La fin d'une époque...

Amarenna n’avait pas réellement bien dormi cette nuit là, l’esprit agité d’un millier de choses au moins. Elle savait pertinemment ce qui n’allait pas. Depuis quelques temps, elle avait compris ce qu’elle était : une mutante. Et, si son père ne disait rien à ce sujet, elle craignait qu’il ne finisse par la rejeter. Et pourtant. Chaque jour qui passait, elle était un peu plus proche de celui qui, six ans auparavant l’avait éloignée de lui. Mais depuis deux ans, c’était comme si tout cela n’avait jamais existé. Bien sûr, quand les pouvoirs de la demoiselle se manifestaient il avait peur. Bien sûr, il avait une appréhension dans ses moments là. Mais il avait toujours su qu’elle ne leur ferait jamais de mal. Et ça, Amy était persuadée que son père en était conscient. Le simple fait qu’il la laisse s’occuper de son frère en était la preuve aux yeux de cette jolie jeune fille de 18 ans. Elle avait toujours pris grand soin de ce garçon de 6 ans son cadet. Et elle y tenait comme à la prunelle de ses yeux. Il aurait été son fils que cela n’aurait rien changé pour elle. L’attention qu’elle lui portait était sans doute la meilleure protection de l’enfant. Depuis l’épisode avec la nourrice, elle n’avait plus laissé personne s’approcher de lui. En même temps, elle avait été tenue éloignée de lui pendant 4 longues années. Amy avait eu peur que rien ne soit plus comme avant entre eux, mais non. Ils s’étaient très vite retrouvés, chose étonnante alors qu’il était si jeune lorsqu’elle était partie. Son père, tout comme elle, avait craint que Micha ne reconnaisse pas sa sœur. Que sa présence le rende insupportable. Mais la jeune femme avait toujours su comment prendre cet enfant. Sans doute cela jouait-il beaucoup dans l’acceptation de sa mutation par son père. Sans doute. Mais elle ne pouvait être sûre de rien.

Toujours est-il qu’elle se leva de bonne heure, ce matin là, pour prendre son petit déjeuner avant tout le monde. C’était une habitude qu’elle avait prise que de ne pas vouloir que les employés de maison s’occupent d’elle à chaque heure du jour ou de la nuit. Elle n’aimait pas savoir que d’autres étaient à ses ordres. Car c’était ainsi qu’elle ressentait les choses. Bref. La demoiselle prenait tranquillement son petit déjeuner lorsqu’elle entendit des pas dans l’escalier. Son père, sans doute, qui n’aurait pas le temps de déjeuner avec elle. Il avait une réunion très importante qui déciderait s’il(s) repartai(en)t à l’étranger ou pas. D’un certain côté, la jeune femme espérait que ce serait le cas. Après tout, elle avait toujours aimé voyager… Avec un sourire nostalgique, elle repensa à sa petite enfance en Russie, aux noëls sous la neige, à leurs excursions à Saint Petersbourg…

 « Ca me manque, de voyager… » murmura-t-elle sans même s’en rendre compte.

Cela faisait à présent six ans qu’elle était ici, en Amérique. Et le temps lui semblait long… Certes, c’était la patrie de sa mère. Sa mère qui l’évitait autant que possible. Sa mère qiu n’acceptait pas sa différence. De ce que la jeune femme en savait, son frère aurait dû être le premier à naître. Il était à moitié passé par le vagin lorsque le cordon ombilical, enroulé autour de son cou avait commencé à l’étrangler. Et la pression de Kathryn pour le faire sortir n’avait fait que renforcer cette pression jusqu’à ce que le placenta cède, provoquant une hémorragie chez la jeune femme. Mais les médecins étaient parvenus à sauver les deux enfants. Ils n’avaient eu que le temps de stopper l’hémorragie. A croire qu’une fille n’avait pas suffi à combler cette mère. A croire que l’enfant qu’elle voulait, c’était ce petit garçon vers qui elle avait tourné tout son amour. Cela, elle le tenait de son vécu. Et elle avait été envoyée chez ses grand-parents, en Amérique lorsque ses pouvoirs s’étaient révélés. De la seule nuit qu’elle ait passé chez eux de toute sa vie, la petite Amarenna âgée alors de 12 ans avait vu des photos de sa mère, à tous les âges et elle avait pu constater qu’elle était son portrait craché. Mais ils l’avaient repoussée, mise en pension parce que ses pouvoirs s’étaient déclenchés accidentellement. Elle était un monstre… 

