[3.3]Projets tortueux et enneigés

Le climat hivernal du mois de janvier n’était que très peu apprécié du mutant, qui combinait les tares durant ces périodes glaciales où ses extrémités s’engourdissaient au gré du vent. Il détestait la neige, peut-être injustement, mais jamais il n’avait pu concevoir cette matière froide et envahissante comme amusement quelconque. Partant ainsi sur de bonnes bases caractérielles, il additionnait à son irritation saisonnière un bagage émotionnel difficile à supporter.

Une rupture plutôt douloureuse, quelques jours en prison et le tout résultant de sa propre imbécillité ne pouvait qu’accroître ses sautes d’humeurs. Son voyage en monorail se voulut sans encombre, mais les craintes des quelques nuits en présences de loubards pervers n’avaient pas franchement favorisé sa confiance dans le genre humain. Le contrôleur osa lui demander son ticket, il répondit par un sursaut et un cri d’effroi digne d’une fillette de onze ans. Néanmoins, grâce à sa volonté mélangée à son orgueil, il parvint à occulter ses appréhensions par l’intermédiaire de son inconscient. Outre quelques cauchemars, des réflexes aberrants comme hurler au loup ou encore un simple « pitié, pitié, j’ai de l’argent », tout avait disparu.

Désireux d’oublier cette période peu gratifiante de son existence, il décida de ne plus jamais en parler, quitte à mentir sur les évènements l’ayant conduit ici, à l’institut Charles Xavier. Vêtu d’un bon manteau de cuir, enveloppant une cravate jaune sur une chemise blanche, le jeune homme plantait ses mains dans les poches de son jean bleu foncé tout en contemplant un tableau cocasse et pour le moins bizarre. Une jeune fille rousse creusait un trou dans le sol avec une technique canine déconcertante, un garçon maigrelet s’amusait à faire fondre par magie la glace tandis que le blond semblait donner les ordres.

Après une inspiration symbolisant ses dernières secondes d’intimités, il se dirigea vers la grille qu’il franchit non sans appréhension. D’un pas lent, calculé pour favoriser la réflexion de propos judicieux, il s’approcha du groupe de farfelu. Du moins, il les devina ainsi en entendant les bribes de conversation lors de sa prudente approche.

« Bonjour… Je m’appelle Daedalion March, je voulais savoir s’il s’agit bien de l’institut pour mutant. »

L’apparition, presque surnaturelle, d’une maisonnette de bois ne le laissa guère plus perplexe que le sarcasme de bienvenu de Sven. Parmi les personnes présentes, un garçon plus âgé qui s’extasia bouche béante devant le prodige de la jeune fille. Et, s’il se devait d’être honnête, Daedalion n’était pas insensible à l’étonnement que pouvait générer pareil bâtisse et ses singuliers habitants. D’un naturel orgueilleux, et pathologiquement opprimé, le jeune mutant s’affairait à maîtriser ses expressions en présence d’étrangers, souhaitant prudemment contrôler ses rencontres.

D’un hochement de tête, il répondit à l’inexpressif salut d’Alec. Il devina grâce à l’ébahissement de ce dernier, que lui aussi, devait être nouveau dans ce lieu étrange. Mais à l’inverse, Daedalion ne semblait pas prêt à offrir une candide confiance à l’institut. Certes, la sentinelle ne se démarquait pas des autres hebdomadaires par sa valorisante objectivité, mais tout de même, les suspicions à l’égard de cette école devaient provenir d’un fragment de vérité. La jeune fille s’approcha de lui, une proximité étrange qui se justifia par un reniflement de l’air environnant. Daedalion, un peu sous le coup de la surprise, fit de même et sentit un parfum floral peu coutumier en cette saison. Il répondit à Sven d’une voix distante, légèrement perturbé par l’attitude canine d’Ivy, qui après avoir enterré son os, humer un inconnu.

