M. Charles, Grand Salon, avec le Poison

jardin

Tant de nouveaux aussi étranges en une petite demi-journée, ça sortait de l'ordinaire. Aussi Alixtide darda d'abord un oeil méfiant à cet homme vêtu de manière distinguée qui lui confirmait ses propres projets d'aller dans le salon. Enfin quelqu'un avec du bon sens.
Il décida donc de ranger immédiatement cet inconnu parmi les gens bien. Il attendit dans un silencieux respect les secondes nécessaires pour que l'homme s'éloigne, et se faufila dans le salon, prenant soin de ne pas blesser River au passage des débris de vitre. Il la regarda avec inquiétude.

*Malheureusement plus rien à y faire pour elle ? Lui non, car il ne la purin connait pas, mais moi je la connais ! C'est la fille la plus porpulaire de l'Institut, et si je ne la réveille pas c'est pire que Juliette...*

Paniqua-t-il en manquant de trébucher sur le tapis. Incapable de prendre même le temps de regarder autour de lui, il déposa River sur le premier canapé venu, et du même mouvement se laissa tomber à genou devant elle.

*Purin de purin de froid...*

Il s'acharna à se débarrasser de son propre blouson, écharpe et pull avec ses doigts totalement engourdis, avec l'impression qu'il allait en perdre quelques uns dans l'opération. La boite de vers de pêche, miraculée de la noyade, tomba et roula sur le sol.

Alixtide maugréait et claquait des dents, enrageant contre ce nouveau totalement insolent qui avait osé les torturer de la sorte.

"Un lavement ggglacé ! Il nous a fait un l..lavement glacé Riv..ver le type...aaaah"

Une fois torse nu il se frictionna les bras sans grand réconfort, constatant la couleur plutot violette de sa peau en comparaison de celle livide de sa comparse. Il secoua la tête pour enlever les jeunes stalactites en voie de se former sur son crâne migraineux.

"Hé River ? ... woh... "

Enervé par cette humiliation reçue par un petit malin de nouveau, énervé par l'immobilisme de River d'habitude si bavarde pour ne rien dire, énervé plus que tout par la piscine, le gel, l'eau, les questions stupides du barbare de glace, la perspective de mourir du gel a cause de lui... il dit à l’Atomix d'un ton sec et acide, domptant soudain les claquements de dents.

"Oh River dis à mes vers en pâte de trouver du fauchage, du chauffage sinon je fais la bouche à bouche pour te ranimer !! Et je plaisante p..."

C'est en prenant vivement appui sur les épaules de la jeune femme, pour illustrer sa menace virile, qu'il aperçut alors dans la pièce un autre gaillard tout aussi incongru.

*Charles !*

Se dit-il en repassant subitement les informations du nouveau croisé peu avant.

Charles, l'empathe du groupe puisqu'il ne restait que lui, était sagement assis dans un fauteuil du salon, regardant tantôt la décoration, semblant tantôt être ailleurs.

Alors qu'Alixtide entrait, avec autant de grace qu'une serpillère, Charles se contenta de le regarder un instant, bavasser avec une morte. Quelle idée saugrenue. Chris ne l'aimait pas. Il commençait à comprendre pourquoi.

Ses grands yeux marrons se posèrent sur Alixtide qu'il examina sans une parole pendant un bref instant.
Puis, le plus simplement du monde, il prit la parole.

"Mon pauvre... Tu es frigorifié. Chris a été vache de ne pas te sécher en partant. Tu vas être bon pour une bonne bronchite.

Je serais toi, je laisserais tomber la fille. Elle ne peut plus rien pour toi. Essaie de te trouver un radiateur, et des vêtements secs pour te changer."

Drôlement prévenant pour quelqu'un qui n'avait techniquement rien à faire ici.

Le véloce cerveau d’Alixtide, bien que frigorifié, fit le lien entre ce visage et la mission chaotique du parking de Camille. C’était bien un de ces gaillards amis du Sénateur. Fallait-il s’en réjouir ou s’en méfier ? Pour une fois le jeune mutant devait s’avouer un peu perdu. Ce type ne semblait pas être un nouveau en quête d’une formation complémentaire. Ainsi le doute était permis pour les autres nouveaux du jardin.

*Mais pourtant le Docteur Fleury nous avait prévenu qu’il faillit accueillir les nouveaux…*

Ses doutes furent vite balayés par les paroles sereines de l’inconnu, qui semblait vouloir gagner sa confiance en étant aimable et prévenant. Alixtide se convainquit ainsi promptement de sa bonne foi. Il lâcha River, qui lui inspirait de plus en plus une peur rampante par son immobilisme, et s’assit par terre pour enlever tant bien que mal ses propres chaussures et pantalon. Il se sentait vraiment mal, la poitrine oppressée et les membres engourdis et pesants. Mais son sens de la diplomatie et du respect des convenances l’incita à prendre soin de cet hôte plus chaleureux et réactif que l’Atomix.

