Face à la mort

Mina rentrait d'une expédition en altitude. L'air y avait été frais et très vivifiant.

Et puis les nuages qui s'épaississaient sous elle se transformèrent en orage. Et un orage des plus violents. L'hybride se dépécha de réintégrer la protection bienveillante de l'institut Xavier pour jeunes mutants. Trempée, fatiguée, d'une humeur plutôt triste pour ce jour qui partait si bien. Quiconque aurait croisé la jeune mutante harpie dans un couloir mal éclairé, aurait pris ses jambes à son cou. Les ailes trempée, les yeux d'un rouge lumineux et l'air maussade au possible, Mina devait sans doute être ce que l'on appelait un ange noir.

Toujours était il qu'elle avait décidé d'en finir avec le voile noir qui continuait de la ronger sans cesse, même si la situation globale s'était améliorée, la mort de Lars l'avait suffisament touchée pour qu'elle n'en dorme pas une nuit sur deux.

Comme elle se l'était promis, elle avait décidé d'aller voir la belle Cassandre, son ancienne professeur référente, pour peut être entrevoir une solution possible à cette perte que Mina avait subie, avec l'aide de dieu.

*TOC TOC!*

"Professeur Cassandre? C'est Mina... Vous êtes là?... Je souhaiterais vous parler... Si vous avez un peu de temps à me consacrer..."

Cassandre était, comme la veille, occupée à rassembler les éléments nécessaires au briefing de mission qui aurait lieu sous peu. En vérité, elle n'avait quitté son bureau que pour prendre de quoi manger, et avait passé la nuit à travailler ; ils n'avaient que peu de temps. De toute façon, elle n'avait jamais été une bonne dormeuse.
L'arrivée de Mina à la porte de son bureau lui permettait donc de prendre une pause bien méritée sur son planning de recherches temporelles.
Les traits creusés, la psychologue se présenta à la porte, qu'elle ouvrit, et accueillit la harpie d'un sourire las mais qui se voulait chaleureux.

"Bonjour, Mina. J'ai toujours du temps pour vous." répondit-elle. Bel euphémisme, elle n'avait en réalité que du temps pour eux. "Entre, je t'en prie." ajouta-t-elle, avant de refermer la porte derrière la mutante.

Pour une fois, le bureau semblait encombré, encombré de nombreuses feuilles placées les unes contre les autres, sur le sol. Elles étaient pour la plupart noircies de signes, et autres flèches.

Patiente, elle attendit simplement que Mina prenne la parole.

Cassandre écouta son ancienne élève exposer son problème. Etrangement, la Roumaine avait attendu de ne plus être sous la responsabilité directe de la Grecque pour venir se confier. Y avait-il une corrélation ou était-ce un simple hasard ? Elle connaissait assez peu Viconia, mais Nathan et Georgia étaient venus s'entretenir avec elle de leur propre chef, aussi conclut-elle à un hasard, du moins jusqu'à preuve du contraire.

La jeune fille commença par aborder le thème religieux, qui, elle avait cru le comprendre, était très présent dans la vie de la mutante. Quelque chose dans ses paroles, troubla la psychologue. Depuis que Mina la connaissait, elle voyait les choses différemment. La nature de son pouvoir était dérangeante, elle le savait. Personne n'appréciait la possibilité d'une ingérence dans sa vie. Mais jusqu'à aujourd'hui, la psychologue n'avait jamais envisagé le dilemme théologique que cela pouvait représenter. Etait-elle une preuve vivante de l'inexistence de Dieu lui-même dans l'esprit des pratiquants ? Bien que non pratiquante, elle n'en demeurait pas moins orthodoxe de confession, et la possibilité d'être une sorte d'Antéchrist des temps modernes était relativement inquiétante.
Alors que la mutante ailée poursuivait sur sa lancée, Cassandre se dit qu'Esther aurait peut-être été plus à même d'aider la jeune fille, de par ses compétences en ethnopsychologie. Mina éclata rapidement en sanglots. De toute évidence, un sentiment de perte autre que la simple douleur liée à la mort de Lars était venu accabler la mutante. Elle avait perdu son petit copain, et avec lui, ce qu'elle pensait être la preuve de sa propre humanité, par-delà son apparence hybridée.

