[24 mai] Non loin de chez Chris Anderson...

Une jolie journée ensoleillée dans un coin sympathique de Salem Center. Un papier à la main, figurant l'adresse d'une célébrité locale. Une blonde quelque peu grimée, arborant fièrement sur son nez les lunettes de soleil les plus tape-à-l'oeil qu'elle ait pu trouver.

Georgia n'avait pas traîné Jeremiah, ici, pour faire du shopping ou pour profiter de la journée. Non. Si elle avait pris les transports en commun pour se rendre à cet endroit bien particulier c'était bel et bien pour obtenir quelques réponses.

Chris Anderson avait participé au commando EXZ. Ça, elle le savait. Et coup de bol pour elle, il avait deux qualités bien appréciables : il habitait pas trop loin de l'Institut et c'était une célébrité. Elle avait fait quelques recherches sur le net pour mieux comprendre et connaître sa cible et avait embarqué Jeremiah dans le but évident d'en savoir un peu plus... Bien sur, elle ne comptait pas nécessairement se retrouver nez à nez avec Monsieur Anderson mais... Peut-être qu'en se faisant passer pour une groupie, elle pourrait en savoir un peu plus auprès des voisins, du gardien de l'immeuble... Quitte à commettre quelques menus délits (vol de courrier, piratage de réseau...).

En bref, elle avait donné rendez-vous sur un banc public à Jeremiah, en lui demandant d'apporter son ordinateur. Elle lui avait également demandé de venir déguisé, si possible très branché... Tout le plan était dans sa caboche.

Elle-même avait fait des achats pour l'occasion : en plus de la paire de lunettes de soleil hideuses (en forme de cœur et rose), elle avait mis une veste en jean passée partiellement à la javel (elle était donc tachetée), une jupe en cuir noir, un haut noir honteusement cher et stylé, ainsi que des chaussures ouvertes à talons...

... une autre Georgia en somme. Qui n'attendait plus que son "autre" Jeremiah pour entrer en scène.

"OK, j'espère que t'as un super plan, que je me fasse pas tuer pour rien..."

La voix, bougonne, comme d'habitude, provenait de derrière la blondinette fashion. "L'autre Jeremiah" était aussi furtif que l'ancien. Enfin, il aurait pu l'être s'il n'avait pas été obligé de piquer une fois de plus dans l'armoire de Jason. Du coup, il était branché (enfin il le supposait, il n'avait jamais vu son coloc' autrement qu'habillé à la mode) mais pas franchement à l'aise, d'autant plus qu'il ne faisait pas la même carrure que l'irlandais.

"J'ai un peu l'impression d'avoir rétréci au lavage... Tu crois que ça passera quand même ?"

Au moins, les lunettes de soleil, remontées sur son crâne pour le moment, ne lui tombaient pas du nez, et l'ordinateur était bien glissé dans sa sacoche. Anderson n'avait qu'à bien se tenir. Enfin, son appartement.

"Au fait, les lunettes, tu les as piqué à Annaëlle avant qu'elle parte ?"

Y a pas à dire, ils avaient carrément la classe. Retenant son sourire moqueur -après tout, il n'allait pas se plaindre de sortir avec une fille "dans le vent"-, Jeremiah jeta un coup d'œil autour de lui, cherchant si la rue qui les intéressait était dans les parages.

"Bon bah, c'est parti. Lança-t-il en tendant son bras à la jeune fille avec toute la superbe dont il était capable. Ils n'y allaient pas pour s'amuser mais ça le faisait quand même marrer d'avance. OK, nan, en fait j'ai aucune idée de comment se comportent les gens branchés... Ah si ! J'ai du chewing-gum dans mon sac si on veut avoir l'air de deux vaches pétées de tune !"

"Bien sur que j'ai un plan de la mort. Du 100 % garantie ! Alors ouvre bien tes oreilles et écoute moi..."

Elle venait de croiser les bras et souriait, sure d'elle...

"Toi t'es Tom et moi je suis Geri. On est deux jeunes branchouilles et on adore les spectacles artichiants. On claque toutes notre thunes dans des vêtements pour avoir la classe et on n'a que des loisirs hyper branchés, genre cinéma moldave sous-titré en toltéque, histoire d'être dans le coup ! Tu vois ?"