Amarenna revint au présent en entendant une voix dans l’escalier. La demoiselle se leva, délaissant son frugal petit déjeuner : une pomme et un jus de fruit, vestiges de ses années pensions où elle avait bien failli sombrer dans l’anorexie, tant elle ne supportait pas l’éloignement des siens. Elle n’avait dû son courage qu’à sa pratique du Kung Fu, et aux sports extrêmes pendant les vacances. Pas une fois, elle ne s’était plainte auprès de son père de sa solitude. Il avait bien d’autres soucis en tête, comme le bien-être de Micha dans cette vie de famille si difficile. 

La demoiselle déboucha dans le hall et tourna la tête vers le bureau où la voix de son père était étouffée par la porte.

 « Papa ? »

La jeune femme attendit près de la porte, voir si son père allait réagir. Aurait-il seulement un peu de temps à lui accorder? Elle ne tarda pas à avoir la réponse lorsqu'il mit son correspondant en attente. Aye... Elle n'avait pas pensé à cela. Elle avait cru que, comme bien souvent, il parlait tout seul des choses qu'il allait avoir à faire, mais, visiblement, ce n'était pas le cas. Elle se mordit un instant la lèvre avant de se reprendre et lorsque son père ouvrit la porte pour lui demander si cela allait, la brunette commença par se mettre sur la pointe des pieds pour saluer son père en lui déposant un baiser sur la joue.

"Bonjour Papa. Je ne vais pas te déranger très longtemps, vu que tu as l'air occupé.. C'est le week end, et je me proposais d'emmener Micha au ciné. Tu serais d'accord?"

Elle n'avait pas de gros doutes sur la réponse que lui ferait son père, néanmoins, malgré ses 18 ans et sa maturité, elle préférait toujours lui demander son accord. Elle laissa s'installer un temps de silence entre eux. Micha avait 10 ans. C'était un petit garçon un peu difficile, sauf avec sa soeur dont il était très complice. Dans la famille, seule Amy et son père parvenaient à s'en faire obéir sans trop de soucis.

"Au fait Papa, ta réunion de ce matin, elle est à quelle heure?"

A nouveau, elle laissa à son père le temps de lui répondre. Devait-elle espérer ou craindre un autre départ? Elle, elle avait envie de repartir, laisser loin derrière elle ses années pensions pour se tourner vers autre chose. A 18 ans, elle devrait plutôt se concentrer sur sa prochaine rentrée en faculté. Mais faculté de quoi? Elle ne savait pas encore. Si la diplomatie ne la tentait pas, elle voulait tout de même quelque chose qui lui permettrait de voyager. Mais la vie de rentière ne la séduisait absolument pas. C'était difficile de trouver sa voie, par les temps qui couraient. Et Amarenna, foncièrement indépendante n'avait pas envie de rester toujours une petite fille à papa.

"Tu nous emmèneras avec toi, si tu repars?" demanda-t-elle encore avant de se souvenir de l'interlocuteur de son père. 

La demoiselle se racla la gorge et désigna l'appareil.

"Je ne vais pas te déranger plus longtemps. Je prends mon petit déjeuner dans la cuisine, si tu veux me rejoindre."

La demoiselle déposa un nouveau baiser sur la joue de son père avant de lui adresser un sourire rayonnant et de s'écarter pour aller terminer son petit déjeuner.

