Défendre l'IA et l'Institut

Vu l'absence de réponse concluante, Franklin poussa un soupir. Oui, forcément, les gens ne risquaient pas de répondre vu ce qu'il demandait, mais d'un autre côté, il avait eu le mérite d'être clair.

Sa main gauche effleurant le mur le plus proche pour qu'il ait une notion d'où il se trouve, il avança lentement, plissant les yeux pour y voir quelque chose dans l'obscurité. Ce qui n'était franchement pas gagné. Il aurait besoin de Renaud, pour le coup...

Puis les personnes au sous-sol entendirent un cri, et une série de jurons, qui avaient succédé à un bruit de craquement : Franklin venait sans doute de mettre le pied dans un piège-à-loup.

"Ah vous le prenez comme ça ! Jusqu'ici j'ai bien voulu la jouer soft, mais croyez-moi, les choses vont être beaucoup plus compliquées pour vous à partir de maintenant !"

Même s'il avait une jambe estropiée, il restait un adversaire coriace...

La tension était presque palpable dans le couloir. Chris, un nouvel arrivant, venaient d'arriver accompagné de Wind. Le mécanisme du piège à loup claqua dans le couloir, mais ils n'étaient pas tirés d'affaire pour autant, la psychologue en était consciente.
Elle se releva lentement, et chuchota, en espérant que Wind l'entende :

"Larsen, éloignez-vous de cet homme."

Elle resta ensuite silencieuse quelques secondes, puis força sa voix d'ordinaire contenue pour s'adresser au phaser :

"Le meurtre de sang froid d'adolescents sans défense ne fait pas partie de ma définition du mot "soft"... Mais on ne vous appelle sûrement pas Arès pour rien, n'est-ce pas ? Si vous ne voyez pas de quoi je parle, demandez donc à votre ami Charles." répondit la non-voyante. La confrontation des possibilités ne laissait que peu de doute sur l'origine du comportement de Chris dans le jardin, surtout lorsque l'on savait qu'un empathe se promenait dans la bâtisse : si ce Charles n'était pas venu...
La main de Cassandre posée sur l'épaule de Laura se mit à trembler sans qu'elle s'en rende bien compte. Elle serra les mâchoires et ajouta.

"Expliquez donc à la jeune fille à qui vous venez de répondre ce que vous avez fait à sa petite soeur."

Cassandre venait sûrement d'ouvrir une boîte de Pandore de plus... Mais si ces mercenaires avaient une once d'humanité, peut-être comprendraient-ils.

Chris lui expliqua tout bas ce qu'il se passait. Ok quatre intrus dans l’institut, comme si ils avaient besoin de ça maintenant… qui en veulent au casque, donc, qui, d’une manière ou d’une autre, ont un lien avec l’attaque précédente, sinon comment auraient-ils su ? Elle aurait pu songer à n’importe qui d’autres qui aurait pu les épier, comme Derek Hunter par exemple, elle aurait même été bien placée pour penser à un lien avec le duo terrible qu’ils avaient dû affronter plusieurs fois, mais il fallait croire qu’elle n’était pas en état de faire des rapprochements aussi éloignés dans le temps pour l’heure… Il lui fallut un moment, déjà, pour réagir au fait que, zut, elle aurait à cet instant plutôt voulu qu’il « mime » le nombre d’adversaires pour éviter d’être entendu. C’était pour ça qu’elle lui avait pris la main d’ailleurs, elle n’avait pas trop l’habitude des contacts physiques avec les autres. A quelques exceptions près… Mais ce Franklin ne semblait pas réagir, il était peut-être encore un peu loin. Sybille. L’évocation de Miss Deneos la rassura un peu. Même s’ils en avaient après Cerebra. Elle était toujours là, et si elle ignorait encore à cet instant que l’une des autres présences était la sienne, la savoir dans les murs de l’institut constituait en un véritable soutien à un moment où elle ne pouvait que songer au fait que leurs effectifs étaient particulièrement amoindris aujourd’hui.

Bon, restait à savoir ce qu’il fallait faire de celui-là. Un phaser. Mieux valait éviter d’être trop proche de lui, sauf qu’il allait être délicat de se repérer dans le noir, même pour elle qui comptait à ce moment-là beaucoup, peut-être trop, sur son ouïe. Elle secoua négativement la tête, bien qu’il fût impossible au jeune homme de la voir, avant de répondre, focalisant toujours sa voix sur lui. Il l’avait vouvoyée, et même s’ils ne se connaissaient pas, et qu’en soi, c’était compréhensible, la distance que ça instaurait n’était pas tout à fait ce dont elle avait besoin pour l’heure… Mais soit… s’il préférait ça…

- Malheureusement non, je peux seulement faire en sorte que mes propos ne soient entendus que par vous… Je peux essayer de le déstabiliser, mais il va falloir que je sois sûre de l’endroit où il se trouve, sinon je risque de rendre tout le monde malade…

Privé de ses yeux et de tout son, leur adversaire serait sans doute plus perdu qu’elle si elle parvenait à se repérer au bruit de ses pas, ou de sa voix. D’ailleurs, un bruit sec et un cri lui permirent de le localiser au moins vaguement de nouveau. Un piège ? Les autres présences étaient donc des leurs ? Le garder en euh… que pouvait-on dire à part vue dans un cas comme celui-là ? Un chuchotement lui confirma que les autres étaient contre Franklin, qui pestait contre le piège et avait subitement perdu toute galanterie. Quelque chose qu’on frotte… et une deuxième voix, particulièrement reconnaissable cette fois, qui lui intimait de s’éloigner. Là-dessus, elles étaient d’accord.

Elle attrapa le bras de Chris et l’entraîna doucement avec elle, à reculons, tâchant de garder en tête la direction de leur adversaire en lui soufflant un « shhhh » qui se voulait pertinent, bien qu’il s’agît là d’une évidence. La suite du discours de Cassandre arrêta son mouvement, et elle se figea aussitôt. Meurtre ? Qui… qui avaient-ils encore tué ? Si elle avait jamais douté de ce que pouvait être le concept de la douche froide, Larsen y goûta à cet instant. Et bizarrement, les tiraillements de son épaule, le mal de crâne et les nausées, tout ça avait complètement disparu, de son esprit tout du moins.

*M’expliquer quoi ? Qu’est-ce qui est arrivé à River ?*

Au fond d’elle, elle avait très bien compris, sans doute, mais à cet instant, elle refusait de le réaliser. Et c’est d’une voix blanche, atone, qu’elle s’adressa au phaser.

- Qu’avez-vous fait à River ? Qu’est-ce qui est arrivé à ma petite sœur ?

Elle n’était pas là. Elle était dans un état qu’elle réprouvait la plupart du temps, qu’elle tentait de faire oublier à Iacobo et… et c’était peut-être la moment où Riv aurait eu le plus besoin d’elle. Sans qu’elle s’en rende vraiment compte, ses poings se serrèrent, et elle répéta, un ton au-dessus, une colère dont elle ne réalisait pas encore la présence, pas encore vraiment débridée, sous-jacente, latente, perçant presque imperceptiblement dans son timbre clair.

- Qu’avez-vous fait à ma sœur ?

Se frottant doucement le menton, le jeune homme réfléchissait au comment se sortir de cette merde 'transcontinentale', comme l'avait si bien dit le copain de la flotte. Car de toute évidence, les propensions allaient bien au-delà d'une simple lubie de faire montre de sa supériorité. Ca, Chris l'avait heureusement bien compris. Dommage qu'il ignora tous les tenants et les aboutissants cependant. Mais honnêtement, ce n'était pas cela qui le chagrinait au fond. C'était plutôt ce sentiment d'inutilité qu'il éprouvait face à ces monstres de puissance. Comme quoi, ils ne montraient vraiment que des conneries à la télévision. Les gentils toujours victorieux, l'union faisait la force, ben voyons. Là, les gentils se retrouvaient comme des cons. Il se retrouvait comme un con... Au souvenir du traitement glacial infligé par l'autre Chris, le jeune homme sentit son coeur se serrer de rage et d'effroi. Ca lui avait été si facile... Serrant les poings, Chris se fit alors la promesse que plus jamais il ne se laisserait ainsi malmener et ce, même s'il devait y passer. Sa fierté était tout ce qu'il lui restait pour tenir le coup face aux mésaventures de cette existence qu'il trouvait déjà bien emplie de souillures. Certes, il n'avait rien d'un gaillard débordant de courage, ni d'une personne aimant se servir de son pouvoir à tire l'arigot, mais il passerait outre voilà tout.

La jeune femme fit sortir Chris de ses songes et ce dernier se contenta simplement de l'écouter silencieusement. Ce qu'il retint de tout ce qu'elle venait de débiter ? Seulement le fait qu'elle avait eu la décence d'enfin le vouvoyer comme il se devait et qu'elle ne semblait pas maîtriser son pouvoir à la perfection. Donc, tous les résidents se retrouvaient au même point en fin de compte. Ils étaient tous dans la panade. C'est une immense décéption qui vint s'abattre sur les épaules du jeune homme, ce dernier ayant pensé naïvement qu'il pourrait compter sur les capacités des autres pour se sortir de cette impasse. Il n'était hélas pas le seul à ne servir à rien apparemment... Il n'avait désormais même pas envie de lui répondre. Etait-il possible d'être aussi malchanceux ? Il commençait gravement à en douter. Se sentant pris d'une intense irritation, Chris se retrouvait maintenant limite à supporter toutes ces présences autour de lui. D'ailleurs pourquoi les autres personnes ne se manifestaient-elles pas ? Attendaient-elles de voir d'abord s'ils pourraient servir de bouclier à toute attaque ? Oui, il était clair que Chris se méfiait de même des habitants de ces lieux. Cependant, il ne leur ferait certainement pas ce plaisir ! Après tout, il n'avait qu'à faire en sorte que le phaser leur tombe dessus avant...

