Bébé, Dandy et Amitié

En chemise, le garçon mourrait de froid et d’inconfort, ce qui le poussait à maudire secrètement les dieux d’une température capricieuse qui ne ravissait que les pingouins de l’antarctique. La chaleur du centre commercial redora son visage d’un sourire, et ne pu que l'obliger à justifier sa litote de tout à l’heure. « Ce n’est pas toi qui va me contredire, ton homme n’est franchement pas dégueulasse ». Cette usage de pudiques compliments pour vanter les attribues d’un autre résultait d’une culpabilité amoureuse qui lui faisait partiellement regrettait son intérêt, même vaguement charnel, envers une autre personne que son professeur.

Lorsqu’ils passèrent devant une boutique de vêtements, il s’arrêta brièvement pour contempler les manteaux de cuirs. Il décréta alors qu’ils devraient y faire un tour plus tard, ne serait-ce que pour faire chauffer la carte de crédit que sa mère lui avait confié pour les urgences quotidiennes. « Je peux imaginer l’incertitude qui t’envahit, mais, il y a toujours l’alternative. Quoiqu’il en soit, il s’arrêta pour lui faire face, quoiqu’on en dise, c’est ta décision et tu sais que tu pourras toujours compter sur nous pour te soutenir. Enfin, plus sur les philanthropes irritant qui jonchent la bâtisse, mais un peu sur moi sde temps en temps. Même s’il n’est pas voulu, un enfant reste une bénédiction, et avec vous deux comme parents, le mioche ne peut que s’épanouir ».

Ils arrivèrent enfin devant l’objectif, un petit stand timide avec une diversité de parfums limités. Il commanda pour lui une simple boule au chocolat, en cornet, et demanda la celle de Rachel. « Et les femmes enceintes sont très belles et gracieuses… Sauf quand elles vomissent. Ou qu’elles s’énervent pour un rien… Ou bouffent comme des affamées. Enfin, je suis sûr que ce n’est pas un problème en soi ».

Cette maladresse cinglante avait le mérite d’être innocente et involontaire, il s’excusa d’un regard dirigé vers le sol. Regard qu’il redressa aussitôt pour dévoiler un timide sourire. « On va aller acheter un test plus tard, si tu veux… On aura la chance d’être fixé, d’accord ? »

Il n’avait pas eu de contact aussi chaleureux depuis son arrivé à l’institut, depuis que Zane l’avait quitté avec un simple ticket pour New York. Ce serait mentir que d’affirmer qu’il n’y trouvait aucun réconfort, même s’il provenait de la détresse d’une autre. Lorsqu’elle lui prit le bras pour l’entraîner, un sourire s’afficha sur ce visage si souvent évocateur d’une haine légitime. L’antagonisme des deux mutants se métamorphosait en une singulière amitié que le Dandy, même dans ses plus atroces cauchemars, n’aurait jamais imaginé.

Il entra dans la boutique, donna son cornet à Rachel et choisit une veste en cuir sombre, taillée courte, qu’il s’empressa d’enfiler. « Elle me va bien ? Pas vraiment pratique pour l’hiver, mais disons que les gros manteaux ne me mettent pas en valeur… Ce qui est gênant en ce moment ». Il se regarda rapidement dans le miroir, écoutant d’une oreille attentive l’opinion de l’hypothétique engrossée. « Je suis sûr que tu t’inquiètes pour rien, dit-il légèrement mélancolique, Ken et toi, vous avez une chance immense de vous être trouvé ».

L’article semblait le satisfaire, la coupe mettait en valeur la cravate qu’il portait. Il la retira pour aller payer à la caisse, entretenant toujours la conversation avec Rachel. Par moment, le souvenir du poème délaissé revenait le hanter. Comment allait-il le prendre ? Devinerait-il qui en est l’auteur ? Jugerait-il cela indécent ? Connaissait-il au moins son existence ? Ce n’était pas comme s’ils avaient beaucoup parlé, ou qu’ils se croisaient souvent. Peut-être l’idéalisait-il comme une groupie devant une rockstar ? Peut-être cherchait-il simplement un rejet compatissant différent de l’animosité qu’il attisait chez ses camarades ? De toute évidence, le choix de son cœur était obscur et la présence de Rachel suffisait à occulter partiellement cette volontaire souffrance qu’il désirait s’infliger.

