[Vancouver, Canada] Nouvelle terre, nouvelle vie

Yang descendit du bâteau et respira un grand coup en posant le pied sur le sol américain. Il avait passé toute la traversée dans un état d'anxiété extrême, comme si à tout moment quelqu'un allait crier au mutant et obliger le bâteau à faire demi-tour. Il vivait encore dans la peur - injustifiée désormais - d'être dénoncé. Il n'ignorait pas que le seul avenir possible pour un mutant tombé aux mains des autorités chinoises était la mort.

Comme un symbole, toutes ces pensées furent balayées quand il pénétra sur le territoire canadien. Enfin il était libre ! La population mutante n'était pas réprimée dans ce pays, et Yang en ressentait un grand soulagement, comme un homme dans le désert menacé par les vautours et qui tombait enfin sur une oasis. Il se rendit compte du sourire niais qui était apparu sur son visage et se reprit en adoptant plus de retenue. Il était quand même un étranger et il devait faire preuve de plus de discrétion : sourire bêtement aurait dénoté une certaine arrogance.

Il marcha une demi-heure le temps d'atteindre la gare, car il avait été accepté à l'Université de Toronto, où il pourrait approfondir ses connaissances des langues anglaise et française. Pour cela, il allait prendre le monorail, traverser les mythiques paysages canadiens jusqu'à l'autre bout du pays et là-bas, on le trouverait peut-être bizarre, mais le Canada était une terre aux cultures diverses et sa différence serait peut-être mieux vue, voire acceptée ? En tout cas, une chose était sûre : il n'était plus en danger de mort.

Il finit par arriver à la gare, son sac de voyage rempli à ras-bord sur le dos et chercha les horaires de monorail...

Après avoir consulté le panneau d'affichage, Yang monta dans le monorail qui allait l'emmener vers Toronto, soulagé. Il s'éloignait donc encore de la Chine, loin de la peine capitale.
Le froid du mois d'avril canadien avait peu à peu cédé la place à la chaleur de la gare, puis au confort agréable du wagon. Il rangea son sac à dos au-dessus de sa place et s'assit à côté d'une jeune femme qui ne tarda pas à se présenter.

"Je m'appelle Hélène. Je vais jusqu'à Montréal ! J'espère qu'on va bien s'entendre, le voyage va être long, mais je suis sûre qu'on va bien s'amuser."

Quelque peu interloqué - en Chine, personne ne se présentait aussi franchement à un inconnu - mais guidé par la confiance que lui inspirait , il sourit timidement et se présenta à son tour en inclinant respectueusement la tête.

"Enchanté, je m'appelle Yang. Je vais à Toronto pour mes études. Je viens de Chine, j'apprends l'anglais et le français. J'espère aussi que nous allons nous entendre."

Il garda son sourire après avoir parlé. Il faisait preuve de la réserve naturelle qui le caractérisait mais il pensait ainsi l'inviter à parler d'avantage. Et à vrai dire, il le souhaitait car elle avait raison : ils allaient surement bien s'entendre. Il aimait les gens enthousiastes et Hélène était la première personne qu'il rencontrait depuis son arrivée en Amérique.

"Pourquoi allez-vous à Montréal ?" s'enquit-il par pure curiosité.

HJ : c'était fait.

"Oh, et bien en fait, je retourne chez mes parents. Figurez-vous que...."

Et ce fut parti pour une discussion si enflammée que Yang s'aperçut à peine du monorail qui se mettait en branle. Hélène était intarissable sur sa vie, tous les sujets y passaient : sa vie professionnelle, sentimentale, familiale, etc. La vie d'Hélène, une vie tellement différente de celle qu'il avait connu dans le Guangdong, sonnait aux oreilles de Yang comme un doux conte d'un autre continent. Ce qui était un peu le cas, n'est-ce pas ? Le jeune chinois lui parla en retour de la Chine, de ses parents qu'il avait abandonné, et combien il était heureux de venir au Canada pour étudier les langues. Il omit bien volontairement les détails concernant son coupable don.

Les deux jeunes gens étaient à peine interrompus par l'hôtesse du wagon, une certaine Dorothy, qui leur proposait régulièrement divers services que Yang refusa en bloc. Et alors que l'hôtesse venait d'annoncer le délai d'attente avant d'arriver à Calgary, le monorail ralentit, ralentit encore puis s'arrêta complètement...

"Qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi est-on arrêté ? Vous savez pourquoi on est arrêté ? Je me demande pourquoi est-ce qu'on avance plus.... Ce serait dommage de rester arrêtés là. Personne ne sait pourquoi on ne va pas plus loin ?"

