Moscou, centre ville

Tic, tac, tic, tac… Stanislas regardait désespérément la trotteuse de l’horloge accrochée au-dessus de la porte ; elle tournait en rond inlassablement sans jamais se fatiguer ni accélérer au grand damne de l’adolescent. Avoir un précepteur avait des avantages mais aussi des inconvénients dont l’inflexibilité des horaires : il n’avait pas beaucoup de souvenirs d’une quelconque absence ou même d’un retard de la part de Mr Gardavitch, une personne très stricte mais merveilleusement bien qualifié pour son travail. Cette personne savait motiver son élève et le faire exploiter toutes ses capacités. Cependant ça ne lui empêchait pas de faire parfois des cours ennuyeux et les dix minutes précédant la fin des cours étaient toujours interminables.

Il était l’heure de partir mais Stanislas feignit de s’intéresser encore à ce qu’on lui racontait dans la crainte de devoir faire du rabe. Et on l’autorisa enfin à y aller ; il rangea rapidement ses affaires et sortit de la pièce sans oublier de souhaiter poliment une bonne journée à son professeur. A peine eut-il refermé la porte derrière lui qu’il tomba sur son grand-père qui l’invita à le suivre jusque dans son bureau, pièce coquette avec des meubles en bois d’essences foncés et une décoration aux teintes rouges donnant un côté, très chaleureux certes, mais indiquant également que son grand-père vivait toujours au XXème siècle.

« Montres moi tes mains mon garçon. »

Eh non, il ne voulait pas vérifier si son petit-fils avait les mains propres avant de passer à table et jamais il n’avait eut cette intention en lui posant la question. En réalité, le vieux moustachu s’inquiétait plus de l’état de la manucure du garçon et d’ailleurs il regarda avec désapprobation la griffe du pouce gauche qui persistait là comme une revendication à l’appartenance de Stanislas au groupe des mutants.

« Tu seras gentil, tu me couperas ça avant se soir. Tu te rappelles que nous avons une réception, que penseraient nos invités s’ils voyaient ça ? »

A l’inverse de son grand-père, Stanislas aimait bien garder cet ongle particulièrement pointu qui lui permettait de pouvoir couper ce qu’il voulait sans pour autant avoir besoin d’aller chercher un couteau.

« Promis grand-père, je le ferai. Quand est-ce que je pourrai retourner en Sibérie là où mon père est mort ? »

« Quand ton précepteur prendra des congés. Et puis comment fera tu pour aller jusque là-bas tout seul alors que tu sors d’ici à peine une fois par semaine. Bon allez, vas-y maintenant, j’ai du travail. »

Stanislas quitta son grand-père pour se diriger vers les cuisines pour y retrouver le seul ami de son âge, Sven, qui travaillait pour son grand-père en tant que chauffeur et qui était également le fils de la gouvernante. Celui-ci devait partir faire une course donc le garçon Venkourov décida de l’accompagner et ils prirent tout les deux la petite voiture électrique prévue pour les déplacements des employés. Sven se gara à la première place disponible à proximité de la rue marchande qu’il fréquentait pour effectuer les courses de la famille Venkourov.

« On se retrouve ici dans environ une heure, ok ? »

« D’accord, à toute à l’heure. »

Et ils se séparèrent… Ca arrivait de plus en plus fréquemment que Sven laisse tomber Stanislas comme cela. L’adolescent supposa qu’il devait y avoir quelqu’un derrière ça : une fille ou d’autres amis ; quoiqu’il en soit, son seul ami ne semblait visiblement pas avoir envie de rester en sa compagnie et il ne restait plus qu’au jeune mutant à se promener seul en ville pendant une heure.

En marchant, il regarda ses ongles longs et durs. Peut-être que Sven avait remarqué qu’il côtoyait un mutant et que c’était pour cela qu’il le fuyait. Pourtant il restait prudent et ne donnait aucun signe de sa condition, mis à part la taille de ses ongles. A sa connaissance, seuls sa mère et son grand-père étaient au courant et personne d’autre.

