc l'asiatique en réponse aux excuses de la boxeuse. Je crois que j'ai encore beaucoup à apprendre...

De prime abord, même si elle était quelque peu hors norme, cette grande blonde trop forte, trop bavarde et trop sentimentale, elle plaisait bien à Minh.

Accompagnée de Marcelle, Minh suivit donc Lamu pour aller rencontrer ce fameux Monsieur Tran, la clef de sa présence en ces lieux bizarres. Elles se trouvèrent, à l'étage supérieur, face à un espèce de colosse qui fit froid dans le dos à la petite asiatique. Elle écouta Lamu lui présenter le bras droit de Monsieur Tran, et laissa la soubrette s'avancer vers lui.

C'est alors qu'elle remarqua la présence de John Six et le plus discrètement qu'il lui était possible, elle tenta de s'emparer de la figurine de carton qu'il était devenu.

John Six la félicita, et Minh esquissa un sourire. Mis à part un coup de pied dans la tête et une main sur les fesses, elle ne s'en était pas si mal sortie, jusque-là, mais le plus dur restait à faire : Si Tran était prisonnier ici, il ne serait pas facile de le voir et de l'extraire à ce milieu pour le moins glauque.

La figurine de carton dans les mains, elle hocha simplement la tête quand Lamu lui signifia que Monsieur Tran allait les recevoir. Le coeur de Minh s'accéléra instantanément. Elle allait finalement rencontrer celui qui faisait battre le coeur de Thanh-Van.

L'asiatique resta quelques instants interdite devant le grand bureau. Un lit de camp, des ordinateurs et des papiers dans tous les sens, des cartes à jouer dont elle ignorait parfaitement le fonctionnement, elle était dans un monde totalement inconnu pour elle.

Une carte traînait à ses pieds, aussi la ramassa-t-elle et murmura-t-elle son nom en lisant le texte inscrit dessus. Ah ! Heureusement que son père et Roy lui avaient enseigné la lecture, en vietnamien comme en anglais... Elle ne comprit cependant pas ce que permettait cette carte ni comment on pouvait jouer avec.

Abasourdie par l'endroit, elle en avait presque oublié la raison de sa présence dans ce bureau, mais quand le jeune asiatique à la sucette s'adressa à elle, elle s'avança, quelque peu hésitante.

- Vous êtes Monsieur Tran ? Je m'appelle Minh et je viens de la part de Thanh-Van...

John Six frissonnait dans ses bras, et elle porta son regard sur la photo peu ragoûtante que Monsieur Tran tenait à la main. Une nouvelle fois, elle sombra dans l'inconnu, et si ce n'est du dégoût, ne ressentit rien de spécial devant ce cliché, contrairement à son ami de carton. La main lui faisait penser à celle sur la carte, aussi son regard oscilla-t-il entre celle-ci et la photo. Minh ne comprenait ni où elle se trouvait réellement, ni ce qui l'attendait. Elle était venue pour Thanh-Van, mais ne voyait pas comment libérer Monsieur Tran.