« Merci, ouais… je crois que… je la laisse heu… se déposer tran… quille. Et puis, elle veut j… jamais que je la touche, hein. Alors maux vieux, v… vaut mieux. Ah… c’est bien qu’on… qu’on ait les… les fils du sénateur, ici. Moi, je suis, pour que la… que le, sénateur soit p… président et fasse des… lois p… pour nous. D… d’ailleurs je suis le pre… mier à en écrire… et Mad… dame Cassandre les t..trouve parfaites. »

Dit-il en s’échinant pour défaire ses lacets, désespéré et souffrant de l’impotence de ses doigts gelés. Au moins le protocole était sauf. Que penserait le sénateur si on avait mal accueilli ses représentants ? Le Docteur Fleury ne remercierait jamais assez Alixtide pour sa diplomatie et sa prévenance.

Quand il arriva enfin à se débarrasser de ses chaussures, pantalons et chaussettes imbibés d’eau glaciale, il attrapa sur le fauteuil voisin un plaid poussiéreux qu’il tira sur lui. Il poursuivit la conversation d’un ton d’automate occupé à penser à deux choses cruciales en même temps.

« Oh bah… purin… pas de problème, Mon…Monsieur Charles, le… Christ a du juste… heu… oublier de me sercher. Et heu… oublier heu.. Re… riv… »

Il s’entoura de la trop froide et frêle couverture en grelottant, n’osant pas apercevoir ne serait-ce qu’une seconde le corps désespérant de la demoiselle. Elle était tellement proche que c’était difficile de l’ignorer. Il s’éclaircit la gorge, toussa et s’adossa au fauteuil en s’emmitouflant avec fébrilité.

« Hum… Oh, on a une infirmiérie, mais je ne crois pas vous laisser tout seul. Je dois vous… a… vous cueillir, c’est prévu. Vous êtes, très important, pour… les relations de… de l’Institut avec le.. la politique. Vous êtes venus, heu, à moi. Parce que c’était prévu, que je puissais, pas aller à vous. Donc vous voulez me voir. Je vous écoute. Je saurai… vo… vitre… ah votre, votre ambrassadeur. »

Il braqua son regard sur le gentilhomme, autant pour avoir l’air plus sérieux que pour esquiver la vue de River, et se hissa sur le fauteuil pour être assis à la même hauteur que son confrère diplomate. Alixtide avait le sens du devoir, il ne laisserait pas cette éminence s’échapper aussi facilement que les deux autres.

Charles se prit d'un léger rire qu'il étouffa bien rapidement. Un pigeon idéal. Toutefois, il lui faudrait juste savoir l'orienter correctement.

"C'est très gentil, monsieur l'ambassadeur, de vous occuper comme ça de moi."

La transition du tutoiement au vouvoiement passa comme une lettre à la poste. Il faut dire que quelque chose de spécial émanait de ce Charles. Alixtide se sentait instinctivement en sécurité. Il était évident que ce personnage ne voulait aucun mal à qui que ce soit, et était là pour aider. Il respirait la confiance.

"Mais dis-moi... En attendant que quelqu'un d'autre vienne nous voir. Que s'est-il passé ici ? C'est étrange, n'est-ce pas que tout ce superbe bâtiment soit dans un tel état."

Après tout, il avait bien le droit de savoir...

*En attendant qu’une autre vienne nous voir ??*

Alixtide fut un poil vexé que le nouveau venu le considère comme un simple passe-temps. Sans doute Charles pensait-il avoir affaire à un infime sous-adjoint du Dr Fleury. C’était frustrant mais compréhensible. Un hôte aussi distingué que le fils du sénateur, si charmant qui plus est, avait toutes les excuses pour commettre des erreurs protocolaires. Alixtide rectifia donc le tir avec tact et délicatesse, risquant même de sortir son bras violet hors de la couverture pour appuyer ses dires.

« Ah je vous comprends bien mais personne d’autre que moi qui est plus important pour le, Docteur Fleury, ne viendra. Je … »

Une quinte de toux brutale et rêche l’interrompit.

« … Hum… Je saurai votre … rah.. unique electrocuteur. »

Il réarrangea ses couvertures en tremblant, puis poursuivit, avec la hâte de servir au mieux ce si cordial haut personnage. C’était d’ailleurs un scandale qu’il ne soit pas déjà au courant de la situation. Alixtide devait vraiment tout faire. Et comme par hasard, au moment où on aurait besoin du babillage de River, celle-ci se reposait discrètement avec l’espoir qu’on la prenne pour le petit Louis en porcelaine. Alixtide évita cependant de lui lancer un regard noir. Il resta les yeux braqués sur le si chaleureux Charles. D’une voix saccadée il vint à son secours.