La blonde se recoiffa de manière très ostensible et, d'un signe de la main, montra à Jeremiah l'endroit où habite la cible.

"Du coup, Chris Anderson, c'est genre notre idole. On veut le rencontrer, on veut lui parler pour savoir si Stravinsky ou Pierre Boulez influent son œuvre, savoir quelle marque de caleçons il porte et tout et tout..."

Elle ricana (bêtement) et termina :

"Bref, on va faire une vraie enquête de voisinage si on rencontre des gens. Sinon, on va voir si on peut piquer son courrier ou pirater sa connexion net"

Cavalant sur ses talons, Georgia fila en direction de la résidence de Chris. Elle ajouta néanmoins à l'intention de Jeremiah :

"Ah, au fait on est un couple !"

Le quartier où habitait Chris était une zone résidentielle d'apparence assez ancienne. La route était pavée et piétonne, et délimitait des immeubles d'architecture semblable, dont le critère distinctif essentiel était la couleur de la façade. Devant les immeubles, des grilles de fer forgé empêchaient les passants trop distraits de tomber dans des accès à ce qui était probablement des caves.

Le lieu était calme à cette heure là de la journée, loin d'une activité urbaine tumultueuse. Seule une dame replette vêtue d'une robe multicolore s'affairait à passer la serpillère sur un perron de pierre polies et patinées en chantonnant une chanson en ce qui semblait être du français, quoiqu'ayant une consonance fleurant bon les Antilles...

Avec un reniflement et un haussement d'épaule à la dernière trouvaille de Georgia, Jeremiah emboita le pas à sa camarade. C'était bien parce que Tom et Geri, sans quoi, elle aurait pu se brosser ! La rue qu'ils empruntèrent était plutôt calme et le geek leva les yeux vers les façades jumelles qui se suivaient.

"Ça va, tranquille... Y a de quoi se payer un quartier sympa quand on est danseur-terroriste !" Observa-t-il en retenant un sifflement, baissant finalement les lunettes sur son nez. Ce qui était bien avec ses trucs à la mode, c'est que ça vous bouffer la moitié du visage, chose essentielle quand on ne se sentait pas particulièrement l'âme d'un grand comédien. Avisant la ménagère à la robe colorée, il jeta un coup d'œil à sa complice puis prit une inspiration. Après tout, ça n'était qu'une "enquête de voisinage", pas de quoi être aussi stressé. D'autant plus qu'il n'était pas tout seul. Le X-Rays s'approcha de la femme après avoir glissé les mains dans ses poches pour cacher sa nervosité, et, hésitant un instant sur la conduite à tenir, se contenta finalement de lui adresser un sourire poli :

"Excusez-moi... Excusez-moi ! Bonjour ! Heu... Vous sauriez si M. Anderson habite bien ici, par hasard ?"

La blonde sourit à Jeremiah.

"Franchement, ce Monsieur Anderson a la couverture ultime : on penserait jamais qu'un type public comme lui pourrait être mêlé à des machins pareils. C'est peut-être le dernier des playboys internationaux... Peut-être qu'il succombera à mes charmes... Ou aux tiens ?"

Elle ricana et, s'apprêtant à suivre son acolyte pour interroger la dame, se figea. Jay venait de lui faire part d'une drôle de nouvelle... Le Président ? Mort !

Georgia se pinça les lèvres.

Camille, impliquée ?

Elle secoua la tête comme pour elle même.

Permission de la buter ?

Des flashs en provenance du passé vinrent bombarder son esprit. Elle était face à un mur. Celui des souvenirs et de l'affect. Et derrière... Derrière, la réalité avec sa sinistre gueule était prête à lui bondir dessus. Elle se contenta de marmonner à l'attention de Jay :

"Je... Je te rappelle... Je peux pas te parler là... Je..."

Elle coupa la communication et d'un pas rapide vint se positionner aux côtés de Jeremiah, lui attrapant le bras.

"Bonjour Madame, vous êtes la gardienne de l'immeuble de M'sieur Anderson ? C'est trop cool... Vous le connaissez peut-être ?"

