Chambre de Kitty et Solveig

Cuisine

Alors que Wood trouva enfin, après trois reprises, une chambre libre, il souffla et posa le sac qu'il portait sur un des deux lits que la chambre comprenait.

"Bon, dis moi tout. Vous êtes venus me chercher ?"

C'est avec soulagement que Wind vit son frère déposer son sac dans une chambre. Enfin une de libre ! Elle eut cependant à peine le temps de poser celui de River à côté du sien et de se redresser que celui-ci lui posait la question qui lui brûlait manifestement les lèvres depuis qu'il les avaient vues, River et elle. Et bien comme ça, les choses étaient claires.

- C'était l'idée de départ, en effet... Du coup, on n'a rien emmené de ce que tu avais demandé...

Elle désigna d'un signe de tête le second lit, l'invitant à s'y asseoir. Elle-même y prit place, les doigts croisés sur ses genoux.

- Si j'ai bien compris, ton pouvoir à toi, ça a quelque chose à voir avec le contact physique, n'est-ce pas ?

Ses prunelles vert pâle étaient plantées dans celles de son frère. Après tout, ce qu'il venait de traverser lui avait peut-être mis un peu de plomb dans la cervelle... Et puis les dernières discussions plutôt houleuses avec River lui avaient au moins fait comprendre une chose : même les "petits" grandissaient, et il était tant qu'elle prenne en compte le fait qu'ils étaient - déjà - des adultes en puissance. Bon ça ne l'empêcherait pas de vouloir les protéger, il fallait juste qu'elle trouve un juste milieu pour éviter de les froisser encore... Et discuter avec eux "en adultes", ça pourrait peut-être être un premier pas ?

- Je vais être un peu brusque, mais je voudrais qu'on en parle un peu avant que Rivy nous rejoigne. Elle communique avec les animaux, et moi c'est ma voix qui... enfin qui réagit parfois bizarrement. Il est clair qu'elle a décidé de rester ici. Et pour être avec toi, et parce que... Parce qu'il n'y a qu'ici qu'elle pense avoir un avenir. A cause de moi.

Elle esquissa un sourire qui ne parvint pas vraiment à dérider son visage quelque peu crispé.

- Cloud et Rain ont été blessés par ma faute. Vous avez sans doute raison tous les deux, Rivy et toi, sur un point : ces... pouvoirs, il faut qu'on apprenne à les maîtriser.

Bon, c'était toujours le terme malédiction qui lui venait à l'esprit avant tout, mais elle tâchait de se reprendre et d'utiliser des mots plus neutres pour décrire leur condition. Wood avait fugué parce que ça lui avait fait peur, elle ne voulait pas l'inquiéter davantage.

- Je risque de blesser encore quelqu'un sinon. Rain va nous haïr si nous restons ici, elle n'avait qu'une peur quand nous sommes parties : qu'on reste chez les mutants nous aussi. Mais j'essaierai de rassurer un peu maman et papa, et de faire comprendre la situation à Cloud. Il a déjà réalisé qu'il y avait quelque chose avec ma voix de toute façon. Ca ne passera pas en douceur, mais de toute façon, je ne peux pas vous laisser ici tous les deux et repartir là-bas toute seule.

Elle avait donc fait son choix tout en l'énonçant. Si elle y rechignait, elle devait avouer qu'elle n'avait pas vraiment d'autre option valable. Il n'y avait aucun moyen qu'elle les fasse partir d'ici, tous les deux, le fait qu'il s'agisse de la première question posée par Wood et les propos de River tout à l'heure en attestaient. Elle passa une main dans ses cheveux, et laissa échapper un soupir, baissant finalement le regard. D'ordinaire, elle aurait été en discuter avec Cloud, et rien qu'en parler l'aurait un peu rassurée. Là... Son jumeau était de l'autre côté de l'Atlantique, elle ne pourrait pas lui demander son avis, encore moi se tourner vers lui quand elle aurait besoin de soutien. Et pourtant, elle ne doutait pas que celà devînt nécessaire, et dans un avenir proche encore.

- Woody... Comment tu te sens ici ? Je veux dire...

Elle releva finalement les yeux sur lui.

- C'est la meilleure chose à faire, n'est-ce pas ?

C'était sans doute une des premières fois où elle lui demandait aussi clairement son avis. D'ordinaire, c'était elle l'aînée, celle qui devait savoir et tout gérer. Mais justement, là, elle ne pouvait plus gérer grand chose, il y avait tellement d'inconnues dans l'énoncé... Ses iris pâles ne quittaient plus ceux de son frère, et elle resta silencieuse, ses mains de nouveau crispées, attendant la réponse de son cadet.

Wood écouta attentivement sa soeur et ne l'interrompit alors qu'il était venu s'assoir près d'elle, en gardant quand même une petite distance de sécurité.

"Une famille de mutants... Dire que P'pa et M'man insistait sur les produits bio... Héhé, et ils se retrouvent avec trois mutants dans leur famille... Moi, c'est bizarre, quand je touche les gens, je vois des flashs, j'ai l'impression de les absorber et en plus, quand ce sont des mutants eux aussi, je contracte leurs pouvoirs pendant un temps..."

Wood explosa de rire et ne put contenir son "J'ai été un Orang Woodtan ! Haahahahaaa !" avant de rajouter plus calmement qu'il avait aussi absorbé les pouvoirs d'une médium, d'une technophile et d'une animorphe...

"On est bien ici, tu verras, bon, des fois, on se fait tirer dessus par des machines ou des cinglés mais tu comprendras ce que je veux dire dans quelques temps... C'est l'aventure ici !"

Wood ouvrit de grands yeux de biche éplorée et implora sa soeur aînée à l'aide :

"Wiiiiiiiiiiiind, il faut absolument qu'on reste ici. Je t'en supplie... P'pa ou M'man ont qu'à venir eux mêmes voir l'institut. C'est des gens biens nos parents, ils comprendront ! P'pa nous a toujours dit de ne jamais baisser les bras devant les choses qui nous paraissaient justes."

[ Cuisine]

*Mais où sont-ils passés!!!!!!!* pesta intérieurement la fausse brunette.

Elle avait réussi à perdre leur trace! Mais ce n'était pas possible! Où donc étaient-ils passés tous les deux? Wood était censé les conduire à leurs chambres, et voila qu'il perdait la plus jeune. Non mais c'était pas vrai! Ils le faisaient donc exprès, tous les deux à lui gacher l'existence? Elle n'avait en cet instant qu'une envie, envoyer son don en l'air et faire demi-tour. Les yeux brûlants, elle errait dans les couloirs à la recherche de ses deux ainés.

*Je les déteste! Je les déteste!* continua-t-elle en les cherchant, des larmes commençant à rouler sur ses joues. *J'aurais mieux fait de rester avec Cassandre...*

Elle n'avait, vraiment, aucune idée de l'endroit où elle se trouvait dans l'institut, et rechignait à ouvrir une porte, de peur de réveiller quelqu'un. Heureusement, Wood finit par s'exclamer d'une petite voix aigüe en parlant à Wind. Là, au moins, c'était plus facile de les retrouver... La petite se mit à courir dans le couloir et ouvrit à la volée la porte qui s'était refermée derrière les deux traitres.

"Vous auriez pu m'attendre! Je vous déteste!"marmonna-t-elle avant d'aller s'asseoir dans un coin de la chambre.

Elle ne tarda cependant pas à ajouter:

"Je refuse de dormir dans la même chambre que Wind... J'en veux une autre!"

Evidemment... Wind devait sans doute s'y attendre... La plus jeune était encore en pleine crise. Elle ne lui avait pas pardonné ce qu'il s'était passé la veille. Elle jeta un regard meurtrier à chacun des deux Smith présents et se mura dans un silence dont Wind commençait à avoir l'habitude.

"Une famille de mutants... Dire que P'pa et M'man insistait sur les produits bio... Héhé, et ils se retrouvent avec trois mutants dans leur famille..."

