[1er mai]Sea, sex and sun - côté vagues

Voilà deux semaines que la menace planant sur Génosha avait été écartée, non sans son lot de victimes, tant dans les rangs des mutants que des humains. La ville avait rapidement été nettoyée grâce à l'emploi localisé de pouvoirs mutants, et les morts enterrés avec dignité. Ces événements, prévus pour annihiler ce peuple naissant, n'avait fait que le rassembler sous une même bannière et ressouder les liens qui unissaient ses membres.

Les festivités avaient bientôt pris le relai du deuil. Ce regain de vie, la liesse populaire des mutants libérés de l'oppression, avait rapidement envahi l'île, boutant l'aura de mort qui menaçait de s'installer. Il n'y avait qu'à observer l'ambiance langoureuse et hippie de la plage pour le comprendre : ça et là, des groupes de mutants hétéroclites se faisaient dorer la pilule, discutaient, flirtaient, chantaient sur la plage.

Dans l'eau, variation sur même thème. Certains groupes surfaient, jouaient grâce à leurs pouvoirs, barbottaient... Dimitri Lobos, alias Dive, était de ceux-là. Muni d'une planche découpée à même le bois, l'homme-poisson, dont le visage était désormais bien connu des élèves, surfait, s'aidant parfois de son pouvoir pour motiver les vagues.

L'air du large et le ressac. Ca faisait du bien au corps et à l'esprit, des vagues à l'âme. Ca lui rappelait les vacances en bord de mer dans son pays natal, à cela près que la chaleur était plus sèche en Grèce. Cassandre profitait de quelques instants de tranquillité au bord de l'eau, ses chaussures dans une main, laissant les vagues caresser ses pieds à chaque mouvement. Deux semaines éprouvantes et riches en bouleversements. Ils s'étaient battus et certains l'avaient payé de leur vie. Elle avait beau connaître l'avenir, elle avait choisi d'en demeurer un pion, et en un sens, le fait que la prophétie ait été édictée par Destinée un siècle auparavant la déchargeait d'un lourd fardeau. Cette fois, elle n'avait été que l'émissaire, le sprinteur dans une course de relais. Mais Destinée elle-même n'était qu'une interprète, non l'origine de leurs maux... et de leur salut.
Ils avaient sauvés leurs congénères autant que cela était possible. Il y avait là une profonde injustice. Olivier y avait laissé la vie, et dans des circonstances aussi sordides qu'horribles. Une fois de plus, l'Institut ressortirait meurtri de sa lutte pour l'égalité et la liberté. Elle savait cette île paradisiaque. L'Institut était un avant-poste de la vie mutante. A ce titre, ils étaient prédisposés à souffrir, à essuyer les tempêtes comme une digue.

La psychologue continua de marcher tranquillement. Elle savait que Dimitri la remarquerait dans un instant, aussi lui fit-elle un signe de sa main libre, le visage incliné vers le sable, le vent faisant virevolter ses cheveux.

Deux semaines. Deux semaines pour se reconstruire. Se rappeler avec fierté son héroïsme ouvrier. Mais aussi les choses moins agréables... Lars, sa pauvre colocataire. Les camarades morts. Tous ceux qu'elle ne verrait plus.

Deux semaines. Deux semaines aussi pour relativiser son célibat forcé. La petite blondinette était au moins en vie. Et la personne qu'elle aimait également. Même si leur histoire se conjuguait désormais au passé. Respirer était difficile. Mais tellement plaisant...

Deux semaines aussi. Pour constater que la vie peu à peu reprenait ses droits. Et que sur le champ de bataille, au-delà des charniers et des décombres, des fleurs un jour pousseraient.

Mais deux semaines enfin ce n'était pas assez. Pas assez pour la blondinette en mal d'amour pour oublier qu'elle était seule... Et tous les couples présents sous ses yeux, cette ambiance de fête joyeuse, la renvoyait encore et encore à sa propre misère sociale.

Elle marchait donc sur la plage, les mains dans les poches, la tête dans les étoiles, à l'aventure. A l'abandon. Ou presque.

Deux semaines, c'était aussi le temps écoulé depuis que Dame Cassandre était revenue. La petite Georgia n'avait pas trop osé l'approcher. Pour ne pas l'assommer de ses misérables petits problèmes existentielles... Mais là. La voir, telle Ariane sur la plage, rien que pour elle... Et l'homme poisson qui les avait aidé. C'était trop tentant.

Piquant un sprint, la New Yorkaise alla se planter dans les bras, qu'elle espérait accueillants, de sa référente, tel un paquet mal fichu, tel un boulet qu'on trainerait à la cheville...

"Cassandre !" s'exclama Georgia un sourire radieux aux lèvres. "Ça me fait plaisir de te voir..."

Puis pleurnichant sous le coup de son effondrement mental, elle ajouta :

"Tu m'as tellement manquée... Je t'aime, tu le sais ? Je voulais juste te dire ça..."

Une voix familière la tira de ses pensées mélancoliques. La non-voyante accueillit Georgia dans ses bras, et se surprit même à se laisser aller quelques instants à son étreinte d'enfant. Il fallait croire que même quelqu'un d'aussi réservé que la psychologue avait besoin de sa dose, aussi ténue soit-elle, de chaleur humaine. Et les événements récents avaient sans aucun doute accru pour tout le monde la charge émotionnelle nécessaire. Elle s'en était voulu d'abandonner les NeXus à leur sort, malgré la tutelle à laquelle Vadim s'était prêté de bonne grâce. La responsabilité dont elle avait la charge vis-à-vis de ses élèves allait au-delà de celles d'un simple professeur. Les élèves étaient un peu les enfants qu'elle n'avait pas, en particulier les NeXus. La mère avait quitté le nid... en semant des miettes de pain derrière elle. Une démarche qu'on pourrait juger cruelle, et qu'elle avait entrepris la mort dans l'âme. De l'extérieur, la compagnie de Wilson Beckers semblait peut-être enviable, mais pas lorsqu'on était hôte forcé. Elle était néanmoins consciente que sa libération actuelle n'était que conditionnelle : il leur avait déclaré la guerre. Il n'était également pas le seul à être susceptible de convoiter ses pouvoirs. C'est d'ailleurs pour cette raison que Cassandre s'était fait discrète auprès des officiels autoproclamés de Génosha. Non pas qu'elle se méfiait particulièrement du gouvernement en formation, mais il valait mieux pour tout le monde qu'elle reste dans l'ombre. Adam portait désormais la casquette de représentant de l'Institut, et faisait cela très bien. Olivier ne s'était pas trompé et le nommant son bras droit.