Georgia décocha un sourire éclatant à la dame antillaise puis ajouta :

"Moi c'est Gerri et lui c'est Tom. On est deux admirateurs de l'oeuvre de M'sieur Anderson et..."

Elle sourit à nouveau. Baissant légèrement les yeux.

"J'suis sure qu'il doit tout le temps recevoir la visite de fans qui viennent avec leur grands pieds cochonner vos carrelages. Vous savez s'il est sympa avec ces fans ? Parce que bon, nous on aimerait pouvoir le rencontrer... Et on se demandait si les mêmes fans revenaient plusieurs fois ? Ou bien s'il les jetait tout de suite ? Parce que bon, j'suis vachement sensible et... Je crois que ça me ferait beaucoup de peine s'il nous jetait..."

Nouvelle pause. Nouveau sourire.

"Vous vous appelait comment, Madame ?"

Bien qu'elle ne parût pas vieilles, l'effort représentée par l'honnête balayeuse pour se relever et faire face à Georgia et Jeremiah sembla un instant surhumain. Elle s'appuya sur son manche à balai d'un air concentré.

"Monsieur Anderson habite ici oui, mais c'est l'autre entrée." Elle pointa du doigt la porte voisine. "Un gars discret. C'est un mutant il paraît, mais il a l'air moins louche que vous. Je sais pas s'il vous jettera : il est gentil, toujours un petit sourire, un bonjour madame, bonsoir madame, ça va madame... Il a de la visite des fois... Le prenez pas mal, mais pas du tout votre genre."

Elle fit une moue qui affichait manifestement une réprobation face au look un peu étrange des accoutrements de Georgia et Jeremiah.

"Mais vous savez le plus bizarre ? Des fois, y'a du bruit chez lui, des gens qui parlent, mais j'ai vu personne monter. Moi je pense que c'est des trucs de mutants. Mais je m'en plains pas. Ça me fait moins d'escaliers à nettoyer."

La brave personne semblait très encline à parler, comme si c'était l'échappatoire absolue à sa corvée de serpillère.

Déjà tourné vers la femme, Jeremiah n'avait pas remarqué le changement d'attitude de son acolyte pendant quelques secondes, et s'il l'entendit murmurer quelque chose entre ses dents, il ne prit pas la peine de se retourner, trop absorbé par leur premier témoin. D'ailleurs, Georgia disait suffisamment d'âneries comme ça sans en plus l'encourager en l'écoutant. Il jeta un coup d'œil à l'entrée indiquée puis se fendit d'un nouveau sourire, évitant de relever la remarque sur leur bizarrerie. Ça, il voulait bien la croire... Aussi bavarde qu'à l'accoutumée, la blondinette venait de s'accrocher à son bras.

"Quel genre de gens ? Continua-t-il d'un ton enthousiaste, tentant de se mettre dans la peau de son personnage, le type passionné par cette conversation avec une personne qui connaissait un peu son idole. Des artistes ?"

Se tournant vers Georgia/Geri, il lui pressa légèrement le bras :

"T'entends, des trucs mutants ! Il monte peut-être un nouveau spectacle !"

Ou alors les EXZ se rejoignaient chez lui. Ou alors c'était ses potes Gany. Ou les deux. Et il y avait sans doute un téléporteur dans l'affaire puisque la porte était devenue obsolète. C'est fou ce qu'on apprenait rien qu'en bavardant avec le voisinage, 1 point pour Georgia et ses plans tordus.

La blonde s'agrippa un peu plus au bras de "Tom" et s'écria, un large sourire stupide aux lèvres :

"Sensass ! Un nouveau spectacle avec des trucs de mutants ! C'est exactement ça qu'on cherchait ! Waouh !"

Son communicateur sonna à nouveau. Elle entendit la voix de la gothique et se renfrogna un instant : elle n'avait pas besoin de ça en ce moment.

Pendant que son acolyte questionnait un peu plus la dame, Georgia décida qu'il était le moment pour elle d'aller faire un petit tour. Elle embrassa Jeremiah sur la joue puis prit congé de la gentille dame.