Toujours debout, Cassandre se rapprocha de la jeune fille, indifférente à son apparence horrifique, et posa sa main sur sa tête. Les larmes faisaient partie du mobilier de son bureau, qui en un sens, pouvait évoquer un confessionnal ; la cécité lui masquait bien le visage de ses visiteurs.

"Lars a été le premier garçon à faire un pas vers toi, et il t'a montré que tu étais digne des sentiments qu'il avait à ton égard. Le regard que portent les autres sur nous est important, surtout à votre âge... mais il ne fait que refléter ce que nous sommes. Crois-tu que tu lui aurais plu si tu n'étais pas, intrinsèquement humaine ?" finit-elle par dire après un long silence.

"Crois-en une spécialiste : l'apparence ne fait pas tout."

A ces paroles, elle songea immédiatement à Wilson Beckers. Tout le monde s'accordait à lui trouver une plastique de rêve, une coquille qui renfermait des intentions et des méthodes bien moins avouables.

"Le paraître n'est pas l'être. Les monstres ne sont pas là où on les croit. Lars n'était pas le seul à voir au-delà des apparences. Si tu donnes une chances aux autres de passer outre cette barrière, tu t'en rendras compte."

Pour elle, c'était certes aisé de dire ça, le physique n'était qu'une information obtenue indirectement. Ses représentations mentales étaient élaborées sur des critères totalement différents. Les meilleurs exemples de son propos étaient sûrement Vadim et son vieil ami Dimitri.

"Regarde le professeur Volkov. Se faire surnommer par ses pairs "l'Ogre Rouge de Sibérie" n'est pas très flatteur. Pourtant, personne n'ira mettre en doute sa fibre humaine. Pourquoi ne pourrait-il pas être un prince charmant pour qui saurait le voir ?" dit-elle doucement, avec un sourire confiant.

Elle avait appris à connaître le Russe alors qu'elle n'utilisait plus ses pouvoirs, suite au décès de River. Lorsque plus tard, elle en avait su plus sur son physique, cela n'avait rien changé, si ce n'était peut-être, renforcer son admiration pour la façon dont il gérait parfaitement cet aspect de sa mutanité. D'ailleurs, il saurait peut-être donner quelques conseils à Mina pour qu'elle reprenne confiance en elle.

"Un auteur français a autrefois écrit "on ne voit bien qu'avec le coeur, l'essentiel est invisible pour les yeux"." ajouta-t-elle, en se remémorant ses lectures.

La psychologue hocha la tête lorsque Mina reprit la parole. Les mutations physiques étaient particulièrement difficiles à vivre. Ils avaient connu plusieurs cas similaires depuis l'ouverture de l'école, et cela n'était jamais facile. A son souvenir, le seul mutant qui se complaisait avec un bonheur jouissif dans sa mutation était Alixtide. Bien que sa mutation ne soit pas physiquement à "proprement" parler, elle avait un impact non négligeable sur son insertion sociale, et ce dernier semblait l'apprécier tout particulièrement...

"Tu sais... Je pense que la création de Génosha est une chance pour les Génoshéens, mais aussi pour tous les mutants à mutation physique du monde. Jusqu'ici, les gens avaient peur, mais le phénomène mutant fait de plus en plus partie de leur quotidien, et ils admettent de mieux en mieux cette réalité. La nouvelle donne internationale a joué en notre faveur, et le regard qui est porté sur nous est différent. Ce contexte est plutôt positif pour ton épanouissement, tu ne crois pas ?" répondit la non-voyante.

"Si tu ne t'acceptes pas comme tu es, les autres ne t'accepteront pas non plus. Monsieur Volkov aurait certainement quelques conseils à te donner sur la question, oui." confirma-t-elle ensuite avec conviction. La façon dont il assumait son apparence était impressionnante.