Olivier. Sa mort était un coup sévère porté à la cause mutante. Il avait été l'un des pionniers, si ce n'était le pionnier, sans qui rien de tout cela n'aurait été possible. D'ailleurs, c'était au départ pour lui qu'elle était restée à l'Institut après y avoir emmené Jessica. Un jour, deux jours, puis une année entière. Et alors qu'elle brisait finalement l'étreinte de son élève, elle réalisa que c'était maintenant pleinement pour eux qu'elle restait à l'Institut, qu'elle restait en vie. Beckers avait vu juste. Elle avait trop donné, avait laissé trop d'attaches se créer pour s'ôter la vie ainsi, même au nom d'une noble cause. Et sa mort serait peut-être plus dangereuse encore que sa survie. La note urgente, impérieuse dans la voix de Georgia était là pour prouver que les élèves avaient encore besoin d'elle.

"J'en connais une qui s'est sentie seule." répondit doucement la psychologue, passant la main sur son visage pour écarter les mèches folles de ses cheveux. L'amour, c'était une chose inaccessible à sa vision. C'était tout autour d'elle, ça avait une existence abstraite mais suffisamment puissante pour influencer le cours du destin. C'était une variable de plus à ne pas négliger, mais une inconnue dans l'équation. C'était d'ailleurs aussi pour cela qu'elle était devenue psychologue, pour saisir l'insaisissable en chacun. Et même si son pouvoir lui avait permis de cerner cette variable virtuelle, ce savoir avait bien plus de valeur lorsqu'il était transmis naturellement, quand ces mots précieux étaient directement adressés.

Elle s'autorisa un sourire, si rares chez elle, pour toute réponse. Les moments d'effusion n'étaient pas son fort.

"Comment ça va chez les élèves ?" finit-elle demander. On ne se refaisait pas.

Le grand combat contre les ennemis de Génosha s'était terminé depuis deux semaines, sur la victoire de l'ensemble des équipes qui étaient parties en mission. Mais c'était une victoire amère, car même si une énorme quantité de vies avaient été ainsi sauvées, le bilan du côté des élèves de l'Institut s'était révélé lourd, ne serait-ce qu'en blessés, mais surtout... en morts.

L'Inuit avait souvent prié pour que les âmes de ces courageux combattants du salut mutant atteignent la paix et deviennent des esprits protecteurs afin de les guider vers l'accomplissement de leurs projets nobles. Par chance, les KozaX s'en étaient tous sortis en un seul morceau quoi que blessés pour deux d'entre eux. Cassandre était enfin de retour parmi eux. Becker était leur ennemi. Une page se tournait, cachant le passé et dévoilant un futur encore incertains pour les élèves comme pour les mutants de cette île.

A présent, c'était les vacances. Ils avaient tous mérité du repos suite à leurs exploits. Kalalli s'était décidé à aller à la plage. Kitty savait qu'il y était comme très souvent. Le jeune garçon adorait la plage, le sable, le bruit de la mer et l'odeur si particulière. L'ambiance était à la fête et en cet instant, penser à autre chose était quelque chose d'important. Non pas qu'il faille oublier les morts, mais plutôt essayer de se reposer mentalement.

Pour la première fois depuis qu'ils étaient sur Génosha, Kala s'était décidé à marcher entre la plage et la mer. L'eau lui arrivait par vagues un peu au dessus des chevilles. Il avait longé un bon moment la plage, pensif, regardant un peu les gens, comme ça. Pour les voir vivants. Régulièrement, il y avait quelques élèves de l'Institut qui se reposaient.

A force d'avancer, il se retrouva près de Gilles. L'Inuit observa Dive qui s'amusait dans l'eau, puis Cassandre et Georgia. Elles venaient de s'enlacer. Un sourire aux lèvres, il remarqua que le jeune garçon venait de s'asseoir lourdement. Son équipe avait été celle la plus touchée. Ce n'était pas du genre de Kalalli d'essayer de réconforter, parce qu'il ne savait jamais rien dire qui allait correctement, et en général, c'était toujours pire après qu'il ait ouvert sa bouche.

Il se rapprocha alors encore de Gilles, et, derrière lui, posa simplement sa main sur son épaule en lui demandant un bête mais sincère "Ca va ?" inquiet. Bien sûr, ça n'allait pas, mais il n'allait pas débarquer et proposer à Smash de se livrer corps et âme à une petite séance de psychanalyse. Kalalli était juste là si ce camarade de classe qu'il connaissait à peine avait envie de parler. Parler du passé, du présent, ou du futur. Se vider la tête, tout simplement. Se vider le coeur.

Relevant son visage et profitant du calin contraint qu'elle faisait à Cassandre, Georgia renifla un bon coup, sans classe, et observa quelques instants celle qui était, en quelque sorte, leur mère à tous.

"J'suis contente qu'on t'ait retrouvé. J'ai pas arrêté de penser à toi, tout ce temps... Et même si M'sieur V. est cool et qu'il s'est bien occupé de nous... Ce n'est pas toi"

La blondinette sentit bien qu'elle était un peu une gamine attardée sur le coup. Que la psychologue n'était pas à son entière disposition et qu'elle avait du, elle-même, subir le contre-coup des derniers événements. Notamment son enlèvement, la mort des élèves... et celle d'Olivier.

"Les élèves vont ce qu'ils vont... J'imagine que c'est dur pour tout le monde mais... Sans toi, je crois qu'il n'y aurait eu personne pour témoigner. Ton message a été, en quelque sorte, notre fil d'Ariane. Quand j'ai entendu notre ami Dive..."

Elle désigna du doigt l'homme poisson tout en lui souriant.

"Quand j'ai entendu Dive le réciter, j'savais qu'on allait à peu près s'en sortir !"

Se grattant la tête pour évacuer les particules de sable qui s'y étaient fichées suite à une gamelle sur la plage, la blondinette poursuivit :

"Je peut pas trop parler pour les autres. J'imagine que Mina est effondrée. Pour ma part, j'suis partagée..."

