Réanimation post apocalyptique...

Hall

River ne l’avait pas suivi, alors qu’elle n’avait pourtant l’air de rien faire. Quand Lucas était arrivé en haut des escaliers, il s’était retourné pour voir si elle le suivait, mais il n’avait fait que la voir se lever pour s’en aller sans un mot rejoindre on ne sait quel endroit. La réponse qu’elle lui avait donnée n’était pas très aimable, voire même carrément agressive de la part de l’anglaise, et il ne comprenait pas ce qui lui prenait. Elle avait sans doute subi un choc psychologique, avec toutes ces atrocités à l’institut… C’était certainement ça. Du moins, il ne voyait pas ce qui pouvait faire qu’elle réagisse comme ça.

Il haussa les épaules avec dénégation, la laissant partir vers son isolement solitaire, où elle trouverait moins de réconfort qu’avec lui, mais après tout, les personnes ne réfléchissaient pas toujours à l’endroit, comme l’avait prouvé Sven l’instant d’avant dans la salle des dangers. Sven… Comme ce garçon en un coup était lui aussi descendu profondément dans son estime… Et pourtant Lucas tentait de relativiser, de dire que ça aurait pu être pire, même si c’était déjà catastrophique… Enfin bon, petit à petit l’institut devait retrouver une vie normale, ou du moins l’espace d’un temps, que les blessés soient soignés, que les dégâts soient réparés et que les méchants soient punis sévèrement pour cet acte d’une barbarie atroce. Qui donc pouvait être aussi méchant que ça… vouloir autant de mal à des personnes pourtant pacifiques… Il y avait dans l’humanité bien des ombres machiavéliques et malintentionnées… Et il ne comprenait cela…

Mais l’heure n’était pas à de telles interrogations métaphysiques et existentialistes à la petite semaine. Il fallait qu’il dépose le gros tas de chair et d’os qu’il avait sur le dos avant de se choper un tour de rein. Même s’il était fait de pierre, ça n’en changeait rien que Richard pesait son poids, et qu’il fallait le déposer avant son réveil sinon il le prendrait sans doute mal d’être suspendu de la sorte à un élève.

Le Suédois se hâta donc de rejoindre au plus vite la porte du bureau de Mr Fish, dans l’aile qui heureusement elle ne s’était pas effondrée. Arrivé devant la porte, celle-ci étant fermée et ses mains étant prises, il n’avait d’autre choix que de foncer dessus en prenant garde de ne pas choquer son professeur inconscient. La porte ne résista pas longtemps à l’assaut de l’homme-rocher, et céda sous son poids, alors qu’il pénétrait dans la pièce, déboulant avec rapidité près du fauteuil de son référent pour l’y loger avec satisfaction, et non sans un certain soulagement peu dissimulé. Avec un siège aussi confortable, le prof était en de bonnes mains pour recouvrer ses forces. Il ne suffisait plus qu’attendre son réveil, pour tout lui expliquer, puisqu’il ne se souviendrait sans doute pas de tout ce qui s’était passé par sa faute involontaire.

Lucas reprit donc sa forme charnelle et s’installa négligemment sur le bureau de Richard, assis, regardant ça et là ce qu’il y avait d’intéressant dans les lieux, sans pour autant fouiller, tout en prêtant un œil attentif à Mister Fish…

Inconscient, Richard ne sentit pas les péripéties de Lucas pour le traîner jusqu’à son bureau. De même qu’il n’avait pas sentit ce dernier l’emmener auparavant jusqu’en salle des dangers afin d’être enfermé avec les autres professeurs. Il débuta sa progression vers la conscience lors du choc entre l’homme de pierre et la porte, ce qui eu pour effet de l’éjecter et retomber lourdement sur le dos de pierre de Lucas. Seulement il était encore loin, et ne savait toujours pas ce qu’il se passait.

Lorsqu’il ouvrit les yeux, retrouvant brutalement conscience, il se courba d’un coup et porta ses mains à sa tête, accompagné d’un « ouch » caractéristique de douleurs physiques. Il resta ainsi quelques instants, puis se redressa, pour se laisser retomber contre le dossier de son siège en grimaçant. C’est alors que Fish vit Lucas, tranquillement installé sur son bureau. Quelques longues secondes lui permirent que l’information monte jusqu’à son cerveau, en même temps que de nouvelles données sur les différentes parties douloureuses de son corps.

