New York, aéroport international

Ebahi. Alixtide était tout bonnement ébahi devant le gigantisme des lieux. Il n’avait pas imaginé que tant de personnes puissent prendre l’avion. En même temps, celles qu’il voyait avaient tout l’air assez fortunées pour cela. Il se sentait perdu, mais complètement heureux. Il allait à son rythme, son sac de sport bourré d’affaires pendu à l’épaule. Enfin, à force de suivre les panneaux, et après des dédales d’allées et de salles, il déboucha sur le hall. C’est là qu’il réalisa qu’il ne savait pas du tout où trouver le fameux institut.

Le jeune homme s’approcha d’un grand panneau de verre affichant une carte de la ville. Il était couvert de voyants lumineux et pourvu d’une longue légende. Alixtide posa le sac. Après un minutieux examen, il ne parvint même pas à localiser sa position.

Dépité, il mit machinalement la main dans le cendrier situé sous le panneau. Il porta à sa bouche ses doigts pleins de cendres, et apprécia leur goût légèrement épicé. Reportant ses yeux sur le plan, il continua à fouiller dans le cendrier.

*Manathan ? Pratt Institute ? Bronx ? Mais où est donc l’Institut pour les mutants ? Peut-être Hôpital central ?*

Il récolta quelques mégots et des chewing-gums qu’il roula entre ses doigts comme des cacahuettes.

*Le mieux c’est que je demande à quelqu’un … qui aurait l’air d’un mutant. Hé hé, il doit y en avoir des tas ici …*

Il mâchouilla tranquillement ses trouvailles. Alixtide réalisait qu’il en savait bien peu sur les mutants, et qu’il aurait vite fait de faire des bêtises. En plus, l’Institut pouvait ne pas se trouver à New York …

Le jeune homme observa autour de lui, tâchant de repérer des indices sur la présence des mutants dans la petite foule des voyageurs.

Voyageurs globalement assez affairés, et qui savaient où ils allaient. Et pour ceux qui ne savaient pas, les guides des agences de voyages munis de leurs éternels panneaux attendaient sagement que leurs clients les rejoignent.

A la sortie de l'aéroport, quelques voitures, beaucoup de bus, et une certaine affluence vers la station de monorail. Et près des portes, des gens distribuant des tracts dont une quantité indécente trainait par terre.

A mieux y regarder, les choses ne semblaient pas si proprettes. De ci de là, on pouvait retrouver des bennes à ordures retournées, des restes de feux, des restes de grenades lacrymogènes... Il s'était passé des choses pas trop nettes dernièrement à New York.

Alixtide regardait tous ces gens avec une curiosité amusée. Il songea à se faire passer pour un de ces gars sur les pancartes des guides, mais le décor négligé de l'entrée capta son attention.

*Quel gâchis ...*

Pensa-t-il en voyant les déchets ici et là. Il reprit son sac sur l'épaule et s'avança jusqu'à l'entrée, tout en se baissant de temps en temps pour ramasser quelques vestiges. Il collecta avec un intérêt particulier les restes d'une grenade lacrymogène.

*C'est cool, je vais pouvoir mes tester un peu.*

Alixtide avait encore en tête une vieille crainte attrapée chez la psychologue du lycée. Selon la doctoresse, sa manie de mâcher les vieux chewing-gums -ou toute nourriture maintes fois périmées- serait un syndrôme de retour à la petite enfance. Bien sûr Alixtide avait une bien plus haute idée de ses capacités. Il lui tardait quand même de se le prouver une bonne fois pour toute.

Le jeune homme ramassa un des tracts qui traînaient partout. Il le parcourut avec attention, curieux de voir si cela le renseignait sur les derniers évenements.

Il s'agissait d'un tract de propagande assez virulent contre les mutants, agrémenté de dessins un peu brouillons mais très suggestifs du destin réservé à ces engences démoniaques.

La fin du document faisait allusion à un journal appelé la sentinelle, et à une association appelée ASCIM, manifestement à l'origine du papier.

Alixtide cligna des yeux, très étonné.

