[Grèce-Crête] Papoutsakias et autres spécialités...

Je descendis quatre à quatre les escaliers. Le ton sévère et à la fois tendue de la voix de mon père m'intimant l'ordre de venir les aider, m'avait fait bondir. J'avais enfilé mes chaussures rapidement, et j'avais quitté mon frère, Alcinoos qui n'avait pas daigné me lancer un regard compatissant. Ses jeux en ligne l'absorbaient beaucoup trop pour qu'il puisse encore faire attention à moi.
Arrivée en bas, j'ouvris la porte donnant sur les cuisines du restaurant et entrai. Nikos, le cuisinier me lança un sourire édenté en guise de salut. Salut auquel je répondis brièvement par un signe de tête avant de filer directement en salle.

"Lise!" Interpella le cuisinier. "Emmène ces papoutsakias s'il-te plait: table cinq."

Je revins sur mes pas et Nikos me lança un regard amusé.

"C'est très amusant Nikos..."

"Même pas fait exprès..." Mentit-il sans se départir de son sourire.

Je décidai de l'ignorer pour ne pas lui laisser le plaisir de m'énerver et m'emparai des aubergines farcies à la viande hachée, cernées par une sauce béchamel. Ça sentait bon et mon ventre gargouilla. L'ignorant j'entrai dans la salle, assiettes en mains.
Je constatai non sans une certaine satisfaction que notre restaurant était encore plein. Beaucoup de touristes pour la plupart, et quelques habitués plus rares.
Erinne la serveuse qu'on employait, me salua et poussa un petit soupir exaspéré. J'y répondis par un sourire, sachant que ce n'était pas un signe de mauvaise volonté, mais plus de lassitude. Lassitude qu'elle savait partagée avec moi.
Arrivée à la table cinq, j'annonçai les papoutsakias aux deux clientes anglaises qui observèrent leurs plats devant elles de la même manière que si je venais de déposer une bouteille de whisky trente ans d'âge devant des alcooliques sevrés. Elles poussèrent des "ah" et des "oh" et se jetèrent sur leurs plats sans même m'adresser un quelconque remerciement. Nouveau sourire polie, avant de les quitter.
J'embrassai la salle du regard, il faisait encore jour dehors, il était à peine dix-neuf heures. La lumière pénétrait par les vitres colorées de l'établissement, reflétant leurs couleurs sur les tables et le sol. Les tables de bois, flanquées de grandes banquettes offraient une certaine intimité aux clients, à tel point qu'il était presque impossible qu'une conversation soit épiée par la table voisine. Un grand bar en mosaïque en grande partie blanche, et tâchée de couleurs vives longeait le mur à ma droite. Les appliques venait d'être allumées, pour faire face à la lumière déclinante de la journée. Composé d'une multitude de LED, le plafond bien que lumineux avait plus un usage esthétique qu'autre chose. Je trouvais toujours agréable de le regarder, le regard se perdait bien souvent dans le vague...

"Elisabeth! La table 3, 7 et 12. Tu peux prendre leurs commandes?" Demanda mon père en me tirant de ma rêverie.

Je jetai un rapide coup d'œil aux tables désignées comme si cela pouvait changer quelque chose.

"Je m'en occupe..." Répondis-je en m'emparant de la tablette électronique.

Stylet en main, j'actionnai la tablette et partis vers la table 3. Ma mère qui travaillait elle aussi en serveuse me fit un clin d'œil et un signe de la main pour me motiver. J'y répondis par un large sourire non dénué d'ironie. Le client de la table 3 m'attendait, certainement très impatient...

À la table trois se trouvait un client, qui lisait la carte non sans une certaine perplexité. Sitôt qu'il vit Elisabeth s'avancer avec sa tablette, il lui adressa un sourire charmeur...



"Bonsoir mademoiselle. J'attends quelqu'un qui ne devrait plus tarder, alors je prendrai juste un apéritif. Vous avez du soda sans sucre ? J'en prendrai deux s'il vous plaît... Il faudra que vous m'expliquiez la carte aussi, ou alors je vous laisserai choisir pour moi. Ou bien je verrai avec mon invité(e), qui devrait mieux connaître la cuisine locale..."

Il avait effectivement l'air impatient, mais sa conversation trahissait soit un indicible bavard, soit un certain stress. Un rendez-vous galant peut-être...

La table sept était occupée par un couple de retraités d'apparence très fortunés, qui choisirent le menu le plus cher. Quant à la table 12, elle accueillait une demi douzaine d'étudiants, dont certains étaient manifestement éméchés, et qui souhaitait semblait-il fêter un anniversaire.


(HJ : te serait-il possible d'écrire ta narration à la troisième personne ? Tout le monde écrit de cette façon ici...)

Elisabeth observa son client à la 3, visiblement en pleine lecture du menu. Il releva sa tête pour lui sourire découvrant une rangée de dents blanches parfaitement alignées. Il fallait l'avouer, le jeune homme était plaisant à regarder.

"Bonsoir...jeune homme." Lâcha t-elle après hésitation.

Elle l'écouta justifier sa commande avant qu'il ne propose plusieurs choix à la jeune serveuse concernant la carte.
Premier choix: Qu'Elisabeth prenne du temps pour lui détailler la composition des plats.
"C'est une technique de drague ça? Après tout, c'est peut-être un étranger...célibataire?" s'interrogea aussitôt Lise en replaçant une mèche de cheveux derrière son oreille.
Second choix: Lise avait le loisir de décider de ce qu'ils allaient manger.
"Ce gars prends beaucoup de risques... Il ne connait vraiment pas les spécialités grecques...ni même mes goûts!" Songea la jeune femme non sans un sourire.
Mais dans tous les cas, le jeune homme précisa que son invité(e), devrait être en mesure de lui expliquer la carte.
Lise imagina aussitôt que ce repas n'était pas autre chose, qu'un premier rendez-vous galant. Après tout, le restaurant était relativement propice à ce genre de rendez-vous et puis, un gars, beau et jeune comme lui, ne pouvait décidément pas être seul.
La fille devait certainement être jolie... Songea Lise. Dans tous les cas l'invitée était du coin puisqu'elle connaissait la cuisine locale.
Le stress qui transparaissait à travers les paroles du jeune homme confirmait l'hypothèse de la serveuse."Comme c'est charmant!" Pensa-t-elle avec complaisance. Mais la première impression laissa place à la déception et la jeune fille se renfrogna imperceptiblement.
Quant à sa demande, Elisabeth ne pouvait pas se permettre de prendre du temps pour lui expliquer la carte plutôt bien fournie de l'établissement. Elle n'était pas certaine que son père apprécierait une telle "pause" alors que le restaurant était plein. Lise posa une main sur la table et répondit:

"Je suis désolée, mais comme vous pouvez le voir, nous sommes complets et nous sommes peu nombreux, je vous serais reconnaissante de requérir à l'aide de votre invité pour ce qui concerne la carte. Il est aussi préférable que je ne sois pas la responsable du choix de vos plats à moins que vous n'aimiez la cuisine....épicée!" Acheva-t-elle en souriant.

Inquiète de ne pas donner entière satisfaction à son client, Elisabeth ajouta:

"Sinon pour les sodas sans sucre, aucun problème je vous apporte ça au plus vite."

Le tout accompagné de deux coups de stylet sur la tablette.

Poursuivant les commandes, Lise enchaîna à la 7 où deux retraités prirent les menus les plus chers. Guère étonnant au vue de leurs habits... Le collier de la dame devait valoir à lui seul le salaire moyen d'un ouvrier. Remerciant le couple pour la commande, Lise se déplaça à la 12 qui semblait être la table la plus bruyante du restaurant, mais aussi la table où la commande était la plus difficile à passer. Les étudiants surexcités et certainement pas aussi frais qu'ils devraient l'être à cette heure, étaient bien plus occupés à brailler et rire qu'à passer commande. Lise comprit vaguement que ces étudiants souhaitaient célébrer un anniversaire.
"Libre à eux... Mais...faites vite!!!" Hurla t-elle intérieurement en fixant un des jeunes hommes qui l'observait d'un regard lubrique, guère conscient que sa manière de la reluquer était impolie.
La commande fut prise au bout de dix minutes et Lise revint au bar foudroyer du regard son père qui l'avait envoyée dans cet ultime traquenard.
Elisabeth fila ensuite en cuisine pour s'occuper nécessairement de la première commande de la table 3. Elle prit, dans la chambre froide, deux bouteilles de soda light, deux cocas semblait-il puisque le jeune homme n'avait pas jugé bon de lui indiquer précisément sa boisson. De toute façon, ce devait être le cadet de ses soucis en ce moment... Lise sourit. Néanmoins il avait précisé sans sucre. La boisson correspondait tout à fait au physique du consommateur: sportif, très certainement soucieux de préserver sa silhouette athlétique.
S'emparant d'un plateau, la serveuse disposa les deux bouteilles avec deux verres et partis à la table 3.

