[15 mai] Marguerites et papotage

Les chambres, à l'Institut.

Abaigh avait été vraiment fatiguée par son voyage. Et c'était encore sans compter sur toutes les choses qui s'étaient ajoutées à son retour. Tant pis pour la séance de calins de rattrapages. Charis préférait de loin que sa belle reprenne des forces. Elle pourra toujours lui sauter dessus plus tard. Et puis bon, il y avait Kalalli aussi, et ça faisait longtemps que la suissesse n'avait pas prit le temps de papoter tranquillement avec son camarade d'équipe. Donc... Sur la pointe des pieds, après avoir récupéré porte-monnaie et veste légère, elle avait refermé la porte de sa chambre et s'en était allée avec Kalalli en direction de la ville. Non pas que l'Institut lui donnait envie de fuir, mais ça faisait longtemps aussi qu'elle n'avait pas changé d'air. En plus, à midi, trop impatiente du retour de son Abeille, Charis n'avait fait que grignoter et du coup, elle avait quand même faim.

Donc motivée, elle pénétra dans le centre commercial et se dirigea droit vers la pizzéria, accompagnée du petit Inuit. Chassant toutes les pensées moroses qu'elle pouvait avoir, elle avait parfaitement affiché une expression de bonne humeur.

"Tu as faim aussi? Tu voudrais une pizza ou on s'en prend une pour deux?"

Sans compter qu'il y avait du choix chez Tony. Charis choisit une table libre, posa sa veste sur le dossier, s'installa et ouvrit la carte qui s'y trouvait. Bon... Alors... Difficile de se décider. En fait, à bien y réfléchir, Charis aimait tout ou presque. Elle n'avait jamais été difficile sur le plan culinaire. Mais subitement, alors qu'elle lisait la composition de la Bella Italia, elle baissa sa carte, fronça les sourcils, fixa Kal et, sans la moindre transition logique, elle lança...

"Il paraît que tu t'es mis à la danse... C'est vrai?"

Le tact, c'était pour les personnes qu'on ne connaissait pas et qu'on redoutait de trop gêner. Kal, lui, pourrait toujours l'envoyer bouler si la question ne lui plaisait pas. Charis ne s'en formaliserait pas. Mais n'empêche que ça titillait sa curiosité, cette histoire.

Une fois aux chambres, Abaigh avait signalé qu'elle était épuisée. Kalalli ne savait pas si c'était parce qu'il était là, mais Charis avait préféré lui proposer d'aller faire un tour en ville plutôt que de faire un petite dodo toute lovée contre elle. Le garçon était ravi d'aller passer un moment avec son amie en tête à tête. Ils avaient assez peu l'occasion de se retrouver juste tous les deux à l'Institut, à part lorsqu'il allait dormir dans sa chambre. Et en général, il s'endormait assez vite.

Une fois arrivée au centre commercial, Charis fonça droite comme une flèche vers la pizzeria. Amusé, Kalalli la suivit en répondant positivement à sa question sur sa faim. Même s'il n'avait pas un gros appétit, il n'avait pas non plus l'occasion de sortir très souvent d'une part parce qu'il ne sortait jamais seul, et d'autre part parce qu'il n'avait jamais vraiment personne avec qui sortir. Le garçon restait par certains aspects assez solitaires et donc casanier. Non pas qu'il avait peur d'aller en ville sans quelqu'un d'autre, mais il ne se trouvait jamais rien à faire, que ce soit des courses (il avait tout ce qu'il voulait), aller au cinéma (il ne regardait pas la télé) ou aller manger (il avait ce qu'il fallait à la cuisine de moins cher). Surtout que ces activités étaient moins sympas à faire seul.

" Heu. Les pizzas sont grosses en général. Une demie ça sera très bien pour moi. " répondit-il en souriant.

Ils s'installèrent à une table et la suissesse commença à regarder la carte.

" J'aime tout tant que c'est pas trop exotique. " annonça-t-il pour qu'elle prenne ce qu'elle voulait.

Lui il suivait surtout. Il n'avait pas spécialement faim contrairement à l'hydrokinésiste. Un peu concentré sur l'apparence de la pochette de la carte que Charis tenait, Kala afficha une moue surprise lorsque l'OnyX baissa la carte pour l'observer, les sourcils froncés. L'Inuit se dit dans un premier temps que rien ne devait lui plaire. Ou alors, il avait fait une bêtise et elle voulait lui en parler en l'entraînant ici. Ou...

La question tomba comme un couperet. Non pas qu'elle soit aussi grave que d'autres sujets, loin de là, mais Kala était très loin de s'imaginer l'entendre. Dans un premier temps, il se demanda ce qu'il devait lui répondre. Un non serait mentir. Un oui serait gênant. Quoique. C'était Charis. Mais même, il ne l'avait dit à personne. D'ailleurs, comment elle le savait ? Et c'était qui se "il parait" qui lui avait dit ? Il y avait des personnes au courant ? A part Jade et Kanata... Kanata ? Il avait cafté ?

" Je... oui. Avec... Jade... " marmonna-t-il sans grande conviction comme s'il n'en était même plus sûr, trop de questions s'entrechoquant dans sa petite tête.

" Mais... C'est Kanata qui l'a dit ? Faut pas le répéter hein... Tu me le répéteras dis ?" demanda-t-il en se dandinant sur sa chaise.

Il baissa les yeux sur la nappe en triturant le bord entre deux doigts.

" Sinon les autres vont se moquer... " conclut-il.

L'Inuit avait le rouge aux joues et sentait comme une bouffée de chaleur. Il ouvrit son gilet d'ailleurs puis remonta les yeux vers ceux de Charis.

Il n'avait pas vraiment l'air dans son assiette. La question pouvait effectivement être gênante. Il paraissait que les garçons qui faisaient de la danse avaient souvent honte. Charis ne comprenait pas vraiment pourquoi, d'ailleurs. Trop féminin comme sport? Elle-même avait toujours trouvé le half-pipe plutôt féminin en snowboard. Il fallait de l'agilité, de la souplesse, de la grâce, bref, pas forcément des notions perçues comme très masculines, et pourtant les filles y étaient moins nombreuses que les garçons. Comme quoi... Franchement, elle avait beau chercher, la danse, c'était trop unisexe à ses yeux pour lui permettre de cataloguer qui que ce soit avec cette simple activité. Et puis ça devait bien aller à Kalalli, ce genre de sport. Charis n'avait pas quitté un seul instant l'inuit des yeux, observant chacune de ses réactions. La gêne semblait être l'émotion dominante. En même temps, ça se comprenait. Et ça expliquait aussi pourquoi il s'était pris le bec avec Kanata, si la cause avait bel et bien été la danse. Quoique, connaissant le Yun, il suffisait d'un rien pour qu'il tourne en dérision même l'activité la plus sérieuse de manière à taper un maximum sur les nerfs de l'intéressé.

"Je n'ai pas l'intention d'en parler à qui que ce soit. Après tout, si tu voulais en parler, tu l'aurais fait toi-même."

Elle haussa les épaules, affichant un sourire rassurant, presque admiratif.

"Mais c'est cool en tout cas! La danse, ça te va bien je trouve. J'espère pouvoir te voir un jour à l'oeuvre!"

Ce devait être certainement assez beau à regarder. Encore qu'elle ne savait pas vraiment quelle genre de danse il faisait. ça, c'était une bonne question! Autant la poser.

"Tu fais quoi comme danse au fait?"

Elle baissa à nouveau les yeux sur la carte, prête à écouter la réponse de Kalalli. Il avait précisé quelque chose de pas trop exotique. En plus, il n'avait pas aussi faim qu'elle. Un truc pas trop chargé. Elle chassa d'office la hawaïenne des options. Le mélange jambon/ananas était certainement trop exotique. Mieux valait rester sur quelque chose de simple, pas trop lourd. Une Margarita devrait donc amplement suffire. Elle referma la carte, la reposa, jeta un regard à Kal et ajouta une question.

"Une margarita, ça te va? Ou tu voudrais quelque chose de particulier dessus?"

Vu qu'ils allaient partager, autant que ça plaise aux deux.

Charis l'observait de façon concentrée. Elle le rassura en confirmant qu'elle ne le répéterait pas. Il n'avait pas pensait qu'elle répondrait le contraire, mais préférait tout de même s'en assurer en demandant. C'était son petit jardin secret qu'il était prêt à partager avec certaines personnes si lui le décidait. Et Charis en faisait parti quoiqu'il n'ait pas vraiment décidé de le lui dire lui même. Il se demandait toujours si c'était Kanata ou si Jade avait trop parlé. C'était une fille après tout. Et les filles parlaient beaucoup entre elles...

La jeune fille lui avoua qu'elle trouvait que ça lui collait bien comme activité. Un peu surpris, il s'hasarda à demander :

" Ha bon... ? Pourquoi ? " avec des yeux grands ouverts.

La réponse était peut être plus évidente qu'il ne voulait se l'avouer. Il n'était pas bien costaud ni très endurant. Mais surtout, il n'aimait pas les sports de contact. Kala réalisa que sa question était un peu idiote finalement. Ca devait coller à son caractère en fait. C'était pour ça qu'il en faisait après tout. C'était comme quand on disait que certaines personnes portaient bien leur prénom. Charis lui demanda alors quel genre de danse il pratiquait. Cette fois encore, l'Inuit fut mal à l'aise. Autant il y avait des danses relativement unisexes, autant d'autres étaient dans la conscience collective essentiellement associées à la féminité.

