Montréal, interconnexion Pierre-Elliott Trudeau

L'interconnexion était le point privilégié de toute personne se sentant l'âme voyageuse, et, en bon sagittaire, Luther se sentait vraiment l'âme voyageuse pour le coup. Sans compter qu'à la fin de sa session, tout le monde commençait à le regarder sérieusement de travers, alors pour le coup, il commençait à devenir urgent d'aller voir ailleurs s'il y était.

Un beau grand bâtiment moderne comme il les aimait. Avec plein de perspectives d'avenir, et de nouveaux paysages au bout des voies.
Il jeta un coup d'oeil au tableau... Monorail est-ouest... Québec ? Toronto ? Ottawa ? Voire, encore plus loin ?
Monorail Nord-Sud... New-York, et la côte est américaine. Cette perspective fit naître un charmant sourire. La Floride était réputée comme pleine de vieux, mais aussi pleine de belles plages, et ça le changerait un peu du Canada et de ses frimas tardifs.

Et un autre panneau... Les avions. Ils se faisaient rares. La côte ouest, l'Europe... Ses autres grands-parents étaient là-bas. En Bavière. Tout du moins, le supposait-il, sa mère n'avait jamais trop parlé d'eux.

Il alla aviser les prix à un guichet, et constata avec effroi que sa fortune personnelle était bien en dessous de ce qui était requis pour traverser l'atlantique en avion.

Il avisa un moniteur qui diffusait des nouvelles. Et ça parlait encore des mutants. Ca craignait... Lui qui pensait que c'était marrant d'avoir des pouvoirs, il se retrouvait maintenant dans le rôle de celui qui est traqué. Peut-être cette école à New York avait-elle des choses intéressantes à dire ?

En tout cas, il n'avait, pour le moment, pas envie d'aller à New-York. Il avait du temps avant les grands départs, et de toutes façons, les monorails étaient réguliers. Il décida donc de s'installer à un petit bar, et de commander un chocolat.

Et de voir ce que le destin avait en réserve pour lui...

À peine son chocolat commandé, Luther eut le déplaisir de voir un homme, élégamment vêtu d'un veston impeccable, s'asseoir près de lui, pianotant sur son agenda électronique multi-tâche avec une rapidité frôlant l'indécence. Le serveur lui fit signe qu'il le servirait dans peu de temps, et l'homme posa ensuite sa malette sur le comptoir, l'ouvrant d'une main pendant que l'autre continuait de jouer du clavier électronique et de l'écran tactile. Commençant à étendre le contenu de la malette devant lui (diverse paperasse, ainsi qu'une calculatrice, deux marqueurs et trois stylos de couleurs différentes), il empiéta rapidement sur l'espace devant Luther. Le jeune germano-canadien avait à présent une pile de cartes de visite sous le nez :

André Plourde
Agent Immobilier
Pierce Corp.

Le serveur lui donna son verre, demandant la modique somme de 4,75$, pourboire non compris évidemment, pour sa consommation et demanda à l'agent immobilier ce qu'il désirait, pour repartir préparer son breuvage.

Un voisin... Super. Heureusement qu'il n'était pas totalement antisocial. Luther octroya un sourire poli au nouvel arrivant. Il fallait toujours être poli, lui avaient expliqué ses parents.

Mais celui là n'avait ptet pas eu de parents, parce qu'il était franchement pas poli. Qu'il joue les kékés avec son agenda et sa grosse toquante était une chose, mais en plus, qu'il envahisse son espace vital, ça commençait à être un peu gonflant...

Luther poussa son chocolat sur le côté, puis décida de s'obstiner un peu avec le serveur, pour attirer l'attention.

"Heye ! 5 fucking dollars pour un bol de chocolat ? Mais vous mettez quoi dedans pour que ce soit aussi cher ?"

Il posa son billet tout de même, puis fit semblant de découvrir les cartes de visite avant d'en saisir une, puis il se tourna vers son voisin, attendit sagement qu'il eut fini de passer commande, et l'interpella.