"Je vous ai pris deux coca light... Ça va vous va?" Demanda t-elle à l'intention du jeune homme.

Lise s'apprêtait à repartir puis peut-être sous le coup d'une impulsion audacieuse, ou encore par altruisme, conseilla respectueusement:

"Si je puis me permettre, vous avez l'air tendu... Respirez un bon coup, je suis certaine que quel que soit votre invité, cela se passera bien..."

Miracle: Élisabeth ne sentit pas le sang affluer à son visage. Elle accompagna son conseil/boutade avec un sourire au cas où...

Le jeune homme hocha la tête d'assentiment face aux soucis d'Elisabeth

"Oui oui, je comprends... Pas de problèmes, je lui demanderai."

Alors que la jeune serveuse repartait vaquer à ses occupations, celui-ci se replongea dans une étude attentive de la carte, en lançant de temps à autres des regards excédés vers la table douze, jusqu'au retour d'Elisabeth.

"Des coca light ? Oui, ça m'ira très bien. Tout le monde aime le coca normalement !"

Il sourit et plissa les yeux quand la serveuse parla de son invité.

"Oui, je pense que ça se passera bien, mais bon... Vous savez, les premières rencontres, c'est jamais simple... Il y a toujours un peu de timidité, on a envie de bien faire, d'être convainquant et... Oh, le voilà !"

Il adressa alors un petit signe et un grand sourire à quelqu'un qui faisait son entrée dans le restaurant à son tour.


Un fracas de verre se fit alors entendre en provenance de la table douze, suivi de quelques éclats de rire gras et pas très malins. Erinne, l'air lasse et fort marrie, se précipita vers l'endroit avec son plateau et un chiffon toujours prêt pour ce genre d'urgences.
Le jeune homme de la table 3 leva les yeux au ciel et soupira bruyamment par le nez. Au temps pour le dîner romantique... Erinne lança alors à Elisabeth :

"Viens me filer un coup de main !"

Elisabeth tenait sa tablette entre ses mains et écoutai le jeune homme. Il avait été très courtois depuis le début, et sa visible appréhension le rendait très sympathique au yeux de la jeune femme.
Néanmoins celle-ci ne s'attendait pas une telle chute: l'invité en question était un homme. Double déception pour Elisabeth qui se tourna alors vers l'endroit qu'indiquait son client.
Lise découvrit l'invité qui n'était autre qu'un parfait adonis. Le marcel noir du nouveau venu moulait parfaitement son torse saillant dont on devinait les contours musclés. Ses bras nus, légèrement halés, étaient bien proportionnées par rapport au reste du corps. Mais plus que le corps, le visage était celui d'un ange, remarquablement beau. Quel crève-cœur! Ce garçon était vraiment trop parfait!
Au même instant, le bruit d'un verre qui se brise se fit entendre. Naturellement, il provenait de la table 12... Ce qui déclencha leurs rires... Quel bande d'abrutis! Songea la jeune femme sans pour autant quitter des yeux le nouveau venu, sachant pertinemment qu'Erinne très réactive était déjà partie voir ce qui se passait.
Lise se tourna ensuite vers le client de la 3 qui semblait visiblement contrarié par ce qui venait de se passer à la 12... Le deux tables se connaissaient peut-être...

"Viens me filer un coup de main!"

La voix d'Erinne tira Elisabeth de sa réflexion et la serveuse fila vers la table 12 en s'emparant du chiffon qu'elle gardait toujours dans ton tablier.
Peut-être aurait-t-elle besoin d'une serpillère mais mieux valait constater les dégâts avant toute chose. Autre détail, pourquoi Erinne avait-elle appelé Elisabeth? Ramasser un verre cassé était largement à la portée d'une seule serveuse... Il devait y avoir quelque chose d'autre.
Inquiète Lise arriva à la table 12 et demanda:

"Qu'est-ce qui s'est passé?"

La question s'adressait autant à la tablée qu'à Erinne. Lise affichait un visage antipathique en direction des différents clients de la 12. N'avaient-ils pas ris alors que l'un d'eux avait très certainement cassé un verre?

Le spectacle de la table 12 était une sorte de capharnaüm de verres renversés, avec une bouteille de vodka brisée au milieu de la table. Ceci avait été manifestement provoqué par l'un des convives d'allure plutôt corpulente qui s'était affalé tête la première sur la table, et qu'Erinne était en train de s'employer à redresser. Il n'avait pas l'air d'avoir toute sa tête, et son air ahuri et vaguement pris de vertiges faisait rigoler bêtement toute la tablée.

"Oh ben c'est rien poupée, c'est juste John qui a trop picolé avant de venir, il doit pas se sentir bien. Vous devriez apporter un seau, des fois qu'il ait envie de gerber.", commenta l'un des invités d'une voix pâteuse, ponctuée de répliques sismiques d'un rire difficilement contrôlable.

Au milieu de cela, une jeune fille peroxydée, sur le front duquel était écrit moussaka était rouge comme une pivoine, et essayait de bafouiller des ordres de retour au calme vis à vis de ses compagnons.

Elisabeth avait rarement vu un tel désordre sur une table. Les verres étaient pour la plupart renversés et au centre, la bouteille de vodka gisait en morceaux dans son liquide clair. Liquide dans lequel un jeune homme à l'air de buffle nageait, à croire qu'il avait essayé d'y plonger. Il était certainement le principal responsable de tout ceci. Elisabeth observait Erinne qui tentait de le redresser et la jeune serveuse se retint de sourire.
Mais après les propos de l'un des invités en réponse à sa question, Lise n'avait plus envie de rire. Il se payait sa tête en plus. Elisabeth prit un certain moment avant de se décider, hésitant entre appeler son père et régler le problème, seule. Elle se décida en quelques secondes où elle rangea sa tablette dans son tablier en même temps que son chiffon. Gardant son sang-froid tout en prenant un ton menaçant, Elisabeth s'avança vers le jeune homme et déclara:

"Eh bien, tu sais ce que tu vas faire, toi et ta bande de pote? Vous allez régler l'addition et puis prendre la porte bien gentiment, histoire que... John, trouva Elisabeth en se tournant vers l'intéressé, puisse "gerber" tout son saoul mais... DE-HORS!"

Articula la jeune femme comme pour imprimer ses paroles dans le cerveau imbibé du jeune homme. Elisabeth se tourna ensuite vers la jeune fille peut-être plus mature que le reste de la table et l'interpella:

"Toi la moussaka, pourquoi ne verrai-tu pas avec la serveuse pour régler la note pendant que moi j'aide tes amis à débarrasser le plancher?"

Lorsqu'Elisabeth mentionna le serveuse, elle désigna Erinne d'un signe de tête. Lise avait la ferme intention de se débarrasser de ces indésirables.

Encore plus ou moins vacillant, le dénommé John se leva sans opposer de résistance particulière, fit quelques pas, puis s'effondra à moitié sur la vieille dame de la table sept qui poussa des cris suraigus et des hoquets d'indignation. Après de nouveaux éclats de rire désespérants de ses compagnons, ceux-ci vinrent à sa rescousse, sous le regard consterné des deux hommes de la table trois qui n'en perdaient pas une miette.

La fameuse Moussaka, se leva, bredouilla de vagues excuses, et sortit sa carte pour régler la note, avant de s'en aller également. Toute la salle sembla alors redevenir remarquablement silencieuse, même s'il y régnait l'habituel brouhaha-70dB d'une salle de restaurant.

Un petit signe : la table trois voulait passer sa commande. Ce ne fut pas le premier arrivé qui commanda, mais son invité, qui parlait avec un accent plus local...

"On va prendre tous les deux une koriatiki en entrée, pour lui, ce sera keftedes et stifado en plat, et pour moi des escargots bourbouristi. Et du Retzina pour arroser tout ça."

Il était manifestement plutôt connaisseur de la cuisine locale. L'autre, pendant ce temps, regardait Lise avec une certaine appréhension, comme pour chercher son assentiment face à tous ces plats aux noms barbares. Finalement, il hasarda.

"Ça arrive souvent des soirées étudiantes arrosées, comme cela ? Ce doit être pénible d'avoir à gérer ce genre de choses..."