Commençant par bredouiller un "heuuuu" qui aurait pu laisser croire qu'il ne savait pas, il décida de continuer à tout révéler docilement. Une fois que ça serait dit au moins, ils passeraient à autre chose. Du moins l'espérait-il un peu. Et puis, ce n'était pas de la danse classique non plus. Ca aurait été plus difficile à avouer.

"De... de la danse contemporaine. Avec Jade. Au club de Salem. Et j'essaye aussi le Hip-Hop en ce moment. Comme c'est pas le même jour que les cours de danse contemporaine, je vais pouvoir aller aux deux. Enfin j'espère... ça prend un peu de temps quand même... "

Temps qu'il ne passait de toute façon pas à travailler depuis quelque temps. Son passage à l'année supérieur était loin d'être assuré et il frôlait dangereusement la moyenne autant par au dessus que par en dessous. Un désintérêt massif pour les cours présent depuis l'Afrique du Sud et Prosper. La jeune fille avait dit qu'elle espérait le voir à l'oeuvre un jour. Il préféra relativiser, autant par timidité que par réalisme :

" Mais je suis pas très doué tu sais... Enfin... pas de quoi t'emporter dan... enfin... Tu vois... "

Le garçon n'en faisait que depuis quelques mois. Une demie année exactement. Il essayait de ne pas trop penser à ce qu'il valait sans quoi il finirait probablement par arrêter trop mal à l'aise. Et ça, il ne le voulait pas. Il avait besoin de danser.

" Oui très bien une Marguarita. Rien de plus pour moi. "

Puis pour changer de sujet, il demanda :

" Tu... Tu voulais pas rester dormir avec Abaigh ? Enfin ça me gêne pas d'être là, au contraire. Je suis content d'être ici avec toi. Maintenant qu'elle est revenue, tu vas passer du temps avec elle... " et moins avec moi. Mais ça, il ne l'avait pas dit. Il l'avait pensé fort par contre.

Pourquoi elle le voyait bien danser? Bonne question! En fait, c'était un peu un tout. Une image qui collait bien avec l'ensemble. Il y avait la finesse, l'aspect doux peut-être. Kal semblait avoir un profil de danseur, à première vue. Elle l'imaginait très mal faire du hockey ou du catch, par exemple. La danse, ça allait bien. Le patinage aussi, sans doute. Peut-être même la natation! Bref, des choses qui n'exigeaient pas une stature de colosse et réclamait des compétences autrement plus subtile que le bourrinage.

"Ton physique colle bien. Agile, fin, souple... Qui plus est, c'est un excellent moyen d'expression, donc... C'est un sport qui te va bien."

C'était tout. Elle ne voyait pas comment s'exprimer plus en longueur sur la chose. Il lui faudrait un peu plus de réflexion pour ça, sans doute. Quant au contemporain et au hip-hop... Il allait aussi apprendre à faire des figures sur le sol? Tourner sur la tête et tout ça? Charis regarda le vague quelques instants, imagina la chose, eut un très léger sourire, et en revint à Kal. Avec tout ce qu'ils avaient fait en mission, ce genre d'acrobaties deviendrait vite un jeu d'enfant pour quelqu'un comme l'inuit. Elle misa plutôt sur la timidité de Kal pour ce qui était de montrer ses talents. Il était débutant, et alors? Il fallait de toute manière bien commencer par quelque chose, et elle l'imaginait quand même mal revisiter Béjart comme s'il était né danseur étoile. Enfin il le ferait sans doute quand il en aura envie, quand il sentira prêt, et qu'il ne redoutera plus la réaction des autres élèves de l'Institut.

La serveuse s'approcha, et Charis commanda donc la pizza, plus un jus de pomme pour elle, et laissa le soin à Kal de commander ce qu'il voulait comme boisson. Il avait changé de sujet, sautant du coq à l'âne. Dormir avec Abaigh... Une question mignonne quand même. Nan. Charis, elle, elle ne voulait pas dormir. Mais son Abeille avait été épuisée. Et son arrivée n'avait pas débuté sous les meilleurs auspices. Elle savait que sa chérie était lasse de toujours devoir affronter des épreuves. Halloween l'avait prouvé. Charis aussi, d'ailleurs. Mais elle préférait maintenant faire juste comme si tout allait bien, quitte à mentir à Abaigh, pour aider son irlandaise et surtout ne pas en remettre une couche. L'Abeille lui paraissait un peu distante pour la peine, mais il lui fallait juste un peu de temps pour se relancer dans la course aux espoirs et aux désillusions. Et du temps, Charis était toute disposée à lui en laisser.

"Nous passeront du temps ensemble. Mais là, elle a besoin de calme surtout. Même si elle n'était pas à Génosha, toute cette histoire l'a beaucoup travaillée. Et puis bon... On a encore toute la vie devant nous de toute manière!"

Elle haussa simplement les épaules avant de relancer la question.

"Et toi, tu en es où avec Kitty?"

Le beau couple jeune et innocent n'était plus vraiment proche. En fait, il y avait eu rupture, mais Charis n'avait jamais vraiment pris la peine de demander à Kalalli ce qu'il en était, comment il le vivait.

Son physique collait bien. C'était vrai qu'il était fin et souple. Agile aussi, peut être. Charis semblait penser que c'était un moyen d'expression qui lui correspondait. Pourtant le garçon ne savait pas vraiment en quoi c'était le cas. Il n'était pas très à l'aise pour s'exprimer avec son corps ou par les mots, et plus généralement avec ce qui nécessitait d'être face à des gens. Ecrire des poèmes comme le faisait Kanata, peut être même peindre ou dessiner auraient été des passe-temps plus logiques quelque part, bien qu'il n'eut aucun talent.

La serveuse arriva finalement et prit la commande. L'inuit prit aussi un jus de pomme davantage par copie que par envie. La suissesse lui répondit qu'elle aurait le temps de voir Abaigh plus tard. Un peu surpris de la réponse, le garçon préféra ne rien rajouter. Ca faisait longtemps qu'elles ne s'étaient pas vues et il pensait qu'elle aurait tenté d'être avec elle malgré l'activité que l'abeille aurait entrepris.

Kalalli regretta aussitôt sa question lorsque Charis lui demanda, probablement par association d'idées, où il en était avec Kitty. Lui même n'aurait pas su lui répondre avec certitude. Rien n'était vraiment officiel. Ils s'étaient détachés naturellement à cause de la distance qu'il avait placé entre eux. La raison de ce mal être vis à vis des autres n'avait pas évolué et il éprouvait toujours des difficultés à s'attacher trop à quelqu'un. Comme s'il se protégeait d'aimer pour éviter de souffrir. Dans leurs conditions quotidiennes, ils pouvaient tous se retrouver violemment séparés par le décès de l'un des leurs. Un voile aux yeux, Kalalli répondit :

" On n'est plus vraiment ensemble je crois... On n'en a jamais parlé. Mais je... Enfin. Je ne peux plus vraiment...Mais... enfin. C'est plus pareil... " bafouilla-t-il sans réussir à placer les bons mots sur ce qu'il ressentait.

" Je veux plus m'attacher autant... " finit par lâcher en baissant les yeux. " C'est trop difficile d'avoir peur pour l'autre... de devoir se justifier... de... de devoir s'occuper de son bien être et du sien en même temps... d'être là quand il faut quand on sait pas l'être pour soit. Je m'en sens plus capable... depuis Prosper... "

C'était d'ailleurs pour ça qu'il dormait régulièrement dans la chambre de l'hydrokinésiste. Ce besoin à la fois d'être avec quelqu'un qui avait vécu la chose, quelqu'un avec qui il se sentait bien. Il frémit en repensant à la machine de cauchemar qui avait essayé de le capturer. Un peu plus et il aurait eu envie de pleurer. Mais il se retint autant qu'il put.

" C'est difficile de prendre soin de quelqu'un quand on sait plus prendre soin de soi-même... "

Il s'arrêta de parler une seconde avant de reprendre :

" C'est vraiment gentil de me laisser dormir avec toi... Ca me fait du bien. Je me sens mieux grâce à ça. Savoir que tu es près de moi. Je sais que je dois être envahissant à force... Si tu ne veux pas un soir, il faut me dire."

Sans transition, il repensa à Kitty.

" Je l'aime toujours un peu mais en même temps plus vraiment.je crois... Des fois j'ai envie d'être avec elle, et quand je le suis, j'ai envie de partir. Je me sens mal à l'aise vis à vis d'elle. Pourtant elle a rien fait... mais c'est comme si... comme si quelque chose s'était passé que l'autre ne pouvait pas vraiment... comprendre. J'ai l'impression d'être un peu différent. En bien ou mal, je sais pas... Mais pas pareil. Plus comme avant. J'ai envie d'être proche d'elle parfois et en même temps dès que je le suis j'ai l'impression de pas être à ma place. Je... c'est bizarre... Je suis bizarre. Je sais pas mieux expliquer... "

Le garçon était confus. Il éprouvait un sentiment d'attirance et de répulsion envers la petite télépathe. C'était étrange à ressentir à chaque fois, même si ça faisait déjà plus de six mois que c'était le cas. Kalalli tripotait nerveusement le manche de sa fourchette en réfléchissant à tout ça.