Amarenna sourit lorsque son père lui répondit qu'il l'avait toujours. C'était de ces souvenirs qu'elle chérissait. D'une époque où la vie semblait facile et où, malgré le fait que sa mère ait toujours marqué sa préférence pour Mark, la famille était unie. Elle ne regrettait en rien la venue au monde de Micha qui lui avait permis d'avoir quelqu'un de très proche d'elle, mais c'était la période où son père n'était pas distant. Puis ils étaient partis en Chine. Julien s'était éloigné de sa famille, Kathryn était retombée enceinte à son grand dam, mais sa religion lui interdisait d'avorter. Et Micha était arrivé. Enfant non désiré par sa mère, enfant capricieux, c'était Amy qui s'était occupée de lui au départ, créant un lien très fort entre eux. Et elle avait dû partir pour les Etats Unis après que sa mutanité se soit révélée. Mais aujourd'hui, depuis deux ans, cela allait mieux. Pourtant, Amarenna se raidit légèrement lorsque son père évoqua son petit ami. Petit ami avec lequel elle venait de rompre. Ou plutôt, pour être exact, c'était lui qui avait rompu avec elle. Pour la simple raison qu'elle était trop sérieuse et passait trop de temps avec Micha.

"Non... J'y ai juste repensé quand je t'ai vu entrer en nouant ta cravate, c'est tout..." répondit-elle simplement en reprenant un visage serein.

Son père ne devait pas savoir pourquoi elle n'était plus avec son petit ami. Sinon, sans doute lui dirait-il de passer moins de temps avec Micha et le petit garçon se retrouverait tout seul. Amy savait qu'il n'avait que peu d'amis à l'école. C'était un petit garçon assez dur, qui, pourtant, se montrait adorable avec son père et sa soeur. La jeune femme chassa ses pensées de son esprit lorsque son père reprit la parole pour la rassurer.

*Si tu le dis, Papa... Je ne vais pas te contredire...* pensa-t-elle.

"Au revoir mon petit Papa..." lui fit-elle lorsqu'il se leva pour partir.

Ca l'avait toujours amusé d'appeler 'mon petit papa' ce géant d'1m96. Elle le suivit du regard, regardant même par la fenêtre pour la saluer d'un geste de la main. Il disparut rapidement au coin de la rue, laissant la jeune femme songeuse. Quel était le véritable but de cette réunion? Etait-ce pour l'envoyer à l'étranger? Avaient-ils besoin qu'il retourne en France, ou la raison était-elle toute autre? Il n'avait rien voulu lui dire. Non pas par manque de confiance, elle le savait bien, mais sans doute parce que de son côté il devait être inquiet également. Elle se rassit à la table et reprit distraitement sa pomme dans la main pour la porter à ses lèvres. Elle ne mordit pourtant pas dedans, perdue qu'elle l'était dans ses pensées. Ce fut l'arrivée de Micha qui la détourna de ses songes. La brunette tourna la tête vers le petit garçon qui promettait d'être aussi grand que leur père. Il avait encore les yeux gorgés de sommeil. Amarenna sourit et reposa sa pomme.

"Papa est parti il y a cinq minutes." répondit-elle avant de se lever au moment où le petit garçon s'asseyait.

Elle vint se placer derrière l'enfant et le serra un instant contre elle, posant son menton sur la tête de l'enfant. Ses cheveux sentaient toujours bon le shampoing. C'était un régal. Et pourtant, remuant comme il l'était, il ne restait jamais propre très longtemps. Mais le matin...

"Papa est d'accord pour que je t'emmène au cinéma, aujourd'hui... Il y a une comédie sympa et accessible qui est sortie cette semaine..."

