Ruminement

Sahari se sentit légèrement prise au dépourvu. C'était direct et efficace. Elle ne s'attendait pas à cela de Carrie, sur laquelle elle semblait commencer à avoir de l'influence en ce sens. La noire prit quelques bouchée, réfléchissant à une réponse convenable, mais Carrie profita de son silence pour attaquer de nouveau. Un sujet qui la tracassait? Plus ou moins. Autant y aller franc-jeu.

"J'ai reçu un appel de McCuffrey ce matin et j'ai bien vu que Camille ne s'était pas totalement remise de son kidnapping. Alors ça m'a fait penser qu'on était jamais totalement hors de danger... même dans les activités sportives. Ce serait dommage qu'il vous arrive le même genre de choses. Surtout que bon, enfin. Vous êtes cinq, et je suis peut-être superstitieuse, mais il me semble que les nombres pairs augurent mieux que les nombres impairs..."

Sahari fronça les sourcils. Elle n'avait peut-être pas été claire.

"Enfin, je veux dire que si quelqu'un décide de vous kidnapper, mieux vaut que vous soyez un peu plus nombreux pour vous défendre, non?"

Elle termina son assiette et y plongeant son regard, les joues pourpres. Qui était-elle pour donner des conseils aux autres profs?

Après avoir eu son chemin indiqué par Richard dès son arrivée, Luther s'était rendu aux bureaux, histoire de se présenter... Et de s'inscrire ici ? Faque, il était donc ben rendu là pour ça.

En tout cas, il y avait une porte ouverte et deux femmes dedans. Il se plaça dans l'encadrement de la porte, et se râcla la gorge.

"Heye... Salut là... Je m'appelle Luther, chu nouveau icite là. Y'a un prof là, j'ai égaré comment y s'appelle. Le grand blond avec une chaussure noire, ya dit de venir ici..."

Une entrée en la matière typique.

"Meilleur augure?...Me défendre?"

La défendre? Carrie leva ses yeux vers Sahari et la regarda simplement. Si simplement, en effet, que l'africaine pouvait se demander ce qui n'allait pas avec l'avocate. Elle se contenta simplement de regarder sa collègue comme si elle venait de dire la plus mauvaise blague qu'elle avait entendu. Elle arqua les sourcils et soupira. Ouais...Elle n'était pas une reine ou un empereur qui se promenait avec ses prétoriens! Elle n'avait pas besoin de soldats ni même d'une garde personnelle pour la protéger dans ses déplacements. Si elle le voulait, elle pourrait faire exploser les boxers de Adam! Elle hocha la tête et opta pour la facon la plus simple de se débarasser de sa charmante collègue:

"Très bien, très bien Sahari! Je prendrai un des nouveaux dans mon équipe! Le premier qui se présente! Question de ne pas détruire le chacra..." termina-t-elle avec sarcasme.

Carrie observa un moment Sahari qui semblait avoir rougit. Rougit? Impossible...Les noirs ne rougissent pas! La situation occupa l'avocate quelques secondes, jusqu'à qu'une voixà l'accent prononcer s'élève dans son bureau. Lentement, elle tourna la tête vers Luther et le dévisagea. C'était un nouveau...Il s'était présenté...Il était le premier. Encore une fois, elle avait parlé trop vite. Elle ferait un voeu de silence la prochaine fois, elle se le jurait... Carrie croisa quelques secondes le regard de Sahari et finit par le lever pour inviter le jeune homme à entrer. Elle ne lui adressa aucun sourire et dit d'une voix sévère:

"Bonjour, Luther. Je m'appelle Carrie Marcin..."

Incertaine d'avoir compris tout ce qu'il avait dit, Carrie regarda le jeune québécois avec étonnement:

"...Professeur Fish vous a dit de venir me voir?"

"Pas te, vous..."

Visiblement, les deux femmes ne se comprenaient pas du tout en ce moment. Là où Sahari voulait dire margarine, Carrie entendait huile. C'était assez dommage, surtout que Carrie ne semblait pas du tout apprécier les propos de Sahari : elle réagissait comme si elle avait été blessée. Ça l'apprendrait à parler trop vite... La prochaine fois elle tournerait la langue sept fois, et la tiendrait quand même. Elle qui avait seulement voulu dire que Carrie n'avait pas un visage inconnu du public, elle était mieux de faire attention... pour ne pas qu'il arrive à son équipe quelque chose comme il était arrivé à Camille. Dénotant le sarcasme de sa collègue, la grande femme se leva et demanda, d'un ton beaucoup moins amical :

"Si vous avez terminé, je vais rapporter les assiettes en cuisine."
Elle empila les assiettes sans attendre la réponse de Carrie et se retourna au moment où Luther faisait son arrivée de façon plutôt personnalisée.

"Enchantée, Luther."

Elle s'avança jusqu'à la porte et, une fois dans le corridor, reprit, en adressant un sourire victorieux à Carrie par-dessus l'épaule de l'élève :

"Tu tombes à pic. Richard t'as envoyé ici pour ton inscription? Je suis persuadée que Carrie se fera un plaisir de t'y aider."

Ailleurs

Luther regarda les deux femmes avec un air méfiant. Il fallait toujours se méfier des femmes... Toujours en train de préparer un sale coup. Au moins, les hommes, c'était facile : du cul et de la bière, et ça faisait tout de suite des amis.

Il répondit toutefois poliement, ne sachant pas trop ce qui l'attendait pour la peine.

"Ben, en fait là, y m'a pas dit de venir icite là ou vous voir vous, mais ya juste dit d'aller trouver quelqu'un pour s'inscrire, faque chu rendu dans ce corridor, et y'avait la porte d'ouverte, alors chu venu voir. Mais bon, je peux aussi aller frapper ailleurs si vous voulez."

Il pointa du doigt une autre porte au hasard.

Luther écouta attentivement toutes les explications de Carrie en hochant la tête et en se disant *Taboire, dans quoi je m'en suis encore rendu là...*, puis finalement, il répondit aux questions de l'imposante prof.

"Ouais... Ben chu Luther Pollender, j'ai donc 19 ans là, je viens de Montréal, et chu... hoye... Regardez plutôt là."

Pensant qu'une explication valait mieux qu'un long discours, Luther fit apparaître un ballon-psy, joua quelques instants avec, puis le lança dans la poubelle comme pour faire un panier, réduisant l'objet en pancake, alors que la balle disparaissait.

"Oups... ça, c'était pas dans le plan, mais faque, je sais faire tout un tas de patantes comme ça : ballounes, bâtons, mains..."

Luther haussa les sourcils face à l'offre impromptue de Carrie. Mais il appréciait cette spontanéité, et ce léger grain de folie. Il sourit à son tour, tâchant toutefois de modérer son enthousiasme.

"Sure boss. Je veux bien faire partie de l'équipe là. On verra bien si je sauve le monde avec ça."

Il récupéra son sac, puis regarda vers le seuil de la porte, pour demander l'autorisation de partir.