Pauvre Kal. Sa situation ave Kitty était au point mort. amis en même temps, ce n'était pas vraiment le couple à la dérive qui désolait Charis. C'était plutôt le mal-être de l'inuit qui la dérangeait le plus. Elle avait été lamentable pendant la mission PROSPER. Elle qui avait promit à Kalalli de le protéger n'avait pas été à ses côtés quand il avait manqué de se faire happer par cette saleté de robot. A la place, elle avait fait quoi? Tapé sur des illusions. Franchement, comme amie, il y avait mieux. Si elle avait été plus efficace, elle aurait sans doute pu limiter au moins un peu les dégâts sur le moral de l'illusionniste. une frusatrtion de plus. A force, elle allait pouvoir en faire un bouquin.

Quant à l'attache... En fait, c'était une question de point de vue sans doute. Mais il était vrai que c'était difficile de s'attacher à desélèves de l'institut en sachant pertinemment qu'il y avait de grande chance pour que plusieurs d'entre eux se fasse tuer dans les mois qui suivaient. Pourtant, elle en avait vu, des gens mourir. Mais ça avait été autrement plus perturbant avec des personnes qu'elle avait appris à apprécier sincèrement. Encore maintenant, elle sentait une douloureuse boule dans la gorge en repensant à Liam. Ou à ses angoisses quand Abaigh revenait blessée. Puis a force de cauchemarder, à force de se dire que de toute manière, on perdait tout, tôt ou tard, elle s'était conditionnée. A défaut d'avoir trop de peine, elle finissait par érpouver moins de choses. Moins d'attache. Tout en prenant soin de ne rien changer dans son comportement. Comme ça, elle pouvait profiter de chaque instant passé avec sa belle sans penser qu'elle ne la reverrait peut-être plus dès les départs pour les prochaines missions. Et surtout, ça lui permettait d'être là pour aider d'autres personnes à surmonter la tristesse, la peur, la colère. Il y avait tant d'exemple dans ce pensionnat. Josh et sa méfiance, Kal et ses peurs, Abaigh et sa lassitude... Chez beaucoup, ça se traduisait par des choix illogiques, des élans subits d'envie de jouer aux super-héros, des angoisses de perte de contrôle ou juste une hargne envers tout ce qui pouvait se montrer bienveillant. Des étapes qu'elle avait elle-même éprouvées mais dont elle se fichait à présent. Pour le moment, elle n'avait plus besoin de ça pour aller de l'avant.

"On dirait que tu te cherche, tout simplement. C'est pas facile d'être en couple à l'Institut. En fait, c'est pas facile d'être adolescent, surtout. Et à voir les professeur, c'est même pas dit que ça s'arrange avec le temps."

Elle ne savait pas vraiment comment détendre l'atmosphère, ni même si c'était une bonne idée d'essayer.

"Moi je te trouve très courageux. Je pense pas que j'aurais pu assurer aussi bien que toi après avoir vécu ce genre de chose. C'est bien, que tu t'occupe plutôt de toi. C'est le plus important au final."

Qu'il puisse se construire un peu, déjà. Sans quoi il aura sans doute de la peine à pouvoir être heureux plus tard. Charis pinça un peu les lèvres, puis finalement décida à revenir un court instant sur le sujet PROSPER.

"Je suis vraiment désolée... Pour l'Afrique. J'ai vraiment pas assuré."

Pas du tout, même. Mais au moins c'était dit.

"Tus eras toujours bienvenu, tu sais. Si ta présence m'avait dérangée, je te l'aurais dit. Et très franchement, quelque part, ça me fait du bien aussi, de me dire que je peux être un peu utile à quelque chose."

Elle détourna les yeux, semblant reporter un moment son attention versla serveuse qui leur préparait les boissons. Et tandis que des gamins risquaient leur peau pour la bonne cause, la vie continuait son chemin le plus naturellement du monde.

Lorsque Charis parla de "se chercher", Kalalli se piqua un phare en repensant à Jason-Kanata qui l'avait embrassé. Il ne voulait pas se poser de question autour de sa sexualité. Il avait bien d'autres choses plus importantes auxquelles penser. Et puis aimer être embrassé, ça ne voulait rien dire. C'était juste agréable après tout. Comme un bisous quelconque. Voilà.

Le garçon sourit lorsqu'elle dit que ça ne s'arrangeait pas avec le temps en parlant des professeurs. Certains semblaient aussi ravagés qu'eux. La jeune fille commença à lui faire des compliments en parlant de courage et d'assurer. Lui n'avait pas du tout l'impression d'avoir assuré. Il en gardait des séquelles mentaux en pagailles et se laissait aller dans sa vie.

" Le courage, c'est quand on a le choix. A part finir suicidaire, je ne pouvais que continuer à vivre comme je pouvais... "

Charis lui confirma que c'était bien de s'occuper de soi en priorité. Ca devait probablement lui paraître égoïste même si elle tournait ça sous forme de compliment. Elle était tout le temps gentille avec lui mais elle devait malgré tout trouver parfois des choses à lui reprocher. Pire, elle semblait se reprocher l'épisode de l'Afrique.

" Mais non ! Normalement personne ne devrait avoir à me protéger... Si j'ai besoin de gardes du corps, c'est que je suis un handicap pour l'équipe... Et je veux pas être un boulet. Et puis PROSPER était monstrueux... et vraiment fort... Ton pouvoir ne pouvait pas être très efficace contre lui. Moi encore moins."

Il ne voulait pas que d'autres personnes culpabilisent. Il était responsable en s'étant porté volontaire pour ces missions. La suissesse lui confirma qu'elle était contente de l'accueillir le soir, ce qui le rassura beaucoup. L'inuit ne voulait pas s'imposer. Il observa la serveuse leur apporter les boissons puis repartir et rajouta :

" Merci d'être là. Vraiment. "

Paroles on ne pouvait plus sincères. Le garçon avait baissé les yeux en les prononçant, un peu gêné. Il y avait peu de personnes avec qui il se sentait aussi bien. Soudainement, il repensa à autre chose.

" A fait, j'ai vu le remplaçant de Sahari. Clark Walker. Je crois qu'il était interviewé dans un journal d'après Leah. Il peut manipuler les cellules pour soigner, ajouter des membres, modifier le gêne x ou même le retirer... Ca fait peur je trouve... Je suis pas sûr de bien l'aimer... "

C'était celui qui prenait la place de sa référente après tout. Donc le professeur ne partait pas gagnant avec l'inuit comme avec probablement beaucoup des membres de l'équipe.

Tiens, Kal était devenu tout rouge tout à coup. Elle avait dit quelque chose de honteux? Se repassant rapidement ses phrases en mémoire, Charis ne vit vraiment pas ce qu'elle avait pu prononcer comme termes tendancieux. Certaines choses allaient immanquablement toujours lui échapper. En revanche pour les choix, elle trouvait les options de l'inuit un peu faibles. Il y avait aussi la possibilité de se plonger dans un mutisme à la limite de l'autisme, devenir un fou furieux cachant ses craintes sous une agressivité excessive, fuir l'Institut pour vivre en ermite au fond des bois... Bref, ce n'était pas les solutions qui manquaient. Et Kal avait prit l'une des plus compliquées à appliquer. Il avait beau dire, pour ça, Charis le trouvait d'un courage exemplaire. Et pour ce qui était de la suite...

"Ce n'est pas une question de boulet... Tu es très loin de l'être. C'est bien pour ça qu'il faut veiller sur toi."

En fait, ce n'était pas très clair dit comme ça, même si pour la suissesse les raisons étaient limpides. Si Kalalli pouvait faire subir des illusions, piéger des ennemis dans un autre monde, il devenait forcément un haut danger dans le groupe, donc celui à mettre hors d'état de nuire au plus vite. Sous bien des aspects, pour ce qui était de désamorcer un danger avec un minimum de dommages collatéraux, Kalalli restait parmi les meilleurs. pas comme Charis, qui avait virtuellement énuqué un soldat médiéval en gelant des escaliers, ou encore noyé une dizaine d'adversaire dans des eaux glaciales en Alaska. Quant à savoir si elle aurait pu être efficace... Il aurait pour ça fallu qu'elle tente quelque chose contre PROSPER. Mais non. Elle n'a rien eu le temps de faire. Elle aurait pu tenter de lui geler les circuits, de lui balancer le reste de sa bouteille sous haute pression, mais finalement, elle n'avait rien fait. C'était proprement scandaleux et elle s'en voudra certainement pour toujours.

Les boissons arrivées, Charis tira son verre de jus de pomme vers elle, saisit la paille entre ses doigts pour en retirer le bout de papier quand Kalalli la remercia. C'était touchant. Vraiment touchant. L'inuit était toujours aussi adorable malgré les missions endurées. Elle ne cacha pas un sourire sincère de gratitude en réponse et prit une gorgée de sa boisson quand il changea de sujet. Ah oui, le nouveau prof. Leur nouveau prof. Difficile de se faire à l'idée. Le départ du professeur Santero, celui de Madame Fouba... ça commençait à lui faire sa troisième équipe en à peine plus d'un an à l'Institut. A Salem plus qu'ailleurs, les choses étaient instables. Elle ignorait tout du pouvoir de ce Walker. Tout ce qu'elle savait était qu'il avait été interviewé dans l'Easter News. Bref, un homme de la scène politique. Et comme professeur? Elle ne savait franchement pas ce qu'il valait et espérait juste qu'il pourrait assurer. Kalalli lui donna plus d'informations encore en précisant son pouvoir. C'était vrai que c'était flippant... Mais en même temps, si un élève pétait une durite, lui pourrait complètement l'arrêter. Ce qui était un plus. L'idée saugrenue de se faire retirer son pouvoir traversa l'esprit de Charis. Une vie tranquille, humaine... Non. De toute manière, elle avait déjà perdu l'essentiel et il n'était pas possible de revenir en arrière et de faire comme si rien ne s'était passé. Mieux valait conserver ses capacités.