Perdu dans ses pensées, Stanislas ne réfléchissait pas trop à où le menaient ses pas, si bien qu'il finit par tomber sur le parvis du théâtre du Bolchoï



Un superbe bâtiment de style classique qui avait, semble-t-il, traversé les âges, imperturbable temple du conservatisme d'un style ringard et dépassé de danses ridicules avec des instruments bizarroïdes que plus personne ne connaissait. Une sorte de musée vivant... Mais le bâtiment était joli.

Quelle ne fut pas alors sa surprise de voir ici son ami Sven, en pleine discussion avec un type qu'il n'avait jamais vu auparavant. D'où il était, il ne pouvait pas entendre ce qui se disait, mais les gestes de Sven étaient relativement éloquents, vu comme il montrait le bout de ses doigts...

En quelques instants, c'était plié, et l'illustre inconnu s'en fut, retournant dans le théâtre, non sans jeter un petit coup d'oeil alentour, et croiser le regard de Stanislas.



Sven, quant à lui, reprit ses paquets de commissions, et pressa le pas vers le quartier marchand.

Ca faisait déjà un bon moment qu’il marchait sans aucune direction précise, encore soucieux de ce qui l’écartait petit à petit de son ami Sven. Il s’était si bien déconnecté de son environnement qu’il eut la surprise de se retrouver en dehors du centre ville et d’admirer un bâtiment d’un autre âge. Le genre d’endroit que son grand-père adorerait, lui qui est tellement fan des siècles passés. Ceci dit, Stanislas aussi était obligé d’avouer que l’architecture d’avant était très belle.

C’est alors qu’il vit Sven en train de discuter avec quelqu’un d’autre. Enfin, Stan savait qui était cette autre personne qu’il fréquentait sans jamais lui en parler. Il aurait bien aimé être une souris pour pouvoir assister à la discussion mais un frisson lui parcourut l’échine lorsqu’il vit son ami montré le bout de ses doigts à l’illustre inconnu. Au moins maintenant, il était claire et net que Sven savait qu’il faisait partit des mutants, qu’il savait exactement que ses ongles était très spéciaux.

Le mutant resta là, à les regarder, tellement déçu par Sven en qui il avait placé sa confiance. Il se sentit trahit jusqu’au plus profond de son âme. Certes, ça ne le dérangeait pas tellement qu’on sache qu’il était un mutant, ce qu’il ne voulait pas c’est d’être comparé à tous ces terroristes mutants qui faisaient chaque jour la une des journaux ; enlèvement, émeutes et certainement plein d’autres choses encore. En tout cas ce qui était impardonnable pour lui, c’est qu’on divulgue des informations personnelles sur lui à son insu.

Alors que Sven s’en allait, l’inconnu jeta un regard sur la rue et regarda Stan. On aurait pu croire qu’il l’avait reconnu par ce simple coup d’œil, surement mis sur la voie parce que le mutant lui avait rendu un regard noir. Quelques instants, mais ça avait probablement suffit à Stanislas pour se trahir et dévoiler son identité.

Désormais, il y avait deux possibilités : soit il suivait Sven ou le retrouvait à la voiture ; soit il rentrait dans le bâtiment au style classique à la poursuite de cet inconnu qui connaissait désormais ça vraie nature. Une petite voix, s’appelant Prudence, lui conseilla de rentrer chez lui au plus vite et d’en parler à son grand-père mais à 17 ans, nous ne sommes jamais très prudents.

Sur ce, Stanislas avait fait son choix : il s’apprêta à rentrer dans le théâtre dans l’idée d’apprendre qui était la personne qui en savait désormais beaucoup trop sur lui-même.

A l'intérieur, plus aucune trace de son mystérieux nouvel "ami". Un grand hall à colonnades, des tentures, des tapisseries... des guichets permettant d'acheter des places, et des couloirs latéraux et escaliers permettaient d'accéder aux différents étages et aux divers sites de la vaste salle qui se trouvait derrière. Tous ces couloirs et escaliers étaient barrés par des poteaux avec de beaux cordons rouges en velours, et un vigile partout.

Il y avait quelques personnes ici, prenant des programmes, ou regardant le décor. Plutôt de vieilles personnes... Il n'y avait guère plus qu'eux pour s'intéresser encore aux vieilles pierres, et aux vieilles danses. Aucune trace de ce mystérieux interlocuteur.

