Cartes sur table

Vadim avait pris cette résolution depuis longtemps. Il était grand temps d'organiser une soirée détendue entre professeurs de l'Institut Xavier. Pour l'ex-officier, aménager des moments de convivialité et de franche camaraderie était tout bonnement indispensable au bon fonctionnement d'une équipe.

C'est donc en toute simplicité qu'il convia chacun des professeurs, par des post-its déposés sur leur bureau (et doublés de message par communicateur, car il n'était pas Cassandre), à une rencontre amicale nocturne après une journée bien remplie avec les élèves. Il s'agissait de boire quelques verres, de grignoter quelques zakouskis et pour les plus téméraires, de jouer une partie de poker. Les ingrédients ultimes pour une soirée réussie. La compagnie masculine était bien entendue la plus à même de mettre l'ambiance voulue, mais Vadim se devait de ne pas discriminer ces dames. Il avait en outre proposé que chacun amène de la musique du pays. C'était son côté nostalgique.

Il était curieux de voir qui viendrait, mais il était déjà sûr que Esther, pour avoir gouté aux joies de l'armée, serait de la partie.

Il avait aménagé sobrement son bureau. La table était placée au centre de la pièce, sous la lumière du plafond qui tombait dessus en cône pour laisser les joueurs dans la pénombre. Il avait discrètement descendu du salon des fauteuils confortables et les avait disposés pour entourer la table. Il ne restait guère de place pour circuler. La musique était prévue au moyen d'un appareillage moderne et discret placé sur l'étagère, entre deux bronzes rustiques.

Il avait aussi prévu boissons et victuailles, rassemblées en lieu et place de son imprimante, sur une petite table.

Habillé d'un marcel noir et treillis, Vadim se frotta les mains, déposa le jeu de cartes sur la table, et s'ouvrit une canette de bière. Il était 23h22, tout était prêt.

En voilà une idée qu'elle était bonne ! Et c'était très dans la mouvance de la courgette rouge... Un message sur son communicateur doublé d'un post-it sur son bureau, l'israélienne pouvait difficilement se défiler. D'autant plus qu'il s'agissait plutôt d'une bonne nouvelle. Elle avait besoin de lâcher du lest. De cesser un instant d'être une mutante psychologue ex-tueuse complétement névrosée... Et même si les mondanités ne l'amusaient pas - elle s'y sentait toujours un peu mal à l'aise, comme une grande gourde qu'elle était restée au fond d'elle - l'idée d'une soirée entre collègues de bureau l'enchantait.

Parce que bon après tout ce qu'ils avaient vécu, un peu de détente entre "amis" ça ne pouvait pas lui faire de mal ? Et à cette heure là, les petits chenapans devaient tous dormir ou du moins le devraient... Le plus difficile fut de trouver la tenue : pour paraître sympa, pas bêcheuse, rigolote mais pas facile... Étant entendu que la garde-robe d'Esther Kofman contenait surtout un paquet de cochonneries : elle écarta rapidement les vêtements à connotation militaire, ceux qu'elle avait du un jour piquer à sa mère (ou à la mère de celle-ci) pour se reporter sur des choses un peu usées... Une jean troué aux genoux, un débardeur noir, une vieille paire de sandales. Esther n'oublia pas de prendre un, puis à la réflexion deux, paquets de clopes. Et elle fila au lieu de rendez-vous, un disque de son pays sous le coude.

La courgette était déjà là en train de boire une bière. Il avait mis le boxon dans le bureau pour en faire une salle de jeu. Ou un fumoir. Elle ne savait pas trop.

Excitée comme une puce, elle s'avança dans la pièce et lança un "Salut Vad'" très lycéen dans le ton. Elle se devait d'être Cool Esther. La fille pas difficile à vivre.

"J'ai apporté ça" lança-t-elle en montrant le disque, avant de le coller dans la machine à musique.

"Pis ça" ajouta-t-elle en lançant un paquet de clopes sur la table, avant de s'offrir elle même un petit plaisir nicotiné.

Esther se prit une petite canette, s'affala dans un fauteuil et colla un de ses pieds sur la table.

Avalant une bonne bouffée de fumée, elle termina :

"On joue aux cartes ? T'as pas peur de te retrouver sans ton slip pour pleurer, mon roux ? Parce qu'au bahut j'étais vachement fortiche au poker..."

Bien entendu elle n'avait jamais joué la moindre partie de sa vie. Mais, elle devait mettre un peu de coolattitude dans son existence.

Une soirée entre professeurs. Ou plutôt une soirée entre professeurs qui se voulait soirée entre amis. Aussi réservée soit-elle, la Grecque pouvait difficilement refuser une soirée de détente avec ses sauveurs, même si elle se doutait que ce n'était pas sa présence discrète qui enflammerait l'ambiance. Elle faisait de toute façon confiance à Vadim pour égayer l'atmosphère. De plus, après les épreuves qu'ils avaient affrontées, il était indéniable qu'ils avaient besoin de se relaxer, et de se retrouver. En ce sens, elle espérait que les professeurs lui faisaient toujours confiance, malgré sa position ambiguë dans l'affaire Génosha. Mais... ils étaient venus la chercher, non ?

Comme d'habitude, elle sortit de son bureau assez tardivement. Entre les cours et les entraînements, certains élèves mettaient à profit l'après-repas pour venir lui parler, et la jeune femme faisait toujours en sorte d'être disponible à cette heure privilégiée. En l'occurrence, cela l'arrangeait : elle avait songé à ménager un brin les nerfs de Vadim, en n'arrivant pas avec sa ponctualité coutumière. Il était inutile de titiller malgré elle son sens du défi si tôt dans la soirée ; elle savait qu'elle le ferait de toute façon sans le savoir par la suite. Elle fit donc en sorte d'arriver en second, après un crochet dans sa chambre pour y trouver de la musique. Elle garda la tenue de la journée, à savoir un pantalon simple de toile et un chemisier. La sobriété incarnée.

La jeune femme frappa doucement à la porte pour s'annoncer, puis entra dans le bureau, où flottait le parfum inhabituel du buffet et l'odeur âcre de la cigarette.

"Bonsoir." dit-elle doucement, en déposant le morceau qu'elle avait choisi près de la sono, qui diffusait pour l'instant un morceau léger. Elle n'y reconnut pas les inflexions russes, aussi supposa-t-elle qu'il s'agissait de la trouvaille d'Esther.

"Tu permets que j'ouvre un peu la fenêtre ? Je suis un peu sensible." demanda-t-elle au maître des lieux en indiquant son nez. Evidemment, qui disait poker, disait cigarette, conformément au cliché. La non-voyante se contenta d'un léger sourire aux paroles d'Esther. Sa collègue semblait constamment jouer un rôle dans une pièce de théâtre. Cassandre décida de ne pas remettre en doute ses affirmations, et attendit simplement la réaction du Russe en s'installant légèrement à l'écart, près de la fenêtre.