Le jeune homme parcourait le centre commercial comme dans le temps de la normalité, l’époque où il avait des amis avec lesquels il sortait pour s’évader quelques instant du joug dictatorial du système scolaire. Rachel voulait à tous prix repousser l’inévitable test pipi qui conduirait à une réponse fiable et apaisante. Certainement possédait-elle quelques réserves urinaires découlant d’un trauma dû à une mauvaise expérience aux commodités. Il n’allait pas non plus creuser la question, se répugner en pleine dégustation de glace serait masochiste.

Il s’assit aux côtés de la mutante, lapant quelques bouts de sa friandise en prenant soin de ne pas tâcher ses précieux vêtements. « Rien en particulier, répondit-il, juste à mes aventures précédant mon arrivé à l’institut ». Le silence vint envahir ce rare moment de cordialité pour laisser planer une aura de gêne cruel qui ternit ce doux instant de sociabilité. Il n’avait jamais confessé sa rupture, ni son séjour en prison. Le bagage lourd qui déclencha cette verve dédaigneuse qu’il appliquait avec talent sur son entourage.

Il songeait à vider son sac, à libérer ses épaules du fardeau du secret pour délaisser le poids sur le dos de la confidence. Ce n’était pas honnête envers la demoiselle qui déjà possédait son lot de problème. Mais après tout, songea-t-il égoïstement, elle avait demandé à savoir. D’une voix évasive, il déclara : « Avant de rejoindre l’institut, je m’étais rendu à la police pour requérir leur aide. Je connaissais les préjugés sur ce corps despote du gouvernement, mais j’espérais qu’ils puissent trouver un remède à mon mal. J’étais naïf, hein ? Les choses ont mal tourné, je me suis énervé contre la secrétaire et on m’a jeté en prison. Pendant le procès, j’ai aussi insulté la juge. Faut dire que comme grognasse, c’est dur de faire mieux. Mon copain m’a largué, ils m’ont jeté au trou, avec une sentence de deux ans, et j’ai dû pendant deux semaines faire les pires crasses des plus intenses salauds pour éviter de me faire violer. Zane, mon ex, est revenu pour me tirer de là et m’a indiqué le chemin de l’institut. Je suis partit sans demander mon reste et j’ai trouvé l’endroit. Tu connais la suite, prof fou, voyage culturel à Paris et le reste ».

Il termina son sorbet et reprit d’une voix maintenant plus affirmée : « Pour tout avouer, j’étais pas aussi « mauvais » en arrivant à l’institut. Mais mon identité c’est créé autour de ce personnage dédaigneux et mesquin, je suppose que je m’y suis accommodé. Ça m’évitera de réitérer l’erreur « Zane » ». Il jeta la serviette en papier dans la poubelle, se leva du banc et regarda Rachel avec un sourire. « Merci de m’avoir écouté, encore une fois, si tu répètes ça, gare à ta coiffure. Bon, si on allait faire un billard ? Ca fait longtemps ! »

Rachel et Daedalion se mirent en routent pour la salle de jeu. En chemin, il s’arrêta pour acheter la sentinelle qu’il feuilleta presque immédiatement. Sa première lecture lui revint à l’esprit. C’était étrange de relire cet ouvrage en possédant tous les faits. Il distingua l’absence d’objectivité des reporters, et pire encore, une rage naissante envahit ses tripes tandis qu’il se rendait compte du manque de considération pour ces jeunes qui risquèrent tout pour permettre à la justice de triompher. Il passa le journal à Rachel.

« J’en reviens pas, dit-il doucement en serrant le poing, avec tous ce qu’on a fait, ils pourraient au moins nous laisser en paix. Au lieu de ça, ils nous diabolisent comme des monstres ! » Il secoua sa tête de dépit, puis redora un sourire innocent destiné à ne pas attiser la curiosité d’éventuels indiscret à l’écoute des deux jeunes. L’entrée de la salle d’arcade apparut, beaucoup de gamins jouaient à leurs bêtises ce qui devaient certainement donner une vision guère agréable d’un avenir possible à Rachel.