Elle planta ses yeux dans ceux, morts, de sa référente.

"D'un côté, l'Institut a encore morflé et j'arrête pas de penser à tous nos amis disparus... Mais d'un autre côté, j'suis tellement contente d'être en vie et d'avoir pu servir aux autres..."

Un petit sourire timide sur ses lèvres, Georgia se revit en héroïne prolétarienne.

"J'ai conduit une révolte ouvrière... Et même si c'est ridicule, j'me rends compte que ça me permet de tenir..."

La petite New Yorkaise commençait à comprendre qu'un truc avait changé en elle. Définitivement.

"C'est bizarre, avant ça, je t'embêtais tout le temps avec mes histoires de cœur. Je trouvais que c'était tellement important... Mais maintenant, mes peines de palpitant, mon célibat forcé, je m'y accroche tout en sachant que ça ne représente rien. Juste pour me dire, que d'une certaine façon, je suis normale. En fait, je crois, que je grandis... Et merci pour tout..."

Prenant la main de la psychologue, elle termina d'une petite voix :

"Et toi ? Tu tiens le choc ?

"Whhhhoooaaaaaaa!"

Un bruit d'éclaboussure servit d'avertissement à l'arriver de la jeune femme. Un chapeau à large bord qui flottait sur l'eau permit de montrer le point d'atterrissage. Telle une Bond girl sortant de l'eau, la chevelure de la Québécoise fit un tour autour de sa tête afin de retomber le long de son dos dévoilant une face dégoulinant de mascara, de maquillage et de calamine.

Ramassant rageusement son chapeau et ses lunettes de soleil roses, Annaelle s'avança vers Cassandre et Georgia. Alors qu'elle arrivait à leur hauteur, son pied glissa sur une plaque de vase et elle retourna faire un tour avec les poissons. En ressortant de l'eau elle donna un coup rageur dans l'eau et éclaboussa tout le monde qui l'entourait.

"J'hais ça quand ça me fait ça! J'étais venue me faire dorer au soleil en espérant voir un joli gars musclé, bronzé...Mais non! Je me trompe d'endroit je tombe dans l'eau, mon maquillage coule pis j'ai fait un flat!"

Annaelle ouvra son sac de plage, qu'elle ne lâcherait pour rien au monde, et y fourra son chapeau et ses lunettes. Elle y mit également sa robe de plage et ne resta qu'en bikini.

"Vu que je suis déjà mouillée autant en profiter pour se baigner un peu...Ça vous dit de vous faire une petite partie de ballon dans l'eau? Ou du surf avec mon petit Dimitrichou?!"

Repérant les deux garçons sur la plage Gast se mit dans l'idée de leur faire garder son sac. Elle créa donc de nouveau un vortex dont elle créa l'ouverture à leurs côtés. Elle leur tendit le sac puis se retourna vers les deux Nexus.

"Dites Madame Cassandre....Vous avez toujours eu les yeux blancs? Ou seulement après l'apparition de votre pouvoir? Parce que ça doit donner un coup quand on devient aveugle...mais pas pour vous offenser hein?! C'est seulement par curiosité!"

Grattant l'une de ses nombreuses piqûres, la jeune femme dit à Georgia; "Dit, tu pourrais pas m'enlever ces cochonneries? Elles piquent en vache....J'en ai de la misère à dormir la nuit..."

Georgia n'avait rien perdu en verve durant son absence. Ou était-ce le sentiment d'abandon qui provoquait en elle le besoin de parler ? A l'instar des vagues, les interrogations que Cassandre avait laissées dans son sillage refluaient sur la plage. Mais finalement, Georgia ne semblait pas avoir été en proie aux doutes, comme si elle lui vouait une confiance aveugle. Les choses n'avaient pas tourné aussi bien qu'elle l'aurait pourtant espéré. Des élèves avaient souffert, physiquement, mais surtout mentalement. D'autres étaient morts dans des conditions des plus sordides. La liesse générale, son ampleur, était un bon indicateur du tourment psychologique qui hantait maintenant les survivants. Le fameux complexe du survivant.

"Les prédictions ne font pas tout. Je suis peut-être même la personne dont il faut se méfier." répondit la psychologue de sa voix grave. Cette fois encore, l'analyse de Midas la tarauda. Les professeurs seraient-ils venus à son secours s'ils n'avaient pas eu la certitude qu'elle avait prévu le déroulement des choses ? Même sans utiliser son don, son existence avait un pouvoir galvanisant en dormance. Un pouvoir qui pouvait facilement être retourné contre les gens qui lui faisaient confiance.

Elle tourna la tête vers la mer, dans la direction approximative de Dimitri. Elle l'avait exposé, lui aussi, à un danger plus grand. Et comme les autres, il l'avait suivie les yeux fermés. C'était effrayant.

Puis Georgia évoqua Mina. Il n'y avait pas de mots capables d'apaiser ce genre de maux. Elle le savait, car elle ressentait elle-même la mort d'Olivier comme une déchirure. Et pourtant, elle le savait, le monde continuait de tourner. Bientôt, et sans qu'ils s'en rendent compte, la douleur se muera en souvenir. Ils souffraient dans le présent, mais ils vivaient dans le futur, et la démarcation temporelle se brouillait parfois dans l'esprit de la non-voyante.

"Je pense que les tragédies vécues sur Génosha relativisent énormément les choses de la vie. Il va nous falloir réapprendre à vivre dans un monde altéré."

Avec tout le mal qui avait été perpétré ici en l'espace d'une journée, cet objectif semblait impossible. Le monde ne serait plus jamais le même, car ils garderaient tous en eux cette cicatrice indélébile.
La dernière question de Georgia renvoya Cassandre à son malêtre existentiel.

"Il le faudra..." répondit-elle après un silence, sans détourner son visage de la mer. Annaëlle arriva sur ces entrefaites, toujours égale à elle-même, et Cassandre fit un simple écart sur le côté, évitant ainsi les éclaboussures de la jeune fille.

Le caractère survolté de Gast avait l'avantage de changer radicalement l'atmosphère morose qui s'était installée sur le bout de plage arpenté par la psychologue.

"Dimitri est pas mal dans son genre." répondit Cassandre, profitant du changement de sujet pour s'écarter de sa situation personnelle. A son souvenir, le mutant avait toujours entretenu son corps. Il trouverait sans mal chaussure à son pied sur une île comme Génosha.