Naturellement, Hélène commença à paniquer, elle manquait de calme pour prendre la situation avec zen. Yang tenta aussitôt de la rassurer.

"Il vaut mieux qu'on soit patient. Quelqu'un ne va sûrement pas tarder à nous donner la raison de notre arrêt."

"Mesdames messieurs, suite à un incident technique sur voies, notre rame s'est arrêtée. Nous faisons au mieux pour déterminer le problème et le résoudre le plus efficacement possible."

Hélène se lança alors dans un flot de plaintes ininterrompu, apostrophant sans arrêt le pauvre Yang qui n'y pouvait rien. La canadienne était bavarde, une qualité quand on veut engager une conversation. Mais à présent Yang découvrait qu'une qualité pouvait vite devenir un défaut horripilant. Il était submergé d'hypothèses et de questions inquiètes sur les raisons de l'incident technique.

Yang s'était réfugié dans ses pensées pour échapper aux paroles de sa voisine, ce qui n'arrangeait rien. Car la panique d'Hélène était contagieuse, et il forgea à son tour les hypothèses les plus folles : et si le monorail avait été arrêté par des forces chinoises ? Aucun doute, ils avaient été mis au courant de son évasion maquillée et ils étaient revenus le chercher. Oui, ça ne pouvait être que cela.

Il décida de rationaliser la situation et de chercher à en savoir plus. Et s'il pouvait glaner des infos sérieuses qui pouvaient calmer Hélène, c'était encore mieux. Il se leva alors de son siège et se dirigea vers Dorothy.

"Veuillez m'excuser, madame. Mais mon amie et moi aimerions savoir s'il serait possible de connaitre la raison de cet incident, s'il vous plait ?"

[HJ : désolé, le caractère inutile de la chose ne m'avait pas sauté aux yeux]

Yang fut surpris par la secousse brusque qui venait de se produire, et éprouva une grande gêne de se retrouver le cul par terre devant tout le wagon. Il se remit debout, remercia Dorothy d'un hochement de tête et regagna sa place auprès d'Hélène, à qui il transmit la réponse de l'hôtesse.

"Apparemment, il y a une panne sur la voie plus loin et il n'y a plus d'électricité. Pour résumer, la rame est hors-circuit. Apparemment, tout est normal... Pour une panne, bien sûr."

Il trouva l'atmosphère dans le wagon assez inquiète du fait de l'obscurité qui y régnait, et il craignait de surcroît que sa voisine ne panique encore plus et ne l'ennuie de plus belle. Si seulement il n'y avait pas eu de panne, sa compagnie aurait pu rester agréable... Afin d'échapper à une éventuelle nouvelle crise de panique, il décida de piquer un somme.

"Je vais dormir un peu, si ça ne vous dérange pas, Hélène. Le voyage m'a beaucoup fatigué, et l'ambiance est propice à une petite sieste. Est-ce que vous pouvez me réveiller dans vingt minutes, s'il vous plait ?"

Il ferma les yeux, s'isolant ainsi temporairement du monde extérieur.

Finalement, Yang avait réussi à faire une vraie sieste. Pendant combien de temps, il l'ignorait, mais il avait effectivement dormi. Et il aurait sans doute continué sur sa lancée si Hélène, ses secousses frénétiques et ses questions paniquées ne l'avait réveillé : elle parlait de quelque chose sur la voie qui bougeait.

Il venait d'ouvrir les yeux et il allait prier sa voisine de le laisser les refermer :

"Ce sont sans doute les -"

Les réparateurs ? Yang en douta fort au moment où il aperçut les ombres semblant appartenir à quelqu'un se déplaçant sur le toit du monorail. C'était louche, car il n'était pas expert, mais pour ce qu'il en savait, l'endroit de la panne se situait plusieurs kilomètres plus loin, non ? Et puis c'était le rail qui n'était plus électrifié, donc pas besoin de monter sur le toit... Hélène fixait la fenêtre d'un regard affolé.

Il interpella Dorothy au moment où elle passait avec un plateau vide.

"Excusez-moi, mais mon amie et moi avons aperçu des personnes sur le toit, et nous pensons que ce n'est pas normal."

Il le pensait. Sa parano concernant son pouvoir le reprenait. Son gouvernement était-il capable de stopper un monorail canadien uniquement pour le retrouver, lui ? Peut-être avaient-ils exceptionnellement employé les grands moyens pour faire de lui un exemple ?...

[HJ : tu dis dans ton post précédent que Dorothy distribue des boissons au passager. Yang n'a donc fait qu'attendre le moment où fatalement elle passerait devant lui pour l'interpeller. Cela dit, son plateau n'était peut-être pas vide, je te l'accorde...]