La dernière question de la jeune fille était plus complexe. La psychologue se tut un moment, réfléchissant sur les tenants et aboutissants. Avec tout ce qu'ils avaient vu et vécu, il devenait certes difficile d'attester de l'existence d'un dieu bienveillant sur cette terre. Mais qui pouvait dire ce en quoi la mutante devait croire ? Cassandre ne s'en sentait en tout cas pas la légitimité.

"Je pense qu'il te revient à toi, et à toi seule de trouver la réponse à cette question. La foi est une question très personnelle et qui revêt autant de significations qu'il y a de croyants. Je ne crois pas que quiconque, pas même un prêtre, soit habilité à décider pour toi de ce que tu dois croire ou non." répondit la Grecque.

"J'imagine qu'en entrant ici, tu t'attendais sûrement à ressortir avec une question de moins à résoudre..."

Elle eut un sourire contrit.

"Mais si cela peut t'aider, je pense que la remise en question en une démarche saine. A toi de voir où elle te mènera." ajouta-t-elle.

Cassandre sembla réfléchir quelques instants sur le cas de Génosha. De ce qu'elle avait pu en juger ces derniers mois, Komodo orientait sa politique vers le consensus, ce qui n'était pas une mince affaire si l'on considérait la diversité des trois partis majoritaires de l'île, et le climat international tendu.

"Pour l'instant, tout a l'air de se mettre en place. Nous avons pas mal de contacts sur Génosha à présent, des anciens élèves, des Unders... nous serions informés si quelque chose d'étrange se tramait." répondit Cassandre. D'ailleurs, c'était bien ce qui s'était passé hier lorsqu'elle avait eu des nouvelles de Dimitri et des Unders.
La psychologue eut un sourire embarrassé lorsque Mina évoqua les difficultés liées à son propre pouvoir. Mina semblait avoir beaucoup réfléchi à la question, et Cassandre n'avait que peu l'habitude d'être concernée par les réflexions intérieures de ses élèves. Elle avait toujours été mal à l'aise lorsqu'elle au coeur du sujet.

"Hum... tous les pouvoirs comportent leur problématique, qu'elle soit évidente ou non. Les mentalistes n'échappent pas à cette règle." répondit-elle pudiquement, se cachant derrière une phrase générale, comme si l'emploi du collectif lui permettait de distribuer le problème. La Grecque accueillit avec soulagement le nouveau sujet de conversation : les équipes.

"Les équipes peuvent changer, mais leurs membres sont toujours là. Tes équipiers ne t'oublieront pas simplement parce que tu n'es plus dans leur équipe. Vu les épreuves que vous avez traversées ces derniers temps, il est normal d'avoir un coup de blues. Tu n'es pas la seule dans ce cas. La reprise des cours devrait vous permettre de reprendre vos marques, d'entamer une nouvelle page. Je crois savoir que tu as intégré les LateX ? Tu vas pouvoir mieux connaître d'autres élèves, un nouveau professeur, un peu de changement te fera sûrement du bien."

La remarque de Mina sur la santé mentale des NeXus fit tiquer la psychologue, qui arbora un sourire mi-figue mi-raisin. Ce sobriquet qu'avait hérité son équipe, la cellule psychiatrique, semblait en vigueur, même aux yeux de ses anciens membres. En un sens, c'était plutôt positif qu'ils ne s'offusquent pas d'une dénomination aussi peu flatteuse. Pourtant, Cassandre avait du mal à s'en réjouir. Elle estimait son travail quelles que soient les personnes qu'elle aidait, et il était fatalement décevant d'être considérée comme le professeur suffisamment atteint pour gérer cette soi-disant cellule psychiatrique.
Il y avait certes eu des éléments hétéroclites, parfois extrêmes si l'on considérait Iacobo, Georgia, Sven ou encore Myou, mais son équipe n'était pas préposée aux élèves les plus difficiles. Du moins, elle voulait le croire.

En tout cas, Mina semblait renaître, comme si Cassandre avait absorbé son vague à l'âme. Ce n'était peut-être pas très loin de la vérité : cette discussion avait révélé certaines problématiques chez la non-voyante.