« T’habitue pas trop à mes confidences, reprit-il pour changer de sujet, j’ai juste sauté sur l’occasion pour vider mon sac ! En dehors de ce que je t’ai raconté, ma vie est aussi ennuyeuse qu’un lapin lobotomisé ». Il loua les queues de billards au patron du lieu, se saisit des boules et les mit en place sur le tapis. « On joue pour des étapes, si je gagne cette première partie, on achète un test. Rien ne t’oblige à l’utiliser, mais l’achat est obligatoire. Si je perds, tu choisis ton gain m’impliquant ». Il entama la partie en cassant le triangle de sphère, rien d’impressionnant, son niveau était celui d’un joueur occasionnel.

Même dans sa plus évidente modestie, Daedalion n’admettra jamais le bonheur que cette journée lui procura. En deux mois, aucunes des âmes peuplant la bâtisse atypique ne parvinrent à adoucir cette colère qu’il transportait depuis quelques temps. En une heure, Rachel lui arracha ses seuls sourires sincères émancipés de toutes mascarades orgueilleuses. Il renouait avec un passé oublié, une histoire simple et sans prétention mettant en scène un banal adolescent en quête de son identité sexuelle. En y repensant, le jour où il découvrit son pouvoir, il révéla son homosexualité à son entourage.

Une évidence qui le tourmenta pendant plusieurs semaines, pour au final, s’avérer complètement bénigne face à des proches atrocement compréhensibles. Sa mutation elle-même n’avait pas inquiétée ses parents qui n’hésitèrent pas à le protéger contre une opinion publique hostile et imprévisible. Lui-même, il y a peu, condamnait les mutants pour leurs hypothétiques dangerosités. Ce n’est qu’une fois qu’il passa de l’autre côté du miroir qu’il réalisa, à ses dépends, que le pouvoir ne devenait dangereux que suivant l’usage de son détenteur. Malgré les apparences, il ne souhaitait blesser personne, à l’inverse d’un Serbe psychotique cherchant à disséquer sous n’importe quel prétexte.

Il se saisit de sa canne et envoya une rayé au fond du gouffre. Son deuxième coup connu un succès moindre, la boule visée frôla le trou mais ne s’y engagea pas. « Mince ! A ce train là, ça risque de s’éterniser. Ca fait combien de temps que vous êtes ensemble, toi et Ken ? » Sa stratégie n’avait aucunes prétentions, il espérait juste remonter le moral de Rachel en lui rapellant les bons moments qu’elle connut en compagnie du génie.

Rachel détourna son attention du tapis, craignant que sa maladresse ne lui ait infligé une défaite. La boule noire frôla le trou, mais n’y tomba pas à l’intérieur. Opportuniste sans valeur, Daedalion profita que son adversaire tourne le dos au jeu pour s’attribuer la victoire. « Yep, dit-il incertain, c’est bien la noire, on dirait que tu as perdu ! » Il déposa sa canne contre le mur, et commença à ranger les boules dans la précipitation. Mauvais menteur depuis toujours, il préférait éviter que l’on s’éternise sur le sujet pour ne pas qu’elle découvre la supercherie.

Il ne trichait pas souvent. Pour tout dire, il détestait ceux qui s’adonnaient à cette bassesse pour engrosser leurs poches d’une monnaie tout aussi corrompue que leurs actes. Mais Rachel devait faire l’acquisition d’un test, ne serait ce que pour apaiser son cœur le moment donné. Qu’importe si pareil besogne la répugnait, elle se devait de savoir car en cas de grossesse, des précautions seraient nécessaire. « Je suppose que ça veut dire qu’on va faire un tour à la pharmacie. Tu n’es pas obligé de l’utiliser, mais si un jour tu ressens le besoin de savoir, tu pourras toujours avoir l’option. »