L'insouciance avec laquelle Wood commentait la chose fit légèrement sourire son aînée, bien qu'elle songeât qu'il ne se rendait peut-être pas tout à fait compte de la portée de ses paroles, de l'importance de la situation.

"Moi, c'est bizarre, quand je touche les gens, je vois des flashs, j'ai l'impression de les absorber et en plus, quand ce sont des mutants eux aussi, je contracte leurs pouvoirs pendant un temps..."

- Alors, en effet, il vaut mieux pas que nous nous touchions. Tu ne pourrais plus parler sans risquer d'affoler les animaux et de faire souffrir les gens...

L'éclat de rire qui suivit n'était certes pas dirigée vers elle, mais suivait le cours des pensées de l'adolescent, pourtant il destabilisa quelque peu l'aînée des Smith.

"J'ai été un Orang Woodtan ! Haahahahaaa !"

Ainsi Wood avait également absorbé les pouvoirs d'une médium, d'une technophile et d'une animorphe... Si ce qu'impliquait chacune de ces... "tares" était le mot qu'elle avait en premier lieu eu en tête, mais même en pensée, elle s'obligea à le modifier : "pouvoirs", ça serait mieux. Si ce qu'impliquait chacun de ces pouvoirs lui restait encore flou, Wind ne put s'empêcher de penser que, si ça restait une expérience dangereuse, son frère avait là des capacités qui pouvaient sans nul doutre être utile en cas de confrontation. D'ailleurs, c'était sans doute ce côté "aventure" qui plaisait tant au baroudeur qui se trouvait face à elle.

"On est bien ici, tu verras, bon, des fois, on se fait tirer dessus par des machines ou des cinglés mais tu comprendras ce que je veux dire dans quelques temps... C'est l'aventure ici !"

Qu'est-ce qu'elle pensait à l'instant ? A écouter son frère, il était là dans un camp de vacances du tonnerre. Est-ce qu'il se rendait seulement compte que plus rien ne serait jamais comme avant ? Que tout ce qui faisait partie de leur vie en Angleterre pouvait presque être rayé de la carte ? Sans doute pas, ou en tout cas, pas totalement. Si Wind pensait pouvoir converser calmement avec ses parents et son frère, qu'en serait-il des voisins, des amis qu'ils avaient eus là-bas ? Nul doute qu'ils n'accepteraient pas l'information aussi facilement... Quant aux "cinglés" qui leur tiraient dessus, ils n'étaient pas pour rassurer sa grande soeur, et Wood dut s'en rendre compte, car il changea aussitôt de ton et d'attitude. Pourquoi cet air implorant ? Elle ne venait pas de dire qu'elles allaient sans doute rester ?

"Wiiiiiiiiiiiind, il faut absolument qu'on reste ici. Je t'en supplie... P'pa ou M'man ont qu'à venir eux mêmes voir l'institut. C'est des gens biens nos parents, ils comprendront ! P'pa nous a toujours dit de ne jamais baisser les bras devant les choses qui nous paraissaient justes."

C'était totalement vrai, ce qu'il disait là. Mais c'était une chose que de penser et d'appliquer certains préceptes dans un domaine connu. C'en était une autre que de les tenir lorsqu'on se trouvait confronté à quelque chose qui nous est totalement étranger. Wind ne doutait pas des qualités de ses proches, simplement, elle ne pouvait effacer de sa mémoire le regard de Cloud quand il avait compris. Et même si après coup, il avait agi de la même manière que d'habitude, il n'en restait pas moins que cette réaction-là, sous-jacente, pouvait ressurgir à tout moment. Et qu'en serait-il de ceux qui les connaissaient moins, qui n'avaient pas cette attache, si important aux yeux de la jeune femme, que représentaient les liens du sang ? Rejeter ce qu'on ne connait pas était tellement plus simple que de chercher à le comprendre...

L'arrivée de River coupa court à ses réflexions. La porte aurait volé en éclat si son pouvoir avait été basé sur la force. Le regard qu'elle leur lançait était sans équivoque, et ses propos suivants le confirmèrent bientôt.

"Vous auriez pu m'attendre ! Je vous déteste !"

Ca, Wind l'avait compris. Elle jeta un regard désolé à Wood, qui n'en méritait pas tant, après tout. L'aînée considérait elle aussi qu'elle avait gâché la journée de la veille et qu'il était légitime que sa cadette lui en veuille. D'ailleurs, n'était-ce pas ce qu'elle avait vaguement évoqué tout à l'heure ? C'était sa faute.

"Je refuse de dormir dans la même chambre que Wind... J'en veux une autre !"

Ca aussi, elle s'en serait doutée. Et l'attitude butée de sa soeur n'était vraiment pas une surprise non plus. Depuis hier, pour ce qu'elle acceptait de lui adresser la parole. Cependant, elle répondit à sa dernière remarque.

- Tu as le droit de ne pas vouloir partager cette chambre avec moi, River, c'est vrai. J'imagine que Miss Deneos pourra t'en trouver une autre, si tu le lui demandes...

Ca ne servait à rien d'essayer de lui expliquer que c'était peut-être un tantinet irrespectueux pour leurs hôtes que de critiquer leurs choix et d'imposer les siens, elle en avait déjà fait les frais dans le hall. Aussi, sans rien dire, elle se releva, et commença à défaire ses affaires.

River venait de rentrer et de taper une crise "je vous déteste, le monde est injuste, je veux une autre chambre " et Wood regarda sa plus jeune soeur en s'empêcher de rigoler.

"Hey, River... Enlève un peu la pression, tu vas exploser si tu continues... Et c'est pas un hôtel ici, si M'selle Deneos m'a dit de vous mettre dans une seule chambre, alors il faut respecter sa décision, après tout, elle est psychologue et connaît l'avenir !"

D'un petit saut agile, il rejoignit le bord du lit et s'affala sur l'oreiller en soupirant.

"J'en reviens pas que vous deux ayez aussi des pouvoirs... Si ca se trouve, toute la famille en a mais ne le sait pas... ca serait complètement dingue ! Et alors du coup, vous n'avez pris aucune affaire pour moi. Je vais encore devoir patienter avant d'avoir d'autres vêtements..."

"Lachez moi les deux là... Vous m'avez assez gâché la vie comme ça... Toi toute la semaine, Wood, et Wind depuis hier. A cause d'elle, je peux plus monter à cheval..."éructa la cadette d'un ton haineux.

"Et si je dois partager ma chambre avec elle, je me casse!!!"

Son ton avait le mérite d'être clair. Elle en voulait à sa soeur et à son frère. pour l'instant, tenter de lui faire entendre raison ne changerait rien. Elle se leva et commença à se diriger vers la porte, attrapant son sac au passage. Tout sauf partager sa chambre avec Wind. Elle s'en moquait, pour le moment de la blesser. En fait, non. Ce qu'elle voulait, en cet instant, c'était bel et bien blesser les deux personnes qui comptaient le plus au monde pour elle.

"Lachez moi les deux là... Vous m'avez assez gâché la vie comme ça... Toi toute la semaine, Wood, et Wind depuis hier. A cause d'elle, je peux plus monter à cheval... Et si je dois partager ma chambre avec elle, je me casse !"

Cette fois c'en était trop. Elle voulait bien être compréhensive, elle savait qu'elle-même avait des tords dans l'histoire, involontaires, mais tout de même. Mais là, River allait trop loin. Elle avait beau être son petit ange, elle avait beau lui passer ses caprices plus facilement qu'aux autres d'ordinaire, là, c'était la goutte d'eau qui débordait le vase. Et si elle tâchait au maximum de garder son calme d'ordinaire, là, ca dépassait les bornes. Wind reposa sans grande douceur les vêtements qu'elle venait de sortir de son sac et fit volte-face pour rattraper sa soeur qui venait de récupérer son propre bagage. Sans plus de ménagement, elle attrapa le bras de River, la forçant à s'arrêter, et sans qu'elle ait vraiment le temps d'y réfléchir, elle leva la main sur sa cadette. La gifle retentit bruyamment dans la petite pièce, et Wind gardait sa main gauche crispée sur le bras de sa soeur. Ses yeux s'étaient embués, et elle la toisait avec un mélange de colère et de tristesse.