A peine eut-il pensé ces quelques atrocités qu'un bruit sec, metallique, se fit cruellement entendre, plongeant le jeune homme dans un gouffre de terreur. Se figeant de tout son être, il perçu ensuite les paroles, enfin jurons plutôt, de l'ami de la matière. Ravalant difficilement sa salive, Chris eut tôt fait de comprendre ce qu'il se passait. D'ailleurs il ne fallait pas chercher loin pour deviner que le couloir avait sans aucun doute été piégé... De plus, les propos du ledit Franklin le confirmaient quelque peu. Etait-ce l'oeuvre des autres personnes tapies dans l'ombre ? Ingénieux... Simplement loin de rassurer Chris, constater l'état de l'autre gus après cela avait surtout tendance à l'alarmer. Néanmoins, le jeune homme finit par arquer les sourcils, son inquiétude faisant rapidement place à l'étonnement tandis que la jeune femme lui agrippait le bras pour l'entraîner à sa suite, le faisant reculer de quelques pas et l'éloignant un tantinet de l'ami Franklin. Son attitude aurait d'ailleurs eu de quoi le foutre en rogne un maximum s'ils ne s'étaient trouvés dans ce merdier. C'est alors sans la moindre remarque, bien que les mâchoires légèrement crispées que Chris accordait ses mouvements au siens, jusqu'à ce que celle-ci se décide brusquement à rester en place.

Pour dire vrai, s'il n'y avait eu le comportement de cette dernière, Chris n'aurait certainement pas prêté foi aux paroles de la jeune femme dont la voix, étrangement, ne lui était pas inconnue, trop occupé à batailler contre ce mal être que lui procurait le contact d'une étrangère... C'est figé telle une statue qu'il dressa l'oreille, captant ainsi chacun de ses mots. Mouais. Apparemment, les quatre zigottos n'auraient pas resisté à l'envie de commettre un meurtre eux aussi. Ca, il fallait s'en douter vu que lui-même aurait tout aussi bien pu être leur première victime... Bref, pas de quoi fouetter un chat pour Chris. Et puis, il fallait avouer qu'il trouvait cela assez gratifiant de constater qu'ils avaient su faire preuve de bonté envers lui mais pas un ou une autre. Il nota en tous les cas que le prénom du responsable ne lui disait absolument rien. Le télépathe ? L'empathe ? Mof, quelle importance après tout ? Se détendant considérablement, le jeune homme se laissa aller à un léger soupir de soulagement. Au moins l'attention du phaser serait-elle focalisée sur les demoiselles maintenant... Ne restait plus qu'à voir comment ces dernières allaient se débrouiller !

Enfin, cela aurait été si simple ainsi... Mais non, il ne lui fallait pas oublier que la destinée semblait l'avoir pris pour cible de toutes ses saloperies de farces. Et il fallait avouer que celle-ci fut bien la pire au demeurant. Alors que la jeune femme à ses côtés prenait finalement la parole, Chris sentit comme la foudre le percuter de plein fouet. Et cela n'eut rien à voir avec son pouvoir ce coup-ci... Vacillant légèrement, le jeune homme dont le coeur semblait avoir été brisé en mille morceaux en une infime seconde, se retrouvait avec les jambes flageolantes et les mains tremblantes. Il n'entendait plus rien autour de lui, ne ressentait plus rien.

*Soeur... River... Petite soeur...*

Ces mots, tels des coups de poignard ne cessaient maintenant de résonner en lui. Ne pouvant soutenir plus longtemps ce corps maintenant sans vie, Chris finit par se coller dos au mur pour se laisser tomber lentement sur le sol. PETITE SOEUR. Non, c'était pas possible ! C'était sûrement une satanée blague qu'on lui faisait ! Se retrouvant finalement face à cette cruelle vérité, le jeune homme ne put contenir un léger gémissement de douleur. Il avait déjà un mal monstre à accepter son geste, comment allait-il pouvoir s'en remettre en sachant qu'il avait privé cette jeune femme de sa petite soeur ? Ils n'avaient pas mérité ça ! Surtout comment cette River avait-elle pu seulement souhaiter mourir, laissant ainsi une partie d'elle-même derrière elle ? Chris savait le mal que cela pourrait engendrer pour cette dernière, ce qui le poussait désormais à maudire cette petite égoïste. Semblant se ressaisir quelque peu, il ne sut pas vraiment pourquoi, mais les propos de l'autre mystérieuse jeune femme lui revinrent en mémoire. Parlait-elle de River ? Mais dans ce cas, pourquoi avoir mentionné ce Charles ? Chris n'était pas devenu fou au point d'en oublier que c'était de ses mains qu'il avait ôté la vie de la jeune fille. De plus, cette jeune femme semblait bien au courant de ce qui se passait...

Qu'il réorganise ses pensées, il fallait réorganiser ses pensées ! Autant avouer que jamais il ne s'était retrouvé aussi perdu. D'ailleurs force était de constater qu'il ne comprenait pas le moins du monde le fait qu'elles s'en prennent au phaser en premier lieu. Certes, cela pouvait être une belle échappatoire, seulement Chris en avait par-dessus la tête de tous ces jeux de cache-cache. Tout ce qu'il souhaitait, c'était que sa conscience veuille bien lui lâcher un peu la bride. Et même s'il savait cela impossible. Il était condamné à survivre et non plus vivre avec cela et il en était bien malheureusement conscient. N'arrivant à réfléchir posément face à cet océan de désespoir, Chris se laissa alors guider par son coeur meurtri et finit par bredouiller lamentablement, la voix chevrotante.

"Elle... La souhaitait... Egoïste..."

Il ne put en dire davantage, sa voix se brisant sous l'effet d'une violente émotion. Dieu qu'il haïssait cette River. Dire qu'il en était arrivé à ça. Il pouvait s'imaginer la douleur de la jeune femme. Il savait que s'il arrivait malheur à Clémence, il en crèverait sûrement...

Un bruit de métal frappant les murs informa les personnes dans le sous-sol que Franklin s'était libéré du piège et à loup, et avait probablement shooté dedans.

Et l'autre là, comment savait-elle son nom de code ? Lisait-elle les pensées ? Normalement non. Renaud avait promis qu'il empêcherait des télépathes d'être trop curieux. Franklin recula légèrement, appelant Renaud. C'était pas normal que l'autre là sache ce genre de détails. Mais de quoi parlait-elle avec Charles ? Il avait encore du jouer avec ses pouvoirs...

"Quoi des filles sans défenses ? L'autre malade avec sa lance là, je l'ai juste assomée ! Qu'est-ce que vous racontez encore ? J'en sais rien moi ce qu'a fait Charles !"

Son ton était un peu moins assuré, mais au moins, il n'avançait plus. Il ne lui était toutefois pas compliqué de deviner que Charles avait joué les pousse au crime...

"Je ne lui ai rien fait à votre petite soeur ! Je sais même pas qui c'est !", s'emporta-t-il vers Wind.

Le doute. C'était peut-être ce dont elle avait le moins besoin à cet instant. Un murmure suggérait de l'assommer pour l'emmener en salle des dangers, un murmure féminin, qui citait Ephram, leur camarade muet. C'était une idée : faire comme avec les professeurs. L'avertissement de Miss Deneos dénotait sans doute que ce Franklin était fort, trop fort pour eux. Comme eux, leurs professeurs, l'avaient été. Elle avait été sur le point d'accéder à sa requête, d'user de son pouvoir dans la direction d'où venait cette voix, de tenter de le laisser dans le même état que les gardes de l'entraînement où pour la première fois, elle avait sciemment attaqué quelqu'un, même si ça n'avait été qu'une scène virtuelle. Elle savait que ça pouvait ne pas fonctionner : sur Mr Fish, ça n'avait eu qu'un effet très léger, il avait cessé d'attaquer, mais il n'avait pas été hors d'état de nuire, et ses clones avaient continué à les assaillir.

Et puis c'est la voix du jeune homme à ses côtés qui avait retenti. "Elle la voulait" ? Quoi ? Quoi ?! Qu'est-ce qu'il voulait dire par là ? Elle refusait de voir l'évidence, encore moins de l'admettre. Non, c'était impossible. Elle ne pouvait pas... Alors pourquoi les larmes roulaient-elles sur son visage ? "Egoïste" ? River, la jeune fille pleine de vie, toujours souriante et qui se faisait un plaisir d'accueillir tous les nouveaux, qui n'avait pas hésité à proposer une seconde famille à Kitty, en dépit de tout ce que leurs parents avaient pu dire ? Non River n'était pas égoïste... pas à ce point... La découverte de leurs pouvoirs lui revenait en mémoire comme elle pensait ces mots, où c'était justement ce qu'elle lui avait reproché, de ne penser qu'à son mal-être, de ne pas voir celui de ceux qui l'entouraient. Mais elle n'était pas foncièrement comme ça, non... Non...

- Non ! s'écria-t-elle soudain, réalisant à peine qu'elle ne pensait plus mais s'exprimait à haute voix, et que ses ongles enfonçaient sa chair tant elle serrait les poings. River ne peut pas vouloir ça ! Elle cherche toujours à aider les autres...

Et est-ce qu'elle y arrivait ? L'aînée était bien placée pour savoir ce que ça pouvait être, ce qu'on pouvait ressentir, lorsque nos efforts restaient vains, lorsque, quoi qu'on fît, on n'arrivait pas à aider les autres, on ne faisait que les embarrasser davantage, qu'à être un poids pour eux. Depuis quand n'avaient-elles pas parlé sérieusement toutes les deux ? Depuis quand n'avait-elle plus vraiment été l'écoute attentive qu'elle avait toujours pensé être pour sa cadette ? Jen venait la voir, Nan l'avait appelé une fois, et Iacobo... mais sa propre soeur ? Elles avaient beau partager la même chambre, depuis combien de temps n'avaient-elles plus pris un moment seules toutes les deux ?