"Man ! André Plourde, c'est ça ? C'est-tu normal que tu prennes autant de place ? Ca se peut-tu que les maisons que tu vends elles soient si petites qu'il te faut deux places au bar pour checker tes e-mails ?"

Il avait tâché d'être un peu humoristique... Histoire de faire comprendre que son voisin le faisait chier, mais sans trop être râleur.

Luther ne parvint pas à attirer beaucoup d'attention. Seulement cinq ou six regards qui retournèrent aussitôt à leur occupation. Ils étaient manifestement tous assez habitués à ce genre d'endroits bondés pour se foutre d'un adolescent chialeux. Pour toute réponse le serveur haussa le épaules et pointa le tableau, derrière lui, sur lequel les prix étaient affichés, puis il alla servir une jeune fille, l'air un peu hippie, qui venait de poser sa sacoche en bandoulière sur le bar et fouillait à l'intérieur.

André Plourde tourna lentement la tête, délaissant son agenda électronique. Puis, tout aussi lentement il sourit ironiquement.

"Man! Ti-gars, c'est tu normal que tu parles aussi fort?" fit-il, caricaturalement.

Luther put voir des pattes d'oies se former au coins des yeux de l'homme, avant de reprendre sur un ton largement plus malin qu'agressif.

"Désolé Ti-gars, je ne suis pas agent résidentiel. Donc si tu te cherches un toit parce que tes parents t'ont mis dehors parce qu'ils te trouvaient trop dérangeant, je te conseille plutôt de regarder dans les journaux là-bas que de me demander..."

Il désigna du menton une petite confiserie à côté de laquelle une pile de journaux étaient déposées dans une armature métallique, puis retourna à ses affaires, sans perdre un sourire qui se voulait victorieux : il s'était bien foutu du jeune.

Luther regarda les jouraux : il ne pourrait probablement pas lire les gros titres, mais au cas où... Puis il se tourna vers le fameux agent immobilier, se tut un instant, puis se décida à éclater de rire bruyamment, histoire de le contenancer un peu.

Sure thing boy ! J'entends à ton intonation que tu essaies de faire de l'humour, mais là..."il dit alors très sérieusement, ne riant plus "non.".

Il lui adressa un clin d'oeil, puis continua alors sur un ton un peu plus taquin. "En tout cas, je te refile un peu toute tes patantes là, faquee ce serait donc ben poche si j'en venais à dipper tes cartes de visite dans le chocolat pour checker si elles sont meilleures que leurs stifie de pancakes."

Il joignit alors le geste à la parole, rapprochant l'ordinateur de l'agent de son légitime propriétaire, histoire d'avoir un peu plus les coudées franches.

L'agent était déjà retourné à ses affaires lorsque Luther poussa son matériel vers lui. Il tourna sur son tabouret et ne semblait plus vraiment avoir envie de plaisanter.

"Écoute, p'tit criss, je suis en train de travailler sur un truc vraiment important là. Tu devrais pas travailler, ou étudier, plutôt qu'écœurer les gens qui viennent prendre un café, entre 2 vols, à l'Inter?"

Il semblait sur le point de dire quelque chose comme "dégage" au jeune insolent, mais la hippie qui venait de commander vint se placer entre eux, l'air un peu mal à l'aise, mais surtout perdue.

"Excousez-moi. Auriez-vous vingt et cinq cents, please?"

Elle avait un fort accent cajun. Elle connaissait vraisemblablement quelques mots de français, mais n'était manifestement pas fluide dans la langue de Molière.
Ça n'avait rien d'étrange en soi puisque des vols internationaux partaient encore, parfois, de l'IPET, ou y atterrissaient.

C'est alors que l'un des miracles de la culture soumise du Québec se manifesta : bien que l'hippie sache manifestement parler français, l'agent lui répondit tout de go, en anglais.

"Désolé, je viens de dépenser mes dernières pièces pour mon café."