La question, pour le moins impertinente d'Annaëlle, prit Cassandre au dépourvu. Elle fit un effort sur elle pour adopter une posture Vadimienne et ne pas s'en formaliser outre mesure.

"Rassure-toi, j'ai toujours été aveugle, je n'ai donc jamais souffert de ma cécité." répondit-elle, une expression à mi-chemin entre l'amusement et l'ironie sur les traits. Perdre la vue était tragique, mais naître aveugle était-il un sort plus enviable ? C'était un débat sans fin et difficile à ouvrir avec des personnes voyant normalement, bien que l'idée amère qu'elle ait troqué dès son enfance les stigmates de sa mutation future contre sa vue l'ait déjà effleurée auparavant. A quoi bon invectiver ? Les choses étaient ainsi faites.

Annaëlle avait déjà sauté du coq à l'âne, et demandait à Georgia de transférer ses piqûres de moustiques sur quelqu'un d'autre. Un nouveau dilemme éthique s'ouvrait pour la New Yorkaise, par l'intermédiaire d'une demande tout à fait bénigne. Dans quelle mesure pouvait-elle user de son pouvoir ? C'était un sujet de cours intéressant, mais la reprise des cours semblait tellement irréelle dans le contexte actuel...
Laissant les deux adolescentes s'arranger entre elles, Cassandre fit un pas en arrière et reprit sa marche au bord de l'eau.

Deux semaines. C'était le temps qui lui avait fallu pour, premièrement, faire le deuil de tous les membres de l'institut qui avaient perdu la vie durant le semblant d'apocalypse qu'ils avaient vécu. Au fil de tous les évènements que la télépathe avait vécu grâce ou à cause de l'institut, la période du « remontage de moral » était de plus en plus cour. Alors si à présent elle ne descendait pas au fin fond du trou de la dépression, elle angoissait parce qu'elle ne trouvait pas cela normal. Même la mort de son ancien professeur, Olivier ne l'avait pas troublé autant qu'elle ne l'aurait cru, comme le fait qu'une fois de plus, la moitié de son équipe avait disparu. Elle se refusait à croire que ce manque de sentiments dépressifs était du à l'habitude. C'était trop horrible.

Alors c'était peut être l'effet que Génosha avait sur elle. Puisque deuxièmement, elle s'était rendue compte que cette île qu'elle avait toujours vu comme maléfique, ne l'était peut être pas autant que ca. Comme si le fait de l'avoir sauvé de la destruction totale, l'avait également sauvé de toutes ses vibrations négatives et de son ambiance glauque qui la caractérisait. Et beaucoup de mutants l'avaient certainement ressenti aussi puisque depuis, l'île accueillait tous les jours de nouveaux exilés. La télépathe avait l'impression de revoir l'immense ville en pleine effervescence qu'elle avait eu la chance de connaître il y a un peu plus de cent ans, se remettre à vivre.

Depuis plusieurs jours elle observait tout ce petit peuple revenir sur l'ile, découvrir et remettre sur pied ce qui avait été le pays des mutants. Et elle devait avoué qu'elle était plutôt fière de ce que l'institut avait fait pour en arriver là. Mais aujourd'hui ce qu'il s'y passait, et bien que cela lui paraisse dans la continuité normale des choses, la fit fuir. Ces rassemblements autour d'un soit disant chef, les braillements, les montées de tension ne la mettaient pas forcément à l'aise. Alors c'est naturellement qu'elle se retrouva avec son sac de plage sur l'épaule, les pieds dans l'eau à chercher une endroit pour se poser et strictement rien faire. Du moins pour un temps.

C'est comme ca qu'elle aperçut au loin, une petite bande de l'institut et suivit déjà la conversation à distance. Elle adressa un premier bonjour à la psychologue avec un grand sourire. Depuis que les professeurs l'avaient ramené, Anna avait l'impression qu'elle ne les avait jamais quitté. Comme si toute l'histoire qui avait entouré la voyante n'avait pas eu lieux. Elle l'observa quelques instants, avant de se tourner vers les élèves. Ou en tout cas vers Gilles et Kala'.

"Ben dites donc, vous tirez de ces têtes … Dit elle alors qu'elle posait son sac a côté d'eux et qu'elle enlevait son tee shirt. Moi j'ai envie de dire, au diable toute cette déprime. Vous aurez tout le temps d'y vous consacrer à l'institut."

La télépathe était a présent en maillot deux pièces, prête a piquer une tête et à choper au passage tout ceux qui seraient sur sa route.

"Si vous n'avez pas au moins un orteil dans l'eau dans moins de cinq minutes, c'est moi qui viendrait vous chercher !"

Un clin d'œil adressé aux garçons et elle repartie en direction de la mer.

"Je m'essaierait bien au surf moi ... Dit elle en passant à côté d'Annaëlle. Non ?"

Gilles ricana de façon tendue à la question de Kali. Forcément, il était évident que son camarade n'aurait pas le moral. Il semblait épuisé et c'était on ne pouvait plus normal étant donné les derniers évènements. Tous les élèves étaient fatigués mentalement, et c'était sans doute pour ça qu'on les laissait se reposer depuis si longtemps. La plupart n'auraient pas la tête à reprendre des cours avec ce qu'ils venaient de vivre.

Smash semblait culpabiliser d'être vivant. C'était quelque chose de compréhensible. On se demandait pourquoi est ce qu'on s'en était sorti alors que d'autres qui auraient du mieux s'en tirer n'étaient pas allés au bout de la mission. L'Inuit ne savait pas quoi répondre. Continuer à vivre, c'est tout ce qu'ils pouvaient faire afin que le sacrifice des autres ne soit pas vain. Mais rapidement, Gilles changea de sujet. Il ne devait pas avoir envie d'épiloguer encore à ce sujet. Peut être préférait-il se changer les idées.

Il lui demanda si sa présence était due à une rendez-vous en amoureux avec Kitty. Le jeune garçon sourit timidement en répondant doucement :

" Non... pas spécialement. Mais peut être qu'elle va venir. Je sais pas. "

Annaelle arriva alors près de Georgia et de Cassandre, se cassant la figure dans l'eau. Elle remonta et agrippa rageusement le chapeau flottant et retomba à nouveau ce qui ne manqua pas d'arracher un sourire doublé d'un rire retenu à Kalalli. La jeune fille rangea ses affaires et créa un vortex qui apparut à quelques centimètres d'eux dont sortait un bras tenant le sac en question. Visiblement, ils allaient devoir le garder. Razgriz s'en saisit puisque de toute façon il ne portait aucun sac. Juste son amie la gourde. La gourde pour boire, pas Georgia.