"C'est inquiétant... Mais en même temps c'est assez bien, comme pouvoir. Il pourra aider beaucoup de gens... Enfin s'il n'attrape pas la folie des grandeur et se mettait à modifier tout le monde."

Ouais... Non... En fait ça restait pas mal flippant.

"T'es pas obligé de l'aimer... Par contre, on va devoir apprendre à lui faire confiance, si on veut faire du bon boulot. Moi, ce qui me pose le plus de problème en fait, c'est de perdre Madame Fouba."

Elle... Et surtout Abaigh qui à l'origine était une Oryx quand elles s'étaient connu. Autant dire que ça fichait un coup de plus au moral de son Abeille. Quant à estimer les capacités de ce Walker... Un politicien au milieu d'une bande d'ado devenus presque des habitués des champs de bataille, c'était... Déplacé. En même temps, elle aurait dit la même chose d'elle-même un an plus tôt. Peut-être qu'il valait mieux lui laisser sa chance.

Kalalli commença à boire son jus de pomme en écoutant Charis parler du pouvoir du professeur.

" Je pensais qu'il voulait aussi aider beaucoup de monde avec son pouvoir mais il m'a dit qu'il ne voulait aider que quand il le décidait et que si des gens venaient lui demander des choses, il ne les ferait pas parce que c'était injuste pour les autres... Je trouve que c'est injuste de ne rien faire justement. Et puis il pourrait faire une armée de mutants soigneurs. Ou de mutants tout court d'ailleurs. "

Tirant à nouveau sur sa paille du jus, il songea à autre chose.

" Tu imagines si les militaires comme ceux d'Alaska le capturent et le forcent à créer des armées mutantes à travers leurs soldats ? Une armée de soldats psy, des pyromanciens, des hommes invisibles, des phaseurs, des créateurs psychiques comme Jas... Jason..."

A nouveau, il sentit le rouge lui monter. Vite, il fallait continuer à parler :

" Ils pourraient prendre le contrôle facilement de beaucoup de choses... Et puis le prof est sensible aux attaques psychiques. Alexander pourrait le contrôler par exemple pour se faire rajouter des pouvoirs. Peut être même se rajouter la maîtrise des cellules justement. On peut faire un mutant avec tous les pouvoirs les plus utiles. Il est dangereux je trouve. "

C'était une vraie bombe à retardement. L'idée d'un mutant avec tous les pouvoirs lui rappela étrangement PROSPER qui pouvait voler et contrôler les machines du bâtiment.

" Et puis il pourrait nous retirer nos pouvoirs... Je ne me vois plus être sans maintenant... "

Ca restait son seul moyen de protection. Et même si le garçon se refusait à l'utiliser dès qu'il en aurait eu l'occasion, ce pouvoir restait une roue de secours qui le rassurait beaucoup et qui l'aidait à se sentir un peu plus en sécurité. Sans les illusions, il se sentirait totalement inoffensif et vulnérable, impuissant, faible...

Affichant une moue contrariée, il avala une nouvelle gorgée de boisson.

Ah, c'était intéressant, ça, comme point de vue. Avec ce genre de pouvoir, on devait vouloir aider les autres? Dans un premier temps sûrement. Et puis on devrait finir par se sentir débordé, puis impuissant, enfin déprimé... Certains pouvoirs, aussi puissants qu'ils puissent être n'étaient très certainement pas faciles à porter. Les commentaires de Kalalli sur ce que le professeur avait dit faisait mine de rien remonter un peu Walker dans l'estime de Charis. Il était plutôt bon, en matière de psychologie. Dans la pratique, il était vraiment comme ça? Respectueux des envies de chacun? ça restait encore à voir.

"Moi je trouve qu'il a raison. Il respecte la volonté des autres et fait en sorte de ne pas blesser leur fierté. Personnellement, c'est pas dit que j'apprécie qu'un type se permette de choisir à ma place s'il faut me soigner ou pas. La situation a son importance aussi."

C'était aussi valable dans le sens inverse, soit dit en passant. Elle apprécierait mal qu'une tierce personne décide que ses pouvoirs n'étaient pas assez puissants et se mette à les lui doper, ou au contraire estime qu'il valait mieux qu'elle s'en passe définitivement. Mais elle ne pouvait pas pour autant dénigrer l'aspect inquiétant d'un tel pouvoir. Il ne suffisait de pas grand chose pour que Clark passe du type sympa à l'ennemi publique numéro un. Une manipulation mentale, une expérimentation... Il pouvait et serait menacé dès l'instant où ses capacités seront découvertes par des personnes moins bien sympathiques que celles de l'Institut. Peut-être même que pour avoir accès à son pouvoir, leur école pourrait être attaquée. Peut-être que c'était de la paranoïa, mais en même temps... Avant qu'elle ne soit là, d'autres avaient déjà vécu les professeurs sous contrôle mental externe. Et si ça se reproduisait? Assurément ça allait être bien pire avec quelqu'un comme ce Walker entre leurs murs.

Les exemples de Kalalli lui fit froid dans le dos et elle réprima un petit frisson de déplaisir. Mais en même temps, s'il lui était possible de retirer tous les pouvoirs mutants sur le monde... Le problème ne pourrait-il pas être résolu? Plus de mutants, plus de conflits sur la mutanité et sa raison d'être. Jusqu'à-ce que le darwinisme reprenne le pas et que d'autres mutants se mettent à apparaître quelques générations plus tard. Mouais. Pas si idéal que ça en fait. Elle aurait commencé à imaginer des trucs plus glauque encore si Kalalli ne s'était pas mis à bafouiller pour recommencer à rougir. Décidément, quelque chose clochait. Question à poser ensuite. D'abord le professeur.

"C'est vrai que c'est très inquiétant de toute manière. Mais en même temps... Il y a tant à redouter que je ne vois même plus l'utilité de réfuter sa présence à l'Institut. ça reviendrait finalement à juger quelqu'un sur son pouvoir. C'est une forme de discrimination. Tu imagine? ça voudrait dire aussi que tous les téléporteurs seraient des dangers, que tous les télépathes devraient être écartés. Chacun d'entre nous peut potentiellement devenir dangereux. Si on commence à extrapoler avant même de le connaître, on ne va pas s'en sortir du tout."

Et là, bonjour les dégâts. Pourtant, Charis commençait à voir un sacré gros point positif. Si Clark Walker pouvait retirer définitivement des pouvoirs à un mutant... Il était dorénavant possible de neutraliser partiellement des ennemis sans nuire à leur santé physique immédiate. Un mutant se prenait pour un exterminateur du genre humain? Leur professeur n'aurait qu'à le rendre humain pour calmer ses ardeurs. C'était moins expéditif que les solutions que Charis en était venue à envisager à Génosha, quand la tentation d'achever cette femme à terre lui avait si clairement traversé l'esprit. Bah. De toute manière, elle ne voulait pas le défendre. Après tout, elle ne le connaissait même pas. Ce qu'elle voulait, c'était arrêter de se filer des peurs supplémentaires.

"Et de toute manière, s'il essaie de s'en prendre à l'Institut, aux élèves, ou à des innocents, je ne pense pas que tout le monde le laissera faire. Personne est invincible."

Et une autre question lui taraudait toujours l'esprit.

"Il y a un problème avec Jason?"

Des fois que ça poserait des problèmes au sein de l'équipe...

Quand le garçon entendit la réponse de Charis, il se dit qu'il avait probablement expliqué de travers et préféra préciser ses paroles :

" Je ne parlais pas de "soigner" le gêne X en fait. Mais si quelqu'un avec un cancer venait le voir pour être guéri, il a dit qu'il n'en ferait rien, parce que ce serait injuste pour les autres qui ne pourraient pas venir. C'est ça que je trouve pas super... En plus quand je lui ai dis que je trouvais ça cruel de préférer n'aider personne que quelques personnes, il m'a retourné la question en me demandant si je ne me trouvais pas cruel d'enfermer les gens pour leur faire vivre leur rêve ou leur cauchemar... "

Il baissa les yeux. Ces paroles ne l'avaient pas aidées à apprécier le nouveau professeur. Kalalli releva le regard vers la suissesse et continua :

" Mais c'est peut être mieux qu'il ne fasse pas parler de lui en fait... Au moins personne ne connait vraiment ses capacités comme ça. "

L'hydrokinésiste commença une explication sur la discrimination sur le pouvoir et l'inuit se sentit penaud. Elle avait raison même si ce pouvoir là lui faisait vraiment peur. La télépathie ou le contrôle mental, il se sentait relativement protégé avec son bouclier psychique.

" Oui tu as raison... Mais les télépathes et contrôleurs mentaux ne peuvent pas forcément avoir de pouvoir sur ceux qui ont un bouclier psy. Alors que le professeur Walker, s'il atteint sa cible... "

Définitivement, le pouvoir du nouveau référent des OnyX ne lui plairait pas. Charis souleva ensuite un dernier point sur lui en disant que tout le monde se défendrait si nécessaire. C'était une évidence heureusement, et l'inuit répondit d'un petit oui de tête en baissant le regard.