- Ca commence à bien faire ! Tu crois que tu es la seule à avoir vu sa vie basculer cette semaine ? Est-ce que tu es aveugle ou égoïste à ce point ? Tu ne peux plus monter à cheval, et je te l'accorde, c'est à cause de moi. C'est vrai pour le centre à côté de la maison, mais est-ce que ça a une importance ici ? Ici tu peux monter, il y a bien des centres quelque part en ville, et d'ici peu de temps, tu seras en état physiquement de refaire tout ce que tu faisais auparavant. Tu veux m'en vouloir toute ta vie pour ce qui est arrivé, très bien ! Je n'ai jamais voulu tout ça et si j'avais pu faire quelque chose pour que n'arrive pas, je n'aurais pas hésité une seconde, mais si tu ne veux pas me croire et si tu veux me rejeter tous les maux de la Terre, libre à toi. Mais regarde ton frère, regarde-le droit dans les yeux, et dis-lui qu'il a plus de chance que toi : il ne peut plus toucher personne. Ni toi, ni moi, ni aucun autre être. Je te laisse imaginer ce que ça donnera s'il tombe amoureux un jour ! Il y a cinq minutes, tu voulais rester ici, tu ne voulais surtout pas rentrer à la maison, et maintenant tu veux partir. Et pour aller où hein ? Je regrette River, tu ne bougeras pas d'ici !

Elle refusait de parler d'elle-même, et pourtant, il y aurait eu tant à dire ! D'une part, elle renonçait, jusqu'à ce qu'elle maîtrise complètement sa voix, à chanter, ce qui outre sa famille, représentait sa raison de vivre. D'autre part, par sa faute, son pire cauchemar s'était réalisé : ceux qu'elle aimait avaient été blessés. Physiquement et moralement. Elle était responsable du malheur des membres de sa famille, ce qui lui était insupportable. Et enfin, elle se voyait presque obligée de rester loin de son jumeau, et quelque part, elle avait menti à ses parents, ce qui n'était pas, mais pas du tout dans sa nature. Est-ce que sa soeur ne pouvait pas voir à quel point elle souffrait elle aussi ? A quel point tous les autres autour d'elle souffraient aussi ?

Elle sembla seulement à cet instant réaliser ce qu'elle venait de faire, et l'idée seule l'horrifia. Pourtant, elle n'en avoua rien à sa cadette. Elle desserra son étreinte sur le poignet de la petite dernière, sans pour autant la lâcher, et reprit d'une voix un tout petit peu plus calme.

- Tu veux qu'on te traite en adulte, River, mais tu te conduis comme une gamine. Tu ne penses qu'à toi... Tu ne veux plus que j'interfère dans ta vie, tu ne veux plus que je m'occupe de toi ? Comme tu le voudras. Mais ne viens pas me dire dans quelques jours que tu as besoin de moi. A toi d'expliquer tes choix à ceux qui nous accueillent ici. Bon courage.

C'était sans doute blessant. Et prononcer ces mots faisait autant de mal à l'aînée qu'à sa cadette. Elle relâcha finalement le bras de River et s'en détourna. Pourtant, elle ne put se résoudre à croiser le regard de Wood. Ce qu'elle venait faire là, ça ne lui ressemblait pas, mais absolument pas. Il ne l'avait sans doute jamais vue s'emporter ainsi, et encore moins lever la main sur aucun d'entre eux. Est-ce que lui aussi, il allait la détester ? Comme Cloud et Rain quand elle leur expliquerait qu'elle ne rentrerait pas ? Et comme River à présent ? Elle n'osait même plus s'en poser la question. Elle n'arrivait plus à rien gérer. Tout ça c'était tellement... Inconnu, différent de tout ce qu'elle avait pu prendre en charge auparavant. Elle-même vivait des choses qu'elle n'aurait jamais cru possibles jusque-là. Elle croisa un instant les bras sur sa poitrine, tâchant en vain de se contenir, mais ne put même pas garder un semblant de contenance plus longtemps. Elle baissa la tête, un poing fermé sur son front, et laissa couler d'amères larmes. Si River pensait avoir tout perdu depuis la veille, elle n'était pas la seule, et elle ne s'en rendait même pas compte...

Wood resta sans voix. Aussi bien sur la gifle que venait d'infliger Wind que sur sa remarque sur Wood et son état mutant, mais aussi ses conséquences. Depuis qu'il avait contracté ce "talent", Wood avait mis cette pensée, celle de ne plus pouvoir toucher quelqu'un, dans un coin de sa tête, bien à l'abri, et tentait de l'oublier, de faire comme si cette réalité n'existait pas. Et Wind le lui rappela amèrement...

"Wind a raison... Vous avez toutes les deux de la chance..."


Sans rien dire de plus, il se releva, sans sourire cette fois-ci. Les rares fois où Wood n'avait pas le sourire, c'était quand il dormait ou quand il apprenait qu'il n'y avait plus son émission favorite du moment à la télé ou encore que l'un de ses animaux s'était fait mal. Le jour où Cloud s'était fait opéré aussi...

"Je vous laisse défaire vos affaires, je vais courir...", finit-il par rajouter, sur un ton monotone, légèrement mélancolique. Il passa enfin la porte de la chambre et laissa ses soeurs...

Jardins

La violence de la gifle laissa River sans voix. Sa main monta à sa joue qu'elle en recouvrit. Elle sentait comme une brûlure et ne pensait même plus à la pression qui emprisonnait son autre bras. Elle était incapable de parler. Tout ce qu'elle sentait, c'était la douleur et l'humiliation. La petite était rancunière. Jamais elle n'oublierait cette gifle, elle le savait. Les informations commencèrent à remonter à son cerveau et elle tenta de se libérer de la pression qui enserrait son autre bras. Mais Wind le maintenait fermement. Elle n'entendit même pas les paroles de celle-ci, ni celle de son frère qui sortit quasiment tout de suite après. Enfin, Wind la lâcha.

River aurait voulu lui rendre sa gifle, mais quelque chose l'en empêchait. Peut-être éprouvait-elle trop de respect pour son ainée pour lui faire subir la même honte, même si, dans ce cas, cela aurait été différent puisqu'elles auraient été seules. La décision de la petite était claire. Elle resterait dasn cette chambre tant qu'elle n'aurait pas réglé les choses pour avoir une autre chambre. Mais que Wind ne cherche même plus à lui adresser la parole. Sans un mot, la petite attrapa son sac et alla le mettre sous le lit le plus près de la porte avant de s'asseoir sur celui-ci. Non, elle neparlerait plus à Wind. Ni a Wood qui ne l'avait même pas défendue. De nouveau, elle avait été trahie par les personnes qui lui étaient les plus chères.

*Sois proche de tes amis, mais encore plus de tes ennemis.* songea-t-elle en regardant sa soeur.

"Wind a raison... Vous avez toutes les deux de la chance..."

Wind n'osa pas bouger. Ni croiser le regard de qui que ce soit, ni relever la tête, ni même modifier d'un pouce sa position, pourtant loin d'être confortable. Les larmes qu'elles versaient, les sanglots qui secouaient ses épaules, ça n'était rien à côté de ce que chacune de ses pensées, chacun des mots que Wood prononçait à l'instant, infligeait à son coeur. Elle avait été blessante, volontairement ou non, avec les deux seuls être ici à qui elle pensait jusque-là pouvoir se raccrocher. Elle n'avait pas vu le visage de son frère lorsqu'il s'était relevé pour "aller courir" comme il disait. Et il valait sans doute mieux qu'elle ne le vît pas, le ton était déjà suffisamment éloquent. Elle était bien placée pour savoir que s'il perdait le sourire, que si sa bonne humeur naturelle s'effaçait, c'est qu'il était réellement peiné, déçu, ou blessé. Et ça aussi, c'était sa faute.