Quelque part, elle sentait qu'elle n'était pas à sa place dans une soirée fumeur où l'on jouerait au poker. Elle était fondamentalement inadaptée. D'ailleurs, étant donné son pouvoir, il serait plus fair-play de faire acte de présence sans jouer. Les autres professeurs n'étaient pas encore arrivés. Elle se demanda, avec un certain attendrissement, comment Carrie et Paolo se comporteraient l'un vis-à-vis de l'autre entre l'unique présence de leurs collègues.

*Mon roux ??*

Esther semblait très à l'aise. Vadim ne s'était pas trompé avec elle. Il regarda du coin de l'œil la tenue de sa chef d'équipe et esquissa un sourire. Cassandre arriva à son tour et il en fut plutôt surpris. Il attendait plutôt Paolo ou Sahari. Elle alla près de la fenêtre. Il la suivit des yeux avec bienveillance.

"Bonsoir Sybille. Tu peux ouvrir la fenêtre, on aura moins chaud. Qu'est-ce que je te sers ? Vodka ? Thé ? Jus de pomme ? J'ai du kvas qui fermente depuis notre départ sur Génosha... c'est bon avec les champignons salés..."

Dit-il en brandissant une boisson particulièrement opaque. L'Ogre appréciait la musique d'Israël. C'était assez sobre et divertissant. Il se tourna vers Esther tout en saisissant un verre pour Cassandre.

"Tu veux faire un poker déshabilleur Aleph ? J'avais prévu de jouer avec des haricots secs, conformément à l'éthique de l'institut Xavier, ha ha ha..."

Il regarda en coin l'ethnopsychologue, le pied sur la table, la canette dans la main... elle ressemblait vraiment à une collégienne. Mais le Sibérien redevint grave.

"Je n'ai pas peur de jouer contre toi malgré ta réputation de lycée, ni contre Sibylle malgré son avantage tactique. Le poker est un jeu de bluff avant tout. J'ai calculé les probabilités. Je peux vous plumer facilement : toi Aleph, tu es trop émotive. Tout va se voir sur ta figure. Sibylle ne pourra pas gagner car elle sait que nous la soupçonnerons d'utiliser son pouvoir. Non, la seule qui me terrifie à l'avance, c'est Spine. Elle m'a poussé au suicide dans l'arène de Cérébra ... C'est une femme implacable oui... vraiment implacable."

Dit-il de sa voix de basse, fronçant les sourcils d'un air véritablement préoccupé. Puis il reporta son regard vers Cassandre pour attendre sa commande, le sourire aux lèvres.

Remuant le pied au rythme des paroles de son disque, Esther contempla l'arrivée de Cassandre. Visiblement la fumée importunait quelque peu cette dernière, aussi Aleph considéra, un instant, la possibilité d'écraser au fin fond de sa canette encore pleine la cigarette qu'elle venait d'allumer... Mais ne valait-il pas mieux qu'elle la finisse ? Après tout, il s'agissait ce soir d'une soirée poker ! Et que serait une soirée poker sans des cendriers dégoulinant de mégots sur la table ou un cortège de canettes à même le sol ? Cool Esther reprit donc une rasade de bière.

"Hey Cassandre c'est cool que tu sois venue... Ca me fait très très très... Euh, plaisir"

Un sourire franc, toutes dents dehors vint compléter sa panoplie de la parfaite collègue de bureau.

Le gros Vadim, quant à lui, semblait se transformait en chevalier servant. En proposant à l'aveugle de la servir, de lui apporter des immondices de son pays à lui, le tout sur un ton très... Vadimien. Elle haussa un sourcil interloqué. Puis indigné.

"Vadim, t'as pas oublié de me proposer de me servir ? J'veux le machin fermenté, s'il te plait !"

Se rappelant qu'elle avait encore de l'alcool en main, elle vida la canette avant d'envisager l'espace d'un instant de se l'écraser contre le front. Mais décidant de ne pas aller trop vite en besogne, elle affecta le récipient devenu inutile par la force des choses en cendrier officiel de la soirée.

"Sinon, Cassandre, fait gaffe avec la nourriture de Vadim... Je me souviens que Bateson avait passé une sale nuit à cause de ça"

La fois où elle avait valsé dans les bras de l'ogre. Esther fit la moue en se rappelant cette soudaine petite faiblesse. Qui n'était pas très cool.

Elle se redressa quelque peu et proposa :

"Si y a des trucs à faire chauffer, j'veux bien le faire. Parce que bon, je crois qu'il est grand temps que je m'entraîne sérieusement"

Aleph se sentait vieille et rouillée. Pas au top de sa forme. Elle avait passé une année difficile. Qui avait mise à nue sa carapace pas aussi épaisse qu'elle l'aurait cru ou voulu.

En plus Vadim semblait vouloir la taquiner... Elle voulait être d'humeur joueuse ce soir. Et c'est, toutes griffes dehors, qu'elle répliqua :

"Tu crois qu'Esther Kofman ne serait pas capable de faire un poker déshabilleur ? Hum ? Celle que tout le monde surnommait "Esther la marrante" ? Tu veux peut être pas aussi qu'on fasse un bras de fer pour voir qui est le plus costaud de nous deux... Mon roux"

Pour accompagner ses paroles, elle posa son coude sur la table, la main prête à saisir celle du russe. Pour montrer qu'elle ne plaisantait qu'à moitié. Elle ferma également son visage. Et fixa Vadim droit dans les yeux.

"Tu trouves que j'ai l'air expressive là ? Hum ?"

Puis Esther éclata dans un large fou rire... Se passa la main dans les cheveux, se ravisa aussitôt... Et demanda à Cassandre en guise de diversion :

"Ça fait plaisir qu'on soit là tous les trois... J'espère que les autres vont bientôt arriver. Ça fait du bien de relâcher la pression. En plus quand on sait qu'on va voir quel genre de slip Vadim porte !"

C'est sans hésitation que la non-voyante répondit :

"Du thé, ce sera parfait, merci."

Il valait mieux qu'elle s'occupe les mains, de sorte que personne ne puisse y fourrer de force un quelconque alcool. Elle n'appréciait que peu les boissons alcoolisées, et elle savait surtout qu'elles ne lui réussissaient pas : un monologue apocalyptique tomberait sûrement comme un cheveu sur la soupe, ou plutôt sur le kvas.

"Accuserais-tu le professeur d'éthique de tricherie, Vadim ?" releva-t-elle factuellement lorsque le Russe exposa sa stratégie sur la partie à venir.