« Non, je ne connais pas. »

Le plus laborieux avec cette échange fut de distinguer le sens des propos dissimulés sous une sorte de charade incompréhensible pour le païen qu’était Daedalion. Entre téléportation, Cérébra, détecteur de mutants, chambres et, bien entendu, l’absence apparemment surprenante de morts, la difficulté paraissait de taille. Si la tentation de refuser leur offre se faisait ressentir avec une intensité légitime, l’idée même de passer pour un rabat-joie sans humour et imbécile ne l’appâtait guère. De plus, Alec, nouveau lui aussi, agissait d’une manière bien plus décontractée. Le garçon marqua une pause, hésitant, il passa une main dans ses cheveux avant d’aspirer une grosse rasade d’air frais. Allait-il passer pour un type froid, suspicieux et sans humour ou à l’inverse, se montrerait-il chaleureux, aventurier et sympathique ?

« Non, je pense que je vais passer mon tour ce coup ci. »

Pouvoir expérimenter la téléportation s’avérait un argument de taille qui aurait pu faire flancher la balance, mais les paroles funèbres de la jeune fille sur l’étrange manque de cadavres dans les environs finirent par le convaincre de se montrer prudent.

Leila enlaça Mina, et celle-ci s'abandonna dans les bras de sa soeur. Il y avait tellement de temps qu'elle n'avais pas eu un contact chaleureux hormis cette gentille vieille dame. Elles restèrent là quelques instants, oubliant tout le reste.

Ensuite, tout s'enchaina assez rapidement. Leila conduisit Mina sur les lieux du rendez-vous : le Lys Pourpre. C'était effectivement dans un quartier mal fréquenté de Bucarest. Leila laissa Mina dans une ruelle attenante à l'établissement où son aspect physique ne lui poserait pas trop de problèmes et parvint à convaincre l'un des responsables de celui-ci de sortir voir sa soeur.

Mina exposa son histoire résumé dans les grandes lignes, et raconta plus précisément la partie qui mentionnait sa rencontre avec Craig et ce qui s'était passé dans l'église. L'homme à qui elles avaient affaire proposa d'aider Mina à rejoindre les Etats-Unis pour la remercier de l'aide qu'elle avait fournie au passeur. D'après lui, il existait une école pour "mutants" à Salem Center, dans l'état de New York. Il lui laissa l'adresse et lui demanda de revenir le lendemain soir pour partir dans le prochain convoi d'immigrés à destination des Etats-Unis.

Mina profita de sa dernière soirée avec sa soeur comme il se doit. Elle prit notamment toutes les informations nécessaires pour lui faire parvenir un courrier lorsqu'elle serait saine et sauve et prit du temps pour écrire une longue lettre à ses parents que Leila leur ferait parvenir après son départ. Mina emprunta quelques affaires propres à sa Leila, bien qu'elle aurait du mal à cacher sa différence mieux qu'avec un imper ou une couverture, second choix pour lequel elle opta. Après un dernier au revoir à sa grande soeur et quelques effusions de larmes, avec une poignée d'euros en poche et une photographie de famille que Leila lui avait donné, c'est emmitouflée dans une couverture cachant tant bien que mal son apparence et ses ailes que Mina embarqua pour l'amérique.

Après un voyage de plusieurs jours à fond de cale d'un gros transporteur avec d'autres immigrés de tout poil, Mina parvint au port de New York. Elle put alors voler sous couvert de la nuit jusqu'à Salem Center avec des indications que les hommes de Craig lui avait vaguement griffonné.

Elle arriva en début d'après-midi à l'Institut pour Mutants. Celui-ci était entouré d'un mur d'enceinte, dont la grille était ouverte, apparemment suite à l'arrivée d'un jeune homme discutant dans le jardin enneigé avec un adolescent blond maigrelet, une petite rouquine en tenue estivale et deux autres garçons affairés autour d'une cabane étrange faite de troncs d'arbres.

Derrière ce groupe hétéroclite se trouvait une bâtisse de style colonial élégante.

Ainsi, c'était donc là... L'endroit où elle allait pouvoir vivre normalement avec d'autres gens comme elle. Elle était mal nourrie, sale et vêtue de vêtement Elle inspira un grand coup, s'approcha un peu plus près du groupe de jeune gens et dit dans un anglais teinté d'accent de l'Est

"Excusez-moi!... Je... Je pourrais parler à un responsable?..."