River avait porté la main à sa joue enflammée juste avant qu'elle ne se retourne et le regard de sa soeur lui restait en mémoire. Sans doute que celle-ci ne pourrait pas l'oublier, jamais, comme elle-même n'oublierait jamais ce qu'elle venait de faire. La cavalière lui en voulait déjà avant ça, et c'était sans doute encore pire à présent. Mais elle ne se doutait certainement pas d'à quel point Wind s'en voulait, à elle-même. Ah ! Si elle avait pu revenir en arrière, si elle avait pu modifier les événements de ces dernières 48h, elle n'aurait pas hésité un seul instant. Elle ne serait pas venue au centre pour commencer, à regret, certes, mais elle aurait ainsi évité de faire souffrir tant de monde. Cloud, Rain et River n'auraient pas été blessés, River ne lui en aurait pas voulu à mort, et elles ne seraient peut-être même pas ici aujourd'hui. Ou si ça avait dû arriver, elle aurait dû renoncer à parler. Définitivement. Elle avait commencé, non ? Pourquoi n'avait-elle pas continué ? Tout ce qu'elle venait de dire, effectivement, elle le pensait, mais elle savait aussi que ça ferait plus de mal qu'autre chose de l'énoncer à haute voix. Et ça... Comme si elle n'arrivait pas à croire qu'il s'agissait bien de sa main, elle déplia le poing et scruta sa paume de longues minutes. Ca. Comment avait-elle pu en arriver là ?

Elle aurait préféré perdre complètement sa voix que d'hériter de ce pouvoir de malheur ! Quitte à ce qu'elle soit la seule à avoir perdu quelque chose de précieux, elle l'aurait volontiers sacrifié si ça avait pu épargner tout cela à sa famille. Elle n'aurait plus jamais pu chanter, mais ils auraient toujours été soudés. Ou pas. A mesure que ses pensées défilaient, elle réalisa avec amertume que ça n'enlevait rien au "problème" de Wood. Lui aurait toujours été exilé, ici, de l'autre côté du globe, à cause de son pouvoir. N'y avait-il donc rien qu'elle puisse ou eût pu faire pour que tout redevienne comme avant ? Rien ?

River gardait un regard haineux posé sur sa soeur. Il fallait, au plus vite, qu'elle voit avec quelqu'un pour ne pas rester dans cette chambre. Plus cela allait, plus l'atmosphère devenait froide, presque glaciale. La petite n'avait aucune idée de la souffrance de son ainée. Et, de totue façon, même si elle l'avait su, cela n'aurait pas calmé la haine qu'elle éprouvait pour elle. Au contraire. Elle aurait sans doute jubilé. Il ne fallait cependant pas croire que River avait un mauvais fond. Non. C'était simplement que les événements de la semaine passée l'avaient, elle aussi, poussée à bout. Elle n'en pouvait plus. Elle avait besoin de craquer, de laisser sortir la tension, mais tout le monde le lui refusait.

Elle était traitée comme une petite fille ce qui, comme chez bien des personnes, avait tendance à la faire agir de plus en plus comme une petite fille. C'était un cercle vicieux. Qu'il était dur, néanmoins, de détester celle qui était un peu sa deuxième maman. Mais River n'en avait cure. Elle refusait de lui pardonner. Elle pouvait être entêtée, des fois, et, cette fois, elle faisait réellement preuve d'obstination. Non, elle ne lui pardonnerait pas. Pas comme ça, du moins. Wind pourrait toujours lui demander pardon, cela ne servirait à rien.

*Pourquoi ai-je empêché le chien de la bouffer...* songea-t-elle écoeurée de l'amour qu'elle éprouvait encore pour sa soeur la veille encore.

Pourtant, la réponse était simple. Même encore maintenant, ELLE, elle serait incapable de laisser faire du mal, physiquement, à Wind. Déjà qu'elle avait été incapable de lui rendre sa gifle... Ce n'était pas l'envie qui lui en manquait, pourtant. Mais elle ne le pouvait pas... Non, vraiment, elle en était incapable.

*Elle va rester plantée là longtemps? Elle me gache la vue...*

Quelle mauvaise fois, décidément... Mais River ne supportait pas la vue de sa soeur pour le moment. Elle avait hâte de pouvoir faire autre chose. Pouvait-elle redescendre, maintenant? Pouvait-elle visiter l'institut? Elle n'avait qu'une envie, faire connaissance avec d'autres gens, s'éloigner de celle qui avait osé lever la main sur elle. River se redressa quelque peu et ouvrit son sac pour en sortir son miroir de poche. Elle regarda alors la tête qu'elle avait maintenant. Ses yeux étaient rouges et bouffis à cause des larmes qui avaient coulé sous le coup de la gifle. Sa joue était, elle, marquée des cinq doigts de sa soeur et quelque peu gonflée. Non. elle ne pouvait décemment pas sortir comme ça.

River serra les poings de rage et attrapa un peu de fond de teint. Si elle voulait pouvoir sortir sans avoir la honte de sa vie, elle devait cacher cette marque. La boursoufflure, elle ne pourrait pas la cacher. A moins de faire en sorte que ses cheveux tombent devant. Elle pourrait toujours essayer, mais...Cela marcherait-il seulement? Elle l'espérait. La honte faisait battre son coeur à vive allure.

Condition physique : 8. La force et la résistance d’une fillette de 10 ans. Wind n’a jamais été une grande sportive, plus encline aux arts musicaux qu’aux galipettes de son petit frère ou aux balades à cheval de sa petite sœur, et sa frêle silhouette n’aide en rien.

Si un regard avait pu tuer, ou en tout cas, si tel avait été le pouvoir de River, Wind serait sans doute morte sur le champ. La haine qu'elle lui vouait à cet instant était presque palpable, et si l'aînée refusait d'y songer, de même croiser ce regard si dur qui fixait son dos, elle connaissait la réponse à la question qu'elle se posait à l'instant : il n'y avait rien qu'elle pût faire pour que tout redevienne comme avant, parce que rien, jamais, ne permettrait d'effacer ces dernières 48h. Ca ne servait à rien qu'elle se lamente, ça ne servait à rien qu'elle retourne la situation actuelle et les événements passés dans tous les sens, jamais rien n'annulerait ses actes et ses paroles. Qu'elle cherche à se faire pardonner, qu'elle présente des milliers d'excuses à River, mais aussi à Cloud, Rain, Wood et ses parents, ça ne changerait rien : aucun acte, aucune parole, aucune pensée ne pourrait lui permettre de revenir en arrière. Et cette impuissance lui semblait être la pire des punitions...

Ses mains recouvrirent son visage - comme s'il y avait quelqu'un à qui masquer ses larmes ! - mais elle ne bougea pas plus. Si River n'avait à cet instant qu'une envie : celle de quitter cette pièce et de visiter l'institut, Wind quant à elle ne souhaitait absolument pas sortir de cette chambre, dernier rempart contre le regard des autres. L'idée même de croiser les yeux de n'importe qui lui était insupportable. Après tout, que verrait-on au fond de son regard ? Si ce qu'elle pensait d'elle à cet instant s'y reflétait, pas grand chose de bon, c'était clair. A ce moment-là, elle aurait presque souhaité disparaître. Non, pas presque en fait, elle aurait réellement préféré ne pas être là, ne pas avoir existé, ne pas avoir fait du mal à ceux qu'elle aimait. C'était idiot d'ainsi occulter les 19 années passées, comme si rien de bon n'en était ressorti, pourtant là, maintenant, elle était tout à fait incapable d'y songer.

Sa cadette avait attrapé son sac, elle s'était sans doute installée sur le lit derrière, près de la porte, Wind avait perçu le bruit feutré du matelas. Et à présent elle se relevait et fouillait dans ses propres affaires. Celles de l'aînée gisaient encore sur son lit, délaissées depuis quelques minutes, et sans doute à l'abandon pour un bon moment encore. Elle n'avait même pas le courage de s'y remettre...

[La colère décuple les forces, c'est bien connu ]

River appliquait avec soin le fond de teint sur son visage pour masquer la marque sur sa joue. L'ambiance, dans la pièce, était de plus en plus froide. Ca promettait si les deux frangines devaient partager la même piaule...