Stanislas ne parvenait pas à trouver l’inconnu. Il y avait désormais tellement de possibilités ouvertes que le retrouver ici serait un coup de chance du au hasard.

*Qu’est-ce que je fais maintenant ? C’est un miracle si je retrouve ce type désormais. Je pourrais demander au guichet si quelqu’un l’a vu… Non, ces types ne m’inspirent pas confiance.*

Finalement, il considéra sa présence en ces lieux comme un coup du destin. On l’avait surement amené ici pour qu’il assiste à la prochaine pièce. D’un autre côté il n’avait pas le temps : il devait retrouver Sven à la voiture bientôt. Ce n’est pas qu’il ne souhaitait pas faire attendre le traître mais il ne voulait pas que sa disparition inquiète sa mère.

Cependant, si c’était bien le destin qui l’avait amené ici, il n’avait pas d’autre choix que de continuer à avancer. Le jeune mutant fouilla le fond de ses poches pour en ressortir un billet et quelques pièces ; cela devait surement suffire pour se payer une place. Il alla donc au guichet avec sa monnaie en main.

Avançant vers le guichet, la tenancière, une vieille dame au chignon impeccable, releva les yeux de son magazine.
Un bref échange plus tard, Stanslas comprit que le peu de monnaie qu'il avait ne suffisait même pas à lui payer une place au 4e étage, le plus loin possible de la scène, et que de toutes façons, il n'y aurait pas de représentation avant trois jours...

Ce théâtre semblait décidément être une voie sans issue. Il ne lui restait plus qu'à rentrer chez lui, mais avant, il lui fallait affronter son ami.

C’était peine perdue, l’unique solution était de retourner la voiture pour attendre Sven. Les retrouvailles risquaient d’être mouvementé car Stanislas n’avait pas l’intention de faire comme si rien ne s’était passé. Il sortit du grand bâtiment et se dirigea à travers les rues de Moscou vers l’automobile. Le jeune mutant ne savait pas comment il allait procéder avec son ami ; en premier lieu, il s’arrangerait pour qu’ils rentrent dans la voiture tout les deux, puis il essayerait de tirer les vers du nez à l’autre garçon.

Cela semblait être la meilleure méthode pour obtenir des informations sur l’inconnu qui s’intéressait à lui. Seul hic dans l’histoire, Stanislas craignait de se retrouver dans un guet-apens mais alors il n’hésitera pas à utiliser ses griffes pour se défendre. Il était revenu à la voiture aussi inconsciemment qu’il l’avait quittée, se demandant jusqu’où il serait prêt à aller pour savoir qui était ce type ou à quel point il était en danger maintenant que plusieurs étrangers connaissait sa condition. Il se rapprocha de la voiture et attendit, l’heure fatidique du retour de son ancien ami ne devrait pas tarder.

Stanislas arriva à la voiture alors que Sven chargeait toutes ses comissions dans le coffre. C'est lorsque celui-ci releva le nez qu'il déclara, simplement :

"Ah, te voilà. On va pouvoir être à l'heure pour rentrer. J'ai encore trente mille choses à faire pour ce soir, je suis débordé... Tu t'es amusé un peu ?"

Ils s'installèrent dans la voiture, et Sven démarra alors.

Il faisait comme si de rien n’était, il venait tout juste de trahir leur amitié et il n’en montrait rien. A peine avait-il rangé toutes les courses qu’il avait achetées, qu’il s’installa au poste de conduite. Stanislas s’assit également sur le siège passager et il attendit que son ami démarre le moteur. C’était probablement le meilleur moment pour aborder le sujet.

« Au fait, c’était qui le type avec qui tu discutait devant le théâtre du Bolchoï ? »

Il avait posé la question sans détour, en espérant qu’il obtiendrait une réponse satisfaisante.

Sven fronça les sourcils, mais ne fit aucune embardée, ni aucun haut cri. Il encaissa la nouvelle sans rien dire tout d'abord, puis répondit d'une voix rapide.