Un bruit métallique se répercuta dans le couloir et la tira de ses songes, juste avant que celui que la psychologue avait nommé Arès ne reprenne la parole. L'autre malade avec sa lance ? Qui ? Elle avait beau chercher, elle ne voyait pas de qui il pouvait parler. Et qui était Charles ? Elle tâchait de se remémorer les propos du jeune homme près d'elle, un peu plus tôt. Chris était l'hydrokinésiste, donc Charles... le télépathe ou l'empathe ? Qu'avait-il fait ? Qu'avait-il fait que son camarade savait et qu'elle ignorait ? De quoi son voisin avait-il été témoin ?

"Je n'ai rien fait, je ne sais même pas qui c'est". Comme la fille à la lance dont elle ne visualisait pas l'identité mais qui était une des leurs. Comme eux tous. Ca ne les empêchait pas d'attaquer, pour récupérer Cérébra, soit-disant "gentiment" alors qu'ils n'hésitaient pas à assommer, blesser ou... Même ses réflexions bloquaient sur l'idée de mort, elle pouvait encore moins prononcer les mots qui pourtant, tout au fond, faisaient leur chemin dans son coeur.

- C'est bien le problème, reprit-elle à voix basse, plus douce, presque attentionnée, contrastant avec ce qu'elle allait dire, ce qu'elle ressentait aussi. Vous ne savez pas qui nous sommes et vous n'en avez rien à faire. Vous êtes venus chercher quelque chose qui ne vous appartient pas, et vous vous fichez pas mal de ce qui peut arriver à ceux qui sont ici. En définitive, vous agissez juste comme des voyous. Vous écrasez les autres parce qu'ils vous gênent ou parce qu'ils ne réagissent pas comme vous le souhaitez... Je ne sais pas quel but vous cherchez à atteindre, mais ça ne vaut pas mieux que les humains qui nous traquent parce que nous sommes différents. Eux ils ont peur, cependant. Vous, vous cherchez juste à avoir plus de pouvoir...

Vrai ou faux ? Elle se trompait peut-être totalement sur leur compte, elle n'en savait rien en définitive, mais à cet instant, ça n'avait pas la moindre importance : Ils avaient fait du mal à ceux qu'elle aimait, ils ne pouvaient pas avoir de bonnes intentions. Et elle ne pouvait pas les laisser continuer. Alors après avoir parlé, elle avait tenté d'enclencher son pouvoir, finalement, et d'accéder à la demande de celle qui accompagnait Miss Deneos et Phasm bien qu'elle ignorât de qui il s'agît, de mettre celui-là KO par infrasons, de sorte qu'ils puissent le transporter en salle des dangers. Et éviter d'en avoir plusieurs à gérer en même temps.

Partir, Chris n'avait maintenant plus qu'une envie, s'en aller le plus loin possible. Loin de cette jeune femme qu'il avait privée de sa petite soeur, loin de toute cette agitation, bref, loin de cet institut qui au final, n'était pas l'endroit qu'il espérait. Vouloir croire en un refuge pour les mutants, croire qu'il pourrait enfin peut-être s'ouvrir peu à peu aux autres sans qu'on le regarda avec dégoût et mépris tout en sâchant ce qu'il était. Quelle cruelle illusion. Levant les mains, il se rendit compte à quel point il lui était devenu difficile d'esquisser le moindre geste. Le voulait-il seulement ? Il ne savait plus. Effleurant doucement sa joue de son pouce, il prit finalement conscience qu'il n'avait pu s'empêcher de laisser couler ses larmes. Dire qu'il avait toujours été loin d'être un pleurnicheur... Même lorsqu'il avait appris la mort de sa mère il n'avait versé la moindre larme... Seulement il en était arrivé à un point où contenir sa souffrance lui était impossible, il n'en avait plus la force. Malheureusement, ça n'était pas ainsi qu'il pourrait faire s'envoler cet énorme poids qui lui vrillait le coeur. Le pourrait-il seulement ? Ses parents avaient toujours montré qu'ils étaient fiers de lui avant que sa vie ne vienne à lui échapper totalement, que penseraient-ils d'un fils meurtrier ? Quelle belle façon de rendre hommage à la mémoire de sa mère ! Rien qu'à cette pensée l'oppression se fit plus insoutenable et les larmes du jeune homme redoublèrent.

Le cri, telle une plainte de douleur de la jeune femme se fit entendre et Chris sentit son coeur se déchirer un peu plus. Il aurait tant souhaité pouvoir lui dire qu'il ne s'agissait en fait que d'une stupide farce de très mauvais goût... Mais la réalité était toute autre hélas. Levant légèrement le visage vers l'endroit où se trouvait postée la jeune femme, il laissa son regard brouillé de larmes errer quelque peu dans le vide impitoyablement obscur avant de finalement fermer les yeux. Le jeune homme poussa un long soupir emprûnt de souffrance, s'imaginant maintenant les traits de cette dernière, emplis de douleur. Pour lui, il ne faisait aucun doute sur ce qu'elle pouvait ressentir à ce moment-là... Et cela le faisait atrocement souffrir. Etait-ce cela avoir mal pour quelqu'un d'autre ? Pour la première fois, Chris éprouvait de la peine pour une autre personne hormis Clémence et constater cela ne faisait qu'ajouter à son désespoir. Il sentait de même que toutes les défenses qu'il avait érigé contre le reste du monde depuis toutes ces années étaient sur le point de sombrer et cela le terrifiait énormément. C'est lorsqu'elle fit mention de River et du fait qu'elle cherchait toujours à aider les autres que Chris prit conscience qu'en fin de compte, c'était lui l'égoïste, et non pas la jeune fille. Il avait pourtant vu, sentit même sa souffrance, alors pourquoi n'avait-il pas cherché à l'aider ?

Au lieu de cela... Serrant douloureusement les mâchoires, le jeune homme gardait toutefois les yeux obstinément clos. Si seulement il pouvait rester ainsi pour l'éternité, ne plus jamais avoir à poser le regard sur toute cette réalité... C'était sans compter le boucan que produisit alors le phaser qui devait certainement s'être débarrassé de son piège. Chris en sursauta violemment tant il était à mille lieux de tout cela. Pour dire vrai, il en était même arrivé à oublier Franklin l'espace de quelques minutes... Analysant, bien que difficilement les propos de celui-ci, il comprit néanmoins qu'il parlait de Hjördis et il ne put s'empêcher de ressentir une vive pointe de soulagement sâchant qu'elle était toujours en vie. Même elle il l'avait abandonnée à son sort alors qu'il s'était dit prêt à combattre à ses côtés. Mais quel genre de personne était-il donc au fond ? Chris se sentait de plus en plus désorienté et ne cessait maintenant de se poser moultes questions sur lui ainsi que son existence entière... Ses larmes s'étaient finalement taries sans qu'il ne s'en rende réellement compte mais il n'en allait pas de même pour cet abîme de détresse. Charles... Pourquoi entendre ce prénom de la bouche de l'autre surfer lui laissait comme un sentiment de malaise et faisait-il battre son coeur ainsi ?

Sombrant dans une réfléxion sans nom, Chris fut soudainement assailli par une multitude de souvenirs, tous aussi étranges les uns que les autres tandis que la jeune femme s'adressait avec douceur au surfer phaser. Douceur qui aurait sans doute interpelé Chris au vu des circonstances si ce dernier n'avait été maintenant complètement déconnecté. Il se revit dans le hall avec Hjördis, se remémora ce sentiment d'extrême panique. Son besoin soudain de fuir... Ce regard qui ne cessait de le dévorer. Ce regard ? Fronçant le sourcils, le jeune homme sentit son souffle s'accélérer tandis que les événements se bousculaient de nouveau dans sa tête. Le jardin, l'éléctrocution involontaire de River, la brusque rage quasi maladive qui s'était emparée de lui... Redoutant de découvrir où risquaient de le mener ses pensées, Chris se prit la tête entre les mains, secouant presque avec brusquerie cette dernière. Non ! Il ne voulait plus repenser à tout ça, il ne voulait plus ! Il ne demandait qu'à oublier ! Malgré lui, l'image de River larmoyante à ses pieds, lui suppliant de l'aider lui revint. Cette étrange colère plus que glaciale qui l'avait poussé à franchir toutes les limites. La mystérieuse jeune femme qui avait qualifié ce Charles comme responsable. Le pire dans tout ça c'est qu'il sentait au fond que cette dernière savait de quoi elle parlait. Mais alors qu'est-ce que tout cela signifiait ?

Le jeune homme était sur le point de comprendre, tout semblant converger dans la même direction, mais se le refusait obstinément de peur de sombrer encore plus. Admettre qu'au final il n'avait été que l'instrument d'un malade qui avait honteusement profité du chaos qu'étaient ses sentiments pour assouvir ses propres envies de meurtre était plus qu'il ne pouvait supporter. Merde ! Mais pourquoi lui ? Chris se sentit pris d'une rage folle contre ce type qui l'avait utilisé tel un vulgaire pantin. Le corps tendu et tremblant, il finit par se relever avec le soutien mural. Chancelant légèrement, il se força du mieux possible à dompter ses jambes quelque peu prises de bougeotte. Il n'avait plus qu'une envie désormais, retrouver ce Charles et le buter, aussi puissant qu'il puisse être. Au moins savait-il qu'il s'agissait d'un visage encore inconnu... Les autres, là, il s'en foutait diablement. Tout son être ne réclamait que vengeance envers ce salopard d'empathe à en devenir presque une obsession... Dire qu'il serait passé à côté de ça si la mystérieuse jeune femme n'avait abordé le sujet ! De quoi lui donner quelques sueurs froides. Reprenant conscience de la présence non loin de lui, il serra les poings. Au moins pouvait-il faire cela pour elle... Elle qui souffrait par sa faute... Esquissant un pas en avant, Chris lui chuchotta d'une voix éteinte.

Je suis désolé pour la mort de votre soeur... Mais je ferai en sorte que les responsables soient punis comme il se doit...