Elle hocha la tête.

"Je suis sûre que monsieur Volkov débattra avec plaisir de la question avec toi, sois sans crainte." confirma-t-elle. "En tout cas, si j'ai pu t'aider, j'en suis ravie. N'hésite pas à revenir me voir en cas de problème." lui assura-t-elle ensuite.

Mina se leva de son siège sentant que l'entretien se terminait. Cassandre avait été d'un grand secours envers la jeune fille et ses problèmes. Etre une adolescente, en proie à la mutation et à la mort, dans un institut plein de vie n'était pas de tout repos, mais la psychologue était là pour concilier et arranger ce genre de chose.

Mina regarda son professeur avec les yeux encore embués de larmes.

"Merci Professeur, vous m'avez revigoré, j'ai bien fait de venir vous voir. Il y a des choses qui me feront toujours mal mais je crois que j'ai peut être plus ou moins passé un cap grâce à vous. Je vous remercierais jamais assez pour ça comme d'ailleurs pour m'avoir accueilli dans vos locaux avec d'autres gens comme moi..."

Mina se dirigea doucement vers la porte du bureau, puis songeant à quelque chose elle se tourna vers Cassandre.

"Peut être pourrait on organiser une petite soirée entre Nexus et ex-nexus encore présents dans l'institut?... C'est une bonne occasion de penser à des choses heureuses et d'évoquer de bons souvenirs..."

Quelque part dans l'institut

Mina s'en était allée pleine d'espoir en la remerciant. En l'absence de sa famille, elle n'avait eu réalité eu besoin que d'encouragements, et qui mieux que Cassandre pouvait rassurer les autres ? Chacune de ses affirmations prenait une valeur prophétique, même les plus anodines, c'est bien pour cela que Midas l'avait "invitée" sur Génosha. La portée de son pouvoir dépassait largement la simple omniscience. Il lui donnait une emprise psychologique invisible sur son entourage.
La non voyante s'était efforcée de sourire à la jeune fille, pour ne pas entamer son enthousiasme retrouvé, mais une fois de nouveau seule, elle rumina cette pensée. Elle aurait beau agir naturellement, l'ombre de son pouvoir planait sur ses faits et gestes. Elle s'en était aperçue lors de la partie de poker organisée dans le bureau de Vadim. Les professeurs eux-mêmes s'attendaient à ce qu'elle orchestre tout ce qui se passait à l'Institut, comme si ses moindres actions étaient orientées au-delà de leur fin évidente. Mina n'avait que trop raison de la classer parmi les mutants marginalisés par leur pouvoir... Comment pourrait-elle vivre simplement parmi les autres ?

C'est sur ces réflexions résignées que Lucas entrouvrit la porte. La psychologue, qui s'était réinstallée sur un coussin parmi les nombreux papiers qui encombraient actuellement la pièce, se ressaisit instantanément. La journée n'était pas terminée, elle aurait tout le temps de ressasser ces pensées dans sa chambre, ironiquement l'unique endroit où elle ne recevait aucune visite. En attendant, les élèves avaient besoin d'elle.

"Bonjour, Lucas. Entre, je t'en prie." répondit-elle doucement en indiquant le coussin en face d'elle d'un signe de main.

Lucas s'installa en face d'elle après avoir refermé la porte. Elle pouvait sentir une certaine tension dans sa voix, apparemment il n'était pas venu la voir sans raison. Il hésita plusieurs fois en introduisant le motif de sa visite, mais comme elle le faisait toujours, elle patienta sans chercher à le brusquer. Le silence était bien souvent plus révélateur que les mots eux-mêmes.