" Ca, c'était rien. Juste une affaire urgente à régler à propos de ce soir. Tu m'espionnes maintenant ? Pourquoi ça t'intéresse ?"

Visiblement, il était mis sur la défensive.

Sven ne voulait rien lâcher ce qui agaça son passager. La question avait peut-être été trop brutale mais il fallait bien commencer par quelque chose. La colère commençait à monter au nez de Stanislas, pourtant il essaya de la contenir et de garder un ton neutre. Il ne fallait pas monter trop vite en pression mais au contraire y aller crescendo.

« Bien sûr que non, je ne t’espionne pas. Je me suis promené au hasard, suivant le fil de mes pensées, et je me suis retrouvé devant le bâtiment et j’ai été étonné de te voir là, c’est tout. Mais ce type, il travaille au théâtre ? Ca fait longtemps que vous vous connaissez, il s’appelle comment ? »

Intérieurement, cette situation l’énervait au plus haut point. Stanislas essayait de se calmer, se jurant qu’il avait mal vu la scène, que ça n’était rien. Et pourtant, plus il y pensait et plus ça lui paraissait claire, inutile de se voiler la face.

Sven répondit du tac au tac.

"Écoute Stan. Je suis désolé de te répondre ça comme ça, mais tout ceci ne te regarde pas. C'est une affaire que ton grand-père m'a demandé de regler, alors je m'en occupe, c'est tout. Y'a rien d'illégal, ni de dangereux, ni de fâcheux pour qui que ce soit là-dedans, je te rassure."

Il continua, sur un ton un peu plus mutin.

"De toutes façons, tu verras bientôt de quoi il retourne."

Sven continuait à tourner autour du pot ce qui n’était pas au goût du mutant. Après une brève réflexion, il accepta de se faire guider chez lui sans rien demander. Il doutait que son grand-père ait quoi que ce soit à voir avec toute cette histoire mais il se savait un peu trop méfiant et finalement il se demanda si il n’avait pas inconsciemment déformé la réalité. Dans un dernier élan de méfiance, il déclara :

« Très bien… On ira voir tout les deux mon grand-père tous les deux alors, dès qu’on arrive. Je suis sûr qu’il pourra éclaircir la situation. »

Il tapota son ongle sur-aiguisé sur l’accoudoir dans une attitude plutôt menaçante.

Sven jeta un coup d'oeil à l'ongle, et fit une moue agacée. Il n'avait jamais fait de remarque à Stanislas du fait qu'il était un mutant, n'avait jamais rien dit qui le mettrait mal à l'aise, et avait toujours été heureux que ce "détail" ne s'immisce pas entre eux deux, et voilà que son ami le menaçait sans rien dire avec son pouvoir.

Il ne préféra pas répondre à ce qu'il disait, se concentrant sur sa conduite.

Arrivé chez les Venkourov, il gara la voiture près des offices, et sortit.

"Écoute Stanislas, j'ai encore beaucoup de travail d'ici à ce soir, il y a des tonnes de trucs à préparer pour la réception. Je te promets qu'on en rediscutera, mais en attendant, s'il te plaît, reste au calme, et ne t'en fais pas pour tout ça."

Il lui adressa un sourire gentil. Visiblement, il ne voulait pas de guerre ni de mésentente, alors qu'il sortait les paquets du coffre de la voiture.

"On se voit tout à l'heure."

Puis il s'en fut vers les cuisines qui, déjà, étaient en ébullition.

Sven paraissait sincère aux yeux du mutant. Un sentiment de culpabilité s’installa en lui, sa méfiance naturelle l’avait sûrement un peu éblouit. Cependant, tout cela ne cessait de l’intriguer et de l’inquiéter. Il sortit la lime de sa poche et commença à limer ses ongles, comme son grand-père le lui avait demandé.

Ce faisant, il se dirigea vers le bureau de son grand-père car il souhaitait obtenir des explications. Stanislas ne savait plus sur quel pied danser. Il s’en voulait tellement de ce qu’il avait fait à son ami Sven. En allant voir son grand-père, il voulait obtenir plus que des explications, un peu de réconfort.