"Cela dit, je ne pense pas me joindre à vous. Je distribuerai les cartes, si vous voulez." ajouta-t-elle, raisonnable. Vadim mentionna son expérience en Salle des Dangers contre Sahari. Ils avaient néanmoins livré un combat intéressant, et le Russe s'en était sortit avec les honneurs. La victoire s'était faite à l'arrachée.

"Pourquoi ne pas affronter l'un des professeur en Salle des Dangers, Esther ? Nous risquons de plus en plus d'avoir affaire à des mutants, désormais, ça te ferait un bon entraînement." suggéra-t-elle. Restait à voir si l'un des professeurs oserait se mesurer à l'Israëlienne, dont le potentiel était difficile à contrecarrer.
Cette dernière semblait particulièrement guillerette. Avait-elle déjà bu dans la journée ? Elle remercia Esther pour son accueil d'un sourire poli, puis répondit à ses dernières paroles :

"Effectivement, il est serait bon de lâcher la pression." dit-elle, son regard vide cherchant celui de Vadim, tentant de lui faire comprendre qu'Esther semblait déjà avoir son compte pour la soirée.

Lorsqu'Esther parla des dessous de Vadim, la Grecque saisit la balle au rebond.

"Je ne serais pas venue si je n'avais pas eu la certitude que nous le verrions." dit-elle avec un léger sourire narquois. En vérité, elle n'avait fait aucun pronostic sur les victoires de la soirée, mais la tentation de taquiner l'Ogre rouge était la plus forte. L'impossibilité de déterminer si la psychologue plaisantait avait des chances de faire fondre la belle assurance de ce joueur invétéré.

Vadim considéra Esther d'un regard perçant qui indiquait aussi ses doutes sur sa sobriété. Il croisa furtivement le regard errant de Cassandre, comprit le message et s'adressa à Aleph la collégienne.

"Tu es très expressive... je vois même que tu as commencé la fête avant l'heure, jeune fille ! Ne bouge pas et garde tes forces, Esther la marrante, j'arrive tout de suite te donner une leçon."

Dit-il d'un ton sans équivoque, avant de troquer le verre qu'il tenait contre une tasse. Cassandre se défilait, préférant se cantonner à son rôle de distributrice des cartes. Il eut un rire réprobateur.

"Ha ha ha, Sibylle je préfère de beaucoup que tu participes au jeu, plutôt que de te laisser distribuer. Si tu distribues, tu jetteras de la paille ici et là et la partie sera interminable. Si tu joues, tu seras bien forcée de te soucier de ton sort à toi. Ce serait un changement non ? un entraînement même !"

Dit-il avec un sourire insolent tout en choisissant arbitrairement un thé russe pour la psychologue. Lui aussi avait prévu que la rescapée de Ganymède prenne du thé, l'eau était toute prête dans la bouilloire. Il servit le thé à Cassandre et redevint grave.

"Aleph a raison, nous avons besoin de nous entraîner beaucoup plus dur. Nous nous sommes surestimés. Pour ma part je suis soulagé que les élèves n'aient pas tous les détails de nos derniers combats... Aleph, tu devrais défier Spine. Moi... au lieu de m'appeler le roux, appelle-moi plutôt... le rouillé."

Dit-il en ouvrant une boite de gâteaux salés, une marque recommandée par son élève Bullet. Vadim avait bien reçu les tirs croisés des deux femmes concernant ses dessous masculins, qui selon elles ne seraient bientôt plus un secret pour les participants de la fête. Le Sibérien observa Cassandre, à la recherche d'indices de bluff. Une aveugle qui se réjouissait de le voir bientôt en slip... c'était surréaliste. Il regarda Esther, sûre d'elle. Il prit le temps de songer aux paroles légères de ses féminines collègues.

"Hmmm... on ne se sépare pas de son destin. Seulement je vous garantis que je me battrai jusqu'à la dernière chaussette."

En fait il était plutôt très flatté que les deux femmes soient descendues à la fête dans l'idée - pour l'une plus solidement fondée que pour l'autre - de l'apercevoir en petite tenue. Oui il jugea que c'était très flatteur et agréable.

"Oui et tout cela signifie donc que nous abandonnons toute éthique ce soir ?"

Pour joindre le geste à la parole, Vadim laissa sa boisson sur la table et s'assit face à Esther. Il mit le coude sur la table et prit la main de l'Israélienne, en position du bras de fer tant attendu. Un éclair traversa son regard doré qu'il fixa sur son adversaire. Simultanément, il grandit deux fois son propre bras et réduisit d'autant Esther.

"Tous les coups sont permis. La tricherie, Sibylle, n'est pas une question d'éthique. C'est de la tactique."

Et de sa grosse pogne il fit basculer tranquillement le mince bras d'Esther vers le tapis vert.

Après avoir rapidement et discrètement fait une tournée dans le corridor dans chambres, afin de démasquer des visiteurs nocturnes non prévus, Carrie revint dans sa chambre. Elle avait reçu l'invitation de Vadim pour la partie de carte...Elle ne savait pas si elle allait y participer. Elle s'était déjà assise sur son lit et commençait à enlever ses chaussures et ses chaussettes, lorsque finalement, elle décida qu'elle irait. Elle se leva, resta vêtue de son jean noir et de son chemisier rayé noir et blanc. Elle se planta devant le miroir, prête à rejoindre ses collègues et soupira.

"It's playtime." dit-elle ironiquement à son reflet.

Carrie arriva dans le bureau de Vadim avec une bouteille de vin, en bonne invitée, et tomba sur Esther et Vadim qui faisait une partie de bras de fer. Ça commençait bien la soirée, se dit le française avec mauvaise humeur. Elle n'avait pas particulièrement voulut rejoindre ses collègues pour une partie de cartes, mais elle se dit que si elle était la seule à ne pas venir, ce serait plutôt associal comme comportement. Non que ce soit bien différent de son comportement habituel. Elle se rendit rapidement compte qu'il manquait plusieurs professeurs à l'appel. Elle déposa sa bouteille de vin sur la table et prit une chaise. Elle s'installa silencieusement près de Cassandre et afficha un léger sourire qui, accompagné d'un mouvement de sourcil, montrait l'ennui de l'avocate.

"Est-ce que tout le monde est supposé être là?

[Ça commence bien, hein? :P]

Se faisant éclater au bras de fer suite à une immonde félonie de la part de la courgette russe, Esther fit la moue. Prête à bondir sur Vadim pour lui donner une leçon de pogne enflammée. Puis elle se ravisa et se contenta de dégager son bras, bien contente qu'il reprenne une taille normale.

"Au temps pour le fair-play, Komrad Vadim. Je vois qu'on a laissé tomber le code de l'honneur depuis la bagarre dans le Palais" commenta-t-elle en se frottant le bras.