Elle se dirigea en direction de l'entrée d'immeuble de Chris, histoire, prétexta-t-elle de "mieux s'imprégner de la présence de son idole". Georgia en profita pour répondre rapidement à Juliette :

"Désolée ma belle, j'suis même pas à l'Institut là... Va falloir que tu te débrouilles. Mais promis je te ferais un bisou thérapeutique en rentrant"

La blonde azimutée chercha du regard la boite aux lettres de Monsieur Anderson afin de découvrir l'étage où se trouvait son appartement et si, en jetant un œil à travers la fente, elle arrivait à voir si le courrier s'empilait ou débordait. Elle essaya de même de passer sa main dans la fente pour se saisir du courrier qu'elle arriverait à piquer.

La femme fit une moue montrant sans trop d'équivoque qu'elle trouvait Tom et Geri un peu trop fantasques à son goût.

"Pas votre genre..."

De son coté, Georgia put voir qu'Anderson habitait au dernier étage, mais elle ne vit rien concernant le courrier, si ce n'était que la boîte aux lettres était conçue pour éviter ce genre de manœuvre.

"Geri" l'abandonna à son triste sort de bête de foire, non sans manquer d'en rajouter une couche en déposant un baiser sur sa joue. Le jeune homme s'efforça de conserver son sourire détendu, bien qu'il ait l'impression que ses oreilles rougissaient vitesse grand V. Il fallait qu'il continue à se marteler qu'il n'y avait que lui qui sentait leur brûlure, que le monde entier ne le dévisageait pas en rigolant, sinon il allait définitivement perdre toute assurance.

"Ah heu... je vois... Et il est là aujourd'hui ? Il reçoit du monde peut-être... Prenant une discrète inspiration, il retira ses lunettes, puisque leur "genre" ne faisait pas l'unanimité pour le moment. On ne voudrait pas le déranger, mais on a vraiment envie de le rencontrer."

Il n'était pas persuadé d'être tant pressé que ça de se retrouver face à face avec Chris Anderson. Ça ne lui était arrivé que deux fois : la première virtuelle où il jouait le rôle d'un criminel, la deuxième réelle où il l'avait joyeusement saucé au cours d'une action terroriste. S'ils avaient la malchance de tomber sur lui pendant leur petite enquête, il n'espérait qu'une chose : que le brouillard, la nuit et l'adrénaline de cette soirée au Jefferson Mémorial aient au moins servi à empêcher l'hydrokinésiste de reconnaitre les élèves auxquels il avait fait face.

La concierge haussa un sourcil, et regarda Georgia de travers en marmonnant quelques mots inintelligibles de désapprobation, pour finalement se reporter sur Jeremiah.

"Qu'est-ce que j'en sais ? Je suis la concierge de l'immeuble, pas son imprésario... Vous n'avez qu'à sonner, vous verrez bien..."

Elle haussa les épaules, puis repris sa serpillère.

Georgia, déçue de ne pas avoir pu réaliser le moindre acte de rapine dans la boite aux lettres de Chris, haussa les épaules et lança à Jeremiah :

"On monte le voir ! Prem's ! Je prends l'ascenseur et toi les escaliers !"

S'engageant dans la cabine et actionnant le bouton du dernier étage, Georgia en profita pour transmettre via communicateur avec Jeremiah :

"Essaye d'utiliser ton ordinateur pour pirater la connexion de Chris... Moi je file l'affronter en direct !"

Bien entendu, elle n'avait nullement l'intention de se battre. Elle comptait tout simplement toquer à la porte de Chris, en espérant qu'il ne se souvienne pas de sa tronche... D'ailleurs, elle n'était même pas sure de l'avoir vu ailleurs que dans le journal !

"Ah heu, oui, évidemment... Enfin, j'me disais, vous l'avez ptet vu sortir ou... Bref. Bonne journée !"

Se détournant de la concierge avec soulagement -il était décidément plus doué avec les machines qu'avec les gens-, il chaussa de nouveau ses lunettes et rejoint sa complice dans l'entrée de l'immeuble, complice qui l'abandonna bien vite. S'engageant dans les escaliers, il observa distraitement la disposition des étages pour voir où il pourrait se poser tranquille, mais se décida de toute façon à monter jusqu'à la dernière volée de marches. Il y aurait moins de passage, et tant qu'il restait hors de vue de la porte d'Anderson, c'était sans doute le plus prudent.