*Que font donc les mutants d'Amérique pour mériter ça ? ...*

Se demandait-il en regardant la caricature. Revenu de sa stupeur, il chercha sur le tract une adresse. Après tout, qui de mieux renseigné que les anti-mutants pouvait lui indiquer où trouver les mutants ?

*Ho purin ... j'ai là une idée géniale. Je vais intégrer cette petite association de bienpensants. Je vais acheter leur journal, ça fera plus sérieux ... Et ensuite facile ... Je leur demande où donc je peux trouver ces démons et on me donne l'adresse de l'Institut. Pfff et dire que mon père voulait que je sois éleveur de porc, avec une intelligence pareille ! Mwéhéhé ...*

Confiant et sûr de lui, Alixtide s'approcha d'un de ces braves gars distribuant les tracts. Il choisit celui qui avait l'air le plus motivé et le plus volubile. Il ne lui parla pas de trop près, afin que son haleine n'incommode pas l'interlocuteur.

"Hé M'sieur ! Je suis Français. Chez nous, on ne peut rien leur faire aux mutants, y'a que la police qui peut. Ca me fait bizarre de voir ça ... le tract. Et tout ce bazar ! Purin ... Y'a eu une bagarre ? Je suis de passage ici, et ce serait une chance de pouvoir militer plus "activement" ... Vous pourriez m'en dire plus sur l'association ? Les étrangers peuvent adhérer ? Y'a une réunion prévue dans le coin ces jours-ci ?"

Il prit un ton sincèrement curieux. Ce n'était pas trop difficile, car il voulait vraiment en savoir plus sur ces guignols. Au lycée agricole ce n'était pas ce qui manquait, selon lui, les imbéciles. Et Alixtide ne ratait pas une occasion de se confronter à leur bêtise. C'était peut-être ancré dans son caractère finalement : être toujours au contact de la bourbe de la société.

Le distributeur de tract se tourna vers Alixtide, et lui jeta un regard de travers. Le genre de regard que les américains jettent aux français. Que les parisiens jettent au provinciaux. Que les citadins jettent au ruraux... Le regard qui veut nettement dire qu'est-ce que c'est que ce bouseux sorti de son trou qui vient envahir mon espace vital.

Il lui fourgua un tract dans la main.

"On a pas de réunions prévues. On fait des event programmés sur le site de l'association. Les derniers ont mal tourné, y'a eu des émeutes avec ces putains de défenseurs des droits de l'Homme, mais ils comprennent pas que nous sommes les vrais défenseurs des droits de l'Homme... Les poulets sont intervenus, alors maintenant, on fait juste ça, mais on va peut-être prévoir un gros truc..."

La curiosité d'Alixtide était piquée au vif. Il garda précieusement le tract en main et tâcha de conserver l'attention du type.

*Rah c'est bien un bel imbécile ... J'ai touché le gros lot.*

"Ah oui ? Un gros truc ? Vous savez je ne suis qu'un étranger, mais ce serait une chance pour moi, d'y participer. Vraiment je ne peux pas croire que les défenseurs des droits de l'homme se mettent contre nous. Ah bon sang, c'est pareil ici que chez nous en fait ! Mais chez nous les mutants sont plutôt des gens qu'il faut soigner, qu'il faut aider, pour les réinserer dans la vie professionnelle. Enfin c'est comme ça qu'ils sont vus, mais moi je trouve que c'est des boulets."

Il jubilait intérieurement de dire toutes ces bêtises, lui qui n'avait jamais croisé de mutant de sa vie. Il essaya néanmoins d'avoir l'air de connaître un peu la question mutante en France, pour que le tracteur le prenne plus au sérieux.

"Enfin je suis de tout coeur avec vous, et si je peux contribuer, même que financièrement, j'y tiens vraiment. La menace mutante n'a pas de frontière hein, et moi j'essaie de les combattre partout, bien que c'est pas facile ... j'ai déjà eu pas mal d'ennuis à cause de ça chez mes vieux. Alors sur le site internet ?"