Puis, tout en faisant un clin d'œil, au gros Vadim, elle ajouta d'une voix plus légère :

"Enfin je te préfère comme ça"

Esther regarda Carrie et la gratifia d'un petit sourire poli. La salle se remplissait et elle espérait juste que personne ne manquerait à l'appel. C'était important pour elle de savoir que, peut être, elle avait tout de même quelques amis encore en ce bas monde.

"Mais je crois que t'as raison Cassandre. Va falloir que je cogne l'un de vous en salle des dangers. J'ai bien envie de voir si je vaux encore quelque chose..."

Elle avança sa patte vers les gâteaux salés, puis se ravisa. Esther avait déjà mangé pas mal de spaghettis histoire de tapisser son estomac. Elle n'avait pas non plus envie de forcer la dose. Et elle se rappelait que trop bien l'effet de la nourriture russe sur son métabolisme... Tout comme sur celui de Robert.

"Faut que tout le monde joue !" brailla-t-elle tout d'un coup, vraiment enjouée. L'israélienne venait de terminer sa clope et elle jeta le mégot dans sa canette de bière vide.

"Et pis ma belle, t'as bien cessé d'utiliser tes pouvoirs à un moment, non ? Ben là, tu regarderas pas la tenue dans laquelle tu te retrouveras à la fin des tours, c'est tout. Ça peut être amusant, non ?"

Scrutant la bouteille de vin que Carrie avait amené, Esther bondit sur ses pattes arrières et se mit en quête d'un tire-bouchon. Elle maugréa tout en fouinassant dans le bureau :

"Je prendrai bien un verre de vin moi... T'as foutu où ton ouvre bouteille, mon rou...illé ? Ou alors faut qu'on attende que Sahari se ramène avec ses os ?"

Ne trouvant rien, elle refit face au reste de l'assemblée, désignant de la main le jeu de cartes :

"Allez Vadim, distribue les cartes. Esther la marrante veut jouer"

Paolo avait terminé un dernier rapport, tard, mais il fallait bien donner le change encore un peu. Il ne pouvait se résoudre à quitter son travail, après tout c'était aussi sa passion. L'invitation de Vadim lui avait donné la motivation pour se dépêcher un peu et finir son travail. Dès qu'il eut terminé, il poussa un grand soupir, s'étira un peu et se leva avec entrain. Chemise entrouverte, pantalon un peu habillé, passage de main dans les cheveux pour les placer et sourire colgate en poche, le mexicain se dirigea accompagné d'un petit quelque chose en main.

Il frappa à la porte et ouvrit, brandissant son cadeau.

- J'espère que la salsa vous aimez ça !

Il tenait dans une main des chips de maïs et dans l'autre un pot de sauce salsa. Tout ce qu'il faut à picorer pour une réunion récréative. Certes, la salsa de Paolo n'était pas faite pour les bouches sensibles, de la vraie salsa pour mexicain ! Son sourire redoubla lorsqu'il aperçu Carrie, il prit place non loin d'elle juste après avoir posé ses victuailles à portée de tous.

La psychologue eut un sourire en coin aux paroles de Vadim. Sa paille lui avait très certainement fait défaut durant son duel contre Sahari. Elle venait de remarquer un certain opportunisme combattif chez lui. Il cherchait toujours à avoir le dessus, que ce soit sur le terrain, ou dans la quiétude de l'Institut.

"Si vous êtes tous aussi forts que vous le prétendez, je me soucie peut-être de mon sort en ne jouant pas." répondit-elle placidement en prenant sa tasse de thé.

"Si tu veux bien, nous ne citerons pas ta perle de sagesse aux élèves lors de notre prochain cours." ajouta-t-elle au Russe avec un brin d'amusement, avant de souffler tranquillement sur sa boisson.

Carrie fit son entrée sur ces entrefaites, bientôt suivie de Paolo. Bien que la non-voyante savait leur arrivée concomitante tout à fait fortuite, elle avait un petit côté vaudevillesque que Cassandre savoura silencieusement.

"Ca dépend, Paolo, musique ou sauce ?" releva-t-elle, accueillant les deux convives d'un sourire discret. "Esther, pourquoi ne pas affronter le vainqueur de la partie de ce soir ?"

Carrie vint la rejoindre sur le banc des rabat-joie.

"Adam ne m'a pas dit s'il viendrait. Il est débordé depuis..."

Elle s'interrompit, le souvenir douloureux de la mort d'Olivier lui revenant en mémoire. Reprendre le flambeau ne devait pas être évident pour le fils d'un de leurs plus grands ennemis et meilleur ami de feu le directeur.

"Il est débordé." conclut-elle finalement, plus sombrement, détournant le visage vers la fenêtre.

Vadim laissa Esther dégager sa main et redonna à la sienne des proportions normales. La "victoire" ne calma en rien l'agitation surprenante de la référente LeX. Il remarqua qu'elle et Cassandre s'offusquaient chacune à leur manière de sa petite provocation. Il esquissa un sourire penaud.

"Une victoire facile est aussi ennuyeuse qu'une défaite cuisante. Aleph tu aurais pu au moins faire semblant de résister..."

Dit-il alors que la collègue, décidément en forme, partait en quête d'un tire-bouchon dans un langage très libre. Vadim tourna la tête vers l'entrée, où se tenait Carrie, dite aussi "la marrante". L'Ogre commençait à songer à biper en urgence le seul homme de cette institution à savoir s'amuser : Paolo. Mais heureusement il arriva juste après, tout sourire et avec des vivres.

Ne voulant pas perdre le contrôle du leadership du buffet, le Sibérien se leva dans la ferme intention de recevoir les nouveaux venus comme il fallait. Il fit signe à Esther qu'il avait le tire-bouchon à la main, et recueillit la bouteille de Carrie et examina l'étiquette. Il jeta aussi un oeil au pot mexicain de Paolo.

"Parfait parfait... Je propose que nous goûtions le vin d'abord, pendant que nos papilles sont encore intactes."

Il ouvrit donc la bouteille avec grand professionalisme. Puis il commenta la suggestion d'Esther, concernant le lancement de la partie de cartes.

"Hmm on peut amener un cheval à la rivière, mais on ne peut pas le forcer à boire !"

Son regard oscilla entre Cassandre et Carrie.

*Encore moins deux juments aussi têtues...*

Oui il valait mieux attendre un peu que Sahari et Adam viennent, pour rendre la partie plus intéressante. Mais d'après Sibylle le nouveau directeur était déjà bien occupé... Vadim se voulut optimiste.

"Le Maître des lieux nous rejoindra quand il voudra et il y aura toujours à boire et à manger pour lui. Et Spine ? L'a-t-on nommée directrice-adjointe pour qu'elle tarde aussi à venir ?"