« Monsieur Ch… Charles vous n’avez purin pas de chance. Une grande bataille a eu endroit ici qui s’est mal terminée. Oh oui. Mais c’est une purin d’excenption. Voilà, la chose est que notre plus puissante isulio… illunioniste Gabrielle a rendu fou dans une illusion beaucoup de gens ici. Et pas les moins dangereux qui sont régions à l’Institut. Voilà, comment Chloé notre danger pudique et Niko s’est jeté par la fenêtre. Monsieur Frichard, le plus dangereux des profs sûrement avec Monsieur Zachary et la dragonne, le troisième plus dangereux. Il a essayé de nous tuer tous en chacun mais c’était l’illusion de Gabrielle qui nous trompait ! Après le purin d’écroulement de Cholé j’ai pu sortir, moi, et Gorgia, et presque tout le monde, de l’illusion. Mais d’autre y sont purin toujours, comme Luy, Lyu. Et d’autres, comme … heu … »

Il risqua un regard sur River, et la désigna du menton en frissonnant.

« Heu ben d’autres comme Louis, comme River … comme … Hmmm … d’autres sont morts. Il faut bien le dire. Mais …a… »

Une nouvelle quinte de toux lui déchira la gorge, interrompant les serrements de cœurs émus à l’évocation du petit Louis sacrifié. Alixtide s’excusa d’un geste de la main auprès de son hôte, puis reprit avec un sourire vaseux, les yeux rougis.

« MAIS tout est entré dans l’ordre. Ou plutôt, tout le monde est sorti. Nos meilleurs télépathologues et autres sont sur la piste, avec nos autres meilleurs mutants que je ne réciterai pas. Voilà notre purin de problème, Monsieur Charles, c’est qu’il n’y a … hmmm… personne qui sont l’autorité de l’arministration pour vous cueillir. »

Puis d’un ton grave après s’être éclairci la gorge.

« Voyez comment recevoir, Monsieur, l’impression de nos sentiments les plus dévoués. Signé Alixtide Pitre, en représentation des Docteurs Fleury. »

Et il inclina légèrement la tête et se remit à tousser dans un pan de couverture.

Charles plissa les yeux face à l'avalanche de mots sortis d'Alixtide. Comment réussir à extraire un sens de toutes ces phrases qui visiblement n'en avaient aucun ? Il regretta alors de ne pas avoir la capacité d'influer durablement sur les destinées des gens avec son pouvoir. Après tout, il ne souhaitait que le bien pour l'humanité, et transformer cette vermine puante et décérébrée en... personne normale et respectable ne constituait pas un luxe.

"Il n'y a pas personne pour m'accueillir, puisque tu es là pour le faire."

Alixtide se sentit subitement un peu idiot de sa remarque. Mais il eut immédiatement la sensation que ça n'avait pas été dit avec méchanceté. Charles pensait un peu comme un professeur reprenant un élève étourdi...

"Si tu me parlais un peu de ces télépathes ? Tu les connais bien ?"

Alixtide n'était plus vraiment maître de lui-même. Ce gaillard si brave posait des questions faciles, qui ne demandaient qu'à recevoir réponse sur le même registre cordial et franc. Inutile de se livrer à une introspection paranoïaque sur le pourquoi du comment. Inutile d’imaginer cette fois les puissants mécanismes à l’œuvre dans cette pièce ou dans sa propre tête. Non, Alixtide d’habitude si vigilant ne prit pas la moindre initiative de ce genre. Il répondit donc avec une conviction vaporeuse à Charles son professeur.

« Hmmm ben je connais déjà plusieurs télépathologues, avec Kitty… la gamine… heu Anna, la chef de l’infirmiérie… Mais nulle d’elle n’utilise son pouvoir parce qu’elles ne sont pas assez malines. »

Connaissait-il d’autres télépathes ? Sans doute oui. Mais sera-ce la réponse attendue par son cher professeur ? Alixtide hésitait à le décevoir, mais c’était un risque à prendre dans l’optique de répondre correctement à la question.

« Je ne sais pas si on peut dire que je les connais bien, purin ! Gabrielle… est notre copine à Niko et moi. Très dangereuse. Madame Cassandre… elle a fait des études en télépathologie, mais son pouvoir n’a rien à voir avec le cerveau. En fait, on ne peut pas dire que je connais bien les tépathologues. »

Conclut-il dans un éclair de lucidité. Si Alixtide avait pu dans l’instant évaluer sa stratégie, il se serait félicité, au lieu par exemple de se trouver idiot. Les profs aiment toujours mieux qu’on avoue ne rien savoir plutôt qu'on donne la bonne réponse.

Le corps ankylosé et la poitrine douloureuse, Alixtide fixa son interlocuteur en restant immobile et vautré comme un sac de sable.