Il regarda le tract, si tant est qu'il était différent de celui qu'il possédait déjà.

"Mais vous avez pas un numéro de téléphone aussi ? Je sais pas si à l'hôtel où je descends il y aura internet ..."

La c'était sûr, il confirmait sa réputation de bouseux. En même temps Alixtide avait bien rarement pris l'hôtel, et encore moins à New York.

Alixtide se ramassa encore un regard noir et un soupir. Ces gens étaient des activistes, mais manifestement pas de très bons vendeurs.

"Ecoute, je m'en fous de ce que vous faites en France. Ici, on ne veut pas de ces monstres, et on les enfermera tous jusqu'au dernier pour les guérir à notre façon !"

Ce commentaire lui valut quelques regards interloqués d'autres personnes dans le coin qui ne préfèrerèrent pas s'impliquer dans le débat.

"Si tu es contre les mutants, va donc casser leurs carreaux." conclut-il en gromellant. Il ne serait probablement pas possible d'en tirer quelque chose de plus constructif que ça.

Alixtide eut un haut-le-coeur devant la réaction pour le moins primitive et pleine de menaces de l'écervelé tracteur. Il s'en tint là et le salua.

"Ok, merci, c'est ce que je vais faire ! Salut l'ami !"

Il se demanda si en tant que "provincial" il ne figurait pas déjà sur la liste de cette brute. Il faudrait sans doute qu'il trouve des gens un peu plus capables de cette association. Sans perdre de vue son véritable objectif.

*Hmmm est-ce bien raisonnable ce plan finalement ?*

Se disait-il en sortant vers la station de monorail.

*Bah tant qu'on me prend juste pour un Français bouseux qui sent mauvais, y'a aucun risque. Par contre je vais où là ? Heu ...*

Alixtide cherchait une borne quelconque donnant accès à internet. S'il y en avait une à son lycée, il devait bien y en avoir à New York. C'était bien le comble. Il se rappela alors qu'il devait acheter le torchon de journal anti-mutant, pour avoir l'air plus crédible. Il retourna vivement dans l'entrée de l'aéroport en quête d'un marchand de journaux. Il demanda le dernier numéro de "La Sentinelle" et au passage interrogea le vendeur.

"Où est-ce qu'on peut se connecter sur internet Monsieur ? Vous avez un poste là ?"

Le buraliste lui sortit un énorme tas de journaux.

"Voilà, la sentinelle. Vous avez de la chance, c'est mes derniers... Ils sont tous partis avec les émeutes. Tout ça pour les crâmer, ou les brandir en étendards... Si vous voulez mon avis, il faudrait recycler tout ça." soupira-t-il.

Il pointa ensuite une série de cabines téléphoniques, non loin de là.

"Il y a des bornes internet par là. Je peux vous vendre une carte si vous voulez."

Il sortit un jeu de cartes donnant droit à différents temps de connexion.

Alixtide prit les deux premiers "Sentinelle" de la pile sans même regarder les dates ou le titre. Il pointa une carte au commerçant.

"Une heure de connexion, ça me suffira."

Il paya le brave homme et sans plus attendre se dirigea vers une de ces bornes, le sac sur l'épaule et les journaux coincés sous le bras. Il prit soin de ne pas exhiber le titre.

*Des émeutes contre les mutants, n'importe quoi ... Ca voudrait dire que les mutants sont plutôt visibles à New York ? Peut-être ils s'habillent pour être reconnus, et ça fait des bagarres ? En même temps quel mutant voudrait qu'on le reconnaisse ? Ils ont l'air barge ici.*

Le temps de cette pensée fugace, il était déjà en train d'introduire sa carte dans la borne. Jetant les journaux sur le sac déposé par terre, il fouilla dans les poches de sa veste. Sous les vestiges de grenade lacrymo il retrouva son tract avec l'adresse de l'association.