S'interrompant quelques secondes, il reprit, la voix quelque peu brisée cette fois.

"Je retire de même ce que j'ai dit... C'est moi l'égoïste dans toute cette tragédie, pas votre soeur... Et... J'ai menti, elle ne souhaitait pas mourir..."

Au moins pouvait-il l'empêcher de vivre avec l'idée que cette partie d'elle désirait rejoindre les cieux. Reprenant finalement sa marche vers le phaser, le coeur lourd et ne cessant de hurler "A mort le Charles !". Certes, il était bien conscient qu'il n'avait aucune chance, mais il ne s'agissait plus de se préserver maintenant. Il venait d'assurer à la jeune femme que les responsables seraient punis. Et pour Chris cela en venait à miser sa propre vie car il était tout aussi responsable que l'autre... Et puis que valait-elle désormais ? Plus grand chose au final. Sentant qu'il se rapprochait du surfer, le jeune homme leva le bras et réfréna tant bien que mal ses sentiments pour réussir à faire appel à son pouvoir. C'est ainsi qu'il le concentra uniquement sur ses mains pour éviter que l'éclairage n'aide celui-ci à se rendre compte de la position des autres. Tiens... Bizarre d'ailleurs qu'il pensa à les préserver... Seulement cette pensée ne fit pas long feu dans son esprit, vite remplacée par ce regard qui en était venu à gâcher son existence en même pas cinq minutes. Tendant finalement le bras devant lui, Chris envoya une décharge longer le couloir. Qu'il l'atteigne ou non, peu importait, son principal but était de quitter les sous-sols, quitte à devoir batailler avec Franklin et se mettre à la recherche de cette enflure dont le prénom le dégoûtait tout autant que celui qui le portait...

Le mot "meurtre" prononcé par Cassandre retentit dans l'esprit de Laura. Plus de morts ! Elle ne voulait plus de morts ! Que s'était-il passé ? Plus de morts ! Ces types avaient tué quelqu'un et Cassandre le savait, parce que Cassandre savait tout et qu'elle n'allait sûrement pas dire des bêtises pour les déstabiliser. Mais l'effet était le même... Qui était mort ? Il fallait les empêcher d'atteindre Cérébra. Qui était mort ? Vite, défendre l'institut, faire quelque chose, survivre. Au fur et à mesure que le coeur de la jeune fille s'accélérait, la main de la psychologue tremblait sur son épaule, ou peut-être était-ce l'inverse, mais cela restait un cercle vicieux, plus cette main tremblait, plus l'adolescente était terrifiée, ce qui ne devait pas être rassurant pour Cassandre non plus. Puis elle parla de petite soeur... La voix de Wind s'ensuivit.

*Non, Cassandre parlait de River quand elle disait meurtre ?*

Laura porta une main à son coeur, elle ne pouvait pas croire River morte, car River était juste l'une des personnes les plus vues dans l'institut, qu'elle fut aimée ou pas ne changeait rien. Non, River n'était pas morte et personne n'était mort. Tout le monde irait bien, pour l'instant il fallait se concentrer sur leur mission du jour. Il fallait faire quelque chose ! Laura ne pouvait certainement pas dessiner des choses complexes avec sa vision limitée voire inexistante dans le noir, mais des choses simples... Des carrés, des ronds... Que faire avec cela. Mina lisait le mot d'Ephram... Non la jeune fille ne prendrait pas le risque de l'assommer. Elle comptait encore sur les pièges, après tout, cela avait marché, mais le garçon ne tarda pas à s'en débarrasser. Puis il parla, mais Laura n'écouta pas, elle était concentrée sur un moyen de dessiner quelque chose de simple.

*Un truc qui peut le blesser... Ou au moins le déstabiliser, le faire tomber...*

Une image toute bête vint à l'esprit de Laura, celle de Jerry vidant un sac de billes pour faire tomber Tom. Cela devait sûrement marcher dans la réalité et pas seulement dans les dessins-animés, mais il faudrait dessiner beaucoup de billes. Rapidement, elle saisit son crayon et fit des ronds en leur donnant du volume en remplissant à l'intérieur par des ronds aussi. C'était simple à faire, même dans le noir, c'était rapide, elle en avait déjà fait cinq en une dizaine de secondes. Tout en continuant, elle murmurait à Mina :

"Tu peux viser, toi qui vois là... L'idéal ce s'rait que si ça marche, si ça apparaît, que tu fais rouler les billes sous ses pieds. Avec un peu de chance, il s'mangera bien fort."

Elle n'écoutait plus ce que disaient les autres, pourtant elle devait, elle était plutôt concentrée sur ce qu'elle faisait, terrifiée à l'idée d'une mort certaine. Si ces intrus étaient des meurtriers, autant essayer de les neutraliser le plus vite possible.

Franklin semblait ne plus bouger. Attendait-il des renforts ? C'était le plus probable... Il n'était pas en position de force en l'état, et préférait donc se tenir à carreaux. D'autant que Wind et ses jérémiades occupait l'espace sonore... Elle eut tout de même droit à sa réponse.

"Vous vous trompez. On ne cherche pas le pouvoir. Juste à résoudre des problèmes. Et si vous n'aviez pas voulu jouer les héros, nous n'en serions pas là à l'heure qu'il est."

Sa tentative de l'assomer n'avait pas fonctionné... Sans doute était-elle trop affectée par la mort de sa soeur pour parvenir à suffisamment se concentrer.

Chris, pour sa part, était parvenu à avancer dans le couloir sans marcher dans un piège. Le destin avait été de son côté... Il n'avait pas rencontré le phaser, et n'était pas non plus parvenu à faire autre chose qu'un peu d'électricité sur sa main, qui ne parvint même pas à faire une étincelle. Décidément, il n'était pas capable de grand chose. Ce sentiment était-il de lui, pour la peine ? O bien l'empathe avait-il à nouveau jeté son dévolu sur sa personne ? Ce type de paradoxe insoluble avait de quoi rendre dingue même la plus saine des personnes.

Mina partie, Laura constata qu'elle était parvenue à faire apparaître les billes en question. Mais la harpie était maintenant trop loin devant pour être utile.

Mina pouvait voir que Franklin s'était assis contre un mur, et tenait son mollet droit. Mais alors que la harpie avançait prudemment, il y eut un bruit étrange. Elle venait de marcher dans une flaque d'eau. Elle put alors constater qu'un filet d'eau occupait le couloir. Relevant les yeux, elle vit que deux autres personnes étaient arrivées.



Le premier alla directement vers Franklin, et le regarda sans dire un mot, puis attrapa le bras du second



pour l'accrocher à Franklin. Mina put alors voir une partie de l'eau monter sur le mollet de Franklin et se solidifier.

Le premier se releva alors tranquillement, puis regarda Mina un bref instant. Il regarda ensuite Chris, en travers du couloir, Wind, Laura, Ephram... Visiblement, il n'était pas importuné par l'obscurité.
Puis il se reporta à nouveau sur Mina et la regardant nettement plus intensément, avant de prendre la parole.

"Eh bien dites donc, on peut dire que vous ne voulez pas qu'on y touche, à votre Cerebra... Vous avez même piégé le couloir, et quelqu'un a pris le soin de changer de place les pièges pour que je me trompe en lisant les pensées. Heureusement que la harpie a pris le soin de vérifier où elle mettait les pieds."

Mina put voir que l'hydrokinésique aidait Franklin à se relever.

"Votre acharnement et votre obstination sont louables, bien qu'un peu idiot... Chris, je comprends que tu veuilles te venger de Charles, crois-moi... Mais tu n'as pas la moindre chance, et tu seras sans doute beaucoup plus utile à tes amis si tu restes en vie."

Il se tut un instant, puis repris.

"Vous serez ravis d'apprendre que vos amis à Paris ont accompli leur mission. Je n'arrive plus à sentir les télépathes de Paris en action, vous avez de quoi être fiers de vous. Vous pouvez aussi être fiers d'avoir tenu Ganymède en difficulté. Nous allons vous laisser en paix."

Franklin conclut, "Sans racunes, les filles..."

Mina eut alors un moment d'absence. Quand elle reprit ses esprits, ils n'étaient plus là. Seule Cassandre les avait vu partir, alors que tous les autres élèves, dénués de boucliers psy, n'avait pas pu résister à l'effacement mémoriel qui avait accompagné leur départ.

Du hall

Ca faisait bien...pouf...une minute trente qu'il ne s'était rien passé d'imprévisible. Frigg démontait son hâchoir, Kitty ne leur fit pas de démonstration d'une nouvelle maladie, du genre trouble bipolaire ou syndrome de Tourette, Yrianna avait rangé ses mouches, Renaud restait courtois, et son sbire à la manque se la jouait maître zen mystérieux, avec une phrase sans doute énoncée par le boss de fin du dernier jeu vidéo qu'il avait fini. Elle-même avait réussi à n'insulter personne. Un étrange climat de sérénité s'était installé, avant que le petit groupe ne choisisse d'aller vers le sous-sol. Camille était pas top pour l'idée : si la défense était efficace, alors les deux gangsters seraient plus gênés sans otages à portée de main. Mais bon, elles pouvaient tout autant servir de renforts au cas où. Enfin, de renforts...de cibles supplémentaires, ou de secondes gagnées, ça dépendait du point de vue.

Renaud et Machin descendirent les premiers, et sans grande surprise le télépathe ne fut pas surpris de l'obscurité, se repérant "comme si" il avait fouillé les pensées de quelqu'un. Comme si. Des quatre présents, il était certainement celui envers lequel Camille était la moins rancunière, peut-être le seul qu'elle n'agresserait pas sans préavis - quelles que soient les conséquences - en cas de rencontre ultérieure. Kenny était irrécupérable, et Volvic était demeuré. Quand à Charlie, il était aux abonnés absents. Ou bien il avait compris que ses potes suffisaient, ou bien il avait rencontré Alixtide ou River - qui étaient aussi aux abonnés absents - et il entreprenait une fascinante étude sur les troubles comportementaux. Est-ce que les sentiments du cochon breton étaient réellement humains ?