En réalité, il ne semblait simplement pas vouloir lui donner le moindre sou. De toute façon, la jeune femme avait plutôt sembler s'adresser à Luther, et son regard était toujours complètement rivée sur lui.

Et voilà que l'agent commençait à s'obstiner avec lui. Juste comme Luther avait envie, pour passer le temps... Une occupation comme une autre, en attendant que l'inspiration se présente.

"Check ça man. Si t'as de la job de malade, tu serais mieux dans un bureau plutôt qu'à risquer qu'on te pique tout ça, mais bon... C'est ce que j'en dis."

Il saisit alors sa tasse de chocolat, et commença à boire, lorsque le hippie se ramena pour lui faire la quête.
Luther regarda la scène sans rien dire. Un autre dans la dèche... mais faire la quête dans les aéroports, c'était souvent mal vu.
La réponse de l'agent immobilier le fit sourire... Forcément, il n'avait pas de sous.

La question de la hippie le fit tiquer tout de suite. Vingt-cinq cents, c'était précisément la monnaie que le serveur devait lui rendre pour son chocolat. Elle était dans le coup, ou bien ? Luther décida de botter en touche

"Chérie... Faut pas demander des cents à un épais comme celui là... Y'a pas de billets en dessous de cent dollars dans son portefeuille, les autres, il s'en sert pas assez souvent.

Il pointa le pouce vers le serveur.

"Ca tombe bien que tu demandes vingt et cinq cents... J'avais payé cinq dollars un chocolat qui en fait quatre et soixante quinze... Faque, je dois avoir la somme que tu veux en monnaie rendue, mais il a du se la pogner comme pourboire..."

L'agent immobilier soupira et mis ses écouteurs dans ses oreilles, tournant légèrement une roulette sur le côté de son agenda multi-fonctionnel. Un petit rythme bien populaire auprès des clientèles de discothèque se faisait discrètement entendre.

Le serveur, qui avait suivi la hippie de derrière son comptoir pour savoir si oui ou non il devait préparer la commande de mademoiselle, fouilla dans sa poche ventrale et déposa une pièce de 25 cents, sous le plat de sa main, en la claquant bien sur le comptoir.

"Cheap!" laissa-t-il échapper entre ses lèvres.

Le regard de la jeune femme, qui avait rougit au discours de Luther, oscilla entre lui et le caribou sur le comptoir.

"Je n'ai pas tout compris ce que vous disez. C'est pour moi? Merci!"

Elle vida le contenu de son porte-monnaie sur le comptoir. Le serveur compta la somme et partit préparer sa commande. Un silence bercé par la musique techno du businessman (et les sons de l'interconnexion) s'installa doucement, la cajun restant planté à côté de Luther, la tête basse et jetant des regards au jeune homme, comme si elle espérait qu'il relance une conversation ténue.

Pour la peine, Luther était écoeuré. Les gens étaient vraiment sans gêne. Déjà, le serveur était pas aimable, le mec immobilier là avait un parpaing à la place du cerveau, et là, l'autre laideronne sortie d'un autre âge lui avait piqué 25 centimes, en plus de rien capter à ce qu'il disait.

En tout cas, son visage sévit quand il vit le serveur repartir avec ses 25cts. Il claqua des doigts, et l'attrapa d'une main en déclarant.

"Hey ! J'crois bien que t'as pris mon orignal en plus de la monnaie de ta blonde ici. Si tu voulais bien me refiler mon bacon, que je sacre mon camp de ce trou le portefeuille pantoute anorexique, ce serait cool. Thanks."

Il se tourna alors vers la fille, qu'il avait bien décidé de laisser dans sa misère. Il lui répondit alors en anglais.

"Je t'ai dit que je devais avoir 25cts, je t'ai pas dit que j'allais te les donner. Normalement, j'aurais été sympa, mais pour le coup, j'en ai un peu marre que tout le monde s'obstine avec moi. Alors mon conseil : change de bistrot, ils sont trop chers et pas aimables ici."