*Avec un peu de chance ces imbéciles ont donné l'adresse de l'Institut sur leur site ... hé hé ... ça m'étonnerait pas.*

Il rentra l'adresse et visita le site. Il cherchait particulièrement l'adresse et le plan pour se rendre au siège de l'association à New York, l'adresse de l'Institut ou de tout autre lieu où trouver des mutants. Alixtide regardait de temps en temps derrière son épaule pour voir si on ne l'espionnait pas.

Le site internet ne parlait pas de grand chose. Beaucoup de photos des émeutes, ainsi qu'un certain nombre d'articles panegyriques de la sentinelle et des antimutants, additionés de pamphlets contre les pro-mutants et l'institut Xavier. Information intéressante : l'Institut Xavier est à Salem Center. Il n'y avait pas d'adresse plus précises.

Quelques lieux étaient estampillés anti-mutants, d'autres étaient pointés du doigt comme mutant-friendly, même si ces qualificatifs étaient probablement absurdes.

Dans tous les cas, un nom revenait souvent, celui d'Eastern News, souvent désigné comme un organe du mal, ou des gens décérébrés par les mutants mangeurs de cervelle.

Alixtide fouilla le site avec une attention redoublée. Il voyait mieux à quel genre d'individus primitifs et dangereux il avait à faire.

*C'est quoi ça Eastern News ? Une chaîne de télé ? Un autre journal ? Peut-être le journal pro-mutant de la ville alors ... Hmmm ... Institut Xavier Salem Center ... ça m'avance vachement. Ouais c'est déjà ça. C'est quoi Salem Center ? Un centre commercial ? Un gros complexe de recherches et d'expériences ?? Une grosse clinique ? Va falloir en savoir plus mon p'tit père ...*

Se dit-il en gravant toutes ces infos dans sa mémoire. Alixtide déconnecta et récupéra ses affaires. Il parcourut à grands pas le reste du hall jusqu'à l'entrée, ignorant cette fois les tracteurs. Il grimpa sans réfléchir dans le premier monorail à sa portée et s'assit sur un siège. Il cala son sac dessous et se mit à l'aise pour lire son journal. Alixtide était très curieux de ces activistes anti-mutants. Jamais il ne s'était imaginé qu'une telle haine s'exprimait ici, en Amérique, sur la voie publique.

*Wahou ... quelle chance j'ai le dernier numéro. Le gouvernement américain est pro-mutant ... voyons ça ... ok ... ouais ... pfff n'importe quoi ... menace mutante ... folie mutante hé ho !!*

Il leva les yeux du journal, incrédule.

*C'est vrai ou quoi ?! Purin alors les mutants d'ici sont vraiment des gros barbares super balèzes ... peut-être bien que j'devrais faire attention aussi. J'suis plus proche d'un imbécile d'activiste humain que d'un mutant over-musclé avec des griffes et qui crache des rayons lasers ...*

Il se replongea dans sa lecture, ébahi par les nouvelles. Visiblement le journal était carrément partial. Il ne put s'empêcher d'éclatter de rire en lisant "notez l'ironie et l'oxymore de citer paix et mutant dans la même phrase" ...

*Mouahahaha pas possible ! C'est des gogols ... Il vaut mieux en rire.*

Avant de passer à la page trois, et voyant que les kilomètres filaient, il aborda son plus proche voisin.

"Pardon, vous savez où faut descendre pour le "Salmen Center" ?"

Le voisin d'Alixtide l'avait regardé de travers pendant ses longues minutes de lecture. Encore un de ces activistes maboules des mutants. Puis il se renfrogna dans son siège, attendant que le temps veuille bien passer.

Il fut finalement dérangé.

"Salmen Center ? Je ne connais pas... Vous êtes dans le para-atlantique là... Il va vers le Sud. On va bientôt arriver à Washington là."

*A Washington ??? Bon sang je croyais qu'on allait au centre ville ... Purin quel débile je suis ...*

Il regarda par la fenêtre, un peu paniqué. Alixtide se rendait compte qu'il ne maîtrisait pas du tout la situation. En même temps il ne pouvait plus faire arrêter l'engin. Il décida donc de poursuivre la conversation avec ce type qui avait l'air sympa. Par habitude il tâchait quand même de ne pas lui parler en face, à cause de son haleine fétide. La dernière chose qu'Alixtide avait dans le ventre c'était le vomi de son voisin passager dans l'avion, et quelques cendres. Pas de quoi faire bonne figure. Il garda donc le regard fixé sur le paysage.