Puis vint la bombe. Une chose qu'il lui aurait été impossible d'anticiper via son pouvoir, cette chose même qui lui restait inaccessible, avec laquelle elle était si malhabile. Par réflexe, elle tenta immédiatement d'interpréter ces mots de la façon la plus innocente et amicale possible. Loin de leur famille, de l'affection parentale, les élèves s'attachaient à leurs professeurs, c'était bien normal qu'ils recherchent des référents de substitution. Après tout ce qu'ils faisaient pour eux au quotidien... C'était une conséquence inévitable de la vie en communauté. Pourtant elle savait qu'il n'en était rien. Lucas n'aurait pas fait tout ce chemin pour lui témoigner une affection filiale, il y avait bien d'autres façons de le faire simplement dans la vie de tous les jours. La seule forme d'amour qui avait besoin de mots pour prendre forme dans la réalité, c'était autre chose. Bien sûr, on pouvait faire ressentir des sentiments, mais les mots que venait de prononcer Lucas avaient une valeur sacrée. Ces mots dont sa vie était dépourvue, ces mots qu'elle avait attendu, attendait encore et attendrait toujours d'une autre bouche.

Cassandre se sentait étrangement coupable. Avait-elle fait ou dit quelque chose qui eut pu sembler équivoque ou nourrir de faux espoirs chez le jeune homme ? Elle n'en avait pourtant pas le souvenir, elle s'était toujours comportée de la même façon avec lui qu'avec les autres élèves, dans un mélange de cordialité et de réserve.
Une fois n'était pas coutume, la psychologue qui avait toujours les bons mots ne savait quoi répondre. Elle était troublée, et cligna d'ailleurs plusieurs fois de ses yeux morts.
Elle était passée maître dans la résolution des problèmes des autres, c'était sa vocation, mais que faire lorsqu'on était soi-même le coeur du problème ?
Elle inclina légèrement la tête, puis la releva, cherchant non pas les bons mots, mais les mots justes. S'il était venu le lui dire de cette façon, il était forcément conscient du problème intrinsèque de sa déclaration. Mais ce n'était pas sur un plan officiel et légal que la psychologue s'exprima, il était question de sentiments. Et si elle n'était pas douée avec les choses du coeur, elle savait néanmoins qu'on ne parle pas de sentiments en brandissant le code pénal. De plus, une telle réponse n'aurait pas dissipé le malaise : on pouvait s'interdire de passer à l'acte tout en nourrissant de vains espoirs, et il était clair qu'elle ne voulait pas faire souffrir inutilement le jeune homme.

"Je..." commença-t-elle, éprouvant de la difficulté à entamer une conversation aussi personnelle.

"Lucas, c'est... très flatteur, vraiment. J'aurais aimé pouvoir te répondre autre chose que ce que je vais te dire, mais j'aime..."

Elle suspendit sa phrase, pensive, articulant avec difficulté. Subrepticement, son accent méditerranéen s'immisçait dans ces mots d'anglais, elle qui maîtrisait pourtant bien cette langue, s'exprimant toujours en langage soutenu.

"... chacun de vous comme des membres de ma famille. Vous pourriez être mes frères, mes soeurs... ou mes enfants. Je suis navrée si tu as cru... enfin... Je ne souhaite à personne de..."

La jeune femme s'interrompit. Après les réflexions qu'elle venait de se faire sur son inadaptation sociale, il lui apparaissait de toute façon peu probable d'être capable d'envisager une relation, à son grand dam. Elle songea à River, puis Jade. Lucas avait eu des petites amies depuis qu'il était à l'Institut, c'était déjà plus que certains. Et même si elle avait fait la paix avec elle-même depuis l'affaire Overmind, non sans une période noire, elle ne pouvait s'empêcher de penser maintenant qu'elle était peut-être, indirectement responsable de la déclaration que lui faisait Lucas aujourd'hui.

"Ca se passe mal avec Jade ?" finit-elle par demander doucement, espérant que peut-être, le mutant était victime d'une passade due à problèmes dans sa relation avec sa petite amie.