John se leva non sans mal. Au grand soulagement d'Elisabeth, il n'opposa aucune résistance au même titre que le reste de la table semblait-il. Mais alors que tout semblait achevé, John s'écroula sur la dame de la 7 et Elisabeth fila vers la table pour présenter ses plus plates excuses, et promit de leur offrir l'apéritif pour se faire pardonner. Son père accepterait certainement cette compensation...
Mais ce qui ajoutait à la colère de cette dame et à juste titre, c'était les éclats de rire de la table 12. Lise se tourna vers eux et leur jeta un regard noir.
Fort heureusement, la Moussaka semblait avoir obéie. Elle bredouilla quelques excuses auxquelles Elisabeth ne répondit pas et elle partit payer.
Le groupe quitta enfin le restaurant et Lise se retint de leur lancer un "Et...n'y revenez plus!", mais elle n'en eut pas même l'occasion car la table 3 venait de l'appeler. *Ceux deux là n'ont rien louper, à coup sur...* Songea Elisabeth qui remarqua que l'habituelle ambiance du restaurant avait été rétablie avec le départ de la 12. Ambiance appréciable, puisque familière pour Lise qui s'empara de sa tablette en se dirigeant vers la 3.
L'ange au marcel noir prit naturellement la commande puisqu'il semblait d'une manière ou d'une autre connaître les spécialités locales. Il semblait véritablement à l'aise avec la cuisine crétoise, ce qui était plutôt agréable car en général les clients demandaient toujours quelques explications rapides pour se décider. Elisabeth nota le choix de la table en le tapant sur sa tablette. Tandis qu'elle cherchait rapidement les boutons, elle commentait:

"Deux koriatiki..."*J'aurais du me douter qu'ils prendraient des salades, j'imagine qu'on ne peut pas avoir un corps de rêve sans effort...*Pensa Lise en enchaînant:"Un keftedes et un..." Hésita-t-elle en cherchant l'onglet en question avant de le trouver: "...stifado avec les escargots bourbouristi..." Il s'agissait d'escargots frits dans l'huile d'olive avec du citron, cela avait beau être un plat traditionnel crétois, Elisabeth détestait."... et une bouteille de Retzina.... Parfait, messieurs"! Conclu-t-elle avec un large sourire avant de se tourner vers le premier jeune homme:"Vous verrez c'est délicieux, votre copain est...fin connaisseur!"

Le premier garçon semblait toujours un peu tendu, peut-être ignorait-il encore ce qu'il allait manger? Non, certainement pas, son copain avait du le lui préciser... En tout cas, c'était sans aucune doute, beaucoup mieux que ce que Lise lui aurait choisie... Il demanda en fin de compte si les soirées étudiantes arrosées étaient régulières... Peut-être imaginait-il que c'était une habitude crétoise?

"Ça arrive de temps en temps, mais cela reste rare, ou en tout cas ils ne viennent pas ici... Il est dommage qu'un anniversaire s'arrose si tôt dans la soirée, ils devraient attendre une heure décente au moins ou le faire chez eux, ça nous éviterait ce genre de scène..." Réfléchissant à la seconde question Elisabeth ajouta:"Je dois vous avouer que certaines fois ces situations peuvent avoir du comique lorsqu'elles ne finissent pas ainsi. Des clients joyeux mais respectueux sont toujours agréables mais s'ils commencent à être agressifs, insultants, ou...malades, ça devient difficile à gérer... Et je crois que ce soir, nous avons eut de la chance avec eux, ils sont sortis rapidement sans trop de difficultés... En général les crétois ne posent pas de problèmes, ce sont plus les jeunes touristes qui viennent ici en vacances enchainer les soirées de ce genre qui peuvent s'avérer problématique... A ce propos vous êtes en vacances ici? N'allez pas imaginer que je vous compare à de jeunes alcooliques, non c'est juste que je ne vous avais jamais vu, et comme tous les jeunes se connaissent en général ici..."S'enfonça Elisabeth qui rougissante préféra se taire en attendant la réponse.

En entendant Elisabeth parler de "votre copain", l'ange au tshirt noir eut un petit sourire charmeur vis à vis de son hôte qui rosit légèrement, et se ravisa avant de bafouiller des justificatifs qui se contenteraient de l'enfoncer plus qu'il ne l'était déjà.

Ce fut l'ange au débardeur noir qui lui répondit, d'un air assez amusé.

"Bah... il faut bien que jeunesse se fasse. Comme ils disent toujours, il faut faire des erreurs pour apprendre, si on ne le fait pas maintenant tant qu'on est jeune, on ne le fera jamais... Et tout un tas d'autres excuses plus ou moins bidon, au fait qu'ils n'arrivent pas à se projeter dans l'avenir. C'est malheureux..."

Puis, l'autre.

"En vacances oui... Je viens du Canada. Un assez long voyage, mais bon, on m'a toujours dit que l'Europe était un très bel endroit à visiter, plein d'Histoire et de jolies choses...", ajouta-t-il en regardant son invité, qui enchaîna.

"Je viens de Grèce, en ce qui me concerne."

Sentant qu'elle allait rapidement être de trop, Elisabeth préféra retourner vaquer à ses occupations. La soirée était un peu plus calme, et Erinne put la décharger d'une partie de ses occupations, même si elle resta à s'occuper de la table trois. Le repas semblait bien se passer, et les deux tourtereaux devisaient calmement, tout en s'échangeant parfois quelques regards complices, ou lançant des regards aux autres tablées d'un air amusé.

La table douze avait fini son repas, et le vieux monsieur s'était lever pour venir payer, galanterie oblige... Le restaurant se vidait peu à peu, et il était temps pour la table trois de venir commander le dessert. Quelque chose, toutefois, ne tournait pas rond. Erinne se plaignait de façon inhabituelle qu'elle avait mal aux jambes, et elle avait manqué de se casser la figure en allant servir une commande. Et il faisait tout d'un coup assez froid. L'été n'était pas encore vraiment là, mais d'habitude, en Crête, il fait meilleur que cela, même le soir.

Comble de bonheur, deux lampes au plafond rendirent l'âme simultanément, plongeant tout le restaurant dans une ambiance beaucoup plus tamisée. Le premier arrivé de la table trois sembla alors s'agiter... Alors même qu'ils n'avaient pas fini leurs desserts, il réclama l'addition...

Elisabeth était relativement d'accord avec l'ange si bien qu'elle l'écouta sans rien dire. Elle apprit ensuite que le premier jeune homme venait du Canada pour passer ses vacances ici. Certes la Crête recélait quelques trésors historiques même si ceux-ci étaient vraiment en sale état...
Lise ressentit une certaine fierté à ce que son pays soit apprécié pour autre chose que son soleil et ses plages de sable blanc. Le second jeune homme était bien grec...
La jeune femme hocha la tête puis sentant qu'un léger malaise allait poindre, elle préféra s'éclipser et s'occuper d'autres clients. Les péripéties semblaient finies pour ce soir et Elisabeth finit par s'accouder à la caisse, car Erinne s'occupait relativement bien des clients. Lise ne revint à la 3 que pour apporter les plats en les annonçant et en souhaitant un bon appétit aux tourtereaux.
Lise commençait à s'ennuyer ferme et commençait presque à regretter le petit incident de tout à l'heure. Le vieux monsieur de la 7 vint payer l'addition et Elisabeth encaissa, en le remerciant encore pour leur patience, heureuse qu'il ne vienne pas se plaindre.
La jeune femme jetait régulièrement des coups d'œil à la table 3, et remarquait que tout se passait bien pour le jeune homme timide. Il devait être content de la tournure que prenait la soirée. Élisabeth sourit pour elle-même. Les deux observaient régulièrement le peu de tables qui restaient, devisant certainement sur tel ou tel client, ce qui semblait être une source intarissable de conversation.
Lise croisa les bras et passa machinalement ses mains sur l'un et l'autre. Erinne lui indiqua à plusieurs reprises que ses jambes la faisaient souffrir à tel point qu'elle avait faillit renverser sa commande. Ce n'était pas le genre d'Erinne de se plaindre, ou si elle le faisait c'était toujours avec humour... Le service avait peut-être été éprouvant pour elle, pour autant elle avait déjà fait la saison ici, ce qui était beaucoup plus dur que ce genre de service....
Réchauffant toujours inconsciemment ses bras, Elisabeth remarqua le soudain froid qui semblait s'être abattu dans le restaurant. Par les fenêtres, la nuit avait prit place mais ce n'était pas une raison pour ce soudain rafraichissement. Les soirées crétoises étaient plutôt chaudes, presque suffocantes, plus en été il était vrai, mais même à cette époque une telle fraîcheur était tout à fait inhabituel. Le chauffage était coupé, on en avait pas besoin depuis le début du printemps...
Peut-être fallait-il l'allumer? Mais alors qu'Elisabeth songeait à en parler à son père, deux lampes se coupèrent simultanément. Mais que se passait-il? Y-avait-il un problème avec l'électricité? L'ambiance feutrée n'était pas autrement dérangeante mais elle donnait l'impression d'être dans un bar plus que dans un restaurant.
Élisabeth s'apprêtait à partir consulter le thermomètre et voir si du coté électrique tout allait bien mais la table 3 l'appela: ils réclamaient l'addition.
Là aussi, c'était inhabituel, aucun client ne repartait du restaurant "Aux milles saveurs crétoises" en laissant son dessert dans l'assiette. Peut-être voulaient-ils les finir mais pour partir plus rapidement ils avaient demandés l'addition maintenant. Mais Lise remarqua l'agitation du premier jeune homme...
Peut-être attendait-il d'être dehors pour rendre son dessert au plus vite? S'imagina la jeune femme non sans humour.
Lise fila vers la table 3 et demanda avec une pointe d'inquiétude sincère:

"Tout s'est bien passé? J'ai remarqué que vous n'aviez pas fini votre dessert, vous n'avez pas aimé?"