La jeune hippie, visiblement furieuse de la situation, se leva et se mit face à Luther. Elle le regarda droit dans les yeux, le regard colérique. Les vêtements qu'elle portait ne reflétaient en rien le pouvoir qui se cachait dans la jeune femme. Les yeux de la jeune femme se voilèrent d'une petite membrane grisâtre. Puis, la pièce de 25 cents qui était dans la main de Luther se ferma rapidement, lui coincant douloureusement l'index.

"Je pensais que tu avais l'air sympa, mais t'es qu'un autre foutu capitaliste!

Pendant ce temps, Plourde reçut un appel. Il vérifia qui l'appelait et décrocha:

"Allô! Les billets pour le championnat de soccer d'Australie? Un instant, je te prie"

Plourde se tourna vers les jeunes. Visiblement agacé, il dit:

"Voulez-vous bien aller vous chicaner ailleurs!? Gardez ça pour Claire Lamarche Jr."

Et le comble de la situation? La pièce de 25¢ était totalement inutilisable!

Et voilà, forcément... Comme tous les clochards, et les accros du gin, celle là ne savait pas non plus accepter "non" comme une réponse correcte.
Sauf que là, elle commença à être vraiment impressionnante.

Luther descendit alors de son tabouret, et recula de quelques pas, c'était pas normal qu'elle se comporte comme ça. Et puis voilà que la pièce lui pinçait le doigt.

Surpris, Luther ne réfléchit pas vraiment à ce qu'il faisait. Il fallait qu'il la repousse, et c'est par réflexe qu'il appela un truc, n'importe quoi... Contondant, pour l'éjecter en arrière de toutes ses forces. Et si ça pouvait bousculer Plourde en plus, ce serait tant mieux !

Enfin bon... Il était quand même dans un point passant, ce serait pas trop prudent... mais il était malheureusement trop tard pour y penser.

Honorant la fin de la saison hivernale, l'objet qui se matérialisa du subconscient de Luther à sa main fut un marteau brise-glace, comme tout le monde en usait parfois pour déglacer leurs fenêtres, les trains ou, chez les rares personnes qui en avaient, leurs voitures. Semblant émettre une faible lueur bleuté, il attira rapidement le regard des gens. Un bruit indiqua que quelqu'un s'était étouffé et avait brusquement reposé sa tasse au sol.

La hippie avait eu un instant de surprise, puis elle saisi le banc que Luther venait de libérer et le leva devant elle. Ses yeux se voilèrent de nouveau et les pattes commencèrent à se torsader doucement, comme quatre ressorts. Elle semblait effrayée. Visiblement, elle ne s'était pas du tout attendue à tomber sur un autre mutant. Elle semblait sceptique et affichait une mine sérieuse.

Pendant que André, les yeux gros comme des billes, s'éloignait encore un peu de la scène, quelqu'un s'écria qu'il y avait un combat entre mutants, et le serveur tenta, apeuré, de calmer le jeu.

"On f'ra pas un plat pour 25¢ là... je vous rembourse vos breuvages, si vous arrêtez ça..."

Luther haussa les épaules, plus effrayé qu'autre chose alors que l'autre folle détruisait un tabouret.

"Ciboire ! J'ai rien demandé moi ! Alors vous allez me sacrer la paix là !

Il commençait à s'éloigner du bar, à reculons, gardant la hippie barjo dans sa ligne de mire. Il semblait un peu effrayé.

"C'est cette foldingue qui m'a attaqué... Je veux juste sacrer mon camp."

Et il avait plutôt intérêt à le faire. Son voyage commençait pas très fort.

Il semblait à Luther que le reste du monde s'était évanoui, concentré sur la hippie comme il l'était. Il avait vaguement connaissance du brouhaha environnant, mais sans plus.

"OK. On laisse tomber et on part. J'voulais juste me défendre! J't'aurais pas fait de sale coup si j'avais su... Et pis là c'est toi qu'est armé..."

Le voile argenté se leva de son regard noisette alors qu'elle baissait lentement le banc pour inciter Luther à en faire autant. Puis une drôle d'expression naquit sur son visage, comme si on venait de lui faire une révélation, et le banc tomba dans un tintement sonore qui ramena la réalité autour d'eux.