Une déferlante de sentiments opposés s’imposa à l’esprit perturbé du mutant suédois. Chaud, froid, panique, soulagement. Il ne savait réellement plus sur quel pied danser, et le court moment de latence entre l’énonciation de sa révélation et la réponse de l’intéressée lui sembla s’allonger éternellement dans la trame du temps, ces quelques dixièmes de secondes s’étirant jusqu’à leur paroxysme. Il ne savait que faire : fuir à toutes jambes, rester planté là, passif, ou encore sauter sur Cassandre pour… pour faire quoi ? Il n’en savait même rien. Incapable de quoi que ce soit, il prit donc inconsciemment la solution la plus simple, et resta sidéré face à ses propres paroles, alors qu’elles semblaient prendre tout leur sens dans l’esprit de Cassandre. Elle hésitait, doutait, semblait aussi désabusée que Lucas, pour le coup… Et qu’est-ce qu’elle était belle, face à lui, si proche, si réelle et pourtant insaisissable, intouchable…

La gêne et l’avidité, la peur et l’abandon se battaient dans le regard gris du mutant, mais elle ne pouvait pas le voir. Lui, ses yeux de lumière, ces iris éteints, il les admirait, s’y perdait, et chaque battement de paupière de la psychologue faisait tressaillir son cœur…

*Non !*

Non, il fallait qu’il tienne, qu’il ne se laisse pas déborder par ses émotions, ses sentiments, sa dévorante admiration, son amour interdit. Il devait se forcer à ne pas succomber à la pure admiration qui le l’avait si souvent laissé pantois en la présence de la Dame de Glace de l’institut, froide et belle, sobre et éclatante, pâle et vive…

Elle ne semblait pas à l’aise de cette situation. C’était chose compréhensible : elle ne devait pas être confrontée à de telles déclarations tous les jours de la part d’élèves de l’Institut. Lucas se raccrocha à cette pensée plus concrète, moins évanescente, pour rester les pieds sur terre et ne pas s’imaginer aux côtés d’un ange, dans les cieux céruléens, posés sur un nuage cotonneux et rassurant… Il ne devait pas se laisser aller, il devait rester maître de lui, de son intégrité, de sa réserve.

Et les premiers mots furent prononcés, d’une voix de cristal qui tinta d’abord uniquement sonorement aux oreilles de Lucas. Le sens des paroles ne vint qu’après un bref soupir libérant une tension de la gorge, crispation nerveuse et incontrôlée. Le sens n’était pas cruel, loin de là, et l’excuse sous-entendue qu’elle formula n’était pas nécessaire. Elle ne pouvait réagir autrement que de cette manière : il le savait, et n’en avait jamais douté. Oui, il savait qu’il n’était pour elle qu’un simple locataire de l’institut, tout juste plus ancien que certains, plus récent que d’autres. Et pourtant, ces mots s’insinuèrent en lui comme des lames acérées, douloureuses non seulement par leur morsure primale, mais aussi par leur essence létale.

Les mots restèrent en suspens, et même si c’était le grand chamboulement mental, Lucas était demeuré inerte, absent, sans réaction externe perceptible autre que son regard fixe, nerveux et perdu, et un triturage digital incontrôlable.



Et puis vint la question. Il ne s’y était pas attendu, même s’il avait déjà longuement trouvé la situation très embarrassante vis-à-vis de Jade, ou même de River, à l’époque… Il baissa un instant les yeux, coupable, avant de les relever pour répondre, bien qu’il ne sache que dire… La spontanéité de la sincérité allait être la voie unique de cette conversation : aucun calcul possible, aucun mensonge… Plus que la vérité, nue et certainement cruelle…

« Je… non, tout va bien c’est… »

Ça n’allait pas être aussi simple, visiblement… Les pensées étaient plus spontanées que les paroles.

« Je n’ai aucun soucis avec Jade, je suis heureux avec elle, et je crois que c’est partagé. Tout comme je n’en avais aucun avec… avec… River… »

Pause.

L’évocation du nom de sa petite anglaise lui serra un instant le cœur. À cette époque, ses réactions envers Cassandre étaient indomptables, à l’état sauvage, et River en avait peut-être souffert. Le sous-entendu était clair, ça faisait longtemps qu’il dissimulait à l’aveugle ses sentiments… Il poursuivit néanmoins plus loin encore : tout devait être limpide.

« Ça… ça fait longtemps que je veux vous en parler… »

Une fois de plus, la scène de la cuisine lui revint en mémoire… Il ne pourrait jamais l’oublier, même si un jour toute cette histoire était réglée.