*Et bien... Je rentrerai tard, et puis voila, ou bien j'écouterai tout le temps de la musique pour pas l'entendre...* songea l'ado rebelle.

Les choses ainsi réglées, elle se stoppa un instant et regarda dans la petite glace de poche l'effet que ça donnait. Mouais... Pas très convainquant. On voyait toujours la marque. Mais Rivy ne voulait pas trop insister. Elle préférait que le maquillage reste un minimum naturel. Une chose était sûre, elle ne voulait pas rester dans la même pièce que Wind pour le moment. Celle-ci restait d'ailleurs aussi immobile qu'une statue. Espérait-elle que celle qu'elle venait de gifler viendrait la prendre dans ses bras pour lui dire que ce n'était pas grave et qu'elle lui pardonnait? Non. Jamais...

La cadette remit son fond de teint dans son sac à main et garda celui-ci en main en se levant.

"Bon, moi, je vais faire un tour..."lâcha-t-elle d'une voix sèche qui n'admettait aucune contestation de la part de Wind.

Elle avait failli lâcher 'n'essaye même pas de me retenir, je ne veux plus rien avoir à faire avec toi', mais elle n'avait pas pu. Elle n'était pas encore prête à rompre totalement avec sa soeur... Elle passa alors devant celle-ci sans un regard et sortit, claquant la porte de la chambre derrière elle.

[ salon]

[Mouais admettons... Pas convaincue moi...]

Le bruissement du matelas avertit l'aînée du départ de sa cadette avant qu'elle ne le confirme par des mots. Un tour ? Un tour où ? Wind espérait que River ne s'éloignerait pas du centre, mais elle n'avait même plus le courage de réagir. De toute façon, quoi qu'elle pût dire, elle se heurterait à un mur, et elle le méritait sans doute. La porte avait claqué, la faisant sursauter et seulement alors elle se décida à bouger, lentement, comme si le moindre geste brusque eût pu détruire un peu plus ce qui l'entourait. Ses mains retombèrent le long de son corps, et pendant plusieurs minutes, elle fixa la porte, pas bien sûre de ce qu'elle s'attendait à y trouver. Et pendant plusieurs minutes, un silence imperturbable régna sur la chambre. Vide. La pièce était vide, tout comme son esprit à présent. Elle avait ressassé tellement de choses en si peu de temps qu'il lui semblait qu'elle n'avait plus la force de rien.

Finalement, d'un geste mécanique, comme si c'était la seule chose qu'il restait à faire, elle reprit le rangement de ses affaires. Plusieurs fois, elle traversa le petit espace qui séparait son lit d'une commode pour y ranger ses vêtements, presque méticuleusement. Comme si le soin qu'elle apportait à ordonner tout cela avait pu remettre un peu d'ordre dans sa vie. Les trois tiroirs furent emplis avec méthode, l'un, tout en bas, du jean, de la jupe rouge, de la robe et des sous-vêtements, l'autre au centre des t-shirts et pulls, et le dernier du peignoir et du nécessaire de toilette qu'elle avait emmenés. Une fois ses chaussures parfaitement rangées sous le meuble, elle déposa sur le plateau lecteur mp3, portable (tous deux éteints), et chargeur au plus près du lit, tous trois à égale distance les uns des autres. Elle resta un moment immobile, ses recueils de partitions en main. Elle pouvait sans doute les jeter à présent, et pourtant, elle ne pouvait pas s'y résoudre. Elle en feuilleta un, sans doute son préféré, se remémorant la mélodie à mesure que ses yeux parcouraient les lignes de musique, puis ils trouvèrent leur place de l'autre côté de la tablette, parfaitement alignés, se chevauchant légèrement. Son pyjama impeccablement plié fut posé sur l'oreiller, et enfin elle rangea son sac sous le meuble, à côté de ses chaussures.

Il ne lui restait plus rien à faire à présent. Et cette pensée englobait bien des choses... Et pour ne pas froisser les draps qu'elle venait de lisser, elle finit par s'asseoir à même le sol, les genoux relevés contre sa poitrine, cerclés de ses bras maigres. Le regard perdu dans le vague, elle resta immobile, silencieuse. Non. Il n'y avait plus rien à faire à présent. Il n'y avait plus qu'à laisser les choses venir d'elle-même, en espérant que ça ne serait pour arriver à pire. Elle ne savait pas pourquoi elle restait là, si c'était pour être haïe de ceux qu'elle aimait le plus. Elle savait juste qu'elle voudrait toujours tenter de les protéger, même si manifestement, elle ne parvenait guère au résultat escompté. Et qu'elle ne pouvait pas repartir, les laisser ici, et rejoindre les autres en Angleterre. Même si elle aurait bien besoin des bras de Cloud autour de ses épaules à cet instant...

Salon

Après avoir consulté Cérébra sur la localisation exacte de la chambre de Wind et River, Cassandre monta les escaliers et prit la direction de l'aile des filles, comptant mentalement les portes en effleura le mur du bout des doigts. Cette démarche donnait l'impression qu'elle flânait rêveusement dans l'institut.
Elle se refusait encore à plonger dans l'intimité des deux soeurs pour savoir exactement ce qu'il s'était passé. Elle estimait ne pas avoir à agir de la sorte, et ne voulait pas se placer en arbitre. Arrivée devant la porte, elle s'arrêta, et frappa avec douceur.

"Wind ? C'est Cassandre, je peux entrer ?" demanda-t-elle avec une certaine modestie, qui contrastait totalement avec l'autorité qu'elle était censée incarner dernièrement l'institut.

Des pas dans le couloir, quelqu'un qui frappe à la porte. Un instant, Wind avait espéré qu'il s'agît de River ou de Wood. Mais pourquoi se seraient-ils approchés d'elle à présent ? C'était idiot. La voix qui résonna de l'autre côté de la porte lui indiqua l'identité de la personne qui venait la tirer de la solitude où elle se complaisait depuis un moment à présent.

"Wind ? C'est Cassandre, je peux entrer ?"

Etrangement, l'aînée des Smith ne se serait pas attendue à ce ton de voix, à tant de douceur. Elle n'en méritait pas tant. Et Cassandre lui avait semblé autrement plus autoritaire tout à l'heure. Non pas qu'elle lui en ait tenu rigueur, c'était elle, à son sens, la maîtresse des lieux, c'était tout à fait normal qu'elle se fasse respecter, mais justement pour cette même raison, ce ton de voix la surprenait. Elle avait hésité à rester là où elle se trouvait et à lui répondre "non". Mais elle n'était pas chez elle ici, elle ne pouvait pas se permettre de lui refuser d'entrer. "Si vous voulez" et la laisser entrer seule ? Non, ça n'aurait pas été courtois de rester ainsi prostrée devant son hôtesse. Et puis elle n'avait pas envie qu'on la voie ainsi, qu'on la regarde avec pitié. Il n'y avait que Cloud qui pouvait la comprendre, et il n'était pas là. Alors elle se releva, sécha tant bien que mal les larmes sur ses joues, bien qu'elle soit consciente de l'inutilité du geste : ses yeux rougis, son regard brillant restaient bien trop éloquents, pour quelqu'un qui pouvait voir, et le ton de sa voix en attesterait pour l'aveugle. A pas lents, elle s'approcha de la porte, comme s'il n'y avait plus la moindre énergie en elle, et l'ouvrit en grand, faisant face un instant à peine à son hôtesse avant de s'effacer pour la laisser entrer.

- Je vous en prie... fit-elle d'une voix presque atone, la main sur la poignée, prête à refermer la porte dès que Cassandre serait entrée.

Elle s'inquiétait tout à l'heure du regard des autres, elle redoutait ce que l'on croirait comprendre en la regardant. C'était d'autant plus vrai pour l'aveugle. Elle ne voyait pas, mais elle ressentait sans doute les choses autrement, peut-être même plus que les "voyants". Elle connaissait déjà Wood, et River l'admirait, c'était une évidence. Si l'un ou l'autre avait été la voir, Wind s'attendait à un portrait des plus négatifs. Elle ne pensait pas mériter mieux de toute façon. Elle n'essaierait même pas de se justifier, il n'y avait rien à justifier. Ce qu'elle venait de faire, c'était la chose la plus horrible qui soit. Appuyée contre le battant à présent refermé, les mains dans son dos, elle fixa le sol, immobile et silencieuse.