Puis soudainement... Une nouvelle question arriva. Cette fois, c'était encore plus gênant que pour la danse ! Il avait plongé son regard dans celui de son amie pour vérifier qu'elle avait bien demandé ce qu'il croyait avoir entendu. Un nouveau phare. Il avait chaud. Encore.

" Ja... Jason ? " demanda-t-il avant de rapidement se concentrer sur sa paille et sur son jus de fruit.

" Pourquoi Jason ? Je... Il... Oui. Il va bien. Mieux. Je... Pas de problème. "

Il tourna la tête rapidement vers les cuisines en faisant mine de s'impatienter sur l'arrivée de la pizza.

" Je... C'est si long d'habitude ? " dit-il en se remettant face à son amie, mais en esquivant son regard avec habilité.

Ce jus de fruit avait une jolie couleur. Et les verres étaient jolis. La nappe aussi était jolie. C'est le regard baissé faisant semblant d'observer la table qu'il pria intérieurement pour que la pizza arrive, et vite. Question de s'occuper la bouche.

Ah oui. Elle n'avait donc pas compris dans le bon sens. rejeter quelqu'un qui demanderait d l'aide? C'était vache. Oui. Clairement vache. Mais n'empêche, pendant une fraction de seconde, elle avait été tentée de rire. Elle aussi était vache, dans son genre. Refuser d'aider une personne dans le besoin... La générosité, c'était bien. Mais en effet ça pouvait poser des problèmes. D'abord une personne, puis deux, puis dix, puis ce serait l'enfer. Décidément, sur le concept, ce prof lui plaisait! elle avait hoché la tête, comprenant cependant parfaitement le point de vue de Kalalli, et prenant une gorgée de jus de pomme. Elle ne voulait pas le contredire. Après tout, il avait aussi raison. Et le professeur avait tapé là où ça pouvait faire mal avec sa réplique. Même si elle trouvait la justification sur les contrôleurs mentaux un peu... Simpliste. Tout le monde n'avait pas une protection. Cela revenait à dire que face à un fléau, il existait quelques privilégiés. Bien entendu, tout le monde n'était pas égal en tout.

Elle avait fait mouche avec sa question. Kalalli sembla encore plus troublé qu'avant. Pourquoi? Charis allait commencer à se faire des films à ce rythme. Ou alors il s'était disputé avec Jason, et avait honte d'en parler. C'était une possibilité aussi. Elle fronça les sourcils, alors que l'inuit bredouillait des réponses aussi hasardeuses qu'incohérentes.

"Je ne parlais pas de son pouvoir."

Pouvoir qui avait évolué étrangement, d'ailleurs. Jason gagnait en puissance et ça lui avait échappé. Mais il semblait avoir reprit le dessus sur le phénomène et c'était rassurant! Mais il n'y avait aucun rapport avec la question qu'elle avait posé et en prime, elle avait la conviction que Kalalli l'avait lui aussi bien compris.

"C'est si gênant que ça? Tu sais, je compte pas te juger, hein. S'il y a quoi que ce soit entre vous, que ce soit en bien ou en mal, je ne vais pas te le reprocher."

Et on aurait dit que la serveuse avait des talents de sauveuse du monde pour revenir avec une pizza fumante à leur table. Par contre, le regard fixe de Charis sur Kalalli laissait clairement comprendre qu'elle n'allait pas lâcher le morceau. Hinhinhin!!

Elle ne parlait pas de son pouvoir.

" Ha heu... D'accord. " fit-il semblant de comprendre.

La phrase que Charis prononça ensuite acheva le garçon qui manqua de tomber de sa chaise. Elle lui demandait s'il y avait quelques choses entre eux deux.

" Quel... que chose entre nous ? " répéta-t-il pivoine.

" Mais tu... Pourquoi tu dis ça ? " tenta-t-il de s'insurger sans aucun succès.

" Et puis c'est un garçon ! " lança-t-il comme si ça répondait de façon complète à la question.

Soudainement, Kalalli eut une illumination. Charis ne parlait probablement pas de ça en parlant de "quelque chose" entre eux. Plutôt une dispute ou autre chose. Et l'inuit parlait de ça alors que pour la suissesse c'était probablement évident. A coup sûr, il venait de l'orienter vers cette piste de réflexion ! Il s'insulta plusieurs fois mentalement d'imbécile, lorsque...

La... La pizza ! Un rayon venant du ciel aurait put percer les nuages (et le plafond) pour venir s'abattre sur le divin aliment qu'il n'aurait pas un instant été surpris.

" Ca a l'air bon ! " dit-il rapidement en prenant sa part.

Il mordit très vite dedans afin de changer de sujet rapidement et se brûla évidemment.

" Haaaa, ch'est trop chauuuud " essaya-t-il d'articuler en mastiquant bizarrement sa part avant de boire une grande gorgée de jus de fruit.

Pourvu qu'elle oublie, pourvu qu'elle oublie.

Oula. Ses questions le mettaient de plus en plus mal à l'aise. Kalalli devait vraiment avoir un gros truc à se reprocher. Il n'avait même pas l'air crédible, tout rouge, à essayer de faire comme s'il ne comprenait pas. Pire, il sembla comprendre sur un tout autre plan que celui qu'elle avait envisagé en premier. Kala et Jason? Elle haussa un sourcil, lentement. La scène paraissait assez... Irréaliste. Surtout qu'il fallait immanquablement inclure Luther dans la donnée et... Oh... Mon... Dieu! "Et puis c'est un garçon"... Parce que c'était une justification,, ça? Jason, lui, avait des penchants dans ce genre, et Charis, elle, avait bien flashé sur Abaigh. Le genre n'y était pour rien, alors... Et son éloignement de Kitty... Est-ce que par hasard, Kalalli se serait tourné vers d'autres horizons?

Perplexe. Il y avait quelque chose de presque trop surprenant dans cette idée. Ou alors l'inuit avait cru qu'elle parlait sur ce plan-là. Elle finit par détourner les yeux un instant vers la pizza, sourit à la serveuse en la remerciant, et regarda, presque incrédule, Kalalli se jeter sur l'excuse toute offerte du repas. Pour se brûler. Évidemment.

"Ne détourne pas le sujet..."

Ouais. Enfin bon, se brûler, c'était quand même valable comme excuse. Il fallait bien l'avouer. A son tour, elle se contenta d'écarter quelques parts pour laisser la pizza prendre l'air et refroidir un peu, faisant attention à ne pas se griller les doigts au passage. Elle releva les yeux sur l'inuit.

"Sérieusement. Qu'est-ce qui s'est passé avec Jason? Tu n'as quand même pas peur de m'en parler, hein?"

Il manquerait plus que ça. Qu'il évite tout sujet un tant soit peu intimiste pour des raisons de pudeur ou de gêne excessive. Après tout ce qu'ils avaient pu vivre, franchement, que pouvait-il bien redouter en lui parlant? La honte ultime? Ce n'était vraisemblablement pas le genre de Charis de se moquer... Enfin ça lui arrivait très très rarement du moins.

Ne détourne pas le sujet. Taux de réussite de la mission proche du néant parfait. 0% pointé. Le problème étant que s'il ne répondait pas, elle aurait des doutes encore plus profonds et se ferait plein d'idées fausses. Sa bouche lui faisait encore mal. Il s'était brûlé le palet. Charis semblait presque vexée qu'il ne lui réponde pas franchement ce qu'il se passait.

Kalalli accrocha le regard de la jeune fille une seconde avant de le descendre sur ses lèvres en hésitant à parler et quoi dire.

" Heu... mais c'est rien. C'est juste Kanata qui a fait l'idiot avec l'apparence de Jason. Et quand j'y repense c'est juste un peu gênant, mais c'est rien d'important ! Vraiment. "

Au prix d'un petit effort, il remonta son regard dans celui de l'hydrokinésiste pour qu'elle le croit. Puis il se dit que de toute façon, elle allait l'interroger pour en savoir davantage s'il en restait là.

" Il m'a juste dragué de façon un peu... directe. Voilà. "

Comme ça, c'était dit au moins. Il y avait peu de chances qu'elle demande de nouvelles précisions. Du moins l'espérait-il.

" Je me suis jamais fait dragué... et encore moins par un garçon alors c'était gênant... Enfin jamais dragué... A part par l'infirmier... "

Mais là c'était plus que de la drague. Ramener ce sujet sur la table ferait peut être dévier la conversation cette fois au moins. Ce n'était pas bien de se servir de ce genre de choses pour esquiver un sujet mais sur le coup, ça lui avait parut comme étant une occasion en or.

Allez, il allait quand même cracher le morceau, hein? C'était pas juste non plus de montrer autant d gêne sans en évoquer la raison. ça poussait les interlocuteurs à marcher sur des oeufs et rendant la conversation très inconfortable. Autant être honnête, non? Ce n'était pas comme si elle comptait l'humilier ou lui rire au nez. Charis restait là à fixer Kal, attendant une réponse, tout en laissant refroidir un peu la pizza. Et il lâcha le morceau.