"T'es un recruteur?" s'exclama-t-elle avec une certaine excitation.

Ils entendirent alors des pas de course résonner dans le grand espace vitré. La plupart des gens autour semblaient trop estomaqués par le revirement de situation pour réagir d'une quelconque manière.

La pagosse que Luther avait invoqué se volatilisa rapidement, alors qu'il regardait la hippie d'un air agacé. Son changement d'attitude avait toutefois eu un avantage : Luther reprenait une contenance. Et son verbe acéré reprenait également la place de choix qui lui était dévolue.

"Écoute, je pige rien à ce que tu placotes là, alors je vais te dire ce qui va se passer.

Déjà, tu vas oublier les formes inclusives. Chais pas ce que c'est qu'un recruteur, mais je suis certain qu'il y en a un à l'autre bout de la gare par là.

Alors maintenant, je m'en vais faire mes petites affaires, et tu t'en vas faire les tiennes, et que le bonheur innonde ta maison jusqu'à ce que les plafonniers fleurissent."

Il récupéra ses affaires, tourna les talons, et s'en fut à grands pas.

Voyant probablement un signe encourageant en la disparition du marteau, la jeune fille trottina jusqu'à Luther et le saisit par le bras en calant son allure sur la sienne.

"Écoute, je n'arrive pas de Nouvelle-Orléans pour me faire envoyer sur les roses, compris?"

Elle jeta un regard derrière eux, les gens y ramassant leurs dégâts, et reprit, plus bas.

"Là-bas, c'est horrible pour les mutants. La moitié des gens de mon gang sont partis ailleurs dans le commonwealth pour avoir un peu de tranquillité d'esprit. T'es recruteur ou pas? Ne me dis pas qu'il n'y a pas de gang mutant à Montréal, ce serait pas croyable!"

Luther s'arrêta et poussa un profond soupir d'exaspération.

Machine... Arrête de me suivre comme ça. Je fais pas partie de ta gang, et je voudrais même pas de toi pour m'accompagner à la gay pride. Alors tu retournes jouer du ragtime si l'envie t'en chante.

J'en sais rien si y'a une gang de mutant à Montréal. Je m'en calisse. Je suis pas là pour jouer les terroristes, alors s'il te plaît, maintenant, tu me lâches, et tu vas voir la Reine d'Angleterre pour qu'elle fasse quelque chose pour toi."

Il avait pas voulu être trop méchant, mais il avait aussi horreur des nanas trop collantes.

"Et on m'avait dit que les canadiens étaient hospitaliers... Pff! J'm'arrangerai mieux seule..."

La hippie leva la main comme si elle allait gifler Luther, mais au lieu elle prit fermement son menton et lui ficha un baiser retentissant sur la joue, avant qu'il n'ait le temps de faire quoi que ce soit.
Tournant immédiatement les talons et n'ayant aucunement rougit, elle lança, par-dessus son épaule et d'un ton malicieux :

"Bon voyage quand même!"

Et Luther se retrouvait de nouveau seul à l'IPET, plus pauvre de 5 dollars.

Luther leva les yeux au ciel et soupira. Elle était donc ben agaçante celle là, à s'obstiner pour un oui ou pour un autre. Et lunatique. Une vraie blonde en PMS. Sauf qu'en plus, c'était vraiment une agace.

Luther la repoussa brusquement, et s'essuya la bouche d'un air dégoûté.

"C'est ça ! Crisse donc ton camp, mon hostie, va t'en donc faire le petit chaperon rouge ailleurs, et fais toi pogner par le grand méchant loup."

Pour la peine, il lui aurait bien sacré une tape dans le dos, mais il s'était déjà fait assez remarquer. Même si cette soudaine solitude le rassurait. Au moins, y'avait pas d'André Plourde avec une tête comme une balloune, ni de... Comment s'appelait-elle au fait ? Bah... Taboire, on s'en calisse de son nom. En tout cas, personne pour s'obstiner avec lui.