A l'invitation de Wind, Cassandre pénétra dans la chambre, qu'elle connaissait bien : les chambres étaient standardisées, ce qui lui permettait de se repérer sans effort. Elle savait Wind réticente à lui parler depuis leur rencontre. Une certaine méfiance se dégageait de son attitude envers la psychologue, méfiance dont paradoxalement, Cassandre se félicitait : l'institut et ses pensionnaires étaient inconnus aux Smiths, et elle trouvait que la réserve de Wind tempérait la fougue de ses cadets. Si Wind décidait de rester, elle l'assisterait peut-petre pour encadrer son frère et sa soeur. En un sens, la personnalité calme et raisonnée de Wind ne lui était pas si différente, et Cassandre savait qu'elle pouvait s'adresser en adulte à la jeune femme.
Elle s'arrêta un pas après la porte, souhaitant symboliquement ne pas envahir l'espace personnel de la chambre.

Le timbre de voix de Wind n'était pas plus glorieux que celui de sa petite soeur, mais d'une façon assez différente. Cassandre perçut une sorte de rejet d'elle-même dans cette voix sacrifiée aux larmes, de la culpabilité. River lui avait paru nettement moins mortifiée.
Comme à son habitude, Cassandre demeurra interdite quelques instants avant de s'exprimer.

"Je ne voulais pas te déranger... Mais j'ai pensé à votre famille qui doit se faire un sang d'encre, et je pense que vous devriez les appeler, ne serait-ce que pour leur annoncer votre arrivée." dit-elle dans une voix à peine plus audible que celle de Wind, pour ne pas brusquer l'atmosphère feutrée de la pièce. Elle tourna son visage vers la position approximative de Wind, attendant la réponse de la mutante à sa remarque.

Wind hocha vaguement la tête aux propos de Cassandre. Elle avait raison, et elle-même y avait déjà pensé. Cependant, elle ne se sentait pas la force de les appeler pour le moment. Sa voix, elle l'entendait bien, la trahirait, et ça ne ferait qu'inquiéter davantage ceux qui devaient déjà être préoccupés par l'absence de nouvelles. Certes, Wind avait envoyé un message laconique depuis l'aéroport sur le portable de Cloud, pour leur signifier qu'elles étaient descendues de l'avion, mais rien depuis. Il lui semblait qu'il s'était écoulé une éternité depuis qu'elles avaient entamé le trajet jusqu'ici. Elle releva légèrement la tête vers son interlocutrice.

- Vous avez raison, avec tout ce qui s'est passé, ils doivent s'inquiéter. Mon frère jumeau sait que nous sommes arrivées sur le sol américain. Mais pour le reste...

Elle inspira profondément, puis relâcha l'air emmagasiné comme si ça avait pu évacuer tout ce qu'elle ressentait depuis sa dispute avec River. Peine perdue, sa voix n'en était que plus tremblante lorsqu'elle poursuivit.

- Je ne peux pas les appeler maintenant. Ils seraient paniqués en m'entendant comme ça. Même si j'étais sereine, leur annoncer le fait qu'on reste ici ne ravirait personne, alors là...

Elle secoua légèrement la tête.

- Ca ne sert à rien de leur faire davantage de mal...

Parce qu'elle savait pertinemment que ça leur ferait du mal. Encore.
Maman et Papa seraient déçus, c'était sûr. En colère sans doute aussi, comme elle était partie pour ramener Wood à la base. Et inquiets, même si elle tentait de les rassurer, à cause de ce qu'ils ne connaissaient pas et ne comprendraient peut-être jamais. Elle-même ne comprenait pas comment une telle chose était possible à vrai dire, comment alors le leur expliquer ? Et de toute façon, à l'heure actuelle, elle serait bien incapable de rassurer qui que ce soit.
Rain se sentirait trahie à son tour, comme elle lui avait assuré qu'elle ne serait pas partie longtemps. Trahie et abandonnée : Wind savait combien elle avait besoin de la présence des autres, elle avait eu l'air si inquiète en posant cette question : "vous aussi vous allez partir chez les mutants ?". Inquiète, mais très lucide. Wind réalisa que sans doute sa cadette avait-elle alors déjà compris qu'elles deux en faisaient partie. Bien plus perspicace qu'elle ne l'avait été... Et elle aussi lui en voudrait sans doute à mort.
Quant à Cloud... Elle préférait ne pas y penser, pourtant l'ombre du remords planait tout autour d'elle. Il avait toujours été là, auprès d'elle, dès qu'elle en avait besoin, et aujourd'hui, c'était elle qui l'abandonnait. Elle l'avait blessé, physiquement, au centre, et maintenant elle lui donnait un second coup, mental cette fois-ci. L'idée même d'être séparée de lui, lui semblait être une épreuve insurmontable. Comment lui allait-il réagir ?

Et pourtant, elle ne reviendrait pas, elle le savait. Elle ne pouvait pas laisser les deux derniers ici, tous seuls. Même s'ils ne lui adressaient plus la parole, même s'ils l'ignoraient, elle, elle ne pourrait jamais faire comme s'il n'existaient pas. Elle ne supporterait pas de toute façon de les laisser ici, elle était trop préoccupée par ce qui pouvait leur arriver pour s'éloigner. Même si c'était sans doute ce qu'ils souhaitaient, eux. Elle baissa de nouveau la tête, fermant les yeux. Et comme pour compléter ce qu'elle venait de dire l'instant d'avant, elle ajouta, plus faiblement encore :

- J'en ai déjà bien assez fait comme ça...

[HJ: je ne l'avais pas joué en arrivant, le coup du sms, donc si ça pose un problème, je supprimerai ^^]

Cassandre laissa Wind dire ce qu'elle avait sur le coeur, légèrement surprise qu'elle se confie à elle. Peut-être la jeune femme commençait-elle à lui faire confiance, ou alors le besoin de parler à quelqu'un qui ne la jugerait pas peut-être...

"Tu as donc décidé de rester ?" dit-elle pensivement, comme si elle tentait de comprendre le sens de cette phrase. "Vos parents ont déjà vécu la fugue de Wood... Plus vous attendrez avant de leur annoncer la nouvelle, plus vous risquez de les faire souffrir..."

Elle fit un pas en direction de Wind, leva la main vers elle, s'arrêta un instant, puis termina son geste en laissant sa main tendue devant la jeune fille.

"Je peux vous aider à le faire si c'est trop difficile, et avec la mauvaise presse que nous avons, tes parents auront sûrement besoin de vous savoir en sécurité... Tout comme vous d'ailleurs." acheva-t-elle en offrant son aide, la main toujours tendue dans le vide. Quelque chose en elle, l'instinct maternel peut-être, avait cherché à réconforter la mutante en entendant sa voix défaillir. Que de détresse... L'aveugle avait tendu sa main comme une planche de salut, sans savoir si Wind aurait la confiance nécessaire pour la saisir. Mais comme pour Jessica, elle se tenait prête, ouverte à tout pas dans sa direction.

"Tu as donc décidé de rester ? Vos parents ont déjà vécu la fugue de Wood... Plus vous attendrez avant de leur annoncer la nouvelle, plus vous risquez de les faire souffrir..."

Wind hocha seulement la tête pour toute réponse. Geste ô combien inutile face à Cassandre... Elle n'avait pas d'autre choix que de lui faire confiance, au moins un minimum, pour ne pas devoir s'éloigner plus encore de son frère et de sa soeur. Aussi quand Miss Deneos fit un pas en sa direction, et leva sa main vers elle, hésitant tout d'abord à achever son geste, mais la gardant finalement à portée de l'aînée des Smith, celle-ci posa son regard pâle sur cette main tendue. C'était une offre que beaucoup, sans doute, en arrivant ici, n'avaient pas pu refuser. Pour elle, c'était un cap qu'elle ne pouvait pas encore franchir. Même si ce que son hôtesse proposait lui semblait des plus judicieux.