Elle laissa bien entendu à Micha le soin de nommer cette comédie, vu qu'il l'avait tannée depuis la sortie du film pour qu'elle l'emmène le voir. Si Amarenna n'était pas allée voir le film sans son frère, elle s'était tout de même assurée qu'il était visible pour un enfant de 10 ans. Elle s'écarta ensuite de l'enfant et ouvrit un placard pour en sortir un grand bol et le paquet de céréales. Si l'on écoutait ce petit monstre, il ne mangerait que des bonbons et du chocolat à tous les repas. Parfois, la cuisinière avait du mal à s'en sortir. La jeune femme posa le bol et les céréales devant Micha avant d'aller chercher le lait au frigo.

"Toutefois, si tu veux aller au cinéma... Il faut manger.... J'aurai des courses à faire, par contre aussi. Tu m'accompagneras, ou je dois y aller sans toi?"

L'enthousiasme de Micha pour le film faisait plaisir à voir. Ce n'était sans doute pas le film que préfèrerait Amarenna, mais au moins, cela avait-il détourné le garçonnet de sa déception de ne pas voir leur père avant sa réunion. Et puis ce serait, Amy le savait, une bonne journée pour tous les deux. La jeune femme ne put donc retenir un sourire devant la bonne humeur communicative de son turbulent petit frère. Kathryn ne s'inquièterait sans doute pas de leur absence. Elle se sentirait sans doute au contraire tranquille de ne pas voir les deux indésirables dans la maison. Sans rien répondre, la brunette retourna devant sa pomme et son jus de fruit qu'elle avala à la même vitesse que Micha employait pour manger ses céréales. Il n'avait toujours pas répondu à sa question pour les courses, mais la demoiselle se doutait déjà de la réponse. Il n'aimait en général pas rester avec leur mère. D'ailleurs, lorsqu'il eut terminé, il répliqua rapidement qu'il n'aimait pas faire les courses. L'aînée ne put se retenir de lui tirer la langue pour le taquiner, avant de lâcher, en haussant les épaules:

"Si c'est ça, je vais le voir toute seule, le film..."

Toutefois, de le voir enfiler ses souliers alors qu'il se trouvait encore en pijama ne permit pas à Amarenna de garder son sérieux. La jeune femme éclata de rire en regardant son frère. Un rire doux et cristalin. Elle reprit cependant rapidement son sérieux et s'approcha du petit garçon pour lui ébouriffer les cheveux.

"Allons nous habiller avant de sortir, p'tite tête..."

Après tout, elle aussi était encore en vêtements de nuit... Elle prit la main de l'enfant et commença à se diriger vers l'escalier menant à l'étage et à leurs chambres. Celle d'Amy donnait sur le grand parc devant la maison et celle de Micha se trouvait juste en face. De l'autre côté de l'escalier, on trouvait la chambre de Mark et de leur mère. Quant à Julien, il avait la chambre juste en face de l'escalier. Amarenna baissa un instant le regard vers l'enfant à ses côtés.

"T'auras qu'à aller dormir dans le lit de papa ce soir, pour le cas où il rentrerait tard... Tu lui raconteras la journée. Je suis sûre que ça lui fera plaisir..."

Lorsque la jeune femme arriva sur le pallier, elle lâcha la main de son frère pour ouvrir la porte de sa chambre. Avant de le laisser, cependant, elle se tourna vers lui:

"On se retrouve ici dans dix minutes Micha. Je compte sur toi pour être à l'heure..."

Décidément, les prix n'allaient pas en s'améliorant. Enfin... Il fallait faire avec. Amarenna devait tout de même s'avouer heureuse de ne pas être à 20$ près, mais elle savait que pour certains, c'était difficile et que le cinéma était devenu un luxe. Elle paya donc sans aucun soucis les deux billets, remerciant chaleureusement la jeune femme derrière la caisse. Elle devait sans doute commencer à peine sa journée pour être aussi joyeuse. Car, nul doute, qu'elle verrait de sacrés type au cours de la journée. Le genre mal embouché qui vous donnaient envie d'attraper un flingue pour les aider à en finir. Enfin.... Ca n'était pas le moment. Elle se tourna vers son frère après lui avoir demandé s'il avait besoin de fournitures scolaires. Il s'était brusquement stoppé, arrêtant de sautiller sur place de bonheur. Finalement, il finit par lâcher une ânerie si énorme que, de toute façon, Amy n'y aurait jamais cru.