Il servit le vin à Carrie, Paolo et Esther, histoire d'occuper leurs mains oisives. Il se servit aussi un verre et le leva, pour entamer le rituel de la grande tradition russe : la série généralement interminable de toasts. Son visage se fit très sévère et sa voix de contre-basse.

"Je porte le premier toast à nos victoires passées et à venir, faciles ou cuisantes ! Que ce bon vin nous rappelle le sang et les souffrances répandues pour notre cause. Que cette sauce mexicaine nous imprime la force de nos convictions ! Que le thé nous..."

Passant les yeux sur Cassandre, il marqua un soupçon d'hésitation, instant de gravité.

"... nous inspire toujours la tempérence et la sagesse. Je porte ce toast à l'Institut Xavier."

Un toast au vin, ce n'était guère dans les traditions. Mais dans un tel milieu interculturel il fallait composer.

À voir la façon dont agissait déjà Esther...Ils avaient commencé la fête bien avant son arrivée! Ou bien c'était son véritable caractère, celui qu'elle n'avait jamais vu dans les couloirs de l'école. D'une façon ou d'une autre c'était étrange et Carrie poussa un soupir, se demandant si elle allait réussit à rester longtemps ici. Paolo fit son arrivée au moment où elle se posait la question mentalement et en voyant son grand sourire, elle se dit qu'elle pourrait sans doute trouver la force de rester encore quelque temps. L'avocate laissa filtrer un sourire en voyant le pot de salsa et le sac de chips au maïs que Paolo avait emporter. Elle aimait son idée et trouvait que c'était mieux pensé pour une soirée poker que sa bouteille de vin, malgré le fait que tous semblaient enthousiastes à la goûter. Lorsqu'on lui servit un verre et que Vadim se leva, Carrie hésita quelques secondes à se lever aussi, mais décida de laisser son derrière bien collé à sa chaise.

"À l'Institut Xavier" approuva-t-elle d'une voix chaude.

Elle tendit son verre pour trinquer avec Vadim et les autres professeurs. Elle voulait changer l'atmosphère plutôt lourde qui s'était installé depuis la mention du professeur Adam et indirectement de Olivier. Elle tendit les mains vers le paquet de carte qu'elle se mit à mélanger habillement. Elle ne jouait pas souvent au poker, mais les cartes, elle connaissait. Lorsqu'elle allait camper avec son père et ses oncles, c'était le passe-temps par excellence. Carrie déposa le paquet bien mélangé par ses soins sur la table et dit:

"Je vais distribuer en premier. Mais d'abord, vous voulez jouer à quel type de poker? Hold'em Texas? Poker fermé? Quelle est la valeur des jetons?"

Carrie croisa les mains sur la table et attendit que quelqu'un prenne la décision. Elle connaissait toutes les sortes de poker, mais elle n'aimait pas expliquer les règlements. C'est pourquoi elle avait seulement nommé les deux plus connus et plus simples. Ils pourraient sans doute jouer aux deux sortes si la soirée continuait indéfiniment.

Lorgnant sur le pot de sauce piquante apporté par le bellâtre de l'Institut, Esther commenta avec sa classe si américaine, si féminine :

"Vas y Paolo ! Fais péter les chips !"

Mais Cassandre ne semblait pas tant d'humeur festive que ça... Toujours mystérieuse, toujours sibylline. Ça l''embêtait. Elle aurait bien aimé que la psychologue en titre de l'Institut se lâche un peu plus... Peut être pas danser sur les tables, mais tout du moins participer à leur innocente petite partie de poker.

Aleph fit, néanmoins, un large sourire à la grecque et lui répondit sur un ton jovial :

"Et si je gagne ? Hum ? Je vous affronte tous ? Parce que faut pas croire que je me laisserai faire comme pour le bras de fer avec ce traitre de Vadim... Je me battrai moi aussi jusqu'au bout..."

Un jeu avec des enjeux si minimes... C'était presque inespéré dans cet Institut agité. Et ça méritait une bataille acharnée.

"D'ailleurs, Jument Marrante a encore soif ! Vous m'excuserai pour la nullité de mon toast. Mais je dédie l'alcool à Carrie qui a eu la gentillesse de l'apporter, la sauce à notre ami Paolo qui va se retrouver dans la même tenue que lors de l'assaut du Palais et le thé à notre belle Cassandre qui a toujours su conduire le navire Institut à bon port. Mon cher Vadim, je te dédierai une danse pour te montrer que j'ai progressé depuis la Russie... A Adam qui a trop de souci et à Sahari qui a du se perdre en route. A tous ceux qui ne sont plus là et à ceux qui viendront nous remplacer. A tous les autres qui font que nos jeunes sont encore là pour nous embêter comme des ado lambdas. A tous les symboles de paix Bref..."

Elle n'allait pas faire dans le sentimentalisme à deux balles. Non, non, elle n'allait pas faire ça...

"Vous l'aurez compris. Je lève mon verre avant de le vider d'une traite à l'amitié. Notre amitié. Et celles à venir. Qui permettent le vivre-ensemble. Et je ne vous tendrai jamais de coupe que je ne boirai pas moi même jusqu'à la lie..."

Bibliquement, elle était un peu soiffarde. Mais sur le fond du message, c'était ça... Ils étaient ses amis.

Posant son verre qu'elle gouta seulement du bout des lèvres... Pour ne pas raccourcir la soirée. Et retenir un peu la nuit qui s'annonçait chaude, elle reprit :

"D'ailleurs, cette partie de poker - pour reprendre de façon un peu triviale ma Torah - c'est un peu notre Arche d'Alliance à nous. Ce qui va sceller notre amitié. Par une pile de vêtements. C'est pour ça que j'aimerai vraiment que tu participes Cassandre... T'as qu'à miser des feuilles de thé ou des élèves ou n'importe quoi. Ce qui compte, c'est qu'on le fasse tous ensemble"

Petit sourire amusé sur les lèvres, elle changea tout de go de sujet :

"Pour le poker, j'ai une préférence pour les choses simples. 5 cartes. On peut en changer 3 ou 4 si l'on a un as. Et on mise ce qu'on a sous la patte. Le vin de Carrie, mes clopes, les chips de Paolo... Nos vêtements. Bref, une bataille jusqu'au bout de nous même. Les meilleures quoi"

Elle ferma les yeux. Pour reprendre son ton d'Esther la marrante qui était comme une étrangère pour elle même.

"Allez, Carrie, envoie les cartes. On va voir ce que ça donne !"

"Hélà! Ne m'oubliez pas!" lança candidement Sahari en entrant, n'ayant entendu que la dernière réplique d'Esther.