"Je peux vous aider à le faire si c'est trop difficile, et avec la mauvaise presse que nous avons, tes parents auront sûrement besoin de vous savoir en sécurité... Tout comme vous d'ailleurs."

Une fois encore, elle hocha la tête, puis se décida à enfin à parler. C'était vrai qu'elle aussi avait besoin de certitudes concernant cet institut dont Wood semblait prêt à faire les plus grands éloges, et qui semblait pourtant ravagé à l'extérieur. Et puis elle venait de parler de mauvaise presse, ce qui n'avait rien d'engageant. Cependant, elle était la seule personne pour l'heure vers qui elle pouvait se tourner. Et bien que cela lui fit de la peine de l'avouer, et plus encore, de prononcer ces mots, parce que d'ordinaire, c'était son rôle que de rassurer tout le monde, elle confirma ce que venait de dire Cassandre d'un ton toujours aussi faible.

- Si le but est de les rassurer, vous serez sans doute plus à même de le faire que moi.

Wind ne saisit pas la main tendue par la psychologue, mais traversa la petite pièce pour récupérer son portable qu'elle avait éteint en arrivant. Elle hésita à le rallumer, mais finit par s'y résoudre, et vint le déposer dans la main de Miss Deneos.

- Il faudrait que Wood et River soient là aussi, ils voudront entendre le son de leur voix, être sûrs qu'ils vont bien. Enfin...

Son regard s'enfuit vers le sol, bien que la psychologue ne le vît pas. Qu'ils aillent bien, c'était beaucoup dire... Mais pas trop mal, déjà, qu'ils ne soient pas malheureux. Enfin pas trop. S'ils arrivaient à transmettre ça à Papa, ce serait déjà une bonne chose, il pourrait rassurer Maman, qui ne manquerait pas de paniquer. Il fallait aussi qu'elle, elle arrive à leur faire croire qu'elle était confiante, que tout allait bien. Ca, ça allait être le plus difficile...

Le contact d'un objet froid et sans âme rencontra la main offerte de Cassandre. Cela lui rappela la froideur dont Jessica faisait maintenant preuve à son égard. Le tête légèrement inclinée comme une marionnette dont on aurait lâché les fils, un sourire étrange se dessina sur son visage blême. Différentes impressions cohabitaient dans ce sourire déroutant, renforcé par le regard, inaccesible de la psychologue : la tristesse, l'amertume, un soupçon d'ironie, mais aussi la compréhension.
Ce n'était pas la première fois qu'elle se heurtait au refus de ses semblables. Aider les autres malgré eux était une tâche des plus ingrate avec laquelle Cassandre avait vécu toute sa mutanité. Même si c'était un crève-coeur, elle acceptait cet état de faits comme elle avait accepté le repli de Jessica sur elle-même.
Je ferai ce que j'ai à faire... Et plus tard... ils comprendront...

"Très bien... Wood est... dans le jardin..." dit-elle en portant son autre main à sa tempe sous un violent accès de migraine.

"Il n'a pas la forme, mais Rachel devrait réussir à ramener l'ambiance..." dit-elle pensivement alors qu'elle visualisait la situation.

"Je propose de le laisser profiter de ce moment de détente. Profites-en pour visiter l'institut et faire connaissance avec ses occupants, ça te ferait du bien..."
Et te rassurera peut-être... ou pas...

"Venez tous les trois me voir dans mon bureau quand vous serez prêts, Wood doit savoir où c'est. Nous appelerons vos parents." dit-elle en avançant vers un lit pour y déposer le téléphone.

"Je te laisse..." termina-t-elle pour prendre congé aussi doucement que pour s'annoncer dans la pièce. Elle se retourna vers la porte, et tendit la main avec précision vers la poignée. Elle quitta la pièce sans déranger plus longtemps son nouveau propriétaire.

Infirmerie

Il y eut comme un froid sur la pièce quand Wind déposa le téléphone dans la main de Cassandre. Comme si le peu de vie qu'elle avait ramené s'était subitement éteint. Elle l'avait froissée ? Chouette, une personne de plus... Cette journée venait à peine de commencer, ça promettait d'être gai, si elle blessait, ou vexait tous ceux à qui elle adressait la parole, ou dont elle s'approchait.
Et puis la psychologue s'était massée les tempes, parlant d'une voix de plus en plus absente.

"Très bien... Wood est... dans le jardin... Il n'a pas la forme, mais Rachel devrait réussir à ramener l'ambiance..."

La voix de Cassandre semblait s'éloigner, petit à petit, et sans qu'elle sache vraiment pourquoi, elle n'avait pas envie de la voir partir.

"Je propose de le laisser profiter de ce moment de détente. Profites-en pour visiter l'institut et faire connaissance avec ses occupants, ça te ferait du bien..."

Sortir, quitter cette chambre ? Non, ça pour l'heure, elle en était incapable. Elle ne se sentait pas non plus le courage de croiser le regard de River et Wood, et pourtant elle savait qu'elle devrait les affronter tout à l'heure.

"Venez tous les trois me voir dans mon bureau quand vous serez prêts, Wood doit savoir où c'est. Nous appellerons vos parents."

Elle ne réagit pas au fait que Miss Deneos dépose le téléphone sur le lit qu'elle n'avait elle-même pas voulu froisser, mais ne put s'empêcher d'esquisser un mouvement vers elle quand celle-ci prit congé et se retourna vers la porte. Elle ne voulait pas non plus rester seule. Et pourtant elle n'arrivait pas à lui demander de rester. Elle regarda la psychologue s'éloigner sans faire un geste, sans prononcer un mot alors qu'elle aurait voulu l'arrêter.
Finalement, son regard se reposa sur son téléphone qu'elle coupa de nouveau. Il ne valait mieux pas qu'elle soit appelée pour le moment. Sa main lissa encore les couvertures, et elle reposa l'appareil à l'exact endroit où il se trouvait précédemment, comme s'il ne s'était rien déroulé ces cinq dernières minutes.

Il fallait qu'elle se détende, et en l'absence de Cloud, il n'y avait qu'une chose qui pouvait la défouler un peu. Seulement, elle n'était pas sûre que ça n'aurait pas de conséquence fâcheuse. Elle était seule ici, est-ce que ça pourrait aller ? Elle ne ferait pas de mal aux gens ? Elle hésita un long moment, avant de revenir auprès de la commode et d'effleurer du bout des doigts son lecteur mp3. Lentement, elle plaça les écouteurs sur ses oreilles et le mit en marche. Il y avait beaucoup de choses sur le lecteur, des morceaux d'opéra et de musique classique, des chants grégoriens, de la pop anglophone, et même quelques morceaux de groupes scandinaves... Des styles et des époques différentes qu'elle traversait avec la même passion. Là, c'était surtout de la pop qui vibrait dans les écouteurs.

Elle ferma les yeux, complètement focalisée sur la mélodie, et sur la voix de la chanteuse ou du chanteur, qui résonnait dans l'appareil. C'était sans doute un peu étrange, mais les paroles la touchaient particulièrement à cet instant, bien qu'à l'origine, elles aient fait référence à des chagrins d'amour...


Elle avait commencé par murmurer les mots, les paupières toujours closes, et puis sa voix avait porté un peu plus, à mesure que le morceau avançait, et qu'il semblait faire écho à ses pensées, à ses sentiments...


Combien de temps pourrait-elle supporter de les regarder de loin, sans pouvoir les toucher, sans pouvoir les embrasser ? De rester loin d'eux pour ne pas leur faire davantage de mal ? L'idée lui en était déjà insupportable rien qu'à la formuler... Alors à l'exécuter... Et pourtant, il fallait qu'elle le fasse, puisque River ne voulait plus entendre parler d'elle, puisque Wood ne pouvait plus toucher qui que ce soit, puisque les autres étaient de l'autre côté de l'Atlantique...