"Fait gaffe quand même... Geri." Répondit-il à la blondinette par communicateur, l'ombre d'un sourire dans la voix.

Quand il fut enfin installé, le jeune homme sortit de sa sacoche son précieux ordinateur et releva de nouveau les lunettes sur son crane. Pirater une connexion... Fastoche. Enfin, si Chris n'était pas un informaticien parano, et il en doutait. De la connexion, il tenterait ensuite d'accéder au disque dur, et le geek se mit au travail, ouvrant les programmes qui pourraient l'aider.

Installé aussi confortablement que possible, Jeremiah, put constater qu'il y avait beaucoup de connexions à internet sans fil dans les parages. Sauf qu'aucune ne s'appelait "connexion du terroriste de service". Tout un tas de codes bizarres, et d'identifiants automatiques sans aucun lien avec la localisation du terminal correspondant.
Bref, ce n'était pas gagné.

De son coté, Georgia eut plus de succès : quelques instants après avoir frappé à la porte, des bruits de serrure. Puis, le visage de Chris apparut dans l'entrebâillement de la porte, immédiatement suivi par un faciès surpris.


"Euh... Bonjour ? Vous cherchez quelque chose ?"

La blonde, sans se départir de son sourire stupide, se mit à trépigner sur place - d'excitation - en voyant la tronche de Chris. Elle avait presque réussi à se convaincre elle-même qu'elle était en train de rencontrer son idole !

Prenant une grande inspiration d'air, elle tenta de se calmer mais ne réussit à dire que :

"Wow..."

Puis :

"Chris Anderson..."

Et enfin :

"Wowowowowow !"

Se passant la main sur le visage, elle réussit finalement à articuler une phrase construite :

"En fait, on doit souvent vous le dire mais je vous aime beaucoup... Depuis que j'ai lu cet article dans l'Eastern News, j'ai eu souvent envie de venir frapper chez vous. Pas que je fasse ça d'habitude mais... Comme il était dit dans le journal que vous fermeriez pas la porte, j'ai tenté ma chance et..."

Elle releva les yeux vers Chris :

"Je vous dérange pas, j'espère ? Parce que bon même si je viens d'assez loin, j'veux pas vous déranger... J'aimerai bien papoter avec vous, vous parlez de mes problèmes, des mes espoirs, de comment vous avez changé ma vie... Mais si vous avez pas le temps, si je peux juste passer aux toilettes et avoir un verre d'eau, ça serait déjà cool !"

Georgia y allait au culot. Après tout, c'était sa façon d'être et elle n'en changerait pour rien au monde. Elle continuait à trépigner sur place pour tenter de convaincre Chris que de toutes manières sa vessie était en souffrance.

Chris avait l'air vaguement décontenancé par l'arrivée impromptue de ce qui s'apparentait pour lui à une groupie givrée, qui plus était probablement atteinte du syndrome X.

"J'ai dit que je ne fermerais pas la porte ?", répéta-t-il comme pour se remémorer cette fameuse interview, avant de compléter. "Euh... Oui, j'ai du dire ça, mais c'était par rapport à..." Il s'interrompit un instant, regardant Georgia de façon un peu plus insistante, puis eut un instant un air vaguement désabusé, et conclut.

"Peu importe... Entrez..."

Il laissa alors entrer Georgia dans son appartement. Il s'agissait d'un grand loft clair et lumineux, dont les grandes baies vitrées donnaient sur l'arrière. Immédiatement, un coin salon constitué d'un grand canapé d'angle, et deux fauteuils entourant une table basse. Plus loin, une table de salle à manger en verre et fer forgé, laissait à supposer qu'il pouvait accueillir décemment 7 invités. Tout au bout, deux marches donnaient sur une cuisine américaine moderne. À l'opposé, on pouvait voir une cloison et une porte, donnant sur ce qui était probablement la chambre et la salle de bains.
Les couleurs étaient plutôt passe-partout, et la décoration laissait une large part à de l'art abstrait, aux bibelots en verre, parfois teintés, et à une remarquable collection de fontaines décoratives, dont certaines évoquaient plus le cadeau-souvenir qu'une œuvre d'art.