Dorothy avait brillamment esquivé sa question avant de battre en retraite derrière l'accès reservé au personnel. Mais il n'avait besoin de l'hôtesse pour lui confirmer que quelque chose d'anormal se passait : des flashs lumineux succédaient à des coups contre la cloison du wagon. La panique montait parmi les passagers, elle devenait palpable.

Yang n'aimait pas ça. Une foule qui commençait à s'inquiéter, c'était comme un baril de poudre prêt à exploser. Et Hélène fut l'allumette...

Le jeune chinois tourna la tête vers elle, les yeux écarquillés. Elle venait de décrire une parfaite vision d'horreur. Il l'aurait tuée - enfin il en aurait eu envie s'il avait été du genre à avoir de telles plulsions. Car même si elle s'était montré bienveillante à son égard, et très communicative, à cet instant il la détestait. L'effet de ses paroles ne tarda pas à se faire sentir : les gens commençaient à essayer de quitter le wagon, et presque plus personne ne restait tranquille.

Il se tourna vers Hélène et la fustigea du regard.

-"Vous pouvez m'expliquer l'intérêt de semer la panique dans le wagon, au juste ? Il me semble mieux que tout le monde reste calme dans une telle situation..."

La panique atteignit son paroxysme quand une énorme lame transperça le plafond. Yang se dit qu'il était vraiment dans un film d'horreur à présent... Les gens se pressèrent aussitôt contre les portes du wagon, se marchant les uns sur les autres, alors qu'ils auraient du garder leur sang-froid. Dans une telle situation, il fallait que quelqu'un fasse quelque chose.

-"Calmez-vous, tout le monde !! Allongez-vous tous par terre, elle ne vous touchera peut-être pas !"

Il montra l'exemple, ordonnant d'un geste de la main à Hélène de se coucher également. Puis son attention se porta plus attentivement sur l'espèce de lame qui était apparue. Ca avait la couleur de la chair, ça palpitait et c'était sanguinolant... Tout indiquait que cette chose était organique...

Yang se fit piétiner par quelques passagers, lesquels étaient restés complètement indifférents à son appel à la raison. Se relevant comme il pouvait afin d'échapper à la bousculade générale, il comprit qu'il ne servait à rien d'essayer de raisonner les passagers.

Il vit avec horreur le toit s'ouvrir en grand et laisser apparaitre des formes humanoïdes pour le moins bizarre. L'un d'eux ouvrit end eux l'un des passagers, augmentant encore la panique amabiante, mais il s'effondra aussitôt, victime d'un coup de tazer de Dorothy. L'hôtesse ordonna aux gens de quitter le wagon, ce qu'ils essayaient de faire depuis un momen déjà et le premier coup de griffe qui avait fendu le toit de métal.

Yang suivit donc les passagers et essaya de se frayer un chemin parmi eux, se faufilant dans la cohue pour échapper aux griffes des zombies. Il bousculait les gens sans se gêner, puisqu'après tout ils ne l'écoutaient pas et ne se souciaient pas de lui.

Il pensa à Hélène et lui fit un signe de tête afin qu'elle le suive de près. Malgré son caractère, il refusait de la laisser là toute seule...

Yang paniqua en voyant l'état du wagon d'à côté. Quand les portes s'étaient ouvertes, il avait cru comme tout le monde qu'il était un minimum en sécurité, même pour un moment. Mais à présent, il ne savait pas quoi faire.

Et voilà que les passagers criaient au mutant. Il crut d'abord qu'ils parlaient de lui, ce qui réveilla sa paranoïa développée depuis la découverte de son don. En voyant le monstre approché, il ne sut pas quoi faire, hormis retourner dans le premier wagon où Dorothy se trouvait, mais l'hôtesse l'avait scellé. Ils se retrouvaient bloqués entre les deux wagons, et le monstre s'approchait d'eux...

Yang jeta un regard vers les fenêtres. C'était un moyen de s'échapper, mais les vitres devaient être solides. Il oublia donc cette idée. Il se réfugia au milieu des passagers, espérant que cette masse de corps paniqués le protégerait des assauts de l'ennemi...

Il se retrouvait acculé. Le monstre avait massacré les passagers et il ne restait plus que lui. Il était nez à nez avec cette chose et il pouvait plonger ses yeux dans les siens. Elle avait la peau rose, recouverte de sang...

Le cerveau de Yang tilta. Le sang était composé à 70% d'eau, n'est-ce pas ? L'idée lui parut absurde, surtout après avoir passé tant d'années à inhiber son don, mais après tout il n'avait plus rien à perdre.

Le jeune étudiant se jeta sur le monstre, les deux mains en avant qu'il plaqua sur le torse du zombie. Puis il mis en branle toute sa volonté afin de faire bouillir le sang qui recouvrait le corps de cette chose. C'était un geste désespéré et peut-être inutile, mais c'était la dernière solution que son instinct de survie lui avait dictée...