Il n'y avait plus que la musique qui importait, et ce que les mots évoquaient de ce qu'elle ressentait. Elle serait toujours là, pas très loin, à attendre qu'ils reviennent vers elle. Parce qu'elle ne pouvait pas vivre sans eux, parce qu'elle avait besoin d'eux, et que l'absence de ceux qui étaient restés en Angleterre la faisaient déjà souffrir. Oui, ils lui manquaient, ils lui manqueraient sans cesse, parce qu'elle n'était bien que lorsqu'ils étaient tous ensemble. Et que c'était loin d'être du domaine du possible à présent.


Parce qu'ils étaient sa famille, qu'ils étaient irremplaçables, qu'ils étaient ce qui comptait le plus pour elle, et que oui, elle ferait tout et n'importe quoi pour eux. D'ailleurs, aujourd'hui, c'était vraiment n'importe quoi...


Jealous guy ? Non... Quoi qu'elle ait été quelque peu jalouse de Cassandre quant à l'admiration de River. Pour le reste... Pour le reste, c'était on ne peut plus vrai. Elle n'avait pas voulu les blesser, bien que cela soit arrivé. Si on lui avait dit que les choses se passeraient ainsi, quelques jours auparavant, elle ne l'aurait pas cru. Elle, faire pleurer, puis frapper son petit ange ? Non, c'était impossible... Et pourtant c'était arrivé. Elle avait beau en être désolée, ça ne changeait rien. Elle l'avait fait.


River l'avait dit, n'est-ce pas ?, qu'elle ne l'aimait plus. Qu'elle la détestait même. Pire encore. Est-ce que Wood pensait la même chose ? Elle, elle les aimait. Elle leur avait fait du mal, mais ça n'empêchait pas qu'elle les aimait plus que tout, et c'était bien ça le pire. Elle avait blessé ceux qu'elle chérissait le plus...


River... Que pouvait-elle faire pour qu'elle lui pardonne ? Pour qu'elle cesse de la détester, qu'elle l'aime de nouveau, comme avant ? Cassandre ne s'était pas étendue sur le sujet, mais... Cette chambre, la partagerait-elle encore avec elle ? Ou bien resterait-elle vide, comme c'était le cas à présent ?


Elle n'avait pas pu dire à River qu'elle était désolée, sans doute celle-ci ne l'aurait-elle pas même écoutée. Pourtant elle aurait dû. Parce que c'était vrai, parce qu'elle le regrettait sincèrement, et parce qu'après ce qu'elle avait fait, c'était la moindre des choses. Même si ça n'avait servi à rien, elle aurait dû. Pourquoi était-ce si difficile de prononcer ce seul mot ?

Sa voix emplissait totalement la pièce. N'importe qui aurait pu entrer, elle ne s'en serait pas rendu compte, pas le moins du monde. Il n'y avait plus que ça qui comptait : chanter, pour oublier ses peines, ou tout au moins les extérioriser, les expliquer...

Jardins

Alors que Wood s'avançait dans le couloir des chambres des filles, il entendit le chant et l'identifia de suite. Wind. Sa grande soeur. Au premier rang, toujours. A la kermesse de l'école, c'est elle qui applaudissait le plus fort, au bon moment, toujours souriante. Au gymnase, c'est elle qui l'accompagnait, des fois, en empruntant la mobylette de Cloud. Il se serrait fort alors contre elle. Dans ces moments, il savait qu'il était protégé du danger, et gardait cette impression même suite à cette fâcheuse histoire de camionnette déversant des oranges sur son trajet... Deux semaines de plâtres, d'accord, mais deux semaines de repos à la maison, sans les devoirs de Miss Emmerson et avec les petits déjeuners apportées par sa mère et les après-midi avec son père, à partir pêcher ou simplement à rester au chaud, devant la cheminée, à regarder la télévision. Oui, elle l'écartait souvent du danger ou des mauvaises choses, Wind était le trèfle à quatre feuilles de son frère. Il la voyait comme çà. Le fait que leur deux prénoms différaient de deux lettres uniquement et que Wind et Wood était somme toute oralement similaires, il trouvait là un lien particulier avec elle. Non pas qu'elle était sa préférée, mais c'était son "truc spécial" avec elle.

Sans frapper à la porte, il l'ouvrit et atterrit quelques secondes plus tard sur le lit en face de Wind. Il l'écouta chanter en fermant les yeux. Il n'avait pas encore croisé Ivy depuis ce matin. Elle était surement encore en train de fouetter les vilains qui avaient enlevé Olivier. Tout çà pour avoir la clé de l'institut, pensa-t-il secrètement.

Il rouvrit enfin les yeux et dit simplement "Wind..." et attendit que sa soeur eut finie sa chanson, car sacrilège était de déranger l'artiste dans sa performance... Elle chantait bien, sa soeur, il était fier d'avoir une soeur qui chantait aussi bien. Et elle donnait de la voix comme il pouvait rire, c'est à dire très souvent. Il profita donc de ce concert intime pour simplement l'écouter et profiter...

[Je me disais que j'attendrais un peu avant de redescendre, mais si tu viens me chercher, je dis pas non ^^]

La chanson touchait à sa fin et Wind rouvrit les yeux, surprise de se trouver face à face avec son frère. Ca arrivait parfois que ce qu'on souhaite très fort se réalise ? Elle hésita un instant, prête à le prendre dans ses bras, mais se ravisa, muant son geste pour retirer ses écouteurs de ses oreilles tout en éteignant l'appareil. Elle lui sourit, la musique lui avait fait du bien, comme toujours, et, si elle n'avait pas chassé toutes les pensées qui trottaient encore dans sa tête, elle l'avait rasserénée. Et puis sans doute le fait que Wood soit revenu vers elle aidait à la tranquiliser.

- Je te croyais dehors... Enfin, tu disais que tu allais courir... Et puis c'est ce que Miss Deneos disait tout à l'heure...

Elle tâcha de se remémorer les paroles de leur hôtesse sans pouvoir les reformuler précisément. Le lecteur retrouva sa place sur la commode, parfaitement aligné avec le reste de ce qui s'y trouvait, puis elle vint s'asseoir auprès de lui, laissant cependant une marge de sécurité comme elle l'avait vu faire tout à l'heure.

- Je suis désolée pour tout à l'heure, Wood. Je ne voulais pas te blesser, juste faire comprendre à River qu'elle réagissait peut-être de façon un peu exagérée... Je m'y suis très mal prise, moi aussi j'ai dépassé les bornes, et je vous ai blessé tous les deux. Et puis je n'aurais jamais dû lever la main sur elle...

Une fois encore, elle regarda sa paume comme si elle doutait d'avoir pu réellement être l'auteur de cette gifle monumentale. Non, décidément, c'était une chose qu'elle ne se pardonnerait jamais.

- Tu as eu plus de chance que Cloud à m'entendre... J'avais peur que ça recommence comme au centre, mais j'avais trop besoin de chanter... Je les ai blessés. Enfin, Troy, le cheval de River les a blessés, mais c'est à cause de moi. J'ai fait du mal à tout le monde ce week-end, et j'en ferai encore à nos parents quand on leur expliquera qu'on reste ici tous les trois... Mais je peux décemment pas vous laisser ici tous seuls, non, vraiment, et vous ne repartirez pas, n'est-ce pas ?

Etrangement, sa voix restait calme, et elle esquissait même un sourire sur ces derniers mots. De toute façon, elle n'avait aucun moyen de changer les choses, alors il ne restait plus qu'à les accepter. C'était plus difficile que tout ce qu'elle avait pu encaisser jusque-là, mais il n'y avait que ça à faire. Et paniquer plus encore les deux derniers - déjà que - ça n'était clairement pas la meilleure solution...

- Miss Deneos propose que nous la rejoignions tous les trois dans son bureau pour appeler les parents, histoire de les rassurer... Enfin... J'espère qu'on ne les affolera pas trop. Je pense que si elle et moi leur assurons que c'est la meilleure chose, on arrivera peut-être à les convaincre, mais il faudra aussi que tous les deux vous ayez l'air d'aller bien...

Et elle avait plus de doutes à ce sujet concernant la petite dernière...