Il rendit l’équipement au patron paya la note et attendit la demoiselle à l’extérieur. Il profita de ses quelques secondes de solitudes pour détailler les humains qui l’entouraient. Les voir ainsi vaquer à leurs occupations réveilla un souvenir en le garçon. Depuis qu’il se trouvait à l’institut, son monde, son univers, s’était réduit à un simple bâtiment. Autrefois, il rêvait de parcourir le monde, de vivre des aventures palpitantes et de toujours vagabonder. Mais son pouvoir l’avait réduit à un simple mutant dépendant de ses ainés pour survivre. Ce problème n’en évinçait pas les autres, il ne faisait que s’additionner à une liste si vaste qu’il s’était résolu à survivre pendant encore quelques années. « En y repensant, murmura-t-il sans se douter que Rachel puisse l’entendre, ma vie n’a pas pris la direction que je voulais ; elle m’a filée entre les doigts. »

Il marcha aux côtés de Rachel en conservant un vague sourire réconfortant. Ses pensées le rongeaient progressivement et même s’il essayait de dissiper ces douloureuses interrogations, elles s’inscrivaient immuablement en lui pour le rappeler à l’ordre. Il décida de parler, ou du moins de répondre à Rachel pour se changer les idées. « Je n’ai nulle part où aller, de plus, les autres ne semblent pas particulièrement pressés de me voir. Pas plus que je suis disposé à leurs parler. » Le chemin vers la pharmacie se faisait long, et chaque pas s’accompagnait de funestes présages qui le moquaient tel l’enfant jaloux de l’ours en peluche de son voisin.

Peut-être était ce la raison de sa récente amabilité ? Les problèmes actuels de Rachel étaient d’importance, à l’inverse des siens purement existentialistes, elle faisait face à un problème concret et imminent. Il tourna un docile visage en sa direction, souriant toujours avec modestie. « Les perspectives d’avenirs à l’institut, elles sont plutôt minces. Je n’avais jamais vu de cadavres de ma vie, en une heure chez les mutants, c’était les vivants qui se faisaient rares ».

Il regretta instantanément ses paroles, dire de telles choses macabres à une donzelle engrossée n’était pas philanthropique, juste égoïste et insensible. Il remarqua l’énorme quantité de choix de test, l’alternative était tout de même possible, et sous l’inquiétante ambiance du moment, il se saisit du fameux test mis en place par les pédiatres pour y lire les instructions. Besogne guère ragoutante qui précède le don de la vie, une nouvelle désillusion de la réalité qui subtilise constamment le charme d’un événement pour le rendre plus humain.

Et cette caissière qui lui souriait comme si son bonheur ravissait ses hormones de pharmaciennes. Certes, il s’était montré gentil envers Rachel, mais il n’était pas Gandhi avec tout le monde. « Je suis aussi hétéro qu’un chasseur de volaille est subtile. Fais moi plaisir, lui dit-il, arrête de sourire comme une écervelée s’extasiant de la vie d’autrui, c’est fatiguant, hypocrite et complètement inutile. Va te faire engrosser si t’as envie de jubiler devant un bide ».

Sur cette phrase, il focalisa son attention sur Rachel, lui souriant comme si la caissière n’existait plus, il attendit qu’elle paie pour savoir qu’elle était la suite des évènements.

Rachel sembla quelque peu gênée par la réplique de Daedalion. Le garçon, lui, anticipa parfaitement la réaction d’une femme emprisonnait dans la bienséance du travail. Il conserva son aplomb et se laissa traîner dans les commodités. Il détestait ce genre d’endroit salace où les urinoirs s’alignaient, dégageant une odeur nauséabonde et dont les chasses d’eaux, pourtant dans leurs essences hygiéniques, s’activaient d’une simple pression aussi dangereuse qu’une poignée de main avec Alixtide.

Retourner à l’institut ne l’appâter guère, ce bastion de politesse qui empêchait toute bravade au règlement pas l’omnisciente I.A qui se montrait intransigeante envers la consommation de tabac. Il s’attristait surtout de mettre fin à un tel moment de bonheur, une après midi honnête durant laquelle il parvint s’évader d’une haine réciproque qu’il entretenait malgré lui. En un rien de temps, il fut de retour à l’institut.