Il remarqua alors Anna qui arrivait, prête pour le farniente. Elle salua la prof puis se tourna vers les deux garçons afin de leur faire remarquer qu'ils avaient une tête d'enterrement. Kalalli lui sourit simplement, sans rien dire. Puis elle retira son t-shirt. Il baissa les yeux, gêné, et les redressa alors qu'elle leur disait qu'elle allait piquer une tête.

Il n'y avait techniquement aucune raison d'être gêné étant donné que l'Inuit devait être avec Thomas, l'autre plus jeune de l'institut, les deux garçons qui avaient vu le plus de filles nues que tous les autres garçons réunis. Et Anna en faisait partie ! Alors la voir en maillot, ça n'avait rien de particulier. Mais la vue des formes de la jeune fille était toujours un peu gênante. Surtout quand il se rappela involontairement de son corps dénudé.

La télépathe leur indiqua ensuite qu'elle voulait les voir en contact avec l'eau, ou que c'était elle qui les y entraînerait ! Préférant éviter qu'elle mette à exécution ses menaces, Kalalli tourna la tête vers Gilles en lui tendant la main pour l'aider à se relever :

" Allez, viens, sinon elle va nous noyer ! " avant de refaire quelques pas vers la mer de façon à avoir l'eau jusqu'aux genoux lorsque la vague arrivait sur lui, et toujours aux chevilles au moins. S'enfoncer plus lui aurait demandé un peu trop de témérité qu'il ne possédait pas !

Méditant les paroles de sa référente, Georgia ne put s'empêcher de se sentir à nouveau désolée pour elle... Elle avait fait le vœu, il y avait déjà quelques temps de cela, de faire tout ce qui était en son pouvoir pour dérider l'aveugle, pour la sortir de son espèce de vague-à-l'âme incessant qui lui collait encore et encore à la peau... Mais sans grand succès jusqu'à présent.

L'arrivée en fanfare d'Annaelle eut l'air de surprendre un peu tout le monde. Même la blondinette frissonna devant la tornade faite femme. La jeune québécoise lui faisait tellement penser à elle même à son arrivée à l'Institut. Une sorte de mini-moi. Carrément troublant. Limite flippant.

"Euh..."

Déstabilisée par le débit de paroles de la fille, Georgia ne sut que répondre à sa demande d'aide.

"Les moustiques je suis un peu allergique en fait" botta-t-elle en touche. "T'as pas de la crème sinon ?"

Comme Cassandre en profita pour s'esquiver, comme à chaque fois que la conversation prenait un tour personnel, la blonde se contenta de lui lancer sur le ton le plus ravi qu'elle avait en stock :

"Madame Cassandre... Et si tu venais jouer avec nous ?"

Elle savait, comme si elle était elle-même prophétesse, que la psychologue déclinerait l'offre poliment... Mais elle espérait qu'au moins l'attention lui ferait plaisir, du haut de toute sa naïveté et de sa candeur.

En voulant reporter son attention sur Annaelle, Georgia fut distraite par... la silhouette d'Anna.

"Wow..." commença-t-elle. Puis elle reprit très vite. Un peu trop vite, à l'attention de la québécoise :

"On va se baigner avec Anna... Euh... Et Dive ?"

La blondinette insupportable avait déjà viré ses fringues pour se retrouver elle aussi en maillot de bains deux pièces. Elle n'espérait pas recueillir la moindre réaction d'enthousiasme. Juste aller à la flotte et réaliser ses démarches d'approche usuelles...

"Pas grave pour les piqûres! Je demanderai à un beau mec de me mettre de la crème!!! Autant en profiter....mais pour ma maudite piqûre entre mes seins....je suis pas sûr ça va le faire....En plus on dirait que c'est toujours elle qui pique le plus! Pis quand ça pique, tu peux pas te gratter, parce que t'as l'air ben trop folle! Fèque je me suis trouvée un truc. Je fais semblant de mettre de la monnaie dans ma brassière puisque j'ai pas de poches, pis j'en profite pour me gratter. Mais le problème c'est qu'à la plage, j'ai pas de monnaie! Ben je pourrais faire semblant de me mettre un coquillage alors! En plus ça me ferais un super beau souvenir!!"

Annaelle profita du fait que Georgia lance une invitation à Cassandre pour plonger sa main dans le sable et marin et en sortir un coquillage spiralé de couleur rouge. Lorsqu'elle le mit dans son haut de bikini, six pattes et deux yeux en sortirent. Tout pour mettre la Québécoise dans un moment d'hystérie.

"Ahhhh!! Enlevez-moi ça quelqu'un! Ahhh! Il reste accroché! Beurkkkk!!!"

Telle une joueuse de tennis professionnelle, Annaelle, d'un coup de revers, envoya valser le bernard l'ermite dans les airs avant de retomber, tel une Annaelle se trompant d'endroit, dans l'eau.

"Ouach! Ouach! Ouach! C'est trop dégueulasse! Woaaaaah! Y'a quelque chose d'autre qui ma frôlé!", dit-elle avant de sauter dans les bras à Georgia avant que quelque chose d'autre d'immonde touche ses jambes.

Puis Anna arriva, lui offrant de faire un peu de surf.

"OUI! Tout pour plus toucher le fond de l'eau! Mais on a pas de planches par contre! Tu crois que Dimitri en aurait pour nous?!"

Gast allait crier vers le mutant lorsqu'elle s'interrompit, bouche grande ouverte, le regard dans le vide. Puis, elle se tourna vers Anna et dit:

"Hey, je viens de réaliser que nos noms commence tous les deux pas Anna!!! Ben toi c'est Anna tout court, pis moi Annaelle, mais quand même!! Je suis sûre qu'on est fait pour être jumelles! En plus on est toutes les deux des mutantes! Cassandre avait prévu le coup! Elle nous a incité toutes les deux à venir ici à ce moment précis pour qu'on se rende compte qu'on était comme des âmes jumelles! Dans le font, elle avait prévu le coup depuis longtemps! C'est une vraie petite cachotière notre psy préférée!!!!!"