Elle avait totalement oublié la soirée et ce n'est qu'en entendant ses collègues passer devant la porte de sa chambre qu'elle s'était demandé ce qu'elles faisaient avant de se rappeler que Vadim les avait invités à un Poker. Ce pourrait toujours être amusant! Troquant donc son peignoir zébré pour une tenue plus appropriée, en l'occurrence l'une de ses robes bariolées et affublant ses oreilles de boucles qu'elle venait de créer, en forme de trèfle et de carreau, elle avait rajusté ses cheveux d'un geste de la main puis était sortie en direction du bureau de Vadim.

"Bonsoir tout le monde! Désolée du retard..."

Un tour de la salle du regard lui fit voir qu'il y avait des petits biscuits, de la bière, de la salsa, du vin, de la fumée de cigarette et pas de directeur. Tout en extrayant de son avant-bras un os en prisme de sa longueur, elle demanda :

"Tout le monde est là?"

Elle ouvrit alors le prisme qui se trouva être un éventail et se ventila de la fumée, en allant bien s'asseoir auprès de Cassandre et lança d'un ton rigolant :

"J'espère que vous n'êtes pas trop bons, je n'ai pour ainsi dire jamais joué!"

Paolo sourit à Cassandre, effectivement il n'avait pas précisé de quelle salsa il parlait aussi répondit-il d'un air amusé :

- Je propose de commencer par la sauce accompagnée de chips, nous verrons ensuite pour la danse, d'autant plus que cela montera la température d'un cran de danser en tenue post-strip-poker ! dit-il en lançant un clin d'oeil malicieux à Carrie.

Lorsque vint le moment du toast de Vadim et Esther, Paolo leva son verre et eut un petit air sérieux un bref instant alors que certaines paroles prenaient tout leur sens. C'était l'heure de rendre hommage à ce qui le méritait, et l'institut méritait bien n'importe quelles paroles du moment qu'elles venaient du coeur ou des tripes.

- En avant pour le poker ! Mais faites attention, certains risquent de se déshabiller mais pas à cause des cartes ! La sauce salsa mexicaine ça n'est pas pour les enfants !

Les professeurs passaient aux toasts. La non-voyante se contenta de lever brièvement sa tasse par convenance. Elle savait que ces toasts étaient nécessaires. Que les épreuves traversées ensemble, et ce malgré le fossé qui les séparaient, justifiaient cet élan de félicitations collectives. Mais comme si Cassandre était prédisposée à l'anxiété, elle ne pouvait s'empêcher de lire les pertes douloureuses qu'ils avaient subies dans les paroles d'Esther. Génosha était sauvée, mais la psychologue était loin de se sentir aussi victorieuse qu'Esther semblait le penser. Olivier était mort, elle faisait un piètre capitaine. La raison pour laquelle elle avait accepté de rester à l'Institut au départ... Leurs chemins s'étaient éloignés, et elle n'avait pas réorienté celui de son ami. Un culpabilité semblable à celle qu'elle avait éprouvée suite au décès de River, et dont découlait pourtant en droite ligne le sauvetage de Génosha et ses habitants... Comment se réjouir dans de telles circonstances ? Elle avait bien tenté de paraître détendue lors de son arrivée, mais déjà les événements la rattrapaient. Le toast lui parut plus amer que festif, aussi laissa-t-elle ses collègues discuter, et ferma les yeux afin de réfréner les picotements qui poignaient dans ses yeux. Le bon côté des choses, c'est qu'étant non voyante, cela paraîtrait naturel.

Elle tenta de se souvenir des paroles rassurantes de Vadim lors de l'anniversaire de l'Institut pour chasser ses idées noires, et but une gorgée de thé, tandis que les professeurs devisaient joyeusement. Elle se sentit étrangement seule parmi eux, étrangère.

Elle remarqua que ses collègues s'étaient étonnamment rapprochés ces derniers temps, et pas uniquement Carrie et Paolo. Esther semblait proche de tous, Sahari était chaleureuse... Elle se rendit compte qu'en réalité, elle ne les connaissait que très peu, malgré l'amitié mentionnée par Esther. Elle était psychologue, mais incapable de se venir en aide. Les cordonniers étaient souvent les plus mal chaussés, comme disait l'adage.

"... J'ai toujours préféré regarder." répondit-elle laconiquement, en espérant que l'Israëlienne n'insistera pas à nouveau.

"Sahari." dit Carrie avec un peu trop de soulagement dans sa voix. Visiblement, Carrie était contente que son amie soit venue à la soirée.

Carrie jeta un regard en biais à Esther et, un sourcil arqué, elle se mit à passer les cartes à tous sauf Cassandre. Elle eut un grimace lorsque sa collègue Israëlienne mentionna que la mise serait n'importe quoi qu'ils avaient sous la main. Alors là, il était hors de question que Carrie se déshabille d'un seul poil! Elle avait à peine de vêtements sur le dos et elle allait les garder! Un chemisier, un pantalon et des sandales...C'était pas assez pour jouer au Strip Poker. Elle qui n'avait jamais joué au Strip Poker... Elle ne discuta pas. Elle n'avait pas l'intention de laisser son butin descendre au point de devoir enlever que ce soit un bouton de sa chemise. Une fois les cartes distribuées, elle tourna la tête vers Paolo à qui elle envoya un sourire amusé.

"Il n'y a pas d'enfants ici, heureusement. S'ils nous voyaient..."

Carrie jeta un coup d'oeil incertain vers le pot de salsa et les chips. Allait-elle prendre le risque de ne plus jamais pouvoir goûter quelque chose avec s'être fait brûlé la langue par des piments mexicains? Elle prit ses cartes en main et y jeta un coup d'oeil, son visage impassible - clé pour un bluff convaincquant. En voyant qu'elle n'avait absolument rien dans sa main, l'avocate vola une chip dans le sac de chips de maïs et en plongea le coin dans la salsa. Elle se tourna vers Cassandre pour voir si cette dernière rirait en avance de ce qui risquait de se produire lorsqu'elle goûterait la salsa. Carrie porta alors la croustille à sa bouche et l'engloutit. Mâchant rapidement, elle avala tout aussi vite et, la bouche toujours fermée, constata que le goût n'était pas méchant. Au contraire, c'était très bon! Et pas trop piquant.

"C'est..."

Malheureusement, elle changea rapidement d'idée tandis qu'elle ouvrait la bouche pour faire part de sa constatation à ses collègues. Elle eut l'impression que quelqu'un lui avait enfoncer un brasier dans la bouche et Carrie toussa de surprise. Elle porta sa main rapidement à son verre de vin et en bu une gorgée. Elle se rinça la bouche du vin, qui n'était définitivement pas aussi éfficace que le lait dans la situation présente, mais qui ferait l'affaire quand même. Lorsqu'elle reprit son souffle et un petit peu de sa prestance, Carrie leva la tête vers ses collègues et dit:

"Très bon. Bon. Qui échange ses cartes en premier?"