L'invité semblait plutôt calme, vaguement surpris même par le soudain comportement de son hôte, alors que tout se passait à peu près bien dans le restaurant, mis à part les soudains problèmes d'éclairages...

"C'était vraiment délicieux ! Ce restaurant ne faillit pas à sa réputation ! Ça ne va pas Kyle ?"

Le dénommé Kyle, premier arrivé de la table trois, regardait frénétiquement tout autour de lui, comme s'il cherchait quelqu'un. Il sortit alors sa carte, la tendit à Lise, qui constata alors que sa machine de paiement n'avait plus de courant, et tâcha de paraître aussi calme que possible.

"Oui, c'était vraiment très bon. Merci beaucoup pour ce repas, et tu as très bien choisi. Mais je n'ai plus vraiment le temps de rester, et je n'ai plus très faim..."

Il y eut un petit bruit électrique, et ce fut cette fois tout le restaurant qui fut plongé dans le noir, à peine éclairci par les pâles lueurs du crépuscule.

"Merde, merde, merde, merde, merde...", marmonna Kyle, tout en cherchant frénétiquement son téléphone qu'il sortit. Il commença à pianoter dessus, il avait l'air visiblement agité.

Son rendez-vous galant l'attrapa alors doucement par le bras, et lui dit gentiment.

"Kyle... Détends-toi ! Tu fais peur à tout le monde. Qu'est-ce qui t'arrive ?"

Quoi qu'il lui arrivât, ledit Kyle avait l'air terrifié, il regardait partout, haletait... Mais il n'était pas le seul à trouver la situation étrange. Plongées dans le noir, les autres tables voyaient leurs derniers clients partir en bougonnant.

Et c'est au milieu de cette étrange scène qu'un nouveau client fit son apparition...

Le repas avait été bon. Mais peu importait désormais à Elisabeth qui observait le dénommé Kyle s'agiter, visiblement mal à l'aise, voir presque effrayé. De même son compagnon semblait surprit par son comportement. Lise s'empara de la carte de Kyle mais alors qu'elle allait l'insérer, le lecteur s'éteignit. C'était bien la première fois que cela lui arrivait, ces petites machines fonctionnaient sur batterie, et elle n'avait pas quitté sa recharge de la journée ou presque, sans compter que l'engin avait une autonomie très importante. Décidément, l'électricité était totalement détraqué dans ce restaurant. Kyle confirma alors les propos de son copain, et Elisabeth sourit en retour, inquiète néanmoins que son lecteur l'abandonne ainsi. La jeune femme tapa sur les cotés de la machine avec l'espoir de la réactiver, mais celle-ci restait imperméable à toute manipulation.
Le courant s'éteignit brusquement et toutes les lumières de l'établissement émirent un grésillement significatif avant de s'éteindre. *Qu'est-ce qui se passe encore?!? Non mais vraiment quelle soirée!* Pensa Lise avant d'interpeller la salle:

"Simple coupure de courant, on rétablie ça dans un instant!"

La salle plongée dans une presque obscurité mettait mal à l'aise Elisabeth qui ne bougea pas d'un pouce pour rétablir le courant, car elle avait la terrible impression que Kyle visiblement peu surprit par la situation mais plus désespéré, était en lien avec tout ceci. Elle ne pouvait pas décemment croire que Kyle avait peur du noir... Il chercha frénétiquement son portable et composa rapidement un numéro. Lise en profita pour lui indiquer:

"Ne vous inquiétez pas, il n'y a pas mort d'homme, c'est juste une coupure de courant, calmez-vous..."

L'ange au débardeur noir intervint aussi pour l'inciter au calme mais rien n'y faisait il semblait terrifié à présent. Il haletait même! Elisabeth perçut des bruits et des ombres mouvantes. Les clients s'en allaient! Personne ne payait. *C'est la fête! Allez-y, tournée générale pour les trois dernières tables!* Ironisa Lise, surprise. *Ils vont pas tous partir pour une coupure de courant!Faut rétablir ça au plus vite!*


"Erinne! File voir au niveau de l'électricité si il n'y a pas un quelconque problème apparent!"Lise enchaîna en s'adressant à la salle entière: "Si vous voulez bien vous donnez la peine de rester encore un instant, le courant sera très bientôt rétabli..."

*Mais qu'est-ce que c'est que cette soirée!* Songea à nouveau Lise qui n'avait jamais connue un tel problème. Le réseau d'électricité avait toujours été performant et l'établissement n'avait jamais eut ce genre de panne...progressive qui plus est. Elisabeth sentait bien que Kyle savait ce qui se passait.

"Kyle, vous permettez que je vous appelle Kyle? Calmez-vous et expliquez-moi ce qui..."

Elisabeth ne finit pas sa phrase car un client venait d'entrer, Elisabeth percevait juste une silhouette masculine dans l'encadrement de la porte. Ce n'était pas vraiment le moment pour un repas, Lise avait déjà bien du mal à garder les clients dans l'établissement, alors en accueillir de nouveau, cela relevait de l'impossible.
La jeune femme le héla:

"Monsieur, je suis désolée, le restaurant est...fermé! Il y en a un autre à deux pas d'ici qui sera ravi de vous accueillir..."

Se tournant ensuite vers Kyle, Elisabeth le prit par les épaules, vaguement agacée par la situation. Néanmoins, c'est avec calme qu'elle posa:

"Kyle expliquez-moi ce qui se passe, je sais que vous savez."

Les quelques personnes quittant le restaurant furent à l'origine d'un tumulte de protestation, et se plantèrent dans un coin. Kyle rentrait la tête dans les épaules comme si la foudre allait lui tomber sur la tête, sans rien répondre, puis il se leva subitement, se plaçant entre la table -et son invité- et le nouvel arrivant. Ledit nouvel arrivant qui, quant à lui, s'avança directement vers Elisabeth, lui adressant un sourire charmeur.

"Rassurez-vous mademoiselle, je ne viens pas pour dîner, mais uniquement pour saluer un ami que je ne m'attendais pas à trouver là... Je ne vous dérangerai pas très longtemps. Permettez que je prenne en charge leurs repas ?"

Il lui tendit alors sa propre carte de paiement sur laquelle était inscrite Wilson Beckers, puis s'adressa directement à son interlocuteur.

"Et bien Kyle... Je pensais que tu serais plus content que ça de me voir ! Au moins aussi content que je l'ai été quand j'ai appris que tu étais dans le coin. Tu ne me présentes pas ton nouvel ami ? Je le trouve... Tout à fait charmant."

Il regarda un instant vers le plafond, et toutes les lumières se rallumèrent subitement, ainsi que la tablette d'Elisabeth. Ceci avait un petit quelque chose de surnaturel. Le "tout à fait charmant" fit mine de s'avancer, mais Kyle le retint, restant devant lui, plutôt tendu, en une posture très protectrice.