Cela faisait quinze jours que la guerre était terminée. Ils avaient sauvé le monde mutant, mais plusieurs élèves de l'Institut avaient péri dans cette bataille. Kitty ne les connaissait pas vraiment, mais cela l'avait quand même affectée. Mais la mort du directeur de l'Institut, Olivier Fleury l'avait vraiment attristé. De nombreuses festivités s'organisaient sur Genosha comme si la guerre avait été oublié. Mais la fillette savait qu'elle n'oublierait pas. La petite télépathe était heureuse que Kalalli et Wind en étaient ressortis en vie. Les cicatrices de la bataille qui s'était déroulée sur l'île semblait avoir fondu comme neige au soleil.

Même les Divas s'étaient jointes à la fête et avaient organisé un concert. Mais la petite JustiX cherchait quelqu'un en particulier et pensait savoir où il se trouvait. Elle se dirigea vers la plage. Une bonne ambiance y régnait. La petite fille marcha sur le bord de l'eau laissant les vagues se briser sur ses fines chevilles. Kitty était vêtue de son maillot deux pièces violet et portait une petit paréo de couleurs vives. Elle vit Cassandre un peu plus loin qui était aussi en train de marcher au bord de l'eau. La pré-adolescente alla la saluer. En passant, elle lança un "salut" rapide à Annaëlle et Georgia.

"Bonjour Mlle Cassandre vous allez bien ?"

La petite télépathe était contente de voir que la psychologue allait bien. La professeur référente des NeXus l'avait énormément aidé au début et Kitty aurait été vraiment triste si elle avait disparut. La fillette avait été tenter de se jeter dans ses bras, mais n'avait pas osé le faire. En attendant la réponse de la jeune femme, Kitty regarda autour d'elle. Pas très loin, la petite demoiselle vit Kalalli. Il était en compagnie de Gilles. Il y avait Anna aussi qui se dirigeait dans l'eau. La petite télépathe était heureuse de voir son ainée. Mais son regard se reporta sur le jeune Inuit. Sans le vouloir Kitty se mit à rougir. Il ne semblait pas la remarquer ou même la chercher. Tant pis, elle lui ferait une bonne surprise alors. Sur cette idée elle se reconcentra sur Cassandre.

La télépathe avait rejoins Kalalli pour se retrouver dans l'eau jusqu'à mi mollet. Son regard passa du pauvre bernard l'ermite qui après avoir fait un vol plané, se carapatait rapidement dans son monde aquatique loin de l'humaine hystérique, aux surfer qui s'en donnaient à cœur joie dans l'écumes des vagues. Depuis toujours, elle croyait que rien au monde ne pouvait remplacer les paysages et le froid montagnard, mais elle devait bien avouer que chaque promenade sur la plage l'obligeait à revoir son jugement.

"Il est très bien le fond de l'eau !" Répliqua-t-elle à Annaelle qui s'excitait toujours toute seule.

Et il ne pouvait être que bien. L'eau était transparente et elle pouvait voir ses pieds s'enfoncer lentement dans le sable fin et blanc. Pas d'algues gluantes et verdâtres à l'horizon, ou si peu et elle pariait qu'à peu de distance de la plage, il y avait une faune et une flore aquatique a découvrir.

Quoi qu'il en soit, ceux qui voulaient faire du surf avaient pour l'instant un problème technique. A priori, il n'y avait pas de planches a disposition. Dommage que Luther ou Jason ne soient pas dans le coin. Ils auraient pu leur donner un coup de main.
Alors qu'Annaelle amorçait un geste pour attirer l'attention de l'homme poisson, elle s'arrêta pour lui parler de leur âme jumelle. La télépathe la regarda, pleine de perplexité.

"Oui, c'est ... C'est une théorie intéressante ... Commença-t-elle en se grattant le cou avant de se pencher vers Gast et de baisser la voix. Je sais que parfois les idées de Melle Cassandre peuvent paraître tordues, mais de là à réunir des âmes jumelles, je suis pas sûr ... "

Parce qu'Anna voulait bien être sympa et le côté exalté de Gast l'amusait. Mais si « jumelle » signifiait « ne plus se quitter », ça n'allait certainement pas être possible.
N'attendant pas de réponses de la part de la deuxième Anna', son attention fut attirée par Kitty. Presque instantanément, la jeune femme jeta un coup d'oeil vers Kalalli pour guetter sa réaction. Les deux jeunots de l'institut s'étaient au final trouvés et sur Génosha qui plus est. Non, décidément, cette île n'avait plus rien de maléfique.

Anna se détourna de l'horizon pour se concentrer sur ses camarades. Ils étaient tous là, les pieds dans l'eau, mais personne ne s'était encore dévoué pour plonger entièrement dans l'eau turquoise. Surf ou pas, de toutes les manières, il fallait se mouiller.

*T'en fait pas, je vais pas te noyer. J'en n'aurait de toute façon pas la force ... * Fit-elle parvenir à Gilles, amusée.

Non, elle ne lisait pas en permanence les pensées. Mais lorsque celles-ci la concernaient tout particulièrement, c'était toujours difficile de les réprimer. Surtout depuis qu'elle avait décidé de lâcher un peu la bride avec ses pouvoirs.
Sur ce et comme pour répondre à la question de Georgia, elle avança dans l'eau y disparut entièrement et finit par remonter à la surface quelques mètres plus loin.

Kala fut amusé par son camarade qui semblait penser que sa compagnie lui plaisait d'avantage que celle de la jeune adolescente. Ce n'était bien sûr pas le cas, mais ce n'était certainement pas parce qu'ils sortaient ensembles qu'ils devaient toujours... sortir ensembles ! Ils avaient chacun leur petite liberté ce qui ne les empêchait pas d'apprécier les moments à deux.

Puis Gilles semblat emprunt à une lutte intérieure douloureuse et périlleuse. A quoi pouvait-il bien penser ? Sans doute à nouveau à leurs camarades disparus. Ou à sa camarade bien présente... et en maillot deux pièces ? D'après la question que le jeune homme venait de lui poser, c'était le plus plausible. Il devait imaginer des choses qu'on préférait garder de côté. Et encore ! Il ne sortait pas avec une télépathe, lui ! Kalalli pensait parfois à des choses qu'il essayait autant que possible de refouler de peur que Kitty les lise. C'était toujours quand on voulait cacher quelque chose qu'on y pensait !