En fait, Jason n'avait strictement rien à voir dans tout ça. Pendant une fraction de secondes, Charis fut complètement à la masse, incapable de comprendre sur quel sujet Kalalli s'était lancé pour ne pas avoir à parler franchement. Jusqu'à-ce qu'elle percute. Kanata... Évidemment. Avec un pouvoir comme le sien, il pouvait être n'importe qui! Voilà donc. Il avait l'image de Jason et avait embêté Kalalli avec ça. Une minute... Peut-être que c'était pour ça que l'inuit avait usé de son pouvoir sur l'asiatique. Une vengeance à l'identique de l'attaque. T'utilise ton pouvoir pour m'embêter, je fais pareil en retour. Tout à coup, ça lui paraissait d'une logique absolue, si tant est que ce soit effectivement ça.

Mais quand même. Kanata. Quel pervers! Et si Kalalli avait réagit de manière positive à la drague, qu'est-ce qui se serait passé? Kanata se serait fait prendre à son propre jeu? Elle en resta bouche bée pendant quelques secondes. Kanata en Jason en train de draguer Kal. C'était juste... Pas du tout comme ça qu'elle aurait imaginé Jason. Alors imaginer Kal dans cette situation aussi insolite que perturbante... Vraiment, parfois le Yun avait des goûts très douteux en matière de blagues.

"Il est pas drôle."

En fait, avec n'importe qui d'autre, elle aurait sans doute trouvé ça drôle. Mais pas avec Kal. Il était trop innocent pour qu'on lui fasse subir ça. Sans compter que lui-même en rajoutait coupa subitement toute envie de poser plus de question. Effectivement, si en plus ça lui rappelait de mauvais souvenirs, mieux valait passer à autre chose.

"ça va la bouche? Tu veux un glaçon?"

Elle se faisait avoir en beauté...

Charis semblait trouver aussi la blague de Kanata pas drôle du tout même sans avoir eu besoin d'aller jusqu'au bout des explications. Du coup, elle lui proposait un glaçon.

" Ca va passer, merci. " répondit-il en souriant.

Le garçon commença à manger tranquillement son morceau, cette fois plus lentement puisque le sujet avait enfin changé.

" Il faut que je fasse attention quand je sors de ta chambre. Tout à l'heure, j'ai croisé Leah... Et j'avais Chason dans les bras en plus... J'espère qu'elle va pas croire que je suis allé te voler quelque chose. Elle a répété en japonais à Kanata que j'avais le nounours dans la main quand on était à la cuisine parce qu'il m'a chambré tout de suite après... "

Kalalli déchira une part de pizza en deux et continua :

" Déjà que justement la fois où il était Jason il m'avait vu pour la première fois répéter une chorégraphie... Il s'était bien moqué de moi là en criant que j'étais ga... "

*bruit de disque rayé et yeux écarquillés*

" Heu. Garçon étoile. Pour danseuse étoile. Enfin j'imagine... Il commençait à crier ça quand je l'ai enfermé dans l'illusion... "

Essayant d'avoir la mine la plus naturelle possible comme s'il n'avait pas bafouillé, il se concentra de façon caractéristique sur sa pizza et prit un grosse bouchée. Garçon étoile. Mais... n'importe quoi. Il baissa les yeux encore. Décidément, il l'aura bien reluquée la nappe. Il avala et décida de dire autre chose rapidement.

" Mais moi je l'ai déjà vu écrire des poèmes. Alors à la cuisine, je l'ai dis devant tout le monde comme il se moquait de mon nounours... Mais il a nié parce qu'il assume pas. "

Détourner le sujet. Un art qu'il essayait de maîtriser avec plus ou moins de réussite. Sa timidité parfois maladive était reconnaissable dès qu'un sujet gênant était abordé. Et malheureusement, les gens qui étaient proche de lui n'étaient pas dupes une seconde, surtout lorsqu'il changeait de sujet avec vigueur.

Soudainement, il sentit un poids sur lui, même sans regarder Charis. Il l'imaginait les yeux posés sur lui, les sourcils froncés, ayant très bien saisie le petit jeu de l'inuit. Presque pire qu'avoir une lame faisant pression contre son cou, Kala avait l'impression que la suissesse allait finir par se vexer qu'il ne dise pas que la vérité, rien que la vérité.

" Il a essayé de me déshabiller et il m'a embrassé ! " lança-t-il d'un coup d'un seul sans raison apparente.

L'illusionniste avait à la fois l'impression de s'être ôté un poids et sembla attendre la sentence en se recroquevillant un peu sur lui même, la tête baissée.

Vraiment jolie cette nappe.

Bon. Au moins il ne s'était pas brûlé trop sévérement. Du coup, Charis prit à son tour une part de pizza et commença... Pas manger la croute, qu'elle céchirait consciencieusement du bout des doigts. Chacun son style après tout. Elle ne perdit pas une miette du discours de Kalalli pour autant. Donc il avait rencontré Leah, la nouvelle. Charis ne lui avait pas encore vraiment parlé. De fait, elle n'avait pas abordé de nouveaux élèves depuis un moment. A ce rythme, elle allait passer pour une associale alors que ce n'était pas le cas. Donc... Mademoiselle Leah parlait japonais... Et balançait ses petits camarades? Bon, elle n'était pas encore à l'Institut depuis assez longtemps pour savoir que si on pouvait parler librement, en présence de Kanata, il valait mieux s'absternir de donner la moindre information sous peine de l'entendre hurler à plein poumon en croyant mettre la honte. Si Kalalli voulait rester discret sur ce qu'il venait faire dans la chambre d'Abaigh et elle-même, il lui faudrait être un peu plus prudent. Quoiqu'elle ne voyait pas vraiment en quoi il fallait que ce soit un secret. Pouvoir mieux dormir dans certains endroits, en présence de certaines personnes, pouvait peut-être faire passer Kal pour un froussard, mais curieusement ce n'était pas si rare que d'autres le fassent. Déjà de base, ils étaient deux par chambre. Donc le concept était mis en pratique à l'Institut. Sinon il y aurait eu plus d'élèves seuls.

Elle termina la croute de sa première part et attaqua le centre à présent. Non, elle n'était pas dupe. Garçon étoile, quand même... Elle ne dit rien mais n'en pensait pas moins. En revanche, elle trouvait dommage que pour Kanata, l'homosexualité était sujet à insulte ou provocation. L'asiatique était décidément soit très peu tolérant, soit totalement incapable de cerner la signification de ses propres paroles. Pour la peine, il semblait à Charis qu'il était juste tristement lamentable. C'était dommage. Ce qui ne l'empêcha pas d'être surprise d'apprendre qu'il écrivait de la poésie. Dommage aussi qu'il n'assume pas, alors que c'était pourtant une activité qui demandait un certain niveau intellectuel, contrairement à ses gags franchement en dessous du niveau de la mer. Elle s'abstint cependant d'ajouter que Kalalli non plus, n'assumait pas. Il dansait depuis déjà un moment, mais veillait à ce que ça ne sache pas. Dans la catégorie "tu peux toujours causer", il était pas mal non plus. Quoique... Quand on voyait la réaction de Kanata, c'était en même temps inévitable.

Et oui, elle s'était immobilisée après une bouchée de plus, fixant Kalalli. Il manquait clairement des détails à son explication. Hurler que l'inuit était gay était certes d'une débilité à toute épreuve, mais il en fallait plus pour pousser Kal en dehors de ses gonds. Même face à la menace et les provocations de Josh, il avait reculé plutôt que de l'attaquer avec ses pouvoirs. Elle attendait, simplement, qu'il crache le morceau, sous son regard lourd de sous-entendu. Ce qui ne manqua pas. Et lui fit tomber la mâchoire. Il avait fait QUOI? Pendant une fraction de seconde, l'image lui aurait presque donné envie de rire... Si Kalalli n'avait pas eu le vécu qu'il avait eu. Là, franchement, Kanata était aussi vulgaire qu'agressif. La vengeance de l'inuit était du coup parfaitement justifiée.

"Bon... J'imagine qu'on peut dire que l'illusion est justifiée, là."

D'accord, ce qu'il avait dû voir et ressentir avait été horrile. D'accord, il avait dû subire un enfer. Mais ça n'avait été qu'une illusion. Tandis que Kal, l'enfer qu'il a vécu, lui, était bien réel. Elle espérait juste que Kanata avait du coup assez morflé pour remettre en question son comportement. Quoique... Déconner avec un nounours... Elle était certaine que lui aussi devait avoir une ou deux peluches planquées quelque part. En soi, ce n'était pas une honte, que ce soit à trois, quinze ou trente ans.

"Si il recommence un jour à te faire un truc dans le genre... Je veux dire à vouloir faire une blague bien graveleuse de manière trop égoïste pour réaliser qu'il pourrait jouer sur des peurs plus profondes... Dis-le moi. Je me ferai un plaisir de lui geler un peu d'eau dans les cheveux pour refroidir ses ardeurs. Par principe."

Un Kanata chauve... ça lui rappelera pendant un temps, qu'il agissait comme une andouille. Ou ça l'obligerait à changer de peau pour pas assumer de calvitie. Et ça le ridiculiserait pendant un moment. Bonne idée, ça.

Charis sembla manquer de se décrocher la mâchoire lorsqu'il annonça ça. C'est du moins ce qu'il en déduit lorsqu'il releva les yeux vers elle parce que rien ne semblait se passer. Kala s'était attendu à ce qu'elles posent des questions qui aillent plutôt dans une autre direction car après tout, si Kanata l'avait bel et bien embrassé, il n'avait à priori par de raison d'hurler comme un goret que l'inuit était gay. Sauf qu'elle ignorait que ça ne lui avait pas tant déplu que ça, contrairement au japonnais qui avait pu le déduire de la réaction du garçon.