"Ola merci de l'info ... Je suis étranger ici et ben purin c'est dingue ce pays. Je pensais que j'allais au centre commercial ... Je change carrément de ville ! Dites j'ai acheté deux trois journaux là, pour être un peu au courant, et j'voudrais vous demander un truc : ça existe vraiment les mutants ?"

Il accorda un regard en biais à son interlocuteur pour voir s'il écoutait toujours.

"Je veux dire, ceux qui causent des problèmes ... Y'en a vraiment ? Beaucoup ? Je risque quelque chose si je sors le soir ?"

En même temps qu'il parlait, Alixtide échaffaudait son programme pour les prochaines heures. Il irait à Washington et trouverait quelque chose à manger. Puis il enquêterait sur le Salmen Center.

Le passager à qui Alixtide parlait était comme tous les passagers de transport en commun : pas du genre à faire la conversation avec d'illustres inconnus.

*C'est pas vrai, j'ai vraiment la tronche du peuple moi...*

"Si c'est écrit dans les journaux, pourquoi vous n'y croiriez pas ? J'en sais rien moi, de toutes ces histoires de mutants. Rien de plus que ce qui se dit dans les journaux ou à la télé."

Puis il se leva alors qu'une voix annonçait l'arrivée imminente à Washington.

Alixtide soupira et lança un regard noir à cet inconnu qui se montrait bien peu aimable. N'étant pas en principe porté sur la violence, il se contenta de chasser cet épisode de sa tête et se prépara à descendre. Bien vite un sourire réjoui se peignit sur son visage.

*Washington ... Allez, faut s'faire plaisir maintenant. J'ai été bien mal accueilli ici, alors purin, j'vais pas leur laisser me gâcher la première soirée de ma nouvelle vie. J'vais trouver un petit coin sympa entre deux ruelles, bourré de poubelles remplies à ras bord ... et à moi le banquet des dieux. Ralala ouais faut que j'fasse ça. Purin et demain, j'vais à Salmen Center.*

Alixtide sortit du monorail en se demandant à peine comment il avait fait pour échapper aux contrôle des billets. Il était heureux car enfin il allait pouvoir tester son régime à plein.

*Plus besoin de faire d'efforts pour manger avec les autres, et surtout, pas d'argent à dépenser en nourriture, ni en fringues !! Ha ha ha, mon gars tu es l'homme le plus chanceux de la terre.*

Dit-il en tapotant joyeusement son sac de sport avec les journaux roulés. Son but était simple : s'enfiler dans la rue la plus glauque et la plus puante au départ de la station.

La rue n'était pas compliquée à trouver : les quartiers autour des gares avaient souvent beaucoup de restaurants, d'hôtels, de travailleuses... euh... nocturnes et libérales un peu partout, il n'était donc pas difficile de trouver des ruelles où s'entassaient des poubelles de restes de fast food, ou d'autres choses du genre.

Malheureusement, les américains étaient d'une telle folie maniaque que ce qu'ils jetaient à la poubelle était encore parfaitement comestible, au grand bonheur des chats, des chiens errants, et de nombreux clochards et gens de classes défavorisées qui venaient y faire leurs courses... Là où ils le pouvaient encore, car les restaurants barraient de plus en plus leur "rue à poubelles" de grillages que seuls les employés de la voirie pouvaient ouvrir, ceci afin de maximiser leurs bénefices.

La mauvaise humeur et la frustration commençaient à gagner Alixtide. Il se fichait pas mal que la rue soit animée, mais les rares poubelles qu'il croisait étaient pleines de bonne nourriture bien fraiche ou bien cuite. A vomir. Il n'accordait aucun regard à ces femmes aguicheuses, ni aux lumières fluo des fast-food.