Ils parvinrent dans un couloir que Truc tapissa consciencieusement d'eau. En créant les oiseaux, il prouvait qu'il avait au moins un certain sens de l'esthétique - et de la prétention. Là, il perdait sa seule qualité. Triste. Elle ne voyait pas ce qui se passait, et renonça à demander à ce qu'on sèche ses chaussures, vu ce qu'elle avait pris sur le coin de la figure tout à l'heure. Kenny devait être dans le coin, puisque Renaud ne s'inquiétait pas de sa présence lorsqu'il se mit à parler. Et il ne devait pas être dans Cérébra, sinon ils ne seraient certainement pas arrêtés à un tel endroit. Elle avait l'impression qu'il y'avait des étincelles, et pria pour que cet abruti d'hydrokinésiste n'ait pas fait disjoncter tous les circuits électriques du bâtiment avec ses âneries.

Le petit discours du télépathe était assez respectueux, et confirma tout le pas trop de mal que la Bretonne pensait de lui. Elle déduisit aussi, par élimination, que grosse loque s'appelait Chris, ce qui était sans doute l'information la moins utile de la journée, mais à laquelle il faudrait malheureusement qu'elle se fasse. Enfin, elle apprit que le phaser avait été gêné, et ça, c'était bien, car il n'était certainement rien arrivé à Laura, et que les Parisiens avaient réussi, ce qui n'était pas forcément bien, parce que malgré son style, Renaud devait certainement considérer des pertes humaines comme minimes en cas de succès d'une mission, donc son communiqué n'engageait la survie individuelle d'aucun de ceux qui avaient été envoyés en France.

Puis tout le monde disparut, et elle se retrouva comme une gourde dans un couloir piégé noir comme la suie. Et se sentit stupide, mais stupide...

Hého ! C'est Camille ! Vous allez bien ?

Elle ne pouvait pas avancer, n'ayant pas la moindre idée des engins utilisés par l'équipe de l'étage d'en-dessous pour sécuriser les lieux. Elle avait aussi d'autres interrogations, comme : pourquoi grosse loque voudrait-il se venger de Charles ? Il l'avait obligé à un strip au milieu du jardin ? Il l'avait forcé à smacker Alixtide ?

Si quelqu'un pouvait rallumer la lumière, ce serait sympa !

Cassandre accueillit sans surprise l'arrivée des deux autres mutants, ainsi que la nouvelle que le télépathe ne tarda pas à leur annoncer.
Bien entendu qu'ils avaient réussi... Avec les chances qu'elle avait mises de leur côté. Mais à quel prix ? Le moindre certes, mais l'addition gardait un goût amer.
La voix lasse et monocorde de la psychologue résonna dans le couloir, suite à la disparition du commando.

"Cérébra." dit-elle, marquant une pause. Sa main abandonna l'épaule de Laura, le danger étant écarté. Ses pas lents de métronome résonnèrent dans l'obscurité totale du sous-sol.

"Rallume la lumière, s'il te plaît."

Elle se rapprocha de Wind et Chris, évitant les yeux fermés les pièges avec une précision déconcertante. Sa gorge était quelque peu nouée. La préscience n'y changeait rien.
Elle hésita, comme cela lui arrivait si peu, devant Wind, puis articula ces quelques mots :

"... Tu peux m'en vouloir, Wind. Je m'en veux... d'être ce que je suis." dit-elle le visage grave, la brume de son regard perdue dans sa propre culpabilité. Quelque part, elle espérait que Wind la déteste pour son impuissance à dévier le destin de sa soeur, pour son éternel mutisme quant à l'avenir. Une gifle, des insultes, autant des réactions qui auraient jeté un sel mérité sur sa plaie intérieure, sur ce dégoût face à sa situation de spectatrice accablée. Une punition qu'elle ne pouvait s'administrer elle-même, mais qui par l'intermédiaire de Wind trouverait une forme d'exutoire.

Pourquoi tout se passait aussi vite. Pourquoi ne réagissait-elle plus ? Son pouvoir n’avait pas fonctionné, elle pensait le contrôler mieux que ça, mais à l’évidence, si elle arrivait à faire en sorte qu’il ne se déclenche pas de manière intempestive, elle n’était pas encore à l’abri de ne plus pouvoir le déclencher sous le coup de l’émotion. Alors pourquoi à cet instant, n’avait-elle plus sentiment de sentir quoi que ce soit ? Elle ne sentait plus l’hématome qui lui couvrait de bleu, de violet et de vert une bonne partie du visage. Elle ne sentait plus son bras remis en place la veille par Joachim. Elle ne sentait plus la migraine éthylique qui lui martelait le crâne tout à l’heure, ni les vertiges, ni les nausées. Elle ne sentait plus non plus les larmes qui roulaient sur ses joues.

Comme de très loin, la voix de Chris résonna, et elle ne fit rien pour l’arrêter. Elle ne cherchait même pas à savoir pourquoi il avait menti, elle n’avait pas vraiment l’impression de comprendre qu’il avait été là quand River avait été tuée, et était bien loin de se douter qu’il en était l’auteur, arme improvisée dans la main d’un des quatre intrus. Elle n’entendit plus les voix des autres, tapis dans l’obscurité, et ne reconnut donc pas celle de Laura. Peut-être que savoir la petite fille encore en vie l’aurait aidée, peut-être que la savoir si près des intrus l’aurait paniquée. Elle n’avait rien entendu, à cet instant, et peut-être qu’au fond, c’était aussi bien ainsi. Elle entendit de très loin la voix de Franklin, et pourtant ce qu’il venait de dire resta gravé dans son esprit. « Si vous n’aviez pas voulu jouer les héros, nous n’en serions pas là à l’heure qu’il est ».

*Je ne suis pas un héros. Ou plutôt une héroïne, mais qu’importe, je n’en suis pas une. J’ai abandonné Cloud et Rain, laissé mon frère partir, Tim partir, et j’ai… j’ai laissé ma sœur mourir…*

Inlassablement, ces quelques phrases se répétaient dans son esprit. Quelque part, une voix suggérait à Chris – c’était le jeune homme avec qui elle était tout à l’heure ? Elle n’en était pas certaine du tout, elle n’était sûre que d’une chose à cet instant, et elle aurait préféré que ça ne fût pas le cas – d’abandonner ses velléités de vengeance s’il tenait à la vie. Et si lui n’y tenait pas, elle si.

*Plus de morts… par pitié… plus de morts…*

Même les derniers mots de Franklin lui parvinrent comme un lointain écho, et elle ne répondit pas, ne bougea pas. Dans l’obscurité, peu d’entre eux pouvaient voir comme elle restait immobile, figée sur place par ce qui venait de se passer, ce qu’ils venaient d’entendre. Effacement mémoriel ou pas, elle n’aurait sans doute pas vu les intrus s’en aller, elle ne voyait rien, et n’entendait plus grand-chose.

Et puis la voix de Camille résonna dans le couloir, s’inquiétant du sort de ceux qui se trouvaient là, demandant le retour de la lumière. Elle ne voulait pas. Elle ne voulait pas les voir, et elle ne voulait pas qu’ils la voient. Mina relançait et un murmure s’échappa de ses lèvres :

- Non… ne rallumez pas…

Et la voix de Cassandre se joignit à celle des autres, et Cerebra obéit. Elle ferma aussitôt les yeux, aveuglée par la soudaine clarté, et refusa obstinément de les rouvrir, de voir les visages de ceux qui se trouvaient là.

"... Tu peux m'en vouloir, Wind. Je m'en veux... d'être ce que je suis."

Combien de temps resta-t-elle immobile et silencieuse après ces quelques mots ? Combien de temps son esprit mit-il à comprendre ce qu’elle voulait dire ? Elle l’ignorait. Tout ce qu’elle savait, c’est qu’elle venait de comprendre que la mort de River n’était pas un hasard, que parmi tous les futurs que la psychologue avaient pu voir, c’était celui-ci qu’elle avait choisi. Parce qu’il était le moins coûteux ? Pour qui ? Quelque part, la responsabilité de ce qui venait de se passer ne pesait plus sur ses épaules… Alors pourquoi se sentait-elle aussi mal ? Elle avait beau faire tous les efforts possibles, elle ne parvenait plus à masquer sa douleur, et elle s’effondra en lâchant un cri rauque qui résonna à travers le couloir, à genoux devant eux tous, les larmes roulant de nouveau sur ses joues et d’amers sanglots secouant ses épaules.

- Qu’aviez-vous vu d’autre ? articula-t-elle tant bien que mal entre deux sanglots. Combien de nos vies sont sauves parce que River est morte ? Pourquoi a-t-il fallu que ce soit-elle ?

*Pourquoi n’avez-vous pas fait en sorte que je prenne sa place ?*

[C'est nul, j'ai envie de pleurer aussi... T_T]

Toujours derrière Camille Kitty atteignit les sous-sols. Mais la petit fille ne voyait rien. Les lumières avait été complètement éteinte. Elle avançait à tâtons en se tenant au mur. L'hydrokinésiste ne put s'empêcher de tapisser tout le couloir d'eau. Décidément il aimait bien jouer avec l'eau celui-ci. La petite fille ne savait pas vraiment où elle se trouvait exactement et ne rien voir ne la rassurait pas. Le télépathe leur annonça alors que l'équipe de Paris avait réussis leur mission. La petite fille espérait qu'il en serait de même pour celle de Gabriel. La petite fille ne comprit pas ce que le télépathe voulait dire quand il parla à Chris. Mais ce qui l'étonna le plus c'est qu'il les félicite et qu'ils repartent ainsi. Malgré tout, il semblerait qu'ils aient réussit à défendre Cérébra. Mais ils étaient quatre alors où se trouvait le dernier membre de cette petite équipé ? Celui que Renaud appelait Charles. Bon il était un peu tard pour se poser la question et de toute manière, ils allaient partir.