Richard observa longuement son élève et chef d’équipe. Pourquoi était-il ici ? Il n’avait pourtant pas quitté sa chambre... Pourtant, il semblait bien qu’il s’était passé quelque chose. Mais quoi ? Depuis que Lucas l’avait ramené, il avait dû se passer un bon quart d’heure. Les dix premières minutes, il était toujours amorphe, reprenant pied petit à petit. Maintenant, il était dans l’incompréhension, et une sérieuse migraine commençait à se faire sentir.

L’idée qu’il s’était passé quelque chose s’amplifia lorsque son regard se posa sur lui même. Il était couvert de poussière et d’égratignures, un peu de sang séché, le corps endolori. De nouveau, son regard se posa sur Lucas qui semblait avoir passé en revus toute la pièce.

« Qu’y a-t-il Lucas ? J’imagine qu’il y a... une explication à tout ceci ?»

Les sourcils légèrement froncés, le ton à la fois interrogateur et soupçonneux, Richard attendit une réponse sérieuse de son interlocuteur qui semblait avoir attendu tranquillement qu’il se réveille. Il posa les coudes sur le bureau, les paumes de ses mains appuyés contre ses yeux, la tête appuyé sur le tout. Ce n’était vraisemblablement pas la grande forme.

Richard avait mal au crâne, certes. Mais il n’avait pas imaginer que cela puisse être encore pire après les explications de Lucas. Que disait-il ? Est-ce qu’il était devenu fou ? Probablement. Il voyait mal comme il aurait pu être contrôler et faire tout ce don on l’accusait présentement. Au départ, il n’y avait eu qu’un effondrement, et cela Richard aurait pu le croire sans problème, au vu des pouvoirs de certains mutants et leur réputation. Un éboulement ? ok... déjà dur, mais assimilable rapidement. Pas comme le reste.

Lucas se leva, serrant les poings, visiblement sous le choc et énervé. Ce que Richard avait le plus de mal à admettre, ce fut la personne contre laquelle était dirigée cette colère : lui. Jamais il n’avait voulu faire quoique ce soit à l’encontre des mutants de l’institut, surtout pas des élèves, ni même contre aucun qu’il ait jamais rencontré. Il avait d’autant plus de mal à le croire qu’il ne se souvenait absolument pas d’avoir été dans les chambres des élèves. Cependant, les douleurs physiques qu’il ressentait un peu partout étaient bien la preuve qu’il n’avait pas été si inactif ces dernières heures.

Lorsque son leader termina sur les blessés à l’infirmerie, Richard posa les poings sur le bureau et se releva difficilement. Une fois debout, il semblait déjà aller mieux. Ouvrant un tiroir de son bureau intact, il en prit un tube dont il sortit un comprimé qu’il avala sans eau. Il le rangea, referma son tiroir d’un geste, et observa Lucas qui commençait à pleurer d’énervement. Ce qu’il dit ensuite, pourtant, l’acheva complètement. Il y avait eu des morts ? Combien ? Qui ? Questions auxquelles il eut tôt fait d’obtenir une réponse. Ce fut le ‘Kieran est mort’ qui résonna le plus longtemps à ses oreilles. Richard leva une main afin de tenter de calmer le jeune homme, et de le faire taire le temps qu’il assimile toutes les données.

« Kieran est mort ? Est-ce que c’est moi qui... ? »

C’était si insensé qu’il ait à poser la question... pourquoi ne s’en souvenait-il pas ? Sans doute cette histoire de contrôle mentale... C’était terrifiant de penser que quelqu’un avait disposé de son corps comme bon lui semblait, contre son gré, comme un simple pantin, une marionnette sans émotions ni volonté, et qu’il avait tué ceux pour qui il se battait depuis des années. Les questions commençaient à émerger petit à petit du fond de son crâne.

« Comment vont les autres professeurs ? »

Richard fit le tour de son bureau, récupérant rapidement de sa phase inconsciente. Le reste, il tentait d’en faire abstraction au maximum, car ce n’était pas le moment de se préoccuper de lui même. Il voulait voir par lui même les dégâts de l’institut, et pour cela sortir. Seulement Lucas était là, lui expliquant tout, et évacuant par la même occasion toute la tension qu’il avait accumulé.