Puis elle jugea que l'illusion était justifiée dans ce cadre là. Mais lui culpabilisait toujours malgré tout. Même si le polymorphe continuait à l'ennuyer. La paroles de la suissesse sur la calvitie le firent rire. Imaginer Kanata chauve était amusant.

" Je savais pas comment le faire taire surtout... Et je voulais pas qu'on l'entende... Alors je l'ai enfermé longtemps dans une illusion cauchemardesque... Mais j'aurai pas du quand même. Il était vraiment très mal après même s'il n'en parlait pas. Je pense qu'il a sa fierté. Je sais pas trop à qui il parle en fait dans l'Institut, à part Georgia. Je crois pas qu'il ait vraiment d'ami. Mais il fait rien pour en avoir. Enfin voilà... C'était pas bien de lui lancer une illusion contre son gré. " commença-t-il par expliquer réellement triste d'avoir fait ça.

Voilà qu'il en venait à le défendre. Kala ne savait même pas pourquoi il disait ça. Probablement parce qu'il préférait ne pas faire de mal autour de lui, même envers ceux qui le méritaient.

" Et puis pour l'infirmier, il pouvait pas savoir. Je lui ai jamais dis. Peut être que quelqu'un lui en a parlé comme ça et qu'il a pas relevé. Ou alors il s'en est jamais servi contre moi parce qu'il sait que c'est mal. Je ne sais pas. Mais c'était pas comme l'infirmier quand il l'a fait. C'était pas aussi... sale. J'y ai pas pensé du tout sur le coup. Je me sentais juste bizarre et un peu trahi qu'il se soit amusé avec moi. Sur le coup j'avais pas trop compris pourquoi Jason était comme ça envers moi... "

Il haussa les épaules en découpant un bout de croûte par mimétisme et en commençant à la grignoter.

" Mais bon après on se sent un peu abusé... Enfin dans le sens de trompé. Pas abusé... enfin tu vois. J'étais un peu en colère et triste surtout. Donc au début quand il criait je voulais le faire arrêter normalement et comme j'avais peur je savais pas quoi faire d'autre... Adam était arrivé un peu après mais Kanata était déjà dans mon illusion. "

Le jeune garçon attaqua ensuite le centre de sa part de pizza comme Charis venait de le faire. Il ne s'était même pas rendu compte qu'il l'imitait.

En même temps, existait-il un moyen normal de faire taire quelqu'un comme Kanata? Il aurait été intéressant de se pencher sur la question et de l'analyser par un texte d'une trentaine de pages sans y trouver de solution concrète. C'était... Une tornade. Kalalli avait réussi là un exploit hallucinant. Rien de telle qu'une illusion. C'était brusque, douloureux, et certainement infernal. Mais au moins, ça apportait la paix pendant quelques instants dans le monde réel. Alors oui, ce n'était pas bien. C'était même franchement monstrueux. Charis ne pouvait décemment pas dire que c'était une bonne chose de se venger. En fait, elle pensait même que c'était mal. Mais parfois, ça pouvait servir. Parfois, entre deux maux, il fallait choisir le moindre. Si avant elle avait pensé qu'il avait dû exister une meilleure solution, en reconsidérant la chose avec les informations complémentaires, elle ne voyait franchement pas ce qu'il aurait pu faire d'autre pour déjà le faire taire, et ensuite lui apporter une bonne leçon. Le Yun en avait forcément souffert. Bien plus qu'il n'aurait été nécessaire, d'ailleurs. Mais en même temps...

Ses opinions devenaient décidément plus tranchées et cruelles avec le temps. Sil y avait bien une chose qu'elle avait appris, c'était que la gentillesse se payait, et que la vacherie était gratuite un peu partout. A partir de là, mieux valait ne pas trop se répandre en sympathie si ce n'était pas naturel ou indispensable. La pitié? Le concept lui paraissait abstrait à présent. Si certains ne pouvaient en éprouver, pourquoi leur en témoigner? Elle n'avait pas pitié de Kanata. Elle avait en revanche conscience que la punition avait été rude. Probablement même trop rude. Mais c'était un mal pour un bien: il lui semblait que Kanata ne s'en prenait pas vraiment à Kalalli depuis. Dire qu'il avait une peluche... C'était quand même autrement moins intrusif et intime que lui sauter dessus pour lui rouler une pelle avec le corps d'un autre en tentant dans la foulée de le déshabiller. Charis retient une grimace en chassant l'image qui lui avait traversé la tête. C'était... Irrespectueux. Elle n'y trouvait rien de drôle, ou d'agréable dans ce genre de contrainte.

Elle n'ajouta rien, réalisant que malgré ce qu'il avait subit, Kalalli en venait à prendre la défense de son agresseur. Certes, Kanata ne savait pas tout de l'inuit. mais tout de même... S'il se pointait devant Charis pour lui demander par mesquinerie ignorante si les inondations lui plaisaient à cause de son pouvoir, elle lui mettrait une main, ou peut-être même deux en travers de la figure pour y répondre. Mais mieux valait chasser cette idée aussi. Ce qui était le plus surprenant venait encore. En plus, il disait que c'était différent? Qu'il ne s'était pas senti agressé comme ça avait été le cas avec l'infirmier? Bizarre. Oui, il y avait de quoi se sentir trahi. Ne pas savoir comment réagir parce qu'on ne reconnaissait plus la personne en face avant de réaliser que cette même personne n'était pas celle que l'on croyait... Il y avait de quoi. ça expliquait aussi pourquoi Kanata aurait pu hurler que Kal était gay. Mais en même temps... Si ça avait vraiment été Jason... Aurait-il pu lui faire du mal pour le repousser?

"Tu as paniqué... Franchement, je ne pense pas que tu aurais pu faire autrement sur le moment. Mais la réelle question, c'est... Est-ce que c'est la trahison qui t'a poussé à te défendre comme ça? Et si oui, est-ce que ce que tu as ressenti quand il t'a sauté dessus sous la forme de Jason en est la cause principale? Je veux dire... C'est normal que ça perturbe. Mais en même temps, si ça avait été Jason, tu n'aurais pas voulu le repousser pour lui faire du mal."

Ou alors Kalalli pouvait en plus d'être soucieux d'autrui, être juste très libre dans sa manière de penser. Peut-être qu'il découvre juste des trucs. Peut-être que sa préférence reviendrait aux garçons. Tout était possible après tout.

Kalalli se demanda si Charis disait qu'il avait fait le meilleur choix juste pour le rassurer ou si elle le pensait vraiment. La question qu'elle lui posa le laissa songeur un instant.

" Je sais pas... je voulais juste le faire taire pour pas que les gens le croient... Mais si ça avait été Jason... "

Le rose lui monta aux joues en commençant à découper une autre croûte de pizza.

" Je veux pas lui faire de mal à Jason... Enfin à Kanata non plus mais... Jason il me ferait jamais de mal alors. Je sais pas. J'aurai pas réagis aussi violemment même si sur le moment j'ai quand même été vraiment surpris. Et j'ai peut être eu un peu peur aussi parce que ça lui ressemblait pas du tout. "

Le garçon fixa un instant sa pizza en réfléchissant. Il ne s'était pas posé de question aussi précise.

" C'est juste agréable d'être embrassé... Et ça faisait longtemps qu'avec Kitty... Enfin... Mais c'était Jason... C'était pas n'importe qui. C'est comme si c'était Juliette, Claire... Ou toi. Je me sens proche de vous alors... Ca me dérangerait... moins. "

Un peu mal à l'aise de parler de ça, il attaqua le centre de sa part de pizza le regard baissé, toujours concentré sur ce qu'il disait.

" Vous c'est... différent. J'ai pas de frère ou de soeur alors c'est difficile de faire une comparaison mais... Ca doit se rapprocher de ça. C'est comme de se prendre dans les bras. Enfin c'est connoté autrement de s'embrasser mais c'est aussi une forme d'affection quelque part... Même si c'est un peu déplacé suivant les personnes... Alors voilà... C'était juste agréable... "

Cette fois il se livrait. Au point où il en était, autant dire tout ce qu'il pensait et ressentait. Elle le comprendrait très probablement.

" Mais ça l'était pas quand il a essayé de m'enlever mon t-shirt. Parce que là c'était plus vraiment pareil. C'était plus... charnel et c'est pas le même genre de relation. Deux frères ne font pas ça... Enfin. Ils ne s'embrassent pas non plus normalement mais... c'est pas pareil. "

Kalalli soupira. Il ne savait pas s'il était très clair. Il conclut finalement d'une petite voix :

" Ca m'a juste fait du bien sur le moment parce que ça n'allait pas très bien avec Kitty. Mais quand j'ai vu que je m'étais laissé aller et que c'était Kanata... ca m'a vraiment blessé et je me suis senti un peu... Sale. Parce que c'était pas Jason. C'était pas l'un de vous. Quelqu'un contre qui je me laisserai pleurer, avec qui je parlerai de mes secrets, avec qui je me laisserai aller. Mais... c'était lui. Celui qui m'ennuie toujours et qui est dans ma chambre et qu'il se moquait de moi. Et qu'il s'est moqué de moi après. Pour moi c'était vraiment comme un câlin tendre... même si je sais que c'est très spécial... J'ai pensé que c'était sa façon d'aimer peut être..."

Là il était très très mal à l'aise.

" Non en fait c'était juste malsain. " s'avoua-t-il de façon tristounette.