Chris invita Georgia à s'assoir, tout en demandant, sur le ton de la conversation.

"D'où venez-vous exactement ?"

"Wow c'est joli chez vous !" lança Georgia réellement impressionnée. Puis se ravisant et adoptant une expression attristée, elle ajouta : "Enfin, plus joli que chez moi, ouais... Bien plus joli"

Elle explora du regard la pièce, cherchant plus particulièrement les photos, les documents ou tout autre chose qui pourrait lier Chris Anderson a quelqu'un d'autre...

Après une longue pause, elle demanda, la voix pleine d'une candeur toute enfantine :

"C'était par rapport à quoi que vous aviez dit ça ?"

La question de Chris en revanche pouvait être gênante. C'était son baptême du feu. Il fallait tenter le tout pour le tout. Elle se prépara mentalement et répliqua d'une toute petite voix :

"Ben en fait, j'ai débarqué à New-York y a quelques jours. J'ai d'abord voulu reprendre contact avec ma famille mais c'est comme si j'existais plus pour eux. Bref, j'ai nulle part où aller..."

Elle sourit tristement et ajouta :

"Disons que comme beaucoup, je me suis laissée prendre au piège de Génosha. Je pensais franchement trouver une maison, un toit, une famille là bas mais... Depuis, la chute d'Hammer Bay, j'ai plus personne... C'est peut être ridicule mais..."

Nouvelle pause, nouveau trémolo dans la voix :

"Je me suis accrochée à cet article de l'Eastern. Comme quoi on pouvait être mutant et quand même accepté. Je... Je suis ridicule"

Se dandinant à nouveau, elle lança :

"Si je vous embête, c'est pas grave. Je prendrais juste vos toilettes. Et si vous avez une connexion internet et que ça vous embête pas, j'irai chercher l'hôtel le plus proche dans mes moyens... C'est déjà très sympa de m'avoir laissé entrer"

Installé dans son escalier, le jeune homme eut un reniflement outré. Évidemment, il aurait dû s'en douter, il allait aussi avoir besoin d'un peu de chance s'il voulait réussir son coup. Adressant une grimace à son écran, il rongea un instant l'ongle de son petit doigt d'un air pensif, puis haussa les épaules et se remit au travail. Il n'avait pas tellement le choix, autant commencer par les connexions qu'il captait le mieux puisque l'appartement de Chris faisait parti des plus proches géographiquement. Alors qu'il s'attaquait au haut de sa liste, le début de conversation qu'il put percevoir sur le pas de la porte du mutant lui tira un vague sourire. Décidément, Georgia avait du culot, de ce qu'il pouvait juger d'ici, elle avait réussi à rentrer puisque la porte s'était refermée et qu'ils ne les entendaient plus. Il fallut juste espérer qu'elle gère jusqu'au bout, il se voyait mal défoncer la porte pour venir à son secours tel le preux barbare qu'il n'était pas.

Chris ne répondit tout d'abord pas à la question, et alla s'installer dans son canapé, regardant Georgia d'un air vaguement désabusé, alors qu'elle lui racontait sa tragique histoire.

"C'est malheureux... En fait, ce que je disais était en rapport aux mutants de l'Institut Xavier. Que je ne leur fermerais pas la porte. Mais ça me fait penser... Si vous êtes aussi perdue, pourquoi n'allez-vous pas les voir ? Ce n'est pas très loin d'ici à pieds. En plus il fait beau. Je suis sûr qu'ils vous aideraient bien volontiers à chercher un endroit où loger, parce que comme vous le savez, je ne suis pas originaire du coin, donc je ne connais pas vraiment plus que ça la région."

L'inspection de Georgia se révéla infructueuse : il n'y avait pas de portraits ou de photos d'amis. Tout au plus pouvait-on deviner qu'il avait assez de place pour recevoir du monde...

"Et mis à part utiliser mes toilettes, qu'est-ce que vous attendez de moi exactement ?"