« Et toi... ça va Lucas ? »

Sa question pouvait sembler stupide, car Lucas semblait en forme malgré son emportement, du moins comparé à ce qu’il disait sur d’autres à l’infirmerie. Mais il ne parlait pas de son physique, de dommage corporelle, mais d’autre chose de bien plus dur à soigner, une fois meurtri. Richard se tenait maintenant en face du jeune homme.

Lucas tremblait en attendant la réaction de son professeur, mais ses larmes de rages s’étaient peu à peu calmées pour laisser place à une sorte de crispation entière de tout son corps qui n’était pas sans lui rappeler ses premiers essais pour activer son pouvoir, essais qui étaient restés vaincs, voici plusieurs années… Et maintenant, il contrôlait parfaitement son pouvoir, et pouvait le déclencher comme bon lui semblait, à n’importe quel moment pourvu qu’il soit conscient… Mais là, c’était ses muscles qui étaient bandés comme la corde d’un arc à flèches, et c’était à cause de sa nervosité et non d’une quelconque et inutile rébellion contre le professeur qui n’y pouvait pas grand-chose, finalement, à cette catastrophe. Il n’avait été que le pantin désarticulé de puissances occultes et supérieures qu’il fallait désormais trouver et désintégrer avant que toute cette folie ne recommence à nouveau…

Il laissa monsieur Fish accuser le coup rude des paroles que le suédois venait de prononcer. Son référent semblait ne pas bien prendre du tout le fait que Kieran ait été tué, et demanda même s’il en était le coupable. Lucas préféra ne pas répondre… La perte d’un membre des Cérésix semblait suffisamment accabler Richard pour lui donner plus de détails sur le décès de ce partenaire de mission.

Il s’enquit également de la santé des autres professeurs, comprenant bien que si lui était dans cet état, ses collègues avaient sans doute dû subir d’autres sévices défenseurs de la part des apprentis-mutants peuplant l’institut. Eux avaient la chance, si on pouvait appeler ça une chance dans la conjecture actuelle, de s’en être pas mal tirés, puisqu’ils n’étaient que sommairement blessés, juste sonnés tout au pire…

Mais quand il demanda si Lucas allait bien, le mutant suédois se détendit… Il se sentit soudainement si faible face à cet homme, qui était si bon et généreux avec eux, à l’accoutumée, et qui soudainement s’était vu transformé en bête sanguinaire… Il fallait tout faire pour ne pas que ça recommence. Il fallait se mobiliser pour tenter d’échapper au sort funeste auquel un inconnu semblait vouloir les voir participer…

Il ne pouvait tenir aucune rancœur contre son professeur qui était là, debout devant lui à s’inquiéter de son état et de ses émotions vives. Il fallait faire abstraction de tout ça, pour l’institut et leur survie à tous. Ça n’était pas se lamenter indéfiniment qu’il fallait faire, c’était agir, et vite ! Mais bien… et de manière réfléchie avant tout… Aussi, il répondit, beaucoup plus calme, ne gardant de son précédent état que ses yeux rougis et des lignes humides sur ses pommettes.

« Les autres professeurs s’en sont tirés plus ou moins bien. Blessures légères ou évanouissements. Je crois que vous avez été un des plus gravement touché… »

Il regarda l’état des habits de son prof. Il avait fait une chute impressionnante, et les débris qui avaient chus sur lui étaient plus impressionnants encore. Il s’en sortait finalement bien, en arrivant à se tenir ainsi debout…

« Vous avez été ensevelis sous les décombres de votre propre chambre, et j’étais à côté de vous. Vous avez eu de la chance de vous en sortir… Moi, mon pouvoir m’a aidé à rester intact. Sans lui je serais dans un piteux état... Quant au reste… »

Il avait laissé planer une petite touche d’humour sensée alléger l’atmosphère pesante de ces révélations sans doute dures à entendre par Richard. Certainement aussi dures que de les vivre une seconde fois, consciemment, cette fois… Mais à ses derniers mots, son regard gris s’était perdu dans les yeux de son professeur, et il avança vers lui vivement pour le saisir dans ses bras et l’enlacer comme on étreint une personne retrouvée, après une longue et cruelle absence…

« Je suis content que vous soyez redevenu vous-même, Monsieur Fish… »

Puis, comme se rendant compte de son geste déplacé envers son professeur, supérieur hiérarchique et figure d’autorité, et relâcha son étreinte et se recula en rougissant.