L'Inuit répondit à Gilles qu'il ignorait ce qu'Anna faisait de son pouvoir. Il rajouta à tout hasard :

" Peut être que tu es capable de sentir quand on entre dans ton esprit ? Une sorte de... Je sais pas. De barrière psychique ? Quand Kitty lit mes pensées, je la sens. "

C'était la seule chose qu'il pouvait dire. A défaut de prévoir, on pouvait sentir l'acte. Enfin lui en tout cas le pouvait. Etant donné que Gilles avait un pouvoir d'ordre physique, peut être que lui ne pouvait pas ? Ou était-ce une question "d'habitude" pour reconnaître une empreinte psychique ? Depuis le temps, Kalalli n'avait aucune difficulté à savoir lorsque c'était sa petite amie qui s'introduisait dans son esprit.

Suivant un instant le regard d'Anna, l'Inuit remarqua Kitty qui arrivait. Comme il l'avait pensé, la petite télépathe cherchait probablement sa compagnie. Il eut un sourire tendre en l'observant alors qu'elle était dans son maillot de bain violet habituel et son paréo. Elle semblait parler avec Cassandre. Kala n'allait donc pas la déranger. Elle viendrait vers lui lorsqu'elle aurait terminé. Il reporta ses yeux vers la grande télépathe qui ressortait la tête de l'eau. Il frémit légèrement à l'idée d'avoir la tête sous l'eau. On devait se sentir oppressé par la force de l'eau sans pouvoir respirer et puis le sel, ça piquait ! Et puis ça séchait la peau aussi ! Autant de bonnes raisons pour rester avec l'eau au maximum aux genoux !

Reportant son regard sur Gilles, il lui lança, histoire de le taquiner :

" Alors, comme ça, tu mattes Anna et tu as de vilaines pensées ? "

Cassandre se retourna aux paroles de Georgia, et inclina la tête sur le côté, l'expression presque attendrie d'un parent surprenant les facéties de son enfant sur les traits.

"Une autre fois, peut-être." répondit-elle. Elles savaient toutes deux que la probabilité de voir la psychologue s'amuser avec insouciance était plus que ténue... Mais elles savaient aussi toutes deux qu'une probabilité, aussi ténue soit-elle, n'en restait pas moins un possible.

D'autres élèves ne tardèrent pas à rejoindre le groupe qui se formait près de l'eau. Cela leur changerait sûrement les idées. Les siennes quant à elles, n'étaient pas faites pour être changées. Elle serait la gardienne des choses en tous temps.
Elle salua Kitty et se contenta de hocher la tête à sa question, comme si acquiescer sans parler atténuait le petit mensonge de sa quiétude mentale. Les élèves étaient déjà bien en mal de remonter la pente, inutile de leur apporter de mauvaises ondes.
Alors que les discussions allaient bon train, Nathan émergea de l'eau. L'aurait-elle croisé si Georgia et Kitty ne l'avaient pas retenu quelques secondes de plus auprès du groupe ?

"Ah te voilà, Nathan. J'ai cru que tu manquerais notre promenade." dit-elle, l'air entendu. A en juger par l'exil du jeune homme ces derniers temps, et les relents d'alcool qui se mêlaient distinctement aux embruns, il était temps qu'elle s'entretienne avec l'Israëlien. La situation lui rappelait étrangement les situations qu'elle avait pu vivre quand Iacobo était encore des leurs.

"Avec tous les mutants dans le coin, vous trouverez sûrement de quoi surfer. Demandez à donc à Dimitri." encouragea-t-elle les élèves, improvisant pour tenter de dissiper le malaise créé par l'arrivée inhabituelle du mutant.

Elle attendit ainsi quelques instants que Nathan se décide à la suivre.

Pour Thomas, les deux dernières semaines écoulées avaient été très étrange, encore plus, si possible, que tout ce qui s’était passé depuis qu’il s’était dévoué pour jouer les prisonniers volontaires. Il s’était passé tant de choses… quoiqu’en vérité, le petit empathe avait du mal à se souvenir du tout. Le souvenir le plus vivace de son esprit était la fin de Timmy, alias le Shoggoth, et ce souvenir déplaisant occultait un peu tout les autres.
Mais l’un dans l’autre, tout allait bien. Il n’avait rien, ceux aux côtés de qui il avait combattu n’avaient rien non plus. Il avait pu rassurer ses parents, il était au sein de l’institut, en sécurité, malgré la chaleur accablante. Il avait même pu lier quelques connaissances, bref, tout était bien, si on exceptait le fait qu’il avait beaucoup de mal à dormir. La chaleur y était pour quelque chose, évidemment : dans son Illinois natal, il était très rare de dépasser les 30 degrés, et l’île de Genosha flirtait allégrement avec cette température suffocante. Mais il y avait tout ce qui s’était passé, aussi, et Thomas se réveillant fréquemment en pleine nuit.

Ce n’était pas des cauchemars imagés, plutôt des sensations, des émotions, sur lesquelles il était incapable de mettre un nom, mais qui le faisait trembler de tous ses membres malgré la température ambiante. Résultat, il avait de grosses cernes noires sous les yeux, mais cela irait en s’améliorant : de toute façon, ça ne pouvait pas être pire.
Le jeune garçon avait fait pas mal de rencontres depuis cette épisode tragique de la mort du Shoggoth et, malgré la chaleur, il commençait à bien se plaire ici. Il avait encore un peu de mal avec certains mutants, mais les gens étaient agréables ici, et ne se prenaient pas trop la tête. Non, ce qui le dérangeait le plus, c’était son statut de mutant : jusqu’à présent, ce n’était qu’un don plutôt chouette, mais ici, sur cette île, il commençait à prendre conscience que cela engendrait quelque chose de plus. Il ne savait pas exactement quoi, par contre : cela restait encore à déterminer, et il avait largement le temps d’y penser.
Du coup, le petit empathe était parti pour la plage, pieds nus, et seulement vêtu d’un T-shirt et d’un maillot de bain. A son arrivée au soleil, il avait attrapé quelques vilaines brûlures, n’était guère habitué, et dorénavant, il se protégeait les épaules.