"2kg de bonbons? Et puis quoi encore? Allez... T'auras droit à un peu de pop corn pendant le film, mais c'est tout... Tu sais très bien que maman déteeeeeeeeeeeeeste quand on ramène des sucreries à la maison. Et je sais très bien que ton instituteur ne demanderait jamais à ses élèves d'acheter des bonbons. Les seules occasions où vous pouvez amener des bonbons à l'école, c'est lors des goûters d'anniversaire... Et le tien, ce n'est pas pour tout de suite..."

Elle ébouriffa tendrement les cheveux de l'enfant. Elle adorait son frère, c'était un fait. Et cela se voyait dans chacun des gestes de cette grande soeur envers le garçonnet. Il lui demanda ensuite ce dont elle avait besoin, provoquant un sourire amusé chez la jeune femme qui commença alors à énumérer en levant les yeux vers la gauche en signe de réflexion:

"Alors... 3 paires de chaussures, dont une paire d'escarpins, des vêtements, des bijoux..."

Elle jeta un bref regard vers Micha qui devait, sans doute, blémir à vue d'oeil à l'heure actuelle puis reprit dans un éclat de rire:

"Pour mes fringues, je ferai ça seule. Mais toi, quelque chose me dit que tu aurais bien besoin d'un pantalon ou deux... Les tiens sont tous élimés aux genoux tellement tu remues..."

Blackhole était parfaitement consciente qu'en temps normal, cela aurait été à sa mère d'agir ainsi, d'acheter des vêtements pour Micha, ses fournitures scolaires, mais Kathryn s'était toujours désintéressée de l'enfant. C'était Julien qui le voulait, pas elle. En conséquence, moins elle s'en occupait, mieux elle se portait. C'était un comportement qui agassait profondément la jeune mutante. Elle secoua la tête, chassant sa mère de ses pensées et prit la main de Micha pour l'entraîner vers une boutique de vêtements pour enfants. Elle verrait ensuite pour ses cahiers et ses stylos. Stylos qu'il passait son temps à mordiller, mauvaise habitude qu'il avait apprise de sa soeur qui mordillait les stylos bon marché. Elle s'arrêta au feu rouge, attendant le signal pour pouvoir traverser.

[Je nous croyais à pieds ]

Bien entendu qu'il était déçu de ne pas avoir ce qu'il voulait. Bien entendu que quelqu'un d'autre lui aurait sans doute acheté ses 2kg de bonbons. Mais pas Amarenna. Ni leur père, d'ailleurs. Mark, lui, l'aurait fait pour avoir la paix. En même temps, il passait le moins de temps possible avec l'enfant. Soit disant que les études de droit prenaient trop de temps... Bref. En tout cas, la réaction de l'enfant concernant les achats qu'elle avait à faire, redoubla l'envie de rire de la jeune femme. Il finit, après un temps de silence, et de bouderie, surtout, par reprendre la parole. Le premier dans le magasin. Et ses pantalons élimés lui allaient très bien, lui avait-on dit. On. Elle ne voulait même pas savoir de qui il s'agissait. C'était le cadet des soucis de cette grande soeur qui voulait ce qu'il y avait de mieux pour son garnement de petit frère. Elle se contenta donc de lever les yeux au ciel tout en continuant d'attendre que les voitures s'arrêtent pour pouvoir passer de l'autre côté de la rue.