« Pardon… »

Il était sincèrement heureux de retrouver le vrai Richard, tel qu’il le connaissait. Avec un bon fond et une grande générosité, bien qu’un peu maladroite et trop droite…

Mais alors qu’il reprenait conscience de la réalité, son regard s’embrasa de la lueur d’un nouveau combat qui venait de commencer. Il en avertit son professeur avec toute la détermination que valait la situation, espérant tout de même qu’il ne lui en voudrait pas de ce câlin arraché…

« Il faut venger l’institut, monsieur Fish. Il faut le préserver d’une nouvelle attaque possible ! Nous devons trouver les coupables et les empêcher d’agir ! Et pour ça tout l’institut doit se mobiliser, profs et élèves ! Il faut… Il faut se rassembler et préparer un plan ! Suivez-moi ! »

Remotivé par ses idées, il avait parlé avec son cœur et ses tripes. Il fallait absolument agir, c’était la seule solution envisageable. Ainsi, il tourna les talons, sans oser prendre par la manche Richard comme il en avait l’envie pour être certain que celui qui ne le quittait plus depuis l’incident ne soit pas séparé de lui. Il ne savait pas exactement où aller, mais il devait aller là où il y aurait du monde. Aussi il s’élança dans les couloirs en espérant que Factoriel le suivrait. Arrivé en haut des escaliers, il vit Monsieur Fleury se diriger vers les amphithéâtres, suivi d’Abaigh. Il décida de les suivre, curieux de voir où le directeur se rendait ainsi après avoir repris connaissance…

Salles de classe

Richard reprenait petit à petit pleine possession de ses moyens, malgré son corps endolori. De voir Lucas dans cet état le chagrinais, et de savoir l’un de ses élèves décédés quelque part par la faute de ceux qui devaient l’encadrer encore plus. Surtout que l’homme se doutait qu’il n’y avait pas eu une seule victime de ce drame, puisqu’il fallait le nommer ainsi. Désormais, il allait falloir reprendre les choses en main, et convaincre les élèves qu’ils n’étaient plus une menace. Du moins pas tant qu’ils avaient pleine conscience de leurs actes.

Lucas éluda sa question au sujet de Kieran, ce qui eu pour effet d’inquiéter Richard. Avait-il été si horrible que ça ? Apparemment, oui, et même pire... « ...face à vos clones déchaînés et diaboliques ! Vous nous frappiez, vous étiez horrible ! ». Tels avaient été les propos tenus par le leader des Ceresix, quelques instants auparavant. Il n’imaginait pas à quel point la situation avait dû être difficile pour ces jeunes mutants. Mais au moins, les profs n’étaient pas blessés, et si lui avait recouvré ses esprits, les autres sans doute également. Surtout s’il était véritablement le plus touché d’entre eux. D’ailleurs... il s’observa de nouveau. Il avait été enseveli dans les décombres de sa chambre ? C’était ça toute cette poussière ? Les douleurs en sommeil se réveillèrent toutes d’un seul coup, mais il tenta une fois de plus d’en faire abstraction. Ce n’était pas le moment de se lamenter. Il faudrait tout de même qu’il aille faire un tour dans les décombres pour récupérer quelques affaires...

En tous les cas, Lucas semblait véritablement heureux de voir son professeur redevenu lui même, et Richard fut touché par son geste spontané. Oui, la situation avait vraiment dû être difficile à vivre.

« Moi aussi Lucas... »

Il aurait voulu s’excuser, mais n’en fit rien, car le jeune homme ne lui en laissa pas le temps. Ayant soudainement retrouvé la motivation de continuer à avancer, il déclara qu’il allait falloir agir avant qu’il ne se passe encore autre chose, trouver les coupables. Laissant un vague sourire planer sur ses lèvres, Richard observa Lucas quitter la pièce avec plus d’entrain qu’il n’en avait quelques secondes auparavant. Décidant de le suivre, Richard fit un pas, grimaça en lâchant un juron, ce qui n’était vraiment pas dans ses habitudes, et reprit sa route vers la sortie de la pièce.

--> salle de classe