Bien, visiblement, le nouveau-venu paralysait la langue de Kyle si bien qu'Elisabeth se tourna vers ce premier, ignorant les protestations des clients patientant pour obtenir de la lumière. Kyle craignait visiblement le nouvel arrivant, on aurait presque dit qu'il s'agissait d'un adolescent qui avait fugué de la maison pour fuir un père...envahissant!
Ignorant superbement le sourire charmeur et surtout manipulateur de l'homme, Elisabeth l'écouta répondre. Ces propos dégageaient une certaine suffisance, et en même temps une volonté de s'imposer de la manière la plus courtoise possible, du moins en apparence. Il disait être un ami de Kyle, ravi de le trouver ici et assura qu'il ne déragerait pas longtemps. Il proposa alors de payer le repas des deux garçons et tendit sa carte où Lise y lut "Wilson Beckers". Ça ne lui disait rien... Ça faisait américain peut-être...
Elisabeth toisa la carte avec impassibilité sans la prendre, puis observa le visage de M. Beckers avant de répondre:

"Mon client à la chance d'avoir un ami très...généreux! Mais si je puis me permettre, je lui laisse la décision de me dire s'il désire payer par lui-même ou vous laisser faire. Votre ami pourrait trouver votre geste trop aimable..." Acheva Lise avec un sourire aussi poli que M.Beckers.

Celui-ci se tourna ensuite vers son ami et après quelques paroles de courtoisie apparente, qui transpiraient l'ironie il demanda à être présenter au rendez-vous galant qui accompagnait son ami, prétendant le trouver "tout à fait charmant"... Malgré les apparences plutôt serviables et polies, l'homme apparaissait aux yeux d'Elisabeth comme...mauvais. Elle avait du mal à savoir ce qui clochait réellement.
Et comme si la situation n'était pas assez étrange, le courant fut brusquement rétablit, les lumières éclairant de nouveau. Elisabeth put alors voir au mieux M. Beckers. Il était remarquablement séduisant lui aussi mais plus dans le style brun ténébreux. Ses beaux yeux bleus venaient de s'élever vers le plafond au même moment où les lumières avait été rétablies. Encore une coïncidence qui n'en était certainement pas une et Elisabeth commençait à se poser sérieusement des questions. Son imagination lui jouait-elle des tours ou tout ceci était-il réellement surnaturel?
Pour ne rien arranger, l'ange esquissa un geste, peut-être se présenter, mais Kyle l'en empêcha. Visiblement M. Beckers et Kyle ne devaient pas être aussi amis que ce premier ne le laissait penser. Kyle avait d'ailleurs adopté une attitude protectrice.
Bon cette-fois il y en avait assez de toutes ces simagrées, ce genre de situation tendue avait le don d'agacer la jeune serveuse.
Elisabeth eut un rire forcé et annonça:

"Bon, visiblement, mon client n'a pas l'air d'avoir envie de vous voir M....Beckers! Maintenant que le courant est rétabli, ce dont je me réjouie, mes clients vont peut-être pouvoir terminer leurs desserts tranquillement s'ils le désirent ou payer. Si vous ne désirez pas manger, et si vous n'avez personne à qui parler ici, je vous prierais de bien vouloir quitter l'établissement puisque vous n'avez rien à y faire..."Lise avait désigné les clients de la 3 alors qu'elle avait évoqué ses "clients".

Comme pour appuyer ses propos la jeune serveuse se plaça entre Kyle et M. Beckers. Elisabeth se sentait obligée de défendre Kyle qu'elle avait trouvé si sympathique même si elle ignorait tout de la relation qui le liait à Beckers. Mais dans tous les cas, celle-ci n'était pas au beau fixe. Une bagarre dans l'établissement n'était même pas envisageable, et se placer entre les deux était un autre moyen de signifier cela à Beckers. Du coup, Elisabeth espérait qu'Erinne allait réagir un peu et s'occuper d'encaisser le reste des clients, histoire que la jeune femme se sente moins seule à gérer une telle situation.

Beckers haussa les sourcils, et remballa la carte dans sa poche avec un sourire entendu.

"À votre guise..."

L'ennui, c'est que le retour du courant avait subitement attiré l'attention sur la situation un peu tendue, tout du moins, du côté de Kyle et de son invité qui se parait d'une relative inquiétude. Les clients regardaient la scène, alors qu'Erinne s'employait tantôt à les encaisser, tantôt à les réinstaller.

Après sa diatribe et son placement en interposition, Beckers lança un regard glacial à Elisabeth, qui put se sentir toisée, mais au final, bien pire... Elle n'était absolument rien pour lui, et c'était comme s'il pouvait disposer d'elle à sa guise. Il se reporta bien rapidement sur Kyle, mais répondit à la jeune serveuse.

"En réalité, ma chère mademoiselle, Kyle est en train d'hésiter entre essayer de me mindlocker et prendre ses jambes à son cou, mais je suppose que vous -il s'adressa au petit ami- "êtes ce qui l'empêche d'être aussi lâche..."

Il fit encore un petit sourire, puis tourna les talons, en lançant à la cantonnade.

"Au plaisir de vous revoir, le plus tôt possible. Cet établissement est ma foi parfaitement charmant et pittoresque."

Il fallu quelques longues secondes à Kyle pour se détendre après le départ de Beckers. Il s'appuya alors sur sa table, l'air passablement éprouvé. Aurait-il vu la mort en face qu'il n'en aurait probablement pas été plus affecté. Son invité lui passa un bras autour des épaules, essayant tant bien que mal de le réconforter.

Dans la main d'Elisabeth, sa tablette indiquait "Insérez Carte". Dans son autre main, elle avait toujours la carte de Kyle, dont elle put découvrir que son nom de famille était Norman. Mais il y avait quelque chose de surprenant à propos de cette carte : elle était froide, jaune, et brillante... Elle était manifestement en or massif.

Beckers remballa sa carte et Elisabeth eut un petit sourire satisfait. Peu importe si tout le monde les observait, ce qui comptait à présent c'était que cet homme s'en aille d'ici. Fort heureusement Erinne avait semble-t-il prit les choses en main en s'occupant des différents clients. Observant à nouveau Beckers qui la toisait, Lise lui rendit son regard suffisant par une expression avenante et douce. Même si Lise avait conscience que cet homme était capable de lui décrocher une droite qui l'aurait envoyer valser à travers la salle, elle était ici chez elle et entendait bien renvoyer cet arrogant. Beckers, le grand "ami" de Kyle, lui lança quelques remarques humiliantes qui laissèrent Lise de marbre. Ce genre de remarque dénotait la véritable méchanceté du personnage enfin révélée. Et puis même si elles comportaient un fond de vérité, il n'y avait pas de mal à ça, bien au contraire, l'amour rendait plus hardi, c'était bien connu.
Beckers tourna les talons et lança une ultime pique à Lise qui répondit avec le même ton ironique:

"Croyez-bien que le plaisir sera partagé Monsieur..."Et alors que Bekers quittait l'établissement, Lise ajouta à l'adresse de Kyle "...ou pas!"

Le jeune homme sembla se détendre, soutenu par son compagnon. Au moins l'expérience les avait rapprocher, mais il n'était pas certain que Kyle l'ait désirée pour autant. Dans sa malchance, Elisabeth avait l'impression de s'en sortir plutôt bien puisque là aussi Beckers avait quitté le restaurant sans véritables difficultés.
Lise, soulagée jeta un coup d'œil à sa tablette réclamant toujours l'insertion d'une carte. *Oui, oui je vais t'en trouver une en fin de compte* Songea Lise qui remarqua la carte de Kyle dans son autre main. Kyle Noman. Elle semblait anormalement lourde et Lise l'étudia de plus près. Elle était dorée et froide, et la lumière des appliques se reflétait sur sa surface. *De l'or?* S'étonna Elisabeth. Détail étrange de plus pour cette soirée décidément peu ordinaire. Depuis le début, rien ne s'était passé comme prévu: la table 12 d'éméchés, les plaintes d'Erinne, le froid brusque, les caprices de l'électricité...et puis maintenant voilà que le client payait avec une carte en or massif! C'en était trop pour la jeune femme qui s'approcha de Kyle de manière à ce que seul lui et son compagnon puissent entendre. Lise hésitait à laisser ce dernier écouter la conversation mais elle ne pouvait pas décemment envisager une conversation privée avec Kyle. Elisabeth les invita à s'asseoir et fit de même. Tant pis pour le reste des clients, Erinne s'en chargerait à elle seule.
Lise réclama à nouveau:

"Je ne voudrais pas paraître trop brusque, ni trop insistante après tout ça, mais il y a deux trois choses que je voudrais éclaircir, si vous n'y voyez pas d'inconvénient..." Lise marqua une pause pour déglutir et enchaîna: "Voilà, j'aimerais savoir pourquoi vous avez été si nerveux depuis tout à l'heure, votre "ami" n'était pas encore arrivé mais vous n'étiez déjà pas très bien avant cela... Expliquez-moi pourquoi, une coupure de courant vous perturbait à ce point. Et puis autre fait, relativement étrange vous en conviendrez, c'est votre carte, elle est en or... Je me trompe?" Lise posa la carte de Kyle sur la table comme pour confirmer ses dires."J'avoue avoir du mal à comprendre tout ce qui s'est passé ce soir, mais d'une manière ou d'une autre vous semblez en savoir assez pour me donner une idée générale de tout ceci"La jeune serveuse se pencha par dessus la table et assura dans un souffle:"Quel que soit votre explication, je ne vous jugerais pas."Le ton était sincère et Lise espérait que sa franchise serait ressentie par son interlocuteur. "Je veux juste me coucher ce soir avec la conviction de ne pas être folle." Acheva Elisabeth en se redressant sans quitter Kyle des yeux.