Vadim eut un sourire un peu contrit en écoutant les toasts de Carrie et Esther. Elles n'avaient pas compris qu'il fallait boire d'abord l'entièreté de son verre et les remplir tous à nouveau avant de formuler un autre toast ! A part cela chacune fit selon son style, et le Sibérien rejoignit ce petit monde autour de la table et des chips de Paolo. Esther expliqua le concept de Troc-Strip-Poker ce qui avait le mérite de convenir aux plus pudiques et aux moins téméraires. Sahari entra et Vadim afficha un petit sourire en coin. L'Africaine ignarde du poker serait comme un agneau dans la meute de loups.

Cassandre préférait rester en retrait, et "regarder" avec sa méthode à elle. Vadim déclara d'un ton plutôt enjoué en regardant ses cartes.

"Vous avez tous bien regardé si Sibylle n'a pas laissé des aspirines dans vos poches ? Pour moi s'il n'y a rien c'est déjà un excellent présage, ha ha..."

Il sourit en constatant ma foi un jeu prometteur dans sa main.

L'Ogre savait que tous les professeurs ici n'avaient pas le même humour, ni le même entrain pour jouer. Ils n'avaient jamais vraiment passé de temps "détente" ensemble et se connaissaient pour ainsi dire peu. Il fallait donc diversifier les intérêts.

"Je vais changer deux cartes. Et je peux déjà vous dire ce que je mise pour ce tour : la révélation du contenu d'un mail que j'ai reçu de mon ancien ministère, peu après la proclamation de souveraineté de Génosha."

Et, grand seigneur du poker, il ne daigna pas regarder les nouvelles cartes que lui fournirait Carrie. Il les garda face cachées devant lui. Comme si elles étaient inutiles pour sa victoire assurée.

Trempant son doigt dans le pot de sauce et le portant à sa bouche, Esther ne put réfréner une mine surprise :

"Punaise, c'est ce qui s'approche le plus de mon souvenir de ce que peut être la chaleur, ton truc !"

Saluant Sahari d'un grand sourire, elle fit passer la drôle de sensation en bouche en se gargarisant avec du vin, comme une vraie lady. Une fois ceci fait, elle avala le liquide et s'essuya les lèvres du revers de sa main.

"Bah, pour les enfants... Ça serait un peu accélérer le motif de la mort du Père. La mort définitive. Vous savez, ces machins d'œdipe et tout. D'abord on doit comprendre qu'on peut pas épouser son Papa ou sa Maman... Et après on réalise, genre à l'adolescence, que ce ne sont que des êtres humains. Pour que nos petits soient un peu autonomes, il faut qu'ils apprennent aussi que nous sommes taillés du même bois qu'eux... Et qu'on n'est pas infaillibles"

Repensant à ses propres failles, Aleph comprit qu'il y aurait toujours une barrière entre elle et ses élèves. Autoritaire. Sans pitié. Il ne l'aimait pas. Névrosée. Toujours au bout du rouleau, ils ne la respecteraient plus. C'était dans l'ordre des choses.

"On a tous nos faux pas, nos côtés sombres, les amis... Et si nos petits, nous voyaient, ils comprendraient peut être que nous ne sommes que le miroir de ce qu'ils sont. D'ailleurs le visage de l'autre, dixit Levinas, c'est toujours un miroir. On voit notre propre humanité dans le visage des autres..."

Était elle ivre ? Ou divaguait-elle simplement ?

"Mais pour la suite vous pouvez toujours venir me voir dans mon bureau... Ce qui me fait penser que nous aurions tous été des élèves terribles dans une école de mutants ! Ahlala, voyons voir ce que j'ai dans mon jeu..."

Faisant volontairement une drôle de mimique et roulant des yeux comme une folle pour masquer... sa profonde indifférence par rapport à son jeu, Esther réfléchit à la mise à donner pour cette main.

2 de pique. 7, 9 et roi de carreau. Et 10 de trèfle.

Presque une couleur. En fait, rien quoi... Et le Père Vadim qui fanfaronnait en ne regardant pas ses nouvelles cartes... Grand Prince ou Bluffeur diabolique ? Esther pensa qu'il n'avait rien. Et en mettant 2 cartes de côté, pour tenter la couleur, elle lança, très sure d'elle :

"Bon, face à la mise palpitante de Vadim, je propose d'augmenter les enjeux..."

Elle regarda ce qu'elle avait apporté : deux paquets de clopes. Rien de plus. Et elle même... Ne voulant miser ni le premier élément, ni le second, elle enchaîna, toujours très sure d'elle, quoi qu'un peu rapide dans le ton :

"Je mise le numéro de téléphone portable de l'ambassadeur de Génosha à Paris et un ragot croustillant sur sa collaboration palpitante avec mon mentor, Robert Bateson..."

Se rendant compte que ce n'était pas plus palpitant que ce que proposait le russe, elle ajouta, toujours sur le même ton :

"Et... Mes sandales que je réduirai en cendres ! Et... Je danserai si je perds sur la table !"

Elle était prise du démon du jeu. C'était triste à son âge.

Un neuf de cœur. Et le valet de carreau. Une paire dans son jeu définitif. Dommage que la couleur ait été ratée à une carte près...

Sahari sourit chaleureusement à une Carrie soulagée. Les autres profs avaient-ils été odieux avec elle? Ce serait surprenant, non?
Voyant les réactions et commentaires de tous et chacun au goûter de la sauce de Paolo, Sahari n'en prit que le strict minimum, pour être certaine de ne pas se brûler la langue ni le palais, pendant que Carrie distribuait les cartes. Elle écarquilla légèrement les yeux, mais ça allait. Pas besoin de grand verre d'eau ou encore de quoi que ce soit d'autre. Et voilà qu'on misait. Des trucs plutôt impressionnants. Sahari jeta un coup d'oeil à ses cartes. Valet de trèfles, 7 de trèfles, valet de coeur, 6 de coeur, roi de pique. Se disant qu'il valait certainement mieux conserver les figures, elle posa le 6 et le 7 sur la table, face cachée et demanda deux cartes en misant, hésitante.

"Hum. Je reprendrai deux cartes et euh... je miserai... hum, mon éventail!" Conclut-elle en passant le regard sur sa main.

Elle cligna des yeux en faisant une grimace, déçue par sa propre offre, avant d'ajouter, un sourire éclairant son visage :

"Et ma toute dernière sculpture, que personne n'a encore vue!"

Pas qu'elle sculptait souvent ou quoi que ce soit, elle n'était pas une grande artiste, mais quand même, ce ne pouvait qu'être drôle.