Au moins, une chose était plus ou moins bien passée, elle ne semblait pas le juger sur ce qu’il ressentait, ou le repousser catégoriquement : par chance, il n’était pas tombé amoureux de Carrie : il n’y aurait déjà plus de lui que de petits cristaux diamantins éparpillés sur un bureau bien rangé…

Il reprit la parole sur le sujet initial :

« J’ai toujours séparé ce que je ressentais pour Jade ou… River… et ce que je ressens pour vous. C’est… c’est dur à imaginer, je m’en rends compte, et je ne comprends pas moi-même comment ça se peut… »

Même si tout ça l’habitait depuis longtemps désormais, il n’avait jamais compris pourquoi ça lui était tombé dessus, sans prévenir, sans explication, véritable coup de foudre, qui ne s’était que renforcé depuis le premier jour… Depuis la première fois qu’il avait aperçu Cassandre…

« Je crois que j’ai besoin de votre aide… Je… J’ignore comment, et que faire, mais vous seule pouvez m’aider… »

Tout en parlant, sans calculer son geste, il avait avancé sa main sur celle de Cassandre, et l’y avait posée. Quand il s’en rendit compte, alors que sa phrase se terminait, il eut une bouffée de chaleur qui le tétanisa réellement : il n’osait pas la retirer de peur qu’elle croit que c’eut été un geste inconsidéré, et il regrettait l’avoir mise, preuve d’une détresse interne plus grande qu’il ne voulait réellement le faire paraître…

Le dernier espoir qu'elle plaçait dans d'éventuelles difficultés amoureuses avec Jade s'envola en fumée quand Lucas lui assura que tout se passait bien, de même qu'avec River. Et visiblement, cela n'avait rien d'une passade. Cette situation perdurait apparemment depuis très longtemps, avant la mort de la Britannique. Comment la psychologue avait-elle pu passer à côté de ça. Elle était bel et bien aveugle...
La Grecque se sentait stupide et désemparée. Elle n'était pas armée pour faire face à ce genre de situation. Lucas attendait maintenant son aide, mais Cassandre n'avait aucune idée de comment la lui donner sans rajouter de l'huile sur le feu. Et il lui serait difficile de demander conseil à un autre professeur sans trahir le secret qu'il venait de lui confier, chose qu'elle se refusait à faire.

La non-voyante se passa la main dans les cheveux, s'interrogeant sur la meilleure façon d'aider le garçon, si une telle solution existait, et rien n'était moins sûr. Comment le libérer de sentiments incontrôlables ?

"Ecoute, je... ne crois pas que je sois la mieux placée pour t'aider. Je veux dire... C'est moi le problème." finit-elle par répondre, l'air visiblement impuissante. Instinctivement, elle retira sa main de l'étreinte de Lucas, comme si elle s'était brûlée. L'équilibre qu'elle avait toujours tenu pour acquis entre les élèves et elle venait de prendre un sacré coup.

"Il serait peut-être plus raisonnable que nous limitions nos contacts au strict minimum, tu ne penses pas ? Peut-être qu'en me voyant moins, ça finira par passer..."

Raisonnable, un mot qui tentait de mettre de l'ordre là où il ne pouvait pas. En vérité, Cassandre n'avait pas la moindre idée de comment gérer le problème. Pourtant elle sentait la détresse dans la demande de Lucas. Cela n'avait pas dû être facile de venir ici lui en parler. Il avait besoin de son aide, et elle ne pouvait pas se défiler, il attendait, comme tous les élèves, un conseil, une certitude sur le chemin à prendre. La seule différence était qu'elle était partie du problème.

La psychologue se leva et fit quelques pas vers la fenêtre, l'expression lointaine. Que pouvait-elle faire ? Il lui fallait réfléchir à la question à tête reposée. Elle était encore sous le choc de cette révélation pour le moins inattendue, et la surprise était mauvaise conseillère.

"Je vais réfléchir à la meilleure solution... Oui, il faut que je réfléchisse." dit-elle pensivement.