Kyle et son invité se rassirent. Kyle avait l'air encore tendu, mais semblait plus ou moins s'en remettre. Il accusait tout de même le coup, et son invité lui prit la main en signe de sympathie. Kyle s'empara de la carte en or massif, puis soupira, avant de la poser à côté de lui.

Finalement, il joua avec son dessert du bout de sa cuiller, en mangea un peu, puis se résigna à parler un peu plus.

"En fait, la coupure de courant et de chauffage, c'était lui... C'est un mutant, et j'en suis un aussi. Je travaillais pour lui, par un moment, mais M. Midas n'aime pas trop les démissions."

Il prit la carte en or, et joua machinalement avec.

"C'est sa marque de fabrique. Il est dangereux... Il aurait pu tous nous tuer rien qu'en y pensant. Vous n'auriez pas du le défier, qui sait ce qu'il va faire maintenant... Bon sang, je pensais être débarrassé de tout ça ! Comment a-t-il pu me retrouver ?"

Ce fut son invité qui prit les choses un peu plus en main, et proposa sa carte à Elisabeth.

"Allez, t'en fais pas... Je vais te raccompagner, on ira chez moi, comme ça tu ne resteras pas tout seul ce soir. Et puis il n'a rien fait, n'est-ce pas ? S'il était si dangereux que ça, il ne se serait pas encombré de politesses..."

Au moins, il y en avait un qui ne perdait pas le nord. Kyle essaya de marmonner une contradiction, mais se ravisa finalement.

Kyle sembla hésiter un moment avant de répondre. Il éluda la question en reprenant sa carte et en mangeant la fin de son dessert. Elisabeth attendit patiemment qu'il se décide à parler. L'explication ne devait pas être facile à dire, c'était certain.
Mais elle vint enfin et Lise regarda les deux jeunes hommes avec un certain étonnement. Beckers ou plutôt Midas était le responsable de l'étrangeté de cette soirée. C'était un mutant qui devait avoir une influence sur l'électricité.
Lise s'adossa au dossier de la banquette et songea à sa propre situation, avec un certain désespoir. Cet homme avait embauché Kyle lui-même mutant et aujourd'hui il n'arrivait pas à se débarrasser de ce patron envahissant. Elisabeth s'imagina à la place du jeune homme et compatit à sa situation. Kyle tourna la carte en or entre ses doigts et précisa qu'il s'agissait de la marque de fabrique de Midas. Il ajouta qu'il était un homme dangereux qui aurait pu tous les tuer. Dangereux certes Elisabeth l'avait sentie, mais au point de les tuer, Lise ne l'avait pas imaginé... Kyle poursuivait, visiblement paniqué, certainement à juste titre.
Elisabeth hésita à se confier elle-même sur ses propres capacités mais elle se ravisa. C'était la première fois qu'elle rencontrait un mutant qui affirmait en être un. Il est courageux, songea Lise mais, la jeune femme devait garder son secret, toujours et ne jamais faillir tel était sa règle.
La serveuse se trouva lâche de ne pas se révéler un peu plus à ce garçon qui lui avait confié des choses aussi graves, mais les risques étaient trop grands. Qui sait si elle-même ne tomberait pas sur une personne telle que Midas?
La carte de l'invité glissa le long de la table et Elisabeth se rappela qu'il lui fallait encaisser sa table. Machinalement Lise prit la carte et l'inséra dans la tablette. La jeune femme écouta les paroles réconfortantes de l'ange au débardeur noir.
Bien au contraire, elle trouvait que les politesses de Midas le rendaient encore plus dangereux. Midas avait l'air d'être un homme réfléchi, patient, sachant maîtriser ses pulsions, ce qui le rendait beaucoup plus dangereux et imprévisible qu'un homme qui se serait contenter d'user de violence. Lise mordit sa lèvre inférieure, hésitant sur la marche à suivre. Les laisser partir? Les inviter à rester ici?
Après tout, Elisabeth ne les connaissait pas, et songeait bien qu'elle était dans l'incapacité de leur venir en aide. Du moins, son aide ne pourrait être significative quelle qu'elle soit. Il fallait les laisser partir... Déchirée Lise proposa alors:

"J'ignore quels dangers vous courez exactement mais je voudrais que vous sachiez que si vous avez besoin de moi pour quoi que ce soit, je ferai mon possible." Lise prit la serviette d'un des jeunes hommes qui traînait par là et écrivit son numéro."Appelez-moi si vous avez besoin d'un logement, d'une voiture, ou de quoi que ce soit d'autres..." La jeune femme glissa son numéro vers Kyle. "N'hésitez pas..." Termina t-elle en posant sa main sur la sienne avec compassion.

C'était tout ce que pouvait faire Lise qui se sentait concernée par les problèmes du mutant puisqu'elle aussi en était certainement une. Elle avait l'impression d'être proche de ce presque parfait inconnu.. Par empathie elle comprenait à quel point Kyle était dans une situation difficile à gérer et Elisabeth aurait aimé à sa place trouver de l'aide, aussi minime soit elle.

Kyle prit la serviette, hocha la tête en un vague signe de remerciement, mais répondit tout de même.

"Malheureusement, je doute que votre bonne volonté soit suffisante, contre ce genre d'individu. Prenez soin de vous, vous avez été très sympathique."

Lui et son compagnon se levèrent alors, et quittèrent le restaurant qui était maintenant vide. Erinne poussa un petit soupir de soulagement. Manifestement, la soirée avait été particulièrement éprouvante pour tout le monde. Ceci dit, elle ne se plaignait plus de ses jambes, ce qui était un net progrès !

La fin de la soirée passa comme robotique pour Elisabeth. Un peu ranger, un peu se toiletter, et s'effondrer dans son lit et un sommeil agité par un début de soirée trop stressant. Prise entre le rêve et la réalité, elle pouvait revoir les visages de ces trois hommes qui avaient bouleversé ce qui aurait du être une soirée normale. Par un moment, elle eut même l'impression de revoir les yeux bleus perçants de M. Beckers, comme s'il se fut tenu debout devant son lit.

Puis il y eut un gros tremblement, suivi d'un raffut assourdissant, qui la réveilla en sursaut. La guerre ? Un attentat ? En tout cas, même si elle n'en avait jamais éprouvé, c'était très probablement une explosion. Plus rien ne bougeait... Personne ne bougeait. Ses parents ? Sa grand-mère ? Pas un bruit dans l'appartement, pas de bruits de pas, pas de cris...

Mais la rue semblait plus agitée, et on pouvait déjà entendre des sirènes se rapprocher.

Kyle prit la serviette et remercia Elisabeth qui lui rendit ses paroles par un sourire encourageant. Lise les observa quitter le restaurant sans même bouger de la banquette où elle resta assise encore quelques instants à méditer sur ce qui venait de se passer. Ce n'était pas pour elle qu'elle s'inquiétait, elle pourrait prendre soin d'elle, c'était plus pour eux et particulièrement Kyle que Lise craignait.
Faisant machinalement tourner sa tablette sur la table, Lise songea avec amertume qu'elle ne reverrait certainement jamais ces deux garçons, ne saurait jamais ce qui est arrivé à Kyle ou même s'il serait toujours en vie...
Se levant Elisabeth rejoignit Erinne qui poussa un soupir de soulagement. Elisabeth aurait bien fait de même, si seulement elle avait partagé le même sentiment, car en réalité, à présent, elle était plus bouleversée qu'autre chose. Les jambes d'Erinne avaient du gonfler avec la chute de température de tout à l'heure... Songea Lise en jetant un furtif coup d'œil aux jambes pourtant fines de la serveuse. Lise lui mentionna en outre quelle soirée spéciale cela avait été, avec tous ces problèmes d'électricité.