Malheureusement pour Stanislas, son grand-père n'était pas à son bureau. Ni nulle part ailleurs. Il avait du sortir regler quelque affaire urgente, ou bien commencer la soirée avec beaucoup d'avance.

L'après-midi avança, un peu ennuyeux, jusqu'à ce que quelqu'un vint trouver Stanislas pour lui demander de s'habiller convenablement, vu que les premiers invités allaient bientôt être là.

La réception devait se tenir dans le plus grand des salons de la demeure. Des tables avaient été installées, et déjà, ce qui ne craignait pas l'attente était installé, et superbement décoré. Le service avait revêtu ses plus beaux atours. Visiblement, son grand-père avait prévu d'inviter du beau monde... Quelques personnes étaient déjà là : complet trois pièces, habits, spencer, cigares... A croire qu'une certaine élite s'habillait toujours comme au XVIIIe siècle.

Stanislas avait revêtit ses plus beaux habits : un pantalon et une veste bleus nuit et une simple chemise blanche, classe mais pas archaïque. Il n’aimait pas tous ces vêtements d’un autre âge que portaient les fréquentations de son grand-père. Il se regarda devant la glace pour vérifier son allure et il observa plus particulièrement ses mains et leurs ongles méticuleusement limés.

Une fois prêt, il se dirigea vers la salle de réception. Lorsque le mutant y entra, il se sentit mal à l’aise parmi tout ce monde inconnu. Il salua les personnes qu’il rencontrait tout en cherchant du regard son grand-père. Lui qui n’aimait pas la compagnie d’étrangers, il étais servit. Et puis ces formules de politesse à n’en plus finir, l’agaçait au plus au point mais depuis tout petit il savait apparaître aimable lors de ce type de réunion pour ne pas nuire à la réputation de son grand-père.

Les divers invités ne prêtaient que peu d'attention à Stanislas, bien qu'ils faisaient preuve de la plus exemplaire des politesses. Un soucis de génération sans doute.

Stanislas put constater qu'une partie de la pièce en direction des cuisines avait été entourée d'un cordon rouge. Il allait sans doute y avoir quelqu'un qui allait se donner en spectacle... Son regard fut attiré alors par Sven, en spencer de maître d'hôtel, faisant son entrée dans la pièce, transportant avec dextérité un large plateau d'argent sur lequel était déposé une montagne de petits fours.

Il passa auprès des convives qui se servirent avec moult pirouettes, puis arriva à la hauteur de Stanislas.

"Tiens, sers-toi." dit-il d'un ton faisant peu de cas des conventions sociales et des codes. "Allège moi de ce fardeau, j'en ai encore 10 comme ça qui m'attendent de l'autre côté." Il se plaignait en exagérant volontairement ses expressions désabusées. "Un après-midi entier à les préparer, et mangés en 5mn... Si ce n'est pas désespérant."

Une sensation bizarre étreignit alors Stanislas : on le regardait. adossé à un angle de mur dans le couloir donnant aux cuisines se tenait un visage familier :



Mais déjà Sven en remettait une dose.

"Tiens... Prends plutôt ceux-là... C'est les meilleurs."

Un coup d'oeil vers la coulisse, son "espion" avait disparu.

Stanislas ne voyait personne qu’il connaissait mis à part les employés de maison jusqu’à ce qu’il vit son ami Sven chargé d’un plateau de petits fours. Celui-ci finit par le rejoindre, après avoir fournit en nourriture toutes les personnes sur le chemin. Le jeune garçon déguisé en maître d’hôtel lui proposa alors de se servir. Le mutant ne pu refuser l’offre et avala les petits fours les uns après les autres, comme si cela pouvait le faire pardonner pour son attitude en voiture.

Alors qu’il écoutait son ami se plaindre de son travail pour la soirée, des frissons parcoururent son dos. Stanislas se sentait observé et il regarda autour de lui pour trouver la personne qui était la source de cette impression étrange. Ne cessant pas de jeter des coups d’œil à droite et à gauche tout en engloutissant des petits fours à la demande de son ami, il finit par croiser le regard de l’inconnu du théâtre. Le mutant ressentit à nouveau des frissons dans le dos mais continua à grignoter sous les bons conseils de Sven.