*Pays de purin de merde ...*

Ruminait-il en silence. Il arracha de rage un morceau de page de la "Sentinelle" et le roula en boule pour le mâcher en guise de maigre hors d'oeuvre. Il aperçut une magnifique rangée de bennes à ordures ... planquée derrière une grille. Il posa son sac contre la grille, essaya sans succès d'ouvrir la porte.

*J'ai dit que ces crevards me gâcheraient pas ma soirée ! Ce soir, je visite ces bennes. Voilà, c'est dit, cochon qui s'en dédit !*

Sans même prendre la peine de regarder autour de lui, il releva les manches de sa veste, attrapa au dessus de sa tête le grillage à pleines mains, et impulsa sur ses jambes pour commencer l'ascension. Toute la grille sursauta sous son poids, mais Alixtide était déterminé.

Alixtide était tellement déterminé qu'il mit un certain temps à remarquer que s'il restait accroché ainsi à cette grille, il allait finir carbonisé coomme un moustique dans une lampe halogène. Les fous-furieux avaient électrifié le grillage des poubelles !

De nos jours, les gens protégeaient plus leurs poubelles que leurs voisins... Alors qu'il était tétanisé sur la grille, il se retrouva étendu au sol. Quelque chose... ou quelqu'un l'avait sorti de là, mais il ne put malheureusement pas voir qui.

Ses muscles commençaient seulement à se dégourdir, ce qui lui valut une sensation équivalente à une fourmillière entière lui passant de la tête aux pieds. C'est alors qu'il entendit les sirènes de la police se rapprochant.

Alixtide avait du mal à déglutir. Il regardait bêtement la grille qui, depuis le sol, semblait aussi menaçante qu’un rempart. Il avait des étoiles plein les yeux et tout son corps bourdonnait. La surprise de cette électrification surréaliste, la douleur de la chute, la sensation furtive d’avoir été tiré par quelque chose et enfin les sirènes de police … tout lui arrivait pêle-mêle dans son cerveau engourdi. Il haletait comme s’il avait couru un cent mètres.

*Y’a un problème …*

Conclut-il simplement en essayant de remettre dans l’ordre les événements. Il se figura que peut-être il s’était blessé, qu’on l’avait frappé. Ou alors la foudre ?

*La police ? Ou l’ambulance ? C’est pas pour moi … j’ai rien fait.*

Il s’assit péniblement, avec raideur. Les fourmis mordaient à chaque mouvement. Il tâta ses épaules, le haut du dos, craignant de trouver du sang. Il caressa le haut de son crâne et sentit des picotements partout dans la main en touchant ses cheveux. Il se leva brusquement, avec douleur, le cœur affolé. Il regarda partout autour de lui, la vue encore brouillée.

*Merde de purin ! C’est les poubelles du président d’Amérique ?? Mon sac ??*

Il chercha son sac en chancelant, effrayé et transi. Il valait mieux s’esquiver avant qu’on lui pose des questions.

Fort heureusement, son sac n'était pas loin. Les gens étaient peut-être parano, mais leur auto-enfermement était tel qu'il ne cherchaient même pas à voler.

Par chance, il y avait un peu de monde dans les rues, et il parvint à voir du pays, ce qui l'empêcha de remarquer que la police montrait sa photo aux passants, qui, fort heureusement, avaient autre chose à faire que de l'avoir reconnu.

Il n'était plus très facile être policier à cette époque.

Alixtide en profita pour filer à l'anglaise, encore sonné par le choc qu'il venait de subir. Il se frottait les yeux et maugréait. De quel droit ces gens électrocutaient-ils leurs semblables ?? Une vague de désespoir le submergea.

*Purin si j'avais pu imaginer ... comment je vais manger moi ? Ils sont tarés !*

Angoissé à l'idée de rester dans la rue, il entra dans le premier fast-food venu. L'atmosphère était lourde de graisse, de friture, de tabac et de vieux rots. Il commanda le menu le moins cher et alla s’affaler à une table, avec vue sur l’entrée. Il n’était plus très sûr, si quelqu’un l’avait tiré de la grille, ou s’il était tombé tout seul. Le poursuivait-on ? Il avait encore des frissons partout et ses dents claquaient. Cette fois hors de question d'aborder quiconque. Il avait bien retenu la leçon de ses deux précédents essais.