Désireuse de se coucher au plus vite, Lise nettoya la machine à café, à chantilly, aida Nikos à la plonge, débarrassa les quelques tables restantes, et finit par fermer l'établissement. Elle avait eut peur à tout moment, de voir ressurgir Beckers. Mais celui-ci ne s'était pas montré. Lise ignorait comment elle réagirait si cela arrivait... Devait-elle prendre une arme? Une batte? Fuir? C'était semble t-il la meilleure solution, courir, ça elle savait faire, assez vite qui plus est.
La jeune serveuse rendit son tablier tout comme Erinne et Nikos et elle remonta chez elle après leur avoir souhaité une bonne nuit. Elisabeth prit juste le temps de se brosser les dents et s'effondra littéralement sur son lit, entièrement habillée avec l'intention d'enlever ses vêtements un peu plus tard... Quelle soirée! Lise avait rencontré deux mutants, et en avait vu un se servir de ses pouvoirs... Incroyable et en même temps effrayant... Les paroles de Kyle au sujet de Beckers lui revint en mémoire "Il est dangereux" avait-il dit... Lise frissonna et décida de vider son esprit pour ne plus penser à tout cela. Elle écouta un moment son sang battre férocement dans son crâne. La cadence diminua au fur et à mesure qu'elle se détendait.
Une bonne nuit et tout irait mieux... fut la dernière idée qui passa par l'esprit de la jeune femme avant de sombrer dans le sommeil.


Les lumières se coupèrent toutes brusquement, un froid glacial pénétrait dans la pièce et Lise frissonna plus de peur que de froid. Elle se retourna sachant pertinemment ce que tout cela signifiait. Seulement il lui semblait qu'elle était incapable de réfléchir pour s'en sortir ou faire quoi que ce soit: il n'y avait pas d'issue. Elle savait aller vers une fin terrible et inévitable mais elle ne faisait rien pour changer le cours des choses...
Sans prévenir, le visage ténébreux de Beckers surgit dans l'obscurité. Lise poussa un cri terrifié et se retourna brusquement dans son lit. A sa droite, elle découvrit les cadavres des clients de la 3, tout ensanglantés. Nouveau cri et Beckers fonça droit sur elle.
Lise se réveilla en sursaut, se redressant sur son lit, les cheveux trempés de sueur, collant à son front. Elle regarda autour d'elle, mal à l'aise. Elle posa son regard près de son armoire où deux points blancs attiraient son attention. Dans l'obscurité de sa chambre, il lui sembla imaginer les yeux de Beckers...
Mais Lise ne les avait pas imaginer comprit-elle brusquement, Beckers était bien dans sa chambre! Lise poussa un nouveau cri et cette-fois elle se réveilla pour de bon. Haletante, elle tâta frénétiquement son lit pour s'assurer de la réalité. Elle vérifia les alentours de l'armoire mais aucun points blancs n'étaient visibles.
La jeune femme posa sa main sur son front brulant. *Calme-toi Lise, calme-toi ce n'était qu'un rêve..." Se rassura t-elle.
Mais alors qu'elle aspirait à se rendormir, elle entendit une brusque explosion provoquant un tremblement de fin du monde. Lise ne bougea pas d'un pouce. Après tout si c'était la fin du monde, rien ne servait de courir. Attendant encore quelques instants dans le silence le plus complet, où seul son cœur battait la chamade, Lise décida alors de se lever. Était-elle la seule à avoir entendu ce tremblement?
Le pays était peut-être en guerre, à moins que ce ne soit un attentat... Songea Lise qui après réflexion imaginait difficilement la Crête en guerre, ou victime d'un attentat. Mais après tout, c'était possible.
Le plus angoissant, c'était ce silence... Signifiait-il le calme avant la tempête, ou n'était-ce que l'œil du cyclone? Elisabeth n'entendait personne bouger dans l'appartement... Ces parents auraient du se lever, sa grand-mère pousser un cri significatif et strident, et même ses frères auraient du se lever, ils avaient plutôt le sommeil léger...
Lise constata presque avec surprise qu'elle était toujours habillée avant de se rappeler qu'elle s'était couchée ainsi. La jeune femme sortit de sa chambre, alors que dans la rue, elle entendit des sirènes approcher.
Lise appuya sur l'interrupteur du couloir menant au différentes chambres, et fila dans la chambre de ses parents, pour vérifier qu'ils s'étaient réveillés et que tout allait bien...

L'interrupteur n'actionna rien du tout... L'électricité avait du être coupée. Les sirènes se rapprochaient, mais tout semblait calme dans l'appartement. Trop calme. Pas de cris, pas de bousculade.

Dans la chambre de ses parents, une grande surprise attendait Elisabeth : le lit était vide. Il n'était pas défait comme si ses parents en étaient sortis, mais il n'était pas non plus fait comme si ses parents n'y étaient jamais rentrés. Il était... Juste vide. Comme si ses occupants s'étaient volatilisés au milieu de leur sommeil.

Tout au plus, cela sentait légèrement le chaud. Le chaud... un incendie en bas ? Puis une voix forte :

"Il y a quelqu'un ici ? C'est les pompiers !"

C'est à tâtons qu'Elisabeth rejoignit la chambre de ses parents. L'électricité avait due être coupée par l'explosion. Mais que se passait-il donc? Et puis toujours le bruit de ces sirènes, qu'est-ce que ça signifiait? Elisabeth se sentait de plus en plus mal, d'autant plus que l'appartement semblait vide de ses occupants. Personne ne semblait s'être réveillé.
Lise entra dans la chambre parentale, et observa avec surprise le lit. Il semblait que la forme des corps de ses parents étaient encore imprimée dans les draps, on aurait presque dit que leurs corps s'étaient littéralement volatilisés. La jeune femme sentit la panique l'envahir. Ses parents n'étaient pas là, ses frères et sa grand-mère non plus, très certainement au vue du silence.
Lise sentit sa tête lui tourner un peu, elle était mal à l'aise, elle avait l'impression de sentir oppressée... Il faisait chaud, c'était ça...la chaleur...une odeur étrange aussi... Posant sa main sur la porte de la chambre, Lise se soutint un moment, cherchant à savoir ce qu'elle devait et pouvait bien faire. Trouver de quoi s'éclairer déjà...ou non, appeler quelqu'un...il valait peut-être mieux faire un tour dans la rue avant... Tout ça était trop étrange...
Déboussolée, Lise tituba en sortant de la chambre pour vérifier si celle de ses frères était aussi vide...
L'atmosphère était désagréable... La chaleur... Était-il possible qu'il y ait un incendie? Mais dans ce cas pourquoi ses parents ne l'avaient-ils pas réveillée, pourquoi avait-elle été abandonnée ici? Non, rien ne collait... Lise s'incita au calme et ferma un instant les yeux. L'obscurité de ses yeux clos, plus familière, lui semblait moins hostile que l'obscurité silencieuse qui l'entourait. *Que quelqu'un m'aide!* Supplia Lise.
Sa supplique fut entendue car une voix forte s'éleva. On demandait s'il y avait du monde... Les pompiers!
Lise fut soulagée, mais elle gardait cette impression de malaise. Après tout ses parents avaient disparus et ses frères certainement... Sa grand-mère... Ismène, elle était âgée, tout ceci pouvait la tuer... Les pompiers étaient là mais sa famille non...
De plus en plus angoissée, Lise cria indifférente aux soldats du feu:

"Alcinoos! Alexandre!! Ismène!!! Où êtes-vous?"

Haletante, Elisabeth entra dans la chambre de ses frères. Elle tourna la poignée sachant presque avec certitude ce qu'elle allait y trouver: une nouvelle chambre vide. Mais elle devait en être certaine, elle ne pouvait s'y résigner. Après tout, il restait peut-être une chance, pour qu'ils ne se soient pas volatilisés eux aussi...

Puis à l'adresse du pompier, Lise lança:

"Ici! Il y a quelqu'un..."

La voix laissait paraître l'abattement de la jeune femme qui commençait à penser qu'elle vivait successivement la pire soirée et la pire nuit de sa vie...

Personne, personne, personne... Aucune réponse en provenance d'où que ce soit, si ce n'est un "On arrive !", manifestement à l'origine d'un pompier. Dans toutes les chambres, le même spectacle : un lit vide, comme si son occupant s'était simplement volatilisé.

Jusqu'à ce que quelqu'un mette une couverture de survie en aluminium autour des épaules d'Elisabeth, et l'entraîne vers les escaliers d'une main ferme.

"Venez mademoiselle, faut pas rester là, ça risque de s'effondrer."

Entraînée en bas, elle put voir la salle. Ou ce qu'il en restait, tout du moins... Tout avait été détruit. Atomisé. La vitrine avait volé en éclats, le mobilier était renversé, et à moitié grillé, de longues trainées noires de roussi avait repeint le sol et le plafond, semblant converger en un point au niveau duquel la police scientifique s'affairait déjà. Mais il y avait des choses qui ne collaient pas. Il n'y avait pas de cratère. Il n'y avait plus de porte, comme si celle-ci n'avait jamais existé. Et il y avait un trou béant, dans un mur, découpé très proprement, et ne pouvant manifestement pas provenir de l'explosion. La police scientifique elle même avait du mal à cacher sa perplexité.