Sa seule vision dans l'immédiat, c'était un moniteur "monorails au départ". Il regardait New-York. L'autre agace avait parlé d'une gang de mutants. Il savait qu'ils s'organisaient un peu à New-York, avec cet institut là, mais il avait jamais rien entendu de pareil à Montréal.

Une vieille dame à l'air pincée se retourna aux propos de Luther, l'air outrée, et pressa le pas.

Sur les tableaux de départs face à lui, il vit que le monorail du corridor Montréal-Plattsburg-Albany-New York-Philadelphie-Baltimore-Washington avait de nombreux départs, contrairement au monorail en destination de Boston et Providence. Le prochain départ était fixé à un peu plus d'une heure plus tard, et l'arrivée était prévue pour la fin d'après-midi. Légèrement sur la droite, une affiche annonçait un rabais pour les étudiants en direction de la côte nord-est des USA. Était-ce un signe du destin ou un simple hasard?

Luther regarda la vieille d'un air désabusé... Les vieilles pincées avaient le don d'exaspérer le jeune québecois, tant elles ne survivaient qu'en distillant leur fiel, mais c'était aussi une source permanente d'interrogation pour lui que l'évolution des femmes était ainsi faite qu'elles cherchaient le combat à mesure que leurs seins nus pointaient vers le bas.

En tout cas, il poussa un soupir en voyant ça. Le destin ne semblait pas vouloir lui faire de signes pour lui dire où aller, il décida alors de s'en remettre à son sens vénal, et alla acheter un aller simple pour New-York. De là bas... de là bas... il verrait bien.

Bien installé dans son siège, Luther finit par voir tout d'abord un sac de sport. Sac de sport était immédiatement synonyme de sportif. Et sportif était logiquement synonyme de corps bien entretenu. Avec bien souvent malheureusement, une tête pas à la hauteur, et autre chose pas à la hauteur non plus.

Il releva alors les yeux, s'empressant de vérifier si tout était bien à la hauteur de ses espérances, puis répondit.

"Sure boy, la place est à toi si c'est ben son numéro qui est écrit sur ton billet." Ajoutant à sa phrase un brave sourire entendu.

Au cas où le mec était à son goût, il ajouterait

"Mais la place est toujours libre pour un beau mec."

Le jeune sportif lança un regard sur son billet, puis au-dessus des sièges, puis de nouveau à son billet. Il plaça alors son sac dans la soute au-dessus de leur tête.

"Ouais, c'est ben là!" fit-il en s'assoyant. Pas particulièrement grand, il avait des cheveux bruns courts et des yeux verts qui saisissaient le regard. Athlétique, comme Luther s'était douté, il n'était pas vilain à regarder et semblait avoir 16 ou 17 ans.

À la seconde affirmation du mutant, le sportif rougit vaguement et sourit timidement. Il ne savait manifestement pas comment réagir et décida de regarder le paysage par la fenêtre. Il s'arrêta bien rapidement, visiblement excité de parler avec quelqu'un.

"Ça fait du bien de trouver que'qu'un d'autre qui parle français! J'm'appelle Michaël!"

Il laissa un silence suffisant à son acolyte pour discuter puis reprit, cachant mal son angoisse.

"C'est la première fois que j'prend l'monorail seul pour m'rendre à New York. C'est... weird."

Luther s'amusa alors à littéralement déshabiller le fameux Michaël du regard. Juste pour qu'il soit rendu encore plus rouge et gêné.

"Boy, c'est donc ben plate de prendre un monorail... C'est juste un train, faque y'a pantoute de miracle là-dedans. Tu montes à Montréal, et t'es rendu à New-York en quelques heures."

Il avait presque l'air blasé par ses propres paroles. Il s'en voulut limite, d'ailleurs. Un beau gars, il avait pas forcément d'intérêt à lui aboyer dessus dès le début.

"Désolé Mikey. Je m'apelle Luther."