La petite fille était soulagée que tout cela se termine. Bizarrement elle n'avait pas vu les trois mutants s'en aller. Pourtant elle aurait dû au moins les entendre remonter. La gamine se sentait un peu bête sur le coup. Mais ne s'en préoccupa pas plus que cela. Elle entendit Camille qui demandait que la lumière soit rallumée et Mina qui lui répondit de ne pas avancer. Ainsi ils avaient piéger le sous-sols. Cela fit sourire la petite télépathe. Puis la vois de Mlle Cassandre résonna dans le couloir. Elle demanda alors à Cérébra de rallumer les lumières ce qui se produisit très rapidement. Mais elle ne comprit pas les paroles que la psychologue disait à Wind. Pourquoi elle disait à sa grande soeur de coeur qu'elle avait le droit de lui en vouloir ? Kitty regardait les deux jeune femme avec un air d'incompréhension sur son visage. Puis les paroles de la X-Rays s'abattirent sur elle comme un coup de poing.

Non , ce n'était pas possible ! River ne pouvait pas être morte. C'était impossible. Elle était surement dans le jardin. Oui elle devait être dans le jardin. Pour la première fois, la petite mutante vit Wind pleurer. Mais pourquoi elle pleurait ? C'était surement une erreur. River était encore en vie. Mais l'attitude de sa grande soeur de coeur fit douter la fillette. La petite fille s'était arrêter à quelques mètres de Wind et de Cassandre, en ayant pris soin d'éviter les pièges. Puis sa voix clair et enfantine résonna à son tour dans le couloir du sous-sols :

"Dites, c'est pas vrai hein ? River n'est pas morte ? Je veux pas le croire ! Elle est surement encore dans le jardin. C'est là qu'elle est allée tout à l'heure. Elle est encore en vie !"

La petite mutante avait presque crier les derniers mots.

*Non, c'est impossible. Elle est toujours en vie.*

Et pourtant, sa grande soeur pleurait et elle ne l'avait jamais vu pleurer. Les larmes montèrent aux yeux de la fillette. Kitty ne voulait pas y croire. Mais pourtant en voyant Wind ainsi, la petite télépathe doutait de ce qu'elle pensait être la vérité. Tout cela lui tournait dans la tête. Elle ne voulait pas faire face à la réalité. Elle avait déjà perdu ses parents, elle ne voulait pas perdre sa nouvelle famille. La petite mutante ne voulait qu'un truc retrouvait un état d'ataraxie, que tout redevienne comme avant. Elle ne put empêcher les larmes de commencer à rouler sur ses joues et des faibles sanglots commencèrent à se faire entendre. Kitty n'avait pas bougé et attendait des réponses.

*Sa-lo-pe-rie*

Ce fut la seule pensée qui traversa l'esprit de Chris lorsqu'il constata avec impuissance que son pouvoir l'abandonnait de nouveau en cours de route. Punaise mais c'était quoi cette hécatombe ? Ce don, comme l'appelaient certains, ce fléau, comme il l'appelait lui, n'avait cessé de n'en faire qu'à sa tête depuis le début ! Incroyable, à croire qu'il ne faisait pas partie de lui et qu'il avait une volonté propre ! Volonté de le gonfler au plus haut point de toute évidence. Flippant... A moins que... Réprimant un long soupir teinté d'impatience, Chris se fustigea copieusement. Qu'il en vienne à penser que l'empathe pouvait de nouveau l'avoir pris en grippe... Non, il ne fallait pas qu'il se laisse entraîner par la paranoïa ! Serrant brutalement les poings, le jeune homme tenta de nouveau de dompter ce dernier bien qu'il douta au fond que cela fut vain.

*Merde ! Mais pourquoi tu me fais ça maintenant ? Je vais bien bordel, ça devrait pourtant marcher !*

Le jeune homme était totalement désespéré et se sentait pris d'une furieuse envie d'éclater en sanglots de nouveau. Il fallait qu'il réussisse bon sang ! Il devait retrouver ce Charles sinon plus jamais il ne pourrait se regarder en face et surtout il se retrouverait à vivre encore une fois avec cette foutue envie de vengeance. Il en avait assez bavé de ce sentiment qui lui avait rongé les entrailles durant plus d'un an. Non, il n'était pas question qu'il revive cela ! Alors que son rythme cardiaque s'accélérait dangereusement, saccadant quelque peu sa respiration, Chris entendit les paroles du phaser. Paroles qui l'ébranlèrent malgré lui. Jouer les héros ? Qu'avait-il pu faire pour en arriver à être la victime d'un psychopathe ? Rien ! Absolument rien ! Il n'avait rien d'un héros et au contraire avait tout fait pour éviter de mettre sa vie en jeu ! Alors pourquoi ? Pourquoi avait-il cotoyé la mort et l'avait-il donnée ? Méritait-il réellement tout cela ? Laissant retomber ses bras le long de son corps, le jeune homme resta un long moment immobile, le regard perdu dans l'obscurité. Cette douleur... Si forte qu'elle en venait même à le faire souffrir physiquement. Si seulement il pouvait l'oublier...
Et ce sont les propos du dandy télépathe qui empêchèrent Chris de sombrer dans un brusque état catatonique. Cerebra ? Ah... N'était-ce pas pour cette chose que tout le monde ici s'évertuait à risquer sa vie ? Et il s'était retrouvé à jouer l'un des plus mauvais rôle, lui qui ne connaissait rien de cette institution. Cet état de fait eu d'ailleurs le don de lui arracher un étrange sourire emprûnt d'un sentiment presque indéfinissable et qu'heureusement, personne ne put voir. Quelle curieuse ironie... Quant à la suite de la petite tirade du télépathe, elle passa carrément au dessus de la tête du jeune homme. Enfin jusqu'à ce que ce dernier l'interpelle par son prénom. Légèrement dérouté sur le coup, Chris finit par plisser lentement les paupières tandis que son palpitant amorçait ses cabrioles sous le coup d'une nouvelle vague de colère contenue. Il comprenait ? Se foutait-il de sa gueule ? Parcequ'il savait lire dans les pensées il se sentait apte à comprendre celles de son coeur ?

*La ferme, la ferme, la ferme ! Vous ne comprenez rien bande de fumiers !*

Le pompon fut atteint lorsque celui-ci sortit qu'il serait plus utile pour ses amis s'il restait en vie. Là, Chris ne put s'empêcher d'en rire, bien que sans joie aucune, tant il trouvait cette phrase des plus pathétiques et hors de propos sortant de sa bouche. C'était pas possible, ce télépathe ne pouvait pas penser ce qu'il disait ! Chris se serait-il trompé sur son compte depuis le début ? Comment pouvait-il penser qu'on pourrait le considérer comme un 'ami' après ce qu'il avait fait ? Non pas que cela le chagrinait outre mesure lui qui n'avait jamais eu le moindre confident, simplement il avait grand mal à comprendre pourquoi l'autre jeune homme s'exprimait ainsi, sachant pertinemment ce qu'il s'était passé... Quant à son acolyte, pas besoin de le lui confirmer, Chris ne savait que trop bien qu'il n'avait pas la moindre chance. Il s'était déjà rendu à l'évidence par ailleurs. Même si cela le rendait malade à en crever... Percevant l'agitation des deux autres, le jeune homme soupira légèrement. Si seulement il avait été aussi puissant qu'eux... Peut-être cette tragédie aurait-elle été évitée... Décidément, le télépathe semblait d'humeur loquace, voilà qu'il était de nouveau parti dans un autre mini récit. Le jeune homme reporta lentement son regard vers la provenance de cette voix qui commençait à l'agaçer un tantinet. L'écoutant d'une oreille distraite, seule une phrase trouva écho."Vous pouvez aussi être fiers d'avoir tenu Ganymède en difficulté". Fiers ? Et pouvait-il lui dire où était donc cette fierté qu'ils étaient censés éprouver ? Tout ce que Chris ressentait maintenant n'était que désespoir et rage...

A peine s'en fit-il la réfléxion qu'il éprouva soudain comme une sensation d'absence et sentit son coeur manquer un battement. Seulement déjà bien épuisé psychologiquement, Chris mit de suite ce phénomène sur le compte de la fatigue. Cependant, il sentait au fond que quelque chose clochait et en eut la confirmation lorsqu'il se rendit compte que les trois compères semblaient s'être volatilisés. Pour preuve, le souilleur de pensées ne débitait plus toutes ses conneries... Et ce constat, loin de réjouir ou de soulager le jeune homme, le laissa grandement anéanti. Vivre de nouveau avec la rancoeur au ventre, dans l'attente que cette brûlure dévorante ne cesse. Mais Chris redoutait qu'il n'y ait qu'un remède à ce mal... Et surtout. Comment pourrait-il honorer sa parole désormais ? Il ferait en sorte que les responsables soient punis. Quelle quiche oui ! Pitoyable, il se sentait si pitoyable. Si la jeune fille nommée Camille ne s'était annonçée, le jeune homme n'aurait certainement pas fait attention à sa présence, bien loin du monde réel, luttant contre cette soudaine envie de hurler.
D'ailleurs Chris n'en avait plus grand chose à foutre de ce qui se passait autour de lui. Il voulait l'empathe et rien d'autre... Il ne pensait qu'à lui. C'est dire, il ne remarqua même pas que le couloir était de nouveau éclairé sur le moment ! Ce fut les mouvements de la mystérieuse jeune femme qui se dirigeait dans leur direction qui lui fit reprendre conscience de toutes ces présences autour de lui et chassa, par la même occasion, l'image de ce lâche. Son regard dénué de toute expression et contrastant étrangement avec son agitation intérieure accrocha les traits de cette dernière, ceux-ci semblant d'ailleurs emprûnts de mélancolie. A la voir slalomer entre les pièges avec une grace et une facilité déconcertantes, difficile de se rendre compte de sa cécité... D'ailleurs le jeune homme ne s'en aperçu seulement que lorsqu'elle s'approcha d'un peu plus près pour se retrouver à hauteur de l'autre jeune femme éplorée. Et il fallait avouer que cela le mit quelque peu mal à l'aise. Non pas qu'il trouvait cela trop bizarre à son goût, simplement cette jeune femme dégageait quelque chose qui le dérangeait un tantinet. Comme le fait qu'elle semblait être bien rencardée sur des choses qu'elle devrait logiquement ignorer par exemple...