*Faut que j’me calme … je dois pas avoir choisi le bon quartier. Ou alors ils sont tous comme moi dans cette ville et tout le monde bouffe dans les poubelles ! Purin j’aurai jamais imaginé.*

Le hamburger avait l’air tellement dégueulasse en l’état que ça lui arracha un sourire de gratitude. Il étala le restant de la « Sentinelle » à côté de lui pour faire mine d’être absorbé depuis longtemps dans sa lecture. Puis tout en gardant l’œil sur la porte d’entrée, il se força à mordre dans le sandwich.

Par la porte d'entrée, Alixtide put voir passer une voiture de police, sirènes éteintes. Manifestement, la poursuite était terminée...

Quelques personnes dans le fast food le regardèrent d'un oeil torve exhiber sa sentinelle, mais s'abstinrent de tout commentaire.

L'ambiance n'était pas très réjouissante, et le hamburger très gras, la viande trop cuite, la salade trop cuite, et le ketchup pas de la première qualité.

Alixtide regarda la voiture partir en haussant un sourcil.

*S’ils s’en vont, c’est qu’ils ont terminé leur mission, donc … ce n’était pas pour moi. Je suis un purin de parano !*

En vérité, selon lui il n’avait rien fait de répréhensible et ce n’était certainement pas la grille qui avait pu faire jaillir les flics. Non, c’était un autre pauvre type qui était en cause cette fois. Alixtide avalait péniblement les bouchées de cet immonde sandwich, tout en rivant ses yeux sur le non moins immonde journal « La Sentinelle ». Son cœur battait encore trop vite à son goût et sur ses bras ses poils ne s’étaient toujours pas remis de l’électrochoc.

*Purin de pays de tarés !! Moi qui voulais mener la grande vie, avant de trouver l’Institut Xavier … Electrifier les poubelles !*

Malgré le goût plâtreux du pain, le caoutchouc de la viande et le gluant répugnant du ketchup qui s’étiolait sur son menton, Alixtide ne supportait pas du tout cette nourriture. Son estomac, quelque peu retourné par les différents événements, et déçu dans son espérance d’ordures bien faisandées, se tordit de spasmes à l’arrivée du hamburger. Alixtide lâcha le sandwich sur la table, essuya à la va vite sa main pleine de ketchup dans les cheveux, et tint fermement son ventre dans l’espoir de le calmer. Frustré en nerveux, il lisait en grimaçant la page trois de son second journal.

*Une mutante ailée au Texas … wah ça c’est le pied. Eh ben voilà un bulletin d’adhé…. Beuh… envoyer à la Sentinelle … j’vais y a…aaaah dégueu … y’aller et leur poser des questions sur les mutants. Purin de merde j’ai sali ma veste ! Mais est-ce que c’est vraiment une bonne idée … et cet autre journal là … Eastern News ? Ah purin ! beuurp…*

Alixtide n’arrivait plus à réfléchir. Son estomac le prévint in extremis du retour à l’envoyeur de toute la marchandise. Le jeune homme attrapa juste à temps la boite en carton du hamburger pour lui restituer sous forme pâteuse et acide les parties manquantes. Alixtide toussa comme un forcené, redécorant toute la table de postillons alimentaires.

Haletant comme un bœuf et tremblant comme une feuille, il regardait le nouveau contenu de son plateau.

*Ca a meilleure mine déjà … et ça leur montre que leur bouffe est dégueu à ces imbéciles. Ha ha ha !*

Il se tourna timidement vers le comptoir, esquivant les regards de ses trop proches voisins.

« Pardon … je … j’vais nettoyer … Vous avez une serpillière dans un seau ? J’suis un peu malade. Ou une lavette déjà utilisée ? Une éponge ? Beu… bh.. »