Prenant les cartes qu'on lui redonnait, un 4 et un 6 tous deux de trèfles, elle ne put s'empêcher de faire la moue. Peut-être aurait-elle dû garder le 6 de coeur dans ses mains et avoir ainsi une paire. Mais non, c'aurait été deux paires! Purée!

La partie avait enfin débuté, et les professeurs qui espéraient encore la faire changer d'avis faisaient leur deuil de cette occasion. Dans tous les cas, elle aurait été perdante : si elle avait participé et gagné, même sans utiliser son pouvoir, il y aurait toujours une suspicion de tricherie, enfin de "stratégie" dans l'air, et qu'elle n'avait aucun moyen de dissiper. Si au contraire elle perdait, on la soupçonnerait cette fois de l'avoir fait exprès pour ne pas être taxée du point précédent. Le serpent se mordait la queue.

Avec sa modération habituelle, Cassandre se garda bien de goûter la saute piquante ramenée par Paolo en entendant les réactions de ses collègues. Au lieu de ça, elle continua de siroter son thé, tout en écoutant les enjeux.

"Ou alors, c'est que je souhaite délibérément que vous ayez la gueule de bois demain pour prendre le contrôle de la terre." répondit-elle, pince sans rire, à la boutade de Vadim, laissant planer un certain doute dans la pièce.

Esther semblait toujours aussi joyeuse, à tel point qu'elle offrit plusieurs mises au lieu d'une. Quelque part, les informations monnayées par ses collègues amusaient la jeune femme, qui prenait plus de plaisir à les découvrir de leur bouche qu'à chercher d'elle-même à les trouver. Elle était d'ailleurs assez curieuse de savoir ce que l'Etat-Major russe avait bien pu dire à Vadim, même si les récents événements lui donnaient une petite idée. Sahari quant à elle, misa son éventail et une sculpture en os. A cette mise anatomique, Cassandre ne put réprimer un frisson de lui parcourir l'échine. Ils étaient tous habitués aux pouvoirs de l'Institut, mais se voir offrir un membre directement issu du "corps enseignant", au sens propre, répugnait vaguement à la non-voyante. Elle souhaitait bien du plaisir à celui ou celle qui raflerait ce prix très privé, un morceau de Sahari.

Esther dissertait encore et encore sur des sujets mystérieux, tandis que Vadim arrangeait l'air de rien ses cartes, comme s'il n'y avait déjà plus rien à réfléchir. Il regarda ses collègues, absorbés dans leurs combinaisons de cartes. Il réagit tout de même aux paroles de l'Israélienne.

"Nous aurions tous été des élèves terribles ? Qu'est-ce qui te fait dire ça ?"

Il laissa devant lui son jeu et se leva vers le "bar". Après quelques hésitations il opta pour une seconde bière. Tandis qu'il la décapsulait, il sourit en entendant les mises d'Esther.

"Aleph, ça ne m'intéresse pas : je t'ai déjà vu danser, j'ai déjà vu tes sandales, je n'ai rien à dire à ce haut fonctionnaire de Génosha en France... par contre le ragot m'intéresse. J'espère qu'il en vaut la peine..."

Dit-il d'un air tout à fait assuré. La mise de Sahari lui rappela une expérience assez peu enviable, dans l'arène. Cette histoire de sculpture sur os...

Il reprit un visage neutre tout en lançant à la dérobée une œillade méfiante à l'Africaine. Il s'avança vers Cassandre qui buvait son thé à l'écart. Sa réplique avait intrigué le Russe stratège. Cassandre était-elle donc adepte de la ruse machiavélique ?

"Le contrôle de la terre ? Tu crois qu'on t'en empêcherait Sibylle ? Moi pas ! Pourquoi tu ne nous en as pas parlé ?"

Il observa la silhouette de la psychologue, l'imaginant ainsi appuyée contre le trône en or massif de son empire mondial. Il fronça les sourcils, comme s'il jugeait un tableau de maître.

"En tout cas, comme tyran je te préfère à notre pathétique Roi Beckers."

Cassandre souffla sur son thé, plus par habitude qu'autre chose, devant la réaction de Vadim. Il préférait une reine blanche à un roi noir, bien qu'au final, les extrêmes se rapprochaient plus qu'on ne le pensait. Un despote éclairé n'en restait pas moins un despote. Cela faisait peut-être partie de l'héritage russe. Non, le devant de la scène n'était pas pour elle, et ne devait pas le devenir.

Elle scruta la zone où devait se trouver Vadim de ses yeux opaques, et esquissa une expression confiante, presque défiante, que le Russe avait déjà eu l'occasion de voir une fois, à l'occasion de l'anniversaire de l'Institut.

"Crois-tu que tu le pourrais ?" répondit-elle tranquillement. Pour le coup, le sens du défi de Vadim serait échec et mat. Le connaissant, il ne s'avouerait pas vaincu aussi facilement. Dans le fond, elle ne plaisantait qu'à moitié. Ils s'étaient tous mis en danger face à Midas, alors que lui briser la nuque lorsqu'elle y avait fait allusion leur aurait sûrement épargné bien des peines à l'avenir. Dans ces conditions, la question de leur capacité à empêcher son pouvoir de servir de mauvais intérêts était nulle et non avenue : s'il existait des possibles où la non-voyante restait faillible, c'était plutôt de la volonté des professeurs d'accomplir ce qui devait être accompli qu'elle doutait véritablement. Une bombe à retardement, c'était un peu ce qu'elle était.

Carrie continuait sur la lancée d'Esther. C'était l'une des premières fois où la psychologue entendait l'avocate faire de l'humour. Décidément, ils se connaissaient tous bien peu. Ce constat détourna la Grecque de ses éternelles pensées moroses. Ce soir, les professeurs semblaient vouloir se révéler, profiter de cette soirée à l'abri du regard des élèves pour qui ils devaient être irréprochables, pour être eux-mêmes. Elle souvint que ses relations avec la Française avaient été plutôt froides au départ. De l'eau avait coulé sous les ponts depuis.

"Un bébé, c'est bien le seul coup qu'ils ne nous aient pas fait." releva Cassandre aux paroles de Carrie, qui venait de résumer le type de facéties juvéniles auxquelles avaient pu se livrer certains élèves depuis la création de l'école. Et avec Iacobo mais aussi certains anciens élèves tels qu'Akira, le tableau de l'illicite était plutôt chargé.

"Ca, et un mariage secret." ajouta-t-elle après un temps de réflexion. Difficile de faire ce genre de choses dans un établissement lorsque vos projets pouvaient potentiellement être sus. A ces paroles, elle tourna la tête en direction de Carrie et Paolo, sans mot dire. Un couple parmi les professeurs. Désormais, eux aussi avaient leur palmarès de coups d'éclat. Elle était curieuse de connaître la réaction des élèves lorsqu'ils finiraient par s'en apercevoir.