Ca ne se faisait pas et c'était tout. Il n'y avait pas d'histoire d'être en manque d'affection, que ça soit quelqu'un qu'il aime beaucoup, ou de s'être laissé faire pour ne pas froisser. C'était mal et il avait été puni par l'apparition de Kanata à la place de Jason. Il n'avait qu'à pas se laisser faire après tout. Kalalli renifla. Il se sentait soudainement un peu plus sale que sur le moment à force d'y repenser et d'en déduire tout ça. Et puis il gâchait leur sortie à deux...

" Pardon... "

Là, Charis avait un peu de mal à le suivre. Donc... Kalalli était en train de dire qu'il comparait le baiser à une forme d'affection fraternelle. C'était... Étrange. Pas inconcevable, mais étrange. Il y avait quand même des nuances entre le petit bisou et le baiser. Sans compter qu'en plus, ça avait été imposé. Et une marque d'affection imposée, ce n'est pas vraiment de l'affection en fait. C'était compliqué à comprendre tout de même. Si ça le dérageait moins, c'était parce qu'il avait confiance en certaines personnes? Pourtant il n'y avait pas grand chose voir tout de même. C'était bien trop différent à considérer. En fait, ça lui échappait totalement.

Elle préféra ne rien dire, essayant juste de saisir le point de vue de Kalalli. Donc pour lui, c'était normal, que des personnes qui se considèrent comme une famille, soient affectifs. Jusque-là, rien d'anormal. Charis dirait même que c'était d'une logique évidente. Mais de là à embrasser... Il y avait bien des limites, non? Ou Kal a juste été complètement dépassé par un Jason qui avait un comportement incohérent. ça lui semblait probable. Il pouvait aussi y avoir le choc des cultures. Mais Charis doutait que dans le pays de Jason, la coutume veuille qu'on embrasse son frère. Normal en fait. Mais en même temps, dans le feu de l'action, il était peu probable de penser à ce genre de chose.

Oui, ce devait être ça surtout. Il avait été dépassé. Elle n'avait pas envie de le couper dans son élan. C'était rare que Kalalli se livre ainsi, et elle préférait de loin l'écouter sans l'interrompre. Elle termina juste sa part, attentive aux propos, aux réactions, à la gêne aussi. Pour lui, ça ne devait pas être simple. Considérer des sensations imprévisibles et y chercher un sens, c'était juste... Impossible. Parfois des choses arrivaient sans qu'il n'y ait grand chose derrière. Et parfois, il y avait beaucoup à en retirer. C'était toujours confus. Charis ne pouvait pas franchement se faire d'idée sur la question. Elle était fille unique, n'avait finalement embrassé qu'Abaigh, bref, trop peu pour se faire une idée sur ce que ça faisait si un ami considéré comme proche lui sautait dessus sans crier gare.

"C'est vrai qu'il t'a trahi. Ce qui est le plus malsain, c'est de se faire passer pour quelqu'un qu'on est pas. A mon avis, tu n'as aucune raison d'avoir honte ou d'être gêné."

Elle haussa les épaules, tira une nouvelle part de pizza, recommença son manège.

"Je vois pas ce qu'il y a de mal à apprécier un baiser. C'est juste étrange de se dire que ça pourrait être une marque de fraternité. Mais en même temps... C'est impossible de juger. On vient tous de milieux différents, de cultures différentes... Les limites de certains sont plus éloignées que celles des autres. Je vois pas pourquoi tu t'excuse, c'est pas ta faute. En fait, il n'y a pas de faute."

Sauf celle de se jouer des autres comme l'avait fait Kanata. Charis baissa les yeux sur sa seconde part dont elle était en train de déchirer la croute, pour ensuite se reporter un instant, perplexe, sur celle que mangeait Kalalli. ça aussi c'était bizarre... Elle sourit légèrement, releva les yeux sur l'inuit.

"C'est rigolo! Tu manges la pizza comme moi!"

Un réflexe involontaire peut-être?

Charis annonça que c'était ce qu'avait fait Kanata qui était malsain. Là encore, l'inuit se demanda si son amie disait ça juste pour le rassurer.

" Tu... tu crois ? "

Kalalli se rendit compte qu'il n'avait pas très bien expliqué quand la suissesse reprit la parole et parla de marque de fraternité.

" Non, non ! Pas une marque de fraternité. J'ai pas réussi à dire ce que je voulais... "

Le garçon réfléchit un instant pour essayer de trouver des parallèles.

" Se tenir la main par exemple, ça se fait entre amis proches, entre personnes d'une même famille ou entre deux amoureux. Se faire un câlin, c'est pareil. Mais ça a pas le même sens. C'est un peu plus intime. Et ça veut dire qu'on tient vraiment à la personne... Un bisou sur la joue c'est à la fois neutre et plein de sens je trouve quand c'est pas juste pour dire bonjour. Un bisous sur les lèvres, ça se fait clairement pas entre amis sauf pour rire et encore... Certaines familles s'embrassent sur les lèvres. Les russes je crois. Certaines mères embrassent leurs enfants sur la bouche. C'est surtout dans ce sens là que je voyais le mien. " dit-il en jouant avec ses doigts, concentré sur l'organisation de ce qu'il racontait.

" Mais je parle juste d'un bisous. Pas d'un... gros bisous. C'était déstabilisant parce que ça rentrait dans aucune "case" vraiment que je pouvais trouver logique. Ce sont justes les amoureux qui font ça et sur le coup je savais pas trop quoi faire surtout que je sais que Jason aime... enfin. Je savais pas si c'était parce qu'il m'aimait juste très fort ou si c'était vraiment... de l'amour. Du vrai. Enfin. Celui des amoureux. Tu vois ? "

Il releva le regard vers elle pour vérifier qu'il était compréhensible.

" Mais c'est pas pour ça que j'embrasse les gens dont je suis proche hein !! " lança-t-il soudainement comme s'il passait pour un pervers.

" C'est juste que vous ça me gênerait moins parce que je vous aime et que je sais que ça serait... tendre. Sans idées... Alors que Kanata qui voulait me déshabiller par contre c'est sorti de ce cadre là parce que ça peut pas être sans idées... Enfin... Je crois. Je sais qu'il y a des amis qui font des choses juste comme ça, sans sentiments mais ça je... non. "

Parler de sexe était difficile quand on n'avait aucune expérience. Il sentit à nouveau le rose lui monter aux joues dans un petit sourire gêné. C'était la première fois qu'il parlait de tout ça et il avait peur d'être bizarre dans sa façon de voir les choses.

" Tant que ça reste dans le respect de l'autre et que c'est tendre et sincère... C'est moins gênant... " décida-t-il de conclure alors qu'il venait de remarquer qu'en effet, il l'avait imitée en train de manger sa pizza.

" Heu... ha oui. C'est peut être toi qui me recopie ! " lança-t-il un peu plus joyeusement.

Sur le coup, le garçon se disait qu'il aurait mieux fait de ne rien dire de tout ça. Il avait peur qu'on le trouve bizarre...

Kanata aurait-il été mesuré? Ou alors la perspective de mettre sa langue dans la bouche de Kalalli ne l'avait pas trop inspiré. Bon, ça amoindrissait l'aspect mauvaise blague, mais ça n'enlevait rien au fait que ça avait été profondément dégueulasse de faire une chose pareille. D'autant plus que ça avait été clairement ambigu. Effectivement, Charis voyait mieux ce qu'il voulait dire et elle hocha la tête, la bouche pleine, quand il parlait d'incertitude entre les différentes sortes d'amour que cela pouvait représenter. Elle avala sa bouchée, étouffa un rire. Non, Kalalli n'avait rien d'un dingue bisouphile. Du moins il ne le lui semblait pas. En fait, c'était plutôt l'inverse en général. A croire que l'inuit attirait les bisous. En fait, c'était peut-être une évolution de son pouvoir que personne n'avait soupçonné...

Elle le trouvait touchant. Vraiment touchant. C'était rare d'entendre qui que ce soit dire ouvertement qu'il aimait d'autres personnes. C'était à la fois touchant et bouleversant. Jamais encore elle n'avait entendu ce genre de chose. N'empêche, ça mettait quand même un peu la pression aussi. ça voulait aussi dire qu'elle ne devrait faire aucun écart pour ne pas le décevoir. Ah zut, ce genre de bêtise, elle l'avait déjà fait, en laissant Josh pousser l'inuit à bout. Des fois, c'était difficile de savoir comment agir, ce qu'un excellent ami devait faire. Elle devrait peut-être demander des conseils à... Ah mince... La psychologue de l'Institut n'était plus là.

"J'aime bien ta manière de voir les choses. Je trouve ça juste et respectueux."

Elle haussa les épaules. Kalalli avait beau être jeune et théoriquement peu expérimenté (après tout, elle n'avait jamais demandé jusqu'où il avait été avec Kitty et ça ne la concernait pas), ça ne l'empêchait pas de considérer certains aspect de la vie avec une maturité plutôt surprenante. Elle en venait à attaquer le milieu de sa seconde part de pizza quand il renchérit.

"Aucune chance, c'est du plus pur style valaisan. C'est toi le copieur!"

Une bouchée supplémentaire, quelques gorgées de jus de pomme.

"Au fait, tu as lu les journaux? Tu y crois à la menace de l'EXZ?"

Des terroristes de plus. Des mutants extrémistes. Du moins c'était ce qui ressortait de la menace. Mais tout ça laissait Charis assez perplexe.