Mina n'en revenait pas. Le jeune homme blond s'était approché d'elle, il lui dit qu'il était l'un des responsables, et puis il l'avait pris par l'épaule et l'avait plus ou moins poussé jusqu'à une cabane en bois qu'il appelait sauna.

Comme si Mina avait la tête à aller dans un sauna.

Elle venait de traverser un océan et la moitié d'un continent comme une clandestine, elle n'avait rien mangé depuis plusieurs jours, elle avait quitté sa famille, était surement toujours plus ou moins recherché par une bande de fanatiques, avait réchappé de justesse à la mort et...

Tout ce que lui proposait ce gars de l'institut pour mutant, c'était de rentrer dans un sauna nue... Ce n'était pas vraiment l'idée qu'elle s'était faite de l'institut durant son périple.

Elle amorça un geste de recul, retira la couverture qui lui cachait les ailes, et, au bord des larmes elle entama un demi-tour terriblement déçue...

"Je... Je crois que je me suis trompé d'adresse..."

Elle commença à agiter ses imposantes ailes..

Apparemment, le refus de participer à l’attraction fut mal perçu par l’audience, même si certains firent preuves de plus de tacts que d’autres quant à la révélation de leur déception. La demoiselle rousse, plus impolie que le reste, s’attaqua injustement à la virilité du mutant, qui dans un acte de défiance purement machiste, décida de se venger lorsque l’heure sera plus propice au sarcasme. En premier lieu, il répondit à Alec, dont les arguments, se limitaient à : « jette toi d’un pont si on te dit que c’est fun ».

« Je reste sur ma position, "l’ami", je ne suis pas venu ici pour jouer les casses cous ou les satyres. »

L’arrivée d’une couverture sur patte attira naturellement son attention. Il essaya de déchiffrer quelle atrocité pouvait bien masquer ces quelques bouts de tissus. Lors de l’apparition des ailes, le garçon eut un mouvement de recul. Il contempla, écoeuré, l’espèce de chose qui s’offrait à lui, et, pour combler sa galanterie, il eut même un frisson qui le parcouru. Quand enfin il parvint à regagner ses esprits, il baissa les yeux pour offrir une excuse silencieuse à la bête violacée. Il constata avec plaisir, qu’elle eut la présence d’esprit d’exprimer sa requête avec précision, chose qu’il avait omis d’accomplir. Ivy sauta dans les bras de l’animal, ou dans la gueule du loup, quoiqu’il en soit, il décida de poursuivre avec une nouvelle précaution dans ses demandes.

« Sven, tu m’as l’air sympathique et le sauna aussi… Mais je pense que je vais suivre Succube et Princesse Margaret pour le moment. J’ai bien envie de rencontrer un professeur et de m’installer. Comme elle l’a très bien dit, je n’ai pas abandonné mon foyer pour m’asperger de vapeurs. »

Il se recula, déclinant gestuellement l’invitation à se déshabiller devant une foule d’inconnus et de s’asseoir dans un sauna contrôler par un type silencieux capable de créer une chaleur dans un climat hivernal dévastateur. Il se plaça devant l'entrée avant de poursuivre :

« Si vous vouliez bien m’indiquer la direction, je serais heureux de laisser le débauché, il pointa Alec du doigt, essayer tous vos jeux. Pour ma part, je pense que j’obtiendrais une meilleure assistance de la part d’un professeur, j’ai d’ailleurs quelques questions qu’il me tarde de poser. »

La fille plutôt bavarde semblait avoir compris le désarroi de Mina, enfin c'etait ce que pensait Mina car elle avait beau être familière de la langue de Ronald Mac Donald, elle avait quand même du mal à la comprendre quand elle ne se concentrait pas dessus.

Toujours est il que la jeune fille tomba en admiration devant les ailes de Mina et lui prit le bras pour ne pas qu'elle s'en aille. Et cette fois elle avait bien compris le sens de la phrase qui disait qu'ils comptaient l'amener devant un professeur.

Mina ne savait pas si c'était du lard ou du cochon, mais elle avait besoin d'aide et rapidement, son ventre criait famine, elle avait mal partout, ses habits étaient particulièrement sales et elle était sans famille et sans sous.

Elle essuya les larmes qui noyaient son visage, regarda la fille et lui dit :

"Je vous suis..."