"Tiens... Prends plutôt ceux-là... C'est les meilleurs."

« C’est vrai qu’ils sont bons… Dis voir, tu peux enfin me dire qui est ce type près des cuisines et qui nous regarde non ? »

Les battements de son cœur accéléraient. Cette situation mystérieuse le stressait et il avait hâte qu’on éclaircisse enfin sa lanterne. Il voulait à tout prix connaître les raisons de la présence de ce type étrange qui l’inquiétait.

Sven se tourna vers les cuisines, en haussant les sourcils, puis se tourna à nouveau vers Stanislas.

"Qui donc ? Y'a personne là. Bon, tu m'excuseras, mais faut que j'aille refaire le plein, parce que t'as tout mangé. Fais attention, tu vas grossir si tu continues, déjà que tu te fais regarder de travers."

Il lui donna alors une tape amicale sur le nombril, puis s'en retourna vers les cuisines.
De plus en plus de gens arrivaient, et la salle devenait bruyante et animée. Stanislas put remarquer que son grand-père était là, bien qu'il semblait assez affairé par tout un tas de mondanités. Jusqu'à ce qu'il tape sur sa flûte à champagne, pour générer un silence relatif dans la pièce. Il dit alors.

"Bien bien, merci de tous être venus pour cette petite réception. J'espère que vous passez un très bon début de soirée, et pour votre plaisir à tous, j'ai l'honneur de vous présenter un invité de marque qui va, j'en suis sûr, vous époustoufler."

L'homme qui avait regardé Stanislas, et qui semblait avoir comploté avec Sven fit son entrée, alors que quelques applaudissements feutrés se faisaient entendre, et il alla s'installer derrière les cordons, là où il avait un peu de place.

Il esquissa un geste de la main vers un saut à champagne posé sur la table la plus proche, et, sous des "oh" de stupéfaction de l'assemblée, un filet d'eau s'envola du seau, et vint former une sorte d'anneau autour de sa main. L'opération se renouvela encore quelques fois jusqu'à ce qu'une quantité importante d'eau forme une sphère parfaite juste au dessus de sa tête.

Avec une grâce toute aquatique, l'homme enchaîna alors des mouvements, l'eau suivant parfaitement, se modelant en divers animaux, qui s'ajoutèrent à lui pour former un ballet d'apparence surnaturelle, ce qui causa un certain émoi chez les invités qui accompagnaient le spectacle d'un murmure d'émerveillement, ou de réprobation.

Vint un moment où la nuée d'oiseaux aqueux qui entouraient le show-man se rejoignirent au dessus de sa tête, et explosèrent en une gerbe de neige qui tombèrent paisiblement sur lui alors qu'il faisait une profonde révérence pour saluer le public.

Une fois toute la neige tombée, il se releva, rappela toute l'eau qui forma une sphère dans sa main, refit un salut, puis quitta la scène, dans un silence relatif. C'est à ce moment que le grand-père de Stanislas applaudit, accompagné par le reste des convives.

Il ne put nier que l’éternel inconnu avait encore disparu. Sven lui fit remarquer son attitude étrange avant de disparaître dans les cuisines. Effectivement tout le monde semblait s’interroger de cette boulimie frénétique aigue. Un peu honteux, il remarqua enfin son grand-père. Cependant, ce dernier semblait occuper avec ses invités, il aurait été malpoli de venir le déranger en ce moment.

Stanislas fut surprit par l’intervention de son grand-père, bien que le petit discours de bienvenue était des plus banale, il ne s’attendait pas à l’annonce d’un invité surprise. Et son étonnement se fit encore plus grand lorsqu’il vit que l’inconnu dont il cherchait désespérément l’identité était cet invité surprise. L’homme se plaça dans la petite zone qui avait été prévue, délimitée par les cordelettes rouges.

Lorsqu’il appela de la main de l’eau en provenance de la table la plus proche, Stanislas resta bouche bée. Les yeux grand écarquillés devant le magnifique spectacle qui se dessinait devant lui. Le jeune garçon n’en perdit pas une miette, mis à part lorsqu’il détourna la tête pour regarder qui osait exprimer du dégoût devant tant de grâce. Il vit les différents animaux se mouvoir dans les airs et les lumières se refléter dessus.