Dans le couloir, Jeremiah était finalement parvenu à pirater une session wifi, sans savoir d'où elle provenait exactement...

"L'institut Xavier..." répliqua Georgia songeuse. "A un moment, j'ai pu y penser... Mais c'était avant Génosha, avant de vivre ce que j'ai vécu là bas... A l'époque, j'étais timorée, paumée... J'écoutais mes parents qui me disaient que j'étais malade, que j'allais pas bien et que c'était pour ça que j'étais ce que je suis... une mutante"

Elle baissa les yeux, pour observer ses propres genoux.

"Et puis y a eu les articles sur Génosha, la nation mutante... C'était loin, c'était excitant et puis... Au moins là bas, entre mutants, je serai acceptée. Ça a même été génial pendant le temps que ça a duré... Je pensais plus à ma famille qui me manquait ni même au fait que pendant des années j'avais grandi comme une humaine"

La blonde, faisant une drôle de moue, plongea à nouveau ses yeux dans ceux de Chris.

"Mais les massacres de Hammer Bay, ça a tout changé. Plus de génosha, plus qu'un vaste charnier... Comment continuer à vivre quand tous les gens qui comptaient pour moi, là bas, sont morts ? Je me suis cassée, traumatisée par ce que j'avais vécu là bas, écœurée du jugement pourri de La Haye... Alors, l'Institut, pour moi c'est ce qu'on en dit dans les journaux. C'est ceux qui collaborent avec le Gouvernement, avec les humains. C'est pas ma place. Trop visible. Le jour où tout explosera, j'veux pas être aux premières loges à attendre sagement qu'on vienne me chercher"

Georgia esquissa un sourire. Et lança d'une petite voix, tout en se dandinant sur sa chaise :

"Je dois vous paraître super parano. Après tout, vous êtes exposé vous même ! Mais..."

Elle avala péniblement sa salive.

"J'ai aucune idée de l'endroit où je veux aller. Mais en tout cas, ça sera pas l'Institut... Et si vous pouvez pas m'aider, ben j'irai juste dans vos toilettes et puis je retournerai dehors..."

Georgia prit une grande inspiration et conclut :

"En tout cas, c'est très sympa de m'avoir écoutée déjà..."

Se tortillant sur sa marche, il avait changé au moins cinq fois de position en quelques minutes, Jeremiah se figea enfin pour un instant lorsqu'il passa les barrières de la première connexion. Jetant un bref regard autour de lui, c'est à dire qu'il n'avait pas l'habitude de hacker dans les escaliers et que ça le perturbait un peu, le jeune homme revint à son écran et prit quelques instants pour naviguer dans les documents partagés du réseau qu'il avait rejoint. Il avait peu de chance d'y trouver quelque chose pouvant lui indiquer qu'il avait tapé juste, mais ça ne coûtait rien d'essayer. Accéder à l'ordinateur et son disque dur à partir de la connexion allait être un peu plus long et il s'y attela sans tarder. S'il devait éplucher plusieurs réseaux puis leur pc relié avant de trouver ce qu'il cherchait, pas tellement intérêt à se prélasser.

Comme prévu par Jeremiah, il n'y avait rien dans les dossiers partagés. Accéder au reste du disque dur ne fut pas forcément compliqué, mais mis à part quelques films cochons, il n'y avait rien de compromettant. Peut-être était-ce juste le mauvais ordinateur.

Dans l'appartement, Chris écouta les explications de Georgia d'un air pas forcément très intéressé, puis il répondit :

"Donc, vous venez de je ne sais où, via Génosha où vous êtes allée parce que c'était loin, mutant, et exotique, et finalement, vous avez refait un grand voyage juste pour me trouver et me raconter tout ça. Et emprunter mes toilettes aussi, ça j'ai compris. Vous avez quasiment fait le tour du monde, sans aucun point de chute. Juste pour me voir."

Il n'avait manifestement pas l'air convaincu par toute cette histoire, et aussi vaguement ennuyé de la présence persistante d'une parfaite inconnue qui lui racontait sa vie. Il n'était probablement pas fait pour les fans...