Il y avait du monde dans le coin, et le petit Thomas se sentit quelque peu perdu. Il n’avait rien contre la foule, mais toutes ces nouvelles têtes, tout ces gens dont certains étaient assez étranges…cela lui donnait le tournis. Il s’approcha des vagues, mettant ses pieds dans l’eau pour goûter la fraîcheur que lui offrait la mer, quand il reconnu de loin quelques étudiants de l’Institut. D’un pas guilleret et avec le sourire, nullement démenti par un bâillement inopportun, L’empathe s’approcha du groupe. Il avait du mal avec les prénoms, et quelques fois même avec qui était qui et qui faisait quoi, qui sortait avec qui… mais cela ne l’empêcha pas de lancer un « bonjour » retentissant à tout le monde.
Certains étant en grande discussion, il fila dans l’eau rejoindre Kala et…et… Gilles ? Oui, peut-être bien : décidément, Thomas avait un mal fou à se faire aux prénoms. Ils y avaient deux trois autres personnes à proximité, aussi le petit sentit qu’il ne devait sans doute pas être indésirable. Son regard s’attarda un instant sur Dimitri et sa planche de surf improvisé et il laissa échapper un soupir d’admiration. Dire que lui, il savait nager et rien d’autre ! Bon en même temps, savoir surfer n’était pas très utile là où il habitait, mais il n’empêche, ça avait l’air franchement marrant !

Toujours ébahie par le débit de paroles incessant d'Annaelle, Georgia observa également avec attention la trajectoire du malheureux bernard l'ermite qui venait de s'abîmer dans les eaux...

...et se retrouva très étonnée avec une québécoise dans les bras ! Non pas que l'expérience fut déplaisante mais tout avait tendance à aller à vitesse grand V dès qu'il s'agissait d'Annaelle. Aussitôt arrivée, aussitôt repartie. Souvenir fugace d'une séance d'arrosage dans la chambre de la belle Viconia. Ou d'une drôle de discussion beauté avec Juliette et sa malheureuse ex colocataire...

Georgia se mordit la lèvre : entre Mariann qui avait disparu pour rejoindre une secte apocalyptique, Kirsten qui avait quitté l'Institut suite à l'épisode des profs manipulés, Hjördis qui... Enfin bref... et Camille avait qui elle ne partagerait plus jamais grand chose, la New Yorkaise se rendait bien compte qu'elle n'était pas faite pour vivre à deux. Même en tout bien tout honneur. Ça se terminait souvent mal. Très mal.

Anna semblait l'attendre dans l'eau, alors même qu'elle était accaparée par la québécoise. Enfin c'est ce qu'elle se plaisait à penser.

*Et si on s'embrassait sous les vagues ?* pensa-t-elle aussi fort qu'elle le pouvait. En plissant les yeux et en serrant ses petits poings.

Résultat des courses : elle fut aspergée par un Nathan passablement éméché. Comme quoi il ne servait à rien de prier les Dieux, ils comprenaient souvent tout de traviole.

"De toutes façons j'allais à la flotte" lâcha-t-elle d'une voix douce à l'israélien. "Et pis, je crois qu'avec Anna ça va pas le faire..."

La fin de non recevoir de Cassandre ne l'étonna pas : aussi elle ne s'en offusqua pas. La psychologue semblait avoir d'autres projets. Un petit sourire à Cassandre et quelques mots à Nathan :

"Hum... Je crois que Madame Cassandre t'as fait une proposition que tu ne peux refuser... A plus tard, part'naire"

Restait donc le problème Anna. Et seule une légère étendue d'eau séparait les deux filles. Rien d'insurmontable. Elle brailla néanmoins, utilisant ses mains comme porte-voix :

"Hey M'sieur Dive ! Tu sais où on peut trouver des surfs comme le tien ?"

Jetant un œil rapide au p'tit nouveau... Thomas qui avait été dans le Temple avec sa pote Ivy la rouquine, elle lui lança tout en faisant un signe amical au mutant poisson :

"Lui, c'est M'sieur D. Il nous a beaucoup aidé en apportant la prophétie de Cassandre qui nous a permis de savoir quoi faire le 13 avril. C'est un héros et il est même pas à l'Institut !"

Georgia se rappela quand elle-même était arrivée à l'Institut. C'étaient Lyu et Enzo, les deux premiers qu'elle avait vu. Et même s'ils étaient morts, elle pensait encore un peu à eux...

Elle nagea en direction d'Anna, un sourire ravi aux lèvres...

"Attention, j'arrive !"

Annaelle allait descendre des bras à Georgia lorsqu'un gros bernard l'ermite apparu. Il avait de la crasse plein le visage, une semi-barbe et une odeur d'alcool. Ne s'attendant pas à ce que la New-Yorkaise la protège, Gast envoya un coup de pied dans l'eau pour en asperger Nathan et peut-être quelques autres personnes autour de lui.

"Si c'était pour te protéger du soleil que tu as laissé toute cette crasse sur toi, saches que de la crème solaire ça fait amplement la job pis en plus...tu n'as pas l'air de....ça!!!"

La jeune femme en avait profité pour sauter des bras de Georgia et faire une petite brasse vers Anna. Une brasse du même style que les mémé dans les piscines publiques qui ne veulent pas se mouiller les cheveux.

"Ouais, peut-être que finalement on est pas des jumelles cosmiques....Mais ça nous empêche pas d'aller faire du surf ensemble! Je vais aller nous chercher des planches...tu crois qu'il y en a proche d'ici?"

Sans attendre la réponse de la télépathe, Annaelle partie en direction de la plage. Sa course était un mélange entre le béluga et l'autruche. Tantôt dans la tête sortie de l'eau, tantôt les jambes....Lorsqu'elle arriva à la hauteur de Kalalli et Gilles elle interrompit sa couse gracieuse. Elle reprit un peu son souffle puis leur adressa un bonjour.

"Ca va? Vous venez vous baigner?! On va faire du surf! J'en ai jamais fait, mais j'imagine que c'est comme du snow...En espérant que ça me fasse pas perdre mon top! Sinon j'aurais l'air de quoi?! Vous savez où je peux trouver des planches dans le coin? Parce que je ferai pas grand surf sans planche! Comme on dit, on peut pas faire d'omelette sans casser de coco! Ben là on peut pas faire de surf sans planche!"