C'est alors que Micha attira l'attention de sa soeur vers une boutique au coin d'une ruelle. La jeune femme, en fronçant les sourcils, se demandant ce qu'il inventait encore comme ânerie, tourna la tête vers la boutique. Elle s'apprêtait à lâcher un petit proverbe du style: 'à force de crier au loup tout le temps, personne ne te croira plus lorsque le loup arrivera vraiment', mais elle n'en eut pas le temps. Cette fois, il disait bel et bien la vérité. Elle assistait là à un cambriolage en direct. Elle fronça les sourcils de plus belle en voyant un homme d'âge mûr les regarder, Micha et elle, puis la vitrine avant de faire demi-tour. Amy fouilla dans son sac pour en sortir son téléphone portable tout en s'adressant à Micha:

"Retourne au cinéma, et attends-moi là bas, p'tit frère."

Elle n'appelait son frère ainsi que très rarement, et uniquement lorsqu'il fallait qu'il obéisse. Lorsqu'elle eut enfin mis la main sur le cellulaire, elle composa le 911 pour indiquer l'adresse du cambriolage. Elle, elle allait voir si elle pouvait déjà, ne serait-ce que ralentir le voleur. Elle essaya d'utiliser les ombres qui les entouraient, le voleur et elle pour former une main qui emprisonnerait le pied du voleur et l'empècherait ainsi de fuir. Avec un peu de chances, cela fonctionnerait et la police pourrait arrêter le voleur en flagrant délit. Elle n'aimait pas utiliser ses pouvoirs en public, mais bon... Certaines fois, on n'avait pas le choix...

Après avoir râlé un coup, Micha s'était décidé à obéir. Pourtant, Amarenna n'y avait guère prêté attention. L'enfant aurait très bien pu rester que ça n'aurait rien changé. Elle était bien trop concentrée sur l'ombre qu'elle essayait de construire pour stopper le voleur et sur l'appel qu'elle passait en même temps. Alors que la première sonnerie retentissait, Amarenna était parvenue à faire sortir du sol un ombre légère, sans doute celle du voleur et qui avait commencé à lui entourer la jambe. Ce n'était guère probant, pourtant, cela semblait pour l'instant fonctionner. La jeune femme essaya de se concentrer pour donner plus de consistance à cette ombre tandis que la deuxième sonnerie résonnait dans son oreille. Mais au même instant, le voleur sursauta et se libéra sans problème.

"Merde..." murmura la jeune femme juste au moment où elle obtenait une réponse dans le téléphone.

"Bonjour, je voudrais vous signaler un cambriolage dans la vitrine d'un magasin..." fit-elle à la femme au téléphone.

Elle avait, pour le moment, arrêté d'essayer de produire une ombre. Pas tout à la fois, d'autant qu'il lui faudrait donner l'adresse exact du cambriolage. La jeune fille remarqua que des badauts s'étaient arrêtés près d'elle pour observer le spectacle. Elle les aurait bien envoyés bouler, pourtant, ils pouvaient toujours aider. Finalement, elle préféra tendre l'appareil à une personne qui se trouvait vers elle. C'était sans doute le plus simple. Elle ne pouvait pas tout faire en même temps.

"Je suis en ligne avec la police. Cet homme essaye de cambrioler le magasin. Vous pourriez donner l'adresse, et répondre au question? Je m'appelle Amarenna Carpentier." fit-elle alors.

Elle se retourna ensuite vers le magasin, focalisant toute son attention dessus, pour produire des ombres qui seraient, cette fois, plus efficaces pour retenir le voleur. Il fallait que cela fonctionne. Elle ne pouvait pas le laisser faire. Une chose était sûre, elle n'avait même pas remarqué qu'il essayait de déterminer qui était à l'origine de son sursaut. Comme quoi, c'était une autre preuve qu'on ne pouvait pas tout faire en même temps. Et si elle se faisait chopper en tant que mutante? Ce serait pour la bonne cause...

"Et merde..." répéta-t-elle pour la troisième fois en se stoppant.