Déjà, un officier de police commençait à la presser de question, et en particulier, voulait savoir s'il y avait d'autres personnes en haut, ou si elle avait entendu un bruit quelconque... Un indice, n'importe quoi...

C'est la gorge nouée qu'Élisabeth ouvrait une à une les portes de l'appartement. A chaque fois, c'était la même déception, la même angoisse, la même terreur que la jeune femme ressentait à la vue des pièces vides. Le plus étrange, c'était ces lits froissés laissant vaguement deviner la forme d'un corps ou encore la couette de son frère légèrement bombée au centre... Lise mordit sa lèvre inférieure en proie à une panique sourde.
Elle sentit qu'on la couvrait et tel un automate la jeune femme se laissa diriger par le pompier vers l’escalier. Un comble, aurait pensé Lise si la situation le lui avait permis. Elisabeth sentit le bois de la nouvelle marche qu’elle descendait sous son pied. Tout semblait trop irréel… Que signifiait la disparition de sa famille ? Qui en était la cause ?
Nouvelle marche.
Tout ceci avait-il un lien avec Beckers? Kyle avait précisé qu'il était dangereux. S'étant opposé à lui, Lise ne s'était-elle pas mise en danger, elle et sa famille?
Nouvelle marche.
Non... Lise ne pouvait croire que son imprudence était la cause de tout cela et pourtant tout semblait si étrange, trop concordant pour que l’hypothèse soit mise de côté aussi rapidement. Ces évènements devaient être liés, d'une manière ou d'une autre. Lise ne pouvait croire à une coïncidence.
Nouvelle marche.
Toujours soutenue par le pompier, Lise imaginait sans peine que Beckers était le responsable de tout cela... Après tout, elle s’était opposée à lui pour défendre Kyle. Beckers était clairement dangereux…
Nouvelle marche.
Et ses dernières paroles concernant son éventuel retour, n'étaient-elles pas une menace voilée? Maintenant que Lise y songeait, elle en avait l'insidieuse impression.
Nouvelle marche.
Mais pourquoi? Pourquoi un homme se vengerait-il de cette manière ? Pourquoi se donner tant de...
Nouvelle marche vers l'horreur.

Lise s'arrêta en bas des escaliers, l'air interdit. Quelque chose n’allait pas, l’odeur n’était pas familière, les voix non plus et le décor l’était encore moins. Lise se dégagea de la main du pompier et fila dans le chaos. La salle du restaurant avait été entièrement ravagée, calcinée, soufflée par une explosion, les meubles étaient renversés, certains et pour ne pas dire la plupart étaient détruits. Voilà ce qu'il restait du restaurant dans laquelle Lise avait grandi. Tous les souvenirs, tous les repères de la jeune femme volaient en éclats. Ne pouvant en supporter plus, Lise sentit une larme rouler sur sa joue. Plaçant sa main devant sa bouche entrouverte, Lise ne bougeait plus, observant les ruines du restaurant.

"Non... Impossible..." Murmura-t-elle glacée d'effroi.

La jeune femme ignorait si ses jambes la soutiendraient plus longtemps. Elle savait se contrôler, mais là, cela faisait, trop... Cette étrange soirée, sa famille volatilisée, le restaurant ravagé...
Les yeux embués de larmes, Elisabeth avait du mal à y voir clair... Elle les essuya d'un revers de manche pour essayer de comprendre... Comprendre... Ne pas rester dans l'ignorance...
De longues traînées rousses et noires maculaient le plafond et les murs, toutes semblaient se rejoindre en un point unique. Ce dernier était caché par la police scientifique. Comment se faisaient-ils qu'ils soient déjà là, déjà au travail, alors qu'Elisabeth vivant ici, ne faisait que découvrir l'apocalypse?
Lise parcourut du regard la salle, cherchant l'endroit où une éventuelle bombe aurait été posée. Mais rien n'indiquait le lieu de l'explosion. C'était comme si un vent de feu destructeur avait ravagé le restaurant.
Autre fait troublant, et même inquiétant, c'était l'absence de porte et le trou parfaitement découpé sur l'un des murs. A quoi tout ceci avait-il bien pu servir? Et surtout qui en était responsable? Lise ne pouvait s'empêcher de penser qu'elle avait un lien avec tout ça, sinon pourquoi ne s'était-elle pas volatilisée comme sa famille? La jeune femme se sentait impuissante et elle détestait cela. Elle repensa à Kyle et son copain... Elisabeth leur avait proposée son aide… Elle se trouva risible car en vérité c'était elle qui en avait besoin.
La jeune femme soupira alors qu'un policier l'interpella pour qu'elle réponde à ses questions. Elle n’avait pas eu le temps de tirer les conclusions de ce qu’elle avait vu, ou du moins essayer. Elle voulait être seule et en même temps elle avait besoin d’aide et de renseignements.
Le policier débuta en demandant s’il y avait des gens là-haut... Lise répondit précipitamment:

"Je pensais jusqu'à maintenant qu'il y avait mes parents, mes deux frères et ma grand-mère, mais je viens de découvrir qu'ils ne sont pas là! Leurs chambres sont vides, les draps donnent l'impression d'avoir été utilisés mais on dirait qu'ils n'en sont jamais partis dans le sens où on l’entend... C'est difficile à expliquer... Il faut les retrouver, je suis certaine qu'ils ont disparus... Je ne les ai pas vu hier soir avant de me coucher…"

Lise ne les avait même pas vus avant qu’ils ne disparaissent. Elle ne leur avait pas souhaité bonne nuit, pas fait d’au revoir… Cette dernière vérité glaça le sang de la jeune femme qui consciente que ses jambes tremblaient, préféra s’asseoir pour répondre à la nouvelle question du policier concernant le bruit ou un indice.

"Tout à l’heure, un tremblement m’a réveillée, j’ai vraiment cru à la fin du monde, ça a fait un raffut incroyable. J’ai d’abord été étonnée qu’aucun membre de ma famille ne crie ou ne se réveille du moins. J’ai alors rejoint les différentes chambre pour constater qu’elles étaient vides et le pompier m’a trouvée…"

Elisabeth hésitait à en dire plus… Devait-elle parler du service de ce soir, de son caractère étrange, de Beckers, des mutants ? Sa famille était certainement en danger, ils avaient disparus, il fallait absolument qu’elle lui raconte tout… Et pourtant, Lise ne pouvait se résigner à parler des mutants. Elle-même en était peut-être un, et elle aurait souffert que l’on trahisse son secret.
*Optons pour la version soft* Songea Elisabeth en essuyant une nouvelle larme.

"Autre chose… Ce soir, je travaillais au restaurant et j’ai rencontré quelques problèmes : un de mes clients a été dérangé par l’arrivée soudaine d’un homme dont la carte de crédit indiquait qu’il se nommait Wilson Beckers. Celui-ci cherchait visiblement mon client, et a déclaré être ravi de le retrouver… Comme mon client, n’avait pas l’air d’apprécier l’homme et comme celui-ci ne comptait pas manger au restaurant, je lui ai indiqué qu’il devait quitter l’établissement. Beckers a accepté, mais je dois vous avouer que ces dernières paroles me laisse dubitative quant à ses intentions… Le client m’a ensuite indiqué que je n’aurais pas dû indisposer cet homme et qu’il était dangereux…"

Lise avait beaucoup de mal à rassembler ses idées et à former un tout à peu près cohérent. A chaque fois qu’elle songeait à sa famille, elle sentait la panique s’emparer d’elle. La jeune femme devait faire quelque chose, elle ne pouvait rester ainsi… Elle voulait des réponses.

"Monsieur, je voudrais savoir si vous avez des indices, si on vous a indiqué quoi que ce soit… Ma famille à disparue ! Leurs lits sont vides ! Je devrais être en train de vivre cette épreuve avec eux, mais au lieu de cela, je suis seule et eux sont, je ne sais où, certainement en danger. J’ai vraiment l’impression que tout est lié d’une manière ou d’une autre avec ce Wilson Beckers. Je ne crois pas aux coïncidences M. L’agent. Ma famille est en danger… Aidez- moi à comprendre."

Elisabeth se tut ne souhaitant pas ajouter quoi que ce soit d’autres risquant de l'exposer, elle ou Kyle. Elle ferma les yeux en proie à une angoisse indicible.