Le jeune mutant trouva le final tout simplement incroyable et seulement après que l’homme eut quitté la salle, il retomba sur Terre. Stanislas n’en revenait toujours pas de ce spectacle magique. C’était la première fois qu’il voyait un autre mutant utilisé ses pouvoirs et il n’imaginait pas qu’on puisse exécuter des choses aussi belles. Petit à petit, l’adolescent sortit de son émerveillement et il commençait enfin à comprendre les étranges événements de cette journée.

Il s’en voulait de s’être sentit trahit par son unique ami. Il avait fallu d’un rien pour qu’il abandonne la confiance qu’il lui avait donnée. Cependant, maintenant il était heureux de connaître quelqu’un comme lui, un mutant qui ne se cachait pas mais qui se donnait en spectacle. Stanislas alla une fois de plus à la poursuite du mutant inconnu avec la volonté de le rencontrer.

Stanislas dut filer vers les coulisses en slalomant entre les gens et les serveurs pour retrouver le mutant, en coulisses, en train de remettre l'eau qu'il avait utilisée dans les seaux à glaçons, sous forme de cubes de glace.

Voyant arriver Stanislas, il se tourna légèrement, pour lui adresser un mince sourire vaguement intimidé, avant de revenir vers une des employées qui lui demandait de faire quelques tours, et qui applaudissait comme une gamine.

L’engouement de l’employée contamina le garçon qui les avait rejoint. Il était content que l’autre mutant n’ait pas encore disparu en fumée comme dans l’après-midi. L’homme effectua quelques tours devant ses nouveaux spectateurs, tous deux émerveillés. Stanislas était tout excité et il interrompit son homologue mutant.

« Attendez, attendez !!! Regardez… »

Stanislas regarda rapidement autour de lui en cherchant un objet, quelque chose qu’il pourrait utiliser. Il prit dans ses mains un tabouret en tek. Il fit glisser un de ses ongles dessus, par saccade et en appuyant fortement. Le trajet de l’ongle laissa un sillon peu profond mais déjà assez surprenant. Il tendit le tabouret à l’homme qui manipulait l’eau.

« Tenez, essayez ! Une lime a ongle normale ne me sert à rien. Je dois utiliser ça. »

Oubliant toute prudence, il sortit sa lime qui servait à affûter des lames et la montra à l'autre mutant. Il était content de lui-même si ça petite démonstration aurait été plus efficace s’il ne s’était pas coupé la griffe qu’il possédait avant.

Le mutant en question le regarda faire un instant, puis il prit le tabouret, le regardant un instant, et le reposa à côté de lui, l'air un peu intrigué, ou interloqué. Il lui répondit dans un russe maladroit, avec un fort accent occidental.

"Excusez-moi... Je ne vois pas ce que vous essayez de me montrer ? Je peux vous aider ?"

D'un geste, il renvoya l'eau avec laquelle il jouait dans un évier.

Stanislas fut déçu par la réaction du manipulateur de l’eau. Il s’était attendu à un peu plus de compréhension et de reconnaissance. La petite expérience avec le tabouret semblait suffisamment éloquente et ses propos assez clairs. Il fallait donc être plus explicite, sans ce soucier des personnes qui passait par ci par là.

« Je suis aussi un mutant ! Mes ongles sont plus dur que la normale, enfin là je les ai limé pour qu’ils soient moins coupants. Encore cette après-midi j’avais cet ongle aussi tranchant qu’un couteau ! »

Cette fois c’était clair et net. Il espérait que son interlocuteur réagirait autrement. Il était tout bonnement impressionné par l’autre mutant qui contrôlait les mouvements de l’eau à la perfection.

« Vous avez de la chance de pouvoir faire ce que vous faites. Moi j’ai juste des ongles un peu plus dur, et je dois attendre qu’ils poussent… »

Stanislas était en train de placer l’autre mutant au titre d’idole. Il l’idéalisait, le voyait plus majestueux qu’il ne l’était en réalité et ça le rendait euphorique.