Comme si c'eut été un jeu d'enfant, l'homme était passé au travers d'une grille. Et cela, Amy ne pouvait pas le faire. Elle était obligée de rebrousser chemin. Pourtant, elle était sur le point de le rattraper! Mais voilà. Il n'avait pas eu à escalader la grille. Il ne lui restait plus qu'à espérer que le voleur se ferait attraper. Ne serait-ce que pour se faire aider. Elle secoua donc tristement la tête, et rebroussa chemin pour retourner auprès de la vieille femme. Lorsqu'elle arriva, elle vit que les policiers étaient arrivés et que son frère se trouvait près de la vieille dame à qui elle avait confié son téléphone. Amarenna fronça les sourcils en se rapprochant du groupe. Elle avait, pourtant, dit à Micha de retourner au cinéma... Elle s'apprêtait à prendre la parole, pour le gronder, même si elle était soulagée de voir qu'il allait bien lorsqu'une policière s'adressa à elle. amy tourna donc son regard vers son interlocutrice tout en tendant la main à son frère.

"Oui, j'ai effectivement essayé de l'arrêter, mais il m'a échappé." commença-t-elle.

La jeune femme, pourtant, se retrouva rapidement sur la défensive à la seconde question de la policière. Devait-elle dire la vérité? Oui. C'était mieux. Elle baissa un instant le regard vers Micha, puis releva la tête vers l'agent de police avant de reprendre:

"C'est mon frère le premier qui a vu ce qu'il se passait. Un homme était plongé, à moitié dans la vitrine entrain d'essayer de voler un téléviseur. J'ai essayé de l'arrêter, et ai confié mon téléphone portable à cette personne âgée pour partir à sa poursuite. Mais il m'a échappé en passant de l'autre côté d'une grille."

La jeune fille venait de dire l'entière vérité, en ommettant tout de même de préciser qu'elle-même était mutante et que c'était ainsi qu'elle avait d'abord tenté de stopper le voleur. Mais quelle était l'importance de ce point de détail? Pour elle, il n'y en avait pas, et tant qu'elle pouvait garder cela pour elle, pour éviter de causer des problèmes à son père, elle le faisait.

"Nous n'y manquerons pas." promit Amarenna à l'agent de police en son nom et en celui de son frère.

L'homme était cagoulé. Elle n'avait donc pas pu voir son visage. Elle adressa un signe de tête aux deux agents de police en serrant la petite main de son frère dans la sienne. Elle le gronderait, sans doute, mais elle était soulagée malgré tout qu'il soit là et lui ait désobéi, pour une fois... D'habitude, elle le grondait, mais pas cette fois. Elle regarda les agents de police partir et se tourna vers son frère qui était aussi enthousiaste que d'habitude. Elle avait été géniale, surtout quand... surtout quand quoi? Quand elle avait voulu utiliser son pouvoir, ou quand elle avait couru après le voleur? Elle ne le saurait pas, de toute façon. La vieille femme le coupa. Mais c'était mieux ainsi. Elle verrait avec Micha plus tard, lorsqu'elle serait seule avec lui. Cela valait mieux, elle le savait pertinemment. S'il laissait passer un mot de trop, c'en était cuit du beau secret qu'elle conservait depuis six ans maintenant. Elle se tourna donc vers la personne âgée et lui adressa un sourire de remerciement.

"Je vous remercie. J'ai eu peur qu'il ne soit en danger ici, je l'avais donc renvoyé au cinéma. Mais vous avez eu raison. Merci..." fit-elle en pressant un peu plus fort la main de l'enfant.