Au souvenir de ce qu'elle avait dit concernant le responsable de la mort de la jeune River, le regard de Chris s'anima de nouveau et scrutait maintenant intensément le visage de la jeune femme qui s'adressait à la dénommée Wind. Captant chacun de ses mots, le jeune homme finit par hausser les sourcils, plutôt interdit. Il y avait incontestablement quelque chose qui lui échappait... Pourquoi Wind devrait-elle lui en vouloir à elle ? Et qui était-elle au juste ? Son regard glissant vers l'autre jeune femme, l'expression de Chris se figea alors que son visage se faisait de plus en plus livide, son coeur semblant s'être arrêté d'un coup. Le visage beigné de larmes de la jeune femme resterait à coup sûr gravé en lui à jamais... Ne pouvant d'ailleurs en supporter davantage la vue, le jeune homme baissa finalement la tête, crispant les poings, en proie à une indicible tristesse. Chris en venait même à devoir serrer douloureusement les mâchoires pour réfréner ses propres larmes. Dieu comme il se sentait misérable... La voyant tomber à genoux, le souffle du jeune homme se fit plus rare et celui-ci, ne pouvant se contenir plus longtemps face à cet océan de douleur, se précipita vers elle, son corps ne lui appartenant plus.

S'arrêtant à quelques centimètres de cette dernière, Chris n'osa cependant esquisser le moindre geste vers elle. Il avait fallu qu'il se retrouve juste devant elle pour qu'il réalise qu'il n'avait pas sa place ici. Ca n'était pas lui qui devait la soutenir, lui n'était que la personne responsable de sa peine et qu'elle devait haïr. Il posa lentement l'une de ses mains sur son visage comme pour éviter que l'on puisse découvrir que lui aussi souffrait le martyre... D'ailleurs il ne voulait pas être vu dans cet état ! L'obscurité avait été son alliée jusque là, mais maintenant... Il fallait qu'il quitte cet endroit avant de s'effondrer de nouveau ! Ce qui l'empêcha de se carapater séance tenante ? Les paroles de la jeune femme. L'autre aveugle avait tout vu ? Vu ? Comment ca ? Tournant un visage empli d'incompréhension et d'affliction vers celle-ci, Chris l'observa de nouveau attentivement. C'est là que lui revint cet étrange message de la fameuse Sibylle. Cette voix... Non, il parierait que c'était la même ! Lui revint ensuite le message d'une certaine Cassandre qui avait su Hjördis seule dans le hall alors que techniquement, il devait être le seul à le savoir... Fronçant les sourcils, le jeune homme sentit chaque parcelle de son être se crisper.

"Sibylle..."

Ce simple mot, prononçé comme un lent murmure, lui laissait comme un goût amer dans la bouche. Ainsi il s'agissait de cette jeune femme... Et s'il poussait plus loin son raisonnement... Sibylle devait être un pseudonyme ou quelque chose comme cela. Comme l'autre Ares/Franklin en somme. Dire qu'il aurait préféré ne jamais avoir affaire à elle ! Et voilà qu'il se retrouvait face à une aveugle ! Pour tout avouer, le jeune homme se retrouvait fou de rage. Fou de rage parceque cette dernière, aux dires de Wind, avait apparemment été témoin de la mort de River. Comment ? Ca, il n'avait pas envie de le savoir et surtout pas chercher. La seule chose qu'il retenait était qu'elle avait été spéctatrice passive de leur malheur et qu'elle n'avait même pas cherché à bouger ne serait-ce que le petit doigt ! Ces sur ces entrefaits que débarqua la petite fille du foyer, venue quémender la vérité sur la mort de River. Seulement Chris ignora complètement ses jérémiades, se contentant seulement de se diriger à pas curieusement lents vers ladite Cassandre, le visage écumant de rage. Se postant seulement à quelques centimètres de celle-ci, le jeune homme l'observa quelques secondes avant de finalement lever la main pour la rabattre sur l'une de ses joues, lui assenant ainsi une gifle magistrale dont la violence n'avait d'égal que son désespoir...

[Désolée si j'ai oublié quelques petites choses, suis pas au top top aujourd'hui]

Vient du Hall

Marchant doucement dans l'obscurité, Hjördis cherchait à comprendre ce qui se passait. Visiblement, d'autres membres de l'Institut avaient transformée la cave en parcours du combattant qui avait même réussi à stopper le passe murailles. Bien que marchant en retrait par rapport aux autres elle n'entendit pas les intrus faire demi-tour, mettant ce malaise passager sur le compte de la douleur.

Quand la lumière revint ce ne furent pas les pièges sur le sol ou la vue de Chris plus loin dans le couloir massif qui la surprit. Non, ce fut Mina. Une espèce de créature volante humanoïde d'aspect inquiétant, dotée de griffes et de serres qui plane à une dizaine de mètres de vous, ça fait peur! Image totalement irrationnelle qui la fit faire deux pas en arrière, le troisième s'accompagnant d'une chute douloureuse sur un arrière train qui commençait à lui tenir lieu de coussin aujourd'hui.

Tentant de se reprendre, elle constata que le couloir ne contenait plus aucun des Beaux Gosses. Le quatrième qu'elle n'avait pas croisé faisait de la téléportation?

Se relevant, elle ne parvenait pas à quitter du regard la harpie. Personne ici ne semblait surpris, donc ils devaient la connaître. La compréhension pour l'islandaise fut brutale (les éclairs d'intelligence n'éclairant pas souvent l'intérieur de son épaisse boite crânienne, c'en était douloureux) concernant les rumeurs de monstres à l'étranger. Les mutants... Donc elle aussi... elle était un de ces monstres?!

La panique sur sa propre nature la fit trembler. Est-ce que cette formation de neige ne va pas empirer? Devenir de la glace jusqu'à la recouvrir et qu'elle devienne à son tour un monstre?

*Calme, calme ma fille! Tu est là pour...*

Pour quoi donc? Apprendre dans un cadre calme comment devenir normale? Il fallait qu'elle l'admette, cet Institut ressemblait plus à un champ de bataille qu'à un havre de paix. Elle en était là dans ses réflexions quand elle entendit qu'une des élèves était morte durant cet assaut. Non seulement c'était un endroit moins sûr qu'un glacier mais en plus c'était mortel!

Son regard avait quitté la harpie pour se plonger vers le sol. Elle venait faire quoi ici? Elle avait pensé passer quelques années, le temps de maîtriser cette neige et de finir ses études tronquées avant de revenir la tête haute en Islande. Mais elle avait été incapable de les aider, avait endommagé une pièce avec son coup de lance au plafond et le porte manteau en kit, avait été inutile en fait.

Plus loin dans le couloir, on souffrait aussi. De la mort de cette inconnue, probablement, mais aussi de l'impuissance ressentie face à ces monstres prétentieux. Elle s'adossa au mur du couloir, se massant d'une main cette poitrine douloureuse. Elle ne pourrait de toute façon pas partir de suite. Il fallait faire quelque chose, rester immobile lui donnait le sentiment de pourrir sur place.

"Heu... hum hum... Le quatrième... Il est peut-être encore là?"

Petite voix pas très assurée. Hjördis ne comprenait pas les tenants et les aboutissants de cette histoire. Le pourquoi de cet assaut violent. Elle n'aimait pas voir toute cette détresse concentrée en ce lieu et préférai quitter cette étrange cave pour retourner au hall afin de corriger un peu ses bêtises. Elle se sentait comme une adolescente ayant fait une grosse erreur et souhaitant la réparer comme elle pouvait avant qu'un adulte responsable la voit.

D'abord agacée parce que Mina lui disait que "ça ne marchait pas", Laura laissa tomber son carnet par terre. Elle était au sommet de la nullité, non seulement son plan n'était pas terrible, mais en plus son pouvoir refusait de marcher ! C'était vraiment insupportable ! Puis elle accueillit un autre sentiment qu'elle connaissait bien : la peur, quand elle entendit les autres s'incruster. Il y en eut un qui parla beaucoup, alors que la jeune fille n'avait aucune envie de l'écouter. Puis, rien. Elle n'entendit plus leurs voix mais celles des autres. Camille... Camille ! Si elle y avait vu quelque chose, dans ce couloir noir, Laura se serait jetée dans les bras de celle qui avait fait office de grande-soeur la veille. Mais par peur de marcher sur les pièges, l'adolescente resta assise à sa place.

Eblouie tout d'un coup, elle ferma les yeux, mais ce fut la voix de Cassandre qui troubla la jeune fille. Que voulait-elle dire ? Elle s'adressait à Wind... Qui répondit après un silence glacial. Alors River était morte ? Laura sentit la colère l'envahir. Pourquoi Cassandre n'avait-elle rien fait ? C'était donc cela qu'elle voulait dire.. Elle s'en voulait, elle pouvait se sentir coupable ! Ca n'arrangerait rien ! Ca ne ramènerait personne ! Ils n'étaient pas en sécurité ici, Wind était démontée, Kitty aussi sûrement... Réouvrant péniblement les yeux, la petite brune regarda la psychologue sévèrement qui allait sûrement être haïe de la plupart des élèves présents, à commencer par elle ou par Chris qui semblait réellement énervé.