A sa grande surprise, sa tentative à ébouillanter le monstre était un succès : celui-ci se mit à hurler et recula de quelques pas. Au même moment, une lame organique transperça la porte du wagon derrière lui. Yang était encerclé par deux zombies, et il n'y avait pas d'issue. Pour être exact, il y en avait une, mais elle se situait derrière le zombie ébouillanté. Il s'agissait de l'ouverture dans le toit.

Deux choix s'offraient à lui : se dire que c'était fini et ne plus bouger en attendant la mort qui viendrait certainement, ou bien tenter le tout pour le tout et profiter de l'état de faiblesse du monstre pour passer derrière lui et tenter de s'échapper par le toit.

Le choix était simple, finalement.

Yang retoucha la peau répugnante de la chose. S'il parvenait de nouveau à l'ébouillanter, il en profiterait pour passer derrière elle. Il grimperait alors sur les sièges et grimperait sur le toit du monorail. Une partie de lui comptait sur l'adrénaline pour réussir cette manoeuvre préilleuse ; une autre partie ne pensait plus et se laissait guider par l'instinct de survie...

Yang saisit la main tendue et se releva tant bien que mal, essayant de surmonter la douleur lancinante dans son dos. Il lança ensuite un regard reconnaissant à son mystérieux sauveteur.

"Merci de m'avoir sauvé, j'ai bien cru que j'allais mourir. Je n'ai jamais été aussi heureux de serrer la main de quelqu'un."

Il se demanda avec inquiétude si le jeune homme l'avait vu utiliser son don pour repousser le monstre. Dans le doute, il n'en parla pas. Il respira fort, le temps de réaliser qu'il était bien vivant, puis reprit en inclinant respectueusement la tête, faisant preuve d'humilité :

"Je vous en supplie, aidez-moi à sortir de ce cauchemar. Et dites-moi ce que sont ces choses, si vous le savez."

Yang se sentait stupide, mais à la fois chanceux d'avoir survécu à ce massacre. Tiraillé par la douleur, il remercia une dernière fois son sauveur - il ne connaissait même pas son nom - et se dirigea vers le fameux wagon-bar reconverti en infirmerie.

Il se tenait aux sièges à mesure qu'il progressait à travers les wagons, et essayait de retenir des nausées à chaque fois qu'il posait les yeux sur un cadavre mutilé. C'était fou comme, en cas de danger mortel, l'esprit humain pouvait occulter certains détails. Des détails dont il saisissait toute l'horreur à présent.

Et il repensa aussi à ce qu'il avait fait, à savoir utiliser son mystérieux don. En faisant cela, il avait gagné de précieuses secondes, et ça lui avait sauvé la vie autant que l'intervention du jeune homme. Cela lui procurait une sensation étrange, à lui qui avait été habitué à voir son talent comme la possible cause d'une mort certaine.

Il finit par arriver dans le wagon-bar, où il chercha du regard le frère de son sauveur : un type qui ressemblait à l'autre, et qui s'occupait des blessés, ça ne devait pas être difficile à trouver quand même ? Yang resta à l'entrée du wagon, attendant qu'on s'occupe de lui : il ne devait pas être le seul blessé, sans doute pas le plus grave, et il ne voyait pas de raison de demander à être prioritaire...

Yang éprouva un grand réconfort en arrivant dans le wagon-bar. L'odeur de chocolat n'y était pas étrangère, et la vue des survivants non plus. Il était un peu triste de ne pas trouver Dorothy, ni Hélène - la jeune femme avait beau être exaspérante, elle n'avait pas mérité de mourir. Et pour ajouter à sa tristesse, il aurait bien voulu un peu de chocolat mais n'osait pas demander.

Yang s'avança vers l'homme qu'il avait reconnu, en faisant toujours attention à ses mouvements à cause de sa blessure. Il lui tendit la main et le salua :

"Bonjour monsieur. C'est sûrement votre frère qui m'a sauvé et qui m'a dit de venir vous voir. Il a dit que vous pouviez faire quelque chose pour mon dos."

Pas besoin de décrire ce qu'il avait, après tout l'autre le verrait bien en l'auscultant. Il se retourna afin de laisser l'autre inspecter son dos. Il sentait le sang qui avait entièrement trempé sa chemise, ce qui laissait augurer de la gravité de sa blessure. Mais, curieux, le jeune chinois ajouta :

"Vous savez ce qui nous a attaqués ? J'ai entendu des passagers crier que c'étaient des mutants ? Vous pensez que c'est vrai ?"