Non, il ne serait pas grondé. Elle était heureuse de le savoir auprès d'elle. S'il y avait bien une chose qu'elle craignait, c'était que quelque s'en prenne à l'enfant. La jeune femme se pencha vers son petit frère et déposa un baiser sur ses cheveux. Tout allait bien, fort heureusement. La femme enchaina bientôt, se présentant et demandant à lui parler quelques instants. Amarenna releva la tête, légèrement soupçonneuse. Savait-elle qu'elle était mutante? Allait-elle essayer de faire chanter leur père? Ce n'était pas l'impression qu'avait la brunette, pourtant, elle ne pouvait pas en être sûre et certaine.

"Oui, on a un peu de temps avant la séance de cinéma. Les courses seront pour après, ce n'est pas grave. On... On ne va peut-être pas rester là, au milieu de la foule, si vous le voulez bien..."

Elle ne savait pas ce que Miss Coupland avait exactement à lui dire, mais elle préférait que ce soit en privé. Ca, c'était clair. D'un certain côté, la demande de la femme attisait sa curiosité. Et Amy avait toujours été curieuse... C'était un fait bien connu.

C'était assez étonnant de voir Micha aussi calme, mais c'était pour le moins une bonne chose qu'Amarenna allait mettre à profit pour savoir ce que voulait Miss Coupland. Elle la suivit donc, gardant la main de son frère dans la sienne. Amarenna prit son téléphone dans sa main libre et le rangea dans son sac, avant de glisser à Micha:

"T'inquiète, j'oublie pas le cinéma..."

Amarenna regarda le pain que lui montrait la dame âgée qui lui expliquait qu'elle se rendait à la rivière nourrir les canards. Il était vrai que cela ne lui arrivait jamais. Même lorsqu'elle allait au parc, elle ne nourrissait jamais les pigeons ou les canards. Elle préférait regarder les personnes âgées le faire. Cela semblait être leur activité principale. La vieille dame parla ensuite d'un café. C'était une autre possibilité mais celle-ci ne réjouissait pas tellement Amarenna, d'autant qu'il y avait un plus grand risque de rater la séance et que Micha ne le lui pardonnerait pas. Son frère d'abord. La jeune femme se contenta pour le moment de hocher la tête et suivit la vieille dame. Celle-ci, rapidement, lui expliqua qu'elle l'avait trouvée courageuse. Amarenna esquissa un sourire.

"Vous savez, je me suis contentée de lui courir après... Et si d'autres m'avaient suivie, on l'aurait peut-être rattrapé..." fit-elle, évasive.

Amy n'avait pas l'habitude, comme ça, de se faire mousser, aussi minimisait-elle son rôle dans l'histoire. Le voleur avait vu qu'elle était mutante, comme lui. Mais d'autres personnes l'avaient-elles remarqué? Elle baissa la tête vers son frère qui profitait du silence qui s'installait pour dire à quel point elle était géniale. D'autant qu'il savait qu'elle avait horreur de ça. Mais ça passerait pour cette fois. La vieille dame reprit ensuite la parole, parlant de sa fille Janie et du candidat McCuffrey. Oui, elle avait entendu parler de cette histoire. Par son père, notamment.

"Mon père est diplomate, vous savez, j'entends donc souvent parler de politique à la maison." expliqua-t-elle simplement.

Elle fronça les sourcils à la suite de l'histoire du candidat aux élections présidentielles. Ce n'était jamais facile de savoir quoi faire, dans ces cas-là. Qu'aurait fait Amy si elle avait été à la place de Janie? Elle n'en avait pas la moindre idée. Elle, elle était mutante. Le problème était donc différent. Miss Coupland marqua un temps d'arrêt et lui désigna le petit café d'une main tremblante. Amarenna leva la sienne avec un sourire doux et la referma sur celle de la vieille dame.

"Ici, c'est très bien..." répondit-elle.

"Micha, tu t'occupes des canards?" proposa-t-elle à son frère en invitant la vieille dame à s'asseoir sur un banc. 

Elles seraient ainsi mieux pour parler, et Micha pourrait s'occuper sous le regard bienveillant de sa soeur.

"Pourquoi me parlez-vous de tout ça, Miss Coupland?"