"T'es nulle comme voyante ! Genre avec un pouvoir comme ça tu peux arranger tout, t'es pas sensée être une nullité comme moi, mais non ! Ok on a réussi à sauver Cerebra, super génial, youhou ! Mais t'as pas le droit de choisir qui doit mourir ! C'est nul ! J'sais pas, tu disais tu mettais toutes les chances de notre côté, mais il faut toujours des sacrifices ! Un jour ce sera moi, ou ce sera Kitty ou Jessica ou je sais pas ! Pour sauver quelques personnes en plus ? Super ! J'sais pas grand chose, mais j'sais que dehors y a des gens qui nous veulent du mal, mais j'me demande si être ici ça arrange quoi que ce soit ! Et même si on survit, on voit les autres mourir et c'pas plus joyeux... Tu crois qu'on peut continuer comme ça hein ? Tu crois ?"

Puis elle se leva, laissant pour une fois ses affaires derrière elle, Kitty valait plus que deux carnets, aussi précieux étaient-ils. Elle s'avança doucement et prit son amie dans ses bras. Elle espérait de tout coeur que ceux qu'elle aimait partis en mission allaient bien... Et si c'était Georgia là-bas qui avait du laisser sa vie pour que les autres soient sauvés ? Non... Si cela s'était déroulé ainsi, Laura ne le pardonnerait jamais à Cassandre, déjà elle lui en voulait beaucoup. Tout était de sa faute ! Elle avait su ce qui allait arriver mais n'avait rien fait contre. Pour leur réussite, pour leur survie ?

"Je veux pas vivre si cela nécessite le sacrifice d'autres personnes."

Finalement il se tendit lorsqu’il sentit plus qu’il ne vit, une autre présence. Une autre voix s’éleva, et il comprit que c’était l’un des autres intrus. Durant quelques instants il crut leur dernière heure arrivée. C’était le télépathe qui parlait leur complimentant sur leur défense de Cérébra et il comprit par la même que ce ne pouvait être que Sibylle qui avait changé les pièges de places en revenant, empêchant de ce fait le télépathe de savoir leur endroit exact en prenant les informations erronées dans les esprits de Laura, Mina ou lui-même, bien que cette dernière en bougeant avait fourni un plan exact d’où ils se trouvaient mais il ne lui en tiendrait pas rigueur. Par ailleurs, la psychologue ne finirait pas, malgré tout le poids qui devait la ronger, de susciter son admiration envers elle. Elle qui avait pu entrevoir l’infinité de possibles qui arriveraient à cet instant-là, avait sans doute choisit celui où le moins de malheurs leur tomberaient dessus. Enfin, tout était relatif maintenant, car Ephram avait comme une désagréable sensation qu’une annonce dissimulée se cachait sous les paroles des uns et des autres. Que c’était-il passé en haut ?

Il n’eut juste le temps que de répéter mentalement les dernières paroles des intrus, et puis … plus rien. Une espèce de trou blanc, le vide intersidéral durant ce qui lui semblait être en même temps une seconde et 1000 ans consécutifs et il n’y avait plus la trace des cambrioleurs de leur intelligence artificielle. La bataille était gagnée, mais un goût amer lui restait dans la bouche. Où étaient-ils partis, comment ? Il n’aurait su le dire. Ephram tenta de reprendre pied dans la réalité et cligna plusieurs fois des yeux, même s’il ne pouvait pas encore voir dans ce noir complet. La voie familière de Camille, puis de Mina qui la mettait en garde et de Cassandre qui indiquait à Cérébra qu’elle pouvait rallumer les lumières, sonnèrent et lui et achevèrent de le ramener sur Terre. Il secoua la tête et se releva, son pouvoir refluant et lui reprenant sa couleur de peau habituelle et halée. Il se détendit quelque peu, se disant que si les intrus avaient voulut les tuer, ils l’auraient fait il y avait bien longtemps. Poussant un soupir silencieux, le jeune homme essuya la goutte de sueur qui perlait à son front et cligna encore des yeux pour se réhabituer à la lumière. Il vit nettement Cassandre devant Wind et Chris qui semblait furieux contre elle, Camille,Kitty qui s'était mise à pleurer, Mina, Laura, et la nouvelle, tous comme lui sans doute des milliers de questions en tête, certaines déjà formulées à haute voix.

L’information qu’il redoutait vint clairement de la part de Wind. River était morte. La même River qui lui avait parlé en langue des signes le jour de son arrivée ? Oui sans aucun doute. Il fit une moue qui tenait vraiment de la compassion. Encore une fois une personne était morte en défendant l’Institut. Il y avait-il une clause sordide dans le contrat à l’inscription à l’Institut qui indiquait qu’on devait mourir pour le protéger ? A croire que ça en devenait une vraie règle de vie. Beurk ! Si c’était cela, il préférait partir. Un souvenir encore frais dans les rues de Perth tempéra son ardeur et il signa en direction de Wind, tout en ne sachant pas si elle-même parlait la langue des signes. Il s’y risqua mais se rendit compte qu’elle avait fermée les yeux.

{ Je suis désolé pour ta sœur … } son regard se fit vague lorsqu’il avait signé en direction de la jeune femme qui tomba à genoux. Ephram s’avança à pas quelques peu pantelant jusqu’à elle et s’assit contre le mur à côté d’elle. Il poussa un autre soupir silencieux, observa Cassandre puis reposant son regard sur Wind. Hésitant, il posa enfin une main sur ses genoux, les tapota quelque peu, puis l’air gêné la retira pour parler une nouvelle fois en langue des signes, espérant cette fois qu’elle lève les yeux.

{ Je suis désolé pour River …. Pardon, aucune parole ne pourra la remplacer … Pleures tant que tu le voudras, les larmes ramènent dans nos cœurs ceux qui sont loin … } une parole insensée, peut-être déplacée, mais sur le coup il ne trouva rien d’autre à mimer. Pour les autres ce n’étaient ni plus ni moins que des mains qui se balançaient. L’australien la regarda un peu, puis détourna le regard pour s’intéresser à Laura qui pestait contre Sibylle … La psychologue n’allait pas être la plus aimée des résidents de cet endroit, et pourtant elle avait su coordonner plus ou moins leurs actions, même si cela n’empêchait pas la mort.

Wind s'effondrait ; inutile d'être voyante pour prédire cet état de faits. Le froissement des vêtements de la londonienne avertit Cassandre plus qu'autre chose. De nouveau, elle eut un geste vers elle, hésita, puis se rétracta. Wind et elle avaient toujours été en décalage, et le fossé qui les séparait déjà s'était progressivement élargi à mesure que les événements menant à ce jour s'emboîtaient les uns aux autres.
Bien entendu, la réaction des élèves ne la surprenait pas. Elle était même désirée quelque part : il valait mieux qu'ils reportent leur désarroi sur elle que sur le monde dans lequel ils vivaient, ou pire encore, sur les humains à la toute origine de la tragédie. Mais tout comme la prescience n'effaçait pas l'amertume et l'émotion qu'elle éprouvait devant le décès de River, elle ne préparait pas aux mots qui blessent, aux doigts accusateurs.

"Les chiffres ne ramèneront jamais ta soeur..." dit-elle tristement. Pourtant, c'était cette loi qu'elle avait été contrainte d'appliquer. Un choix que personne ne devrait avoir à faire. Néanmoins, pour la pythie, une part de River avait survécu au drame : elle vivait dans la multitude de possibles où elle n'était jamais venue à l'Institut, pour ne citer que ceux-là, qui était déjà légion. Elle vivait dans la myriade de possibles où elle n'était pas douée du gène X également. Ces dimmensions étaient à la fois si proches et distantes qu'il tenait presque du miracle que la non-voyante n'ait pas déjà sombré dans la folie.
Laura s'emporta à son tour, tandis que d'autres élèves venaient voir ce qui se passait au sous-sol. La Grecque se retrouvait dans la peau d'un intermédiaire entre Dieu et le commun des mortels, opprimé par ses voies impénétrables. Il était plus simple de blamer ce que l'on pouvait voir et toucher. Et c'était normal.
Cassandre baissa la tête, son nom de code résonnant pour la première fois tel qu'il était réellement sous la langue chargée de colère de Chris : une malédiction.
Le temps que le jeune homme se rapproche d'elle, elle avait relevé le visage pour lui faire face, tendant presque la joue, acceptant de porter une nouvelle fois ce fardeau sur son chemin de croix.
Se produisit alors quelque chose d'imprévu. La surprise lui était devenue presque étrangère, mais la psychologue ne put même pas en savourer toute la préciosité. Yrianna s'était interposée. Quelque chose dans son discours frappa Cassandre plus fort que la gifle que Chris avait voulu lui porter : elle n'était pas Dieu.
Cette évidence prenait un sens nouveau après les paroles de Laura : ce pouvoir si lourd à porter ne faisait pas de miracles. Elle avait jusqu'ici appris à vivre avec cette réalité, faisant de son mieux avec ses moyens humains. Mais il était des fois où les efforts ne pouvaient rien. C'était tragique, c'était une des lois de la condition humaine, c'était hybris dans toute son écrasante absurdité.

Cassandre laissa planer un long silence après les paroles d'Yrianna, puis sortit de son mutisme expiatoire :

"Tu as raison, Laura... Depuis mon arrivée, j'ai toujours évité le pire... mais je ne vous ai jamais offert le meilleur. Si je le pouvais, nous n'aurions pas d'élèves à pleurer... Ce pouvoir maudit entre tous n'apporte rien de bon." articula-t-elle lentement, le poing serré. L'arbre de la connaissance n'avait réussi qu'à chasser l'homme du jardin d'Eden. Son fruit brillant était pourri de l'intérieur, et quiconque y croquait finissait par goûter son amertume. Cassandre assurait le cours d'éthique, elle avait longuement pu se pencher sur ce type de question.
Il était peut-être temps qu'elle accepte de n'être qu'une aveugle impuissante.

La non-voyante ferma les yeux et tendit sa main gauche sur le côté pour toucher le mur.

"Ils sont partis." dit-elle sans transition à Hjordis, le visage blême, avant de s'éloigner lentement à l'aveuglette en rasant le mur en direction de l'escalier.

Ailleur