La psychologue n'avait rien pu promettre. Comment lui garantir qu'elle l'aiderait alors qu'elle ne voyait aucun moyen de le faire présentement ? Elle avait laissé le jeune homme quitter la pièce sur la simple assurance qu'elle essaierait.
Toutes ces choses qu'il avait dites l'avaient profondément perturbée. Toujours près de la fenêtre, elle posa une main sur sa bouche, à la fois stupéfaite et choquée, tentant vainement de se reprendre. Et cette histoire de photo... cachée là où les garçons cachaient en général d'autres types d'illustrations... Où avait-il pu l'obtenir, d'ailleurs ?

La seule solution qu'elle voyait pour le moment restait l'éloignement, bien que Lucas lui ait certifié avoir déjà tenté tout ce temps de l'éviter. Il est vrai que maintenant qu'elle y réfléchissait, leurs contacts avaient toujours été occasionnels. C'était peut-être également pour cela qu'elle n'avait rien vu venir ; elle ne le connaissait qu'assez peu comparé à d'autres élèves tels que Georgia. Elle envisagea brièvement la démission, mais elle savait que trop de personnes dépendaient d'elle pour en arriver là. Dans toute institution classique, elle aurait certainement pu tout quitter, comme elle l'avait fait en venant travailler à l'Institut, mais elle était liée aux mutants qui vivaient ici, des attaches difficiles à occulter.

Cassandre seule ne saurait probablement pas résoudre ce problème. Il lui manquait une certaine expérience dans le domaine affectif, qu'elle avait délaissé toutes ces années pour se consacrer aux autres. Il lui faudrait sûrement se résoudre à solliciter l'opinion d'une personne extérieure, ne serait-ce que pour nuancer son point de vue totalement subjectif de la situation. Elle réfléchit quelques instants. D'après ce qu'elle savait, Esther avait été amoureuse du professeur Bateson, son mentor... L'analogie n'était pas parfaite, mais suffisante pour que l'Israélienne puisse lui exposer son ressenti sur la situation qu'elle avait vécu avec le chercheur. Dans l'état actuel des choses, ce serait déjà beaucoup.

Non, ça n’allait pas. Il y avait quelque chose qui ne s’était pas passé comme il l’avait imaginé, c’était certain, mais sa volonté lui criait de ne pas abandonner si facilement, si rapidement. Il était venu dans le bureau de Cassandre pour une raison précise, et ne devait pas se laisser déborder par d’autres sentiments, choses qu’il était justement venu éclaircir. Non, il n’était pas là pour quitter le bureau, larmes aux yeux, dans un sentiment de solitude et d’abandon singulier. Il n’avait pas à être abandonné, et Cassandre n’avait pas à se sentir ainsi blessée et mal à l’aise face à cette déclaration qui n’était qu’un moyen pour Lucas de s’auto-aider. Il ravala difficilement ses larmes, mais y parvint bientôt, et respira un moment profondément, le dos contre la porte du bureau de Cassandre. Non, il n’était pas là pour que les choses s’empirent, il était là pour que tout s’améliore. Il devait s’en re-persuader, il devait faire demi-tour et entrer à nouveau dans le bureau.

Il souffla en fermant les yeux et s’imagina le sourire de sa Jade chérie. C’était aussi pour elle, qu’il faisait cette démarche. Pour qu’elle ne souffre pas comme River avait souffert de ce début de révélation, pour qu’ils soient un couple heureux et épanoui… Cela ne pouvait plus durer…

Ainsi fit-il volte-face, le cœur empli de nouveaux espoirs. Après tout, le plus dur était passé : le cap de la révélation était franchi, et il ne fallait plus que se laisser guider par ses intentions premières, écartant comme il avait appris à le faire cette admiration fanatique de la psychologue charmante de l’Institut. D’un revers de main, il se frotta les yeux et posa la main sur la poignée avant de la tourner et d’ouvrir à nouveau la porte de l’antre de Cassandre.

Une inspiration, un soupir, et il fit un pas à l’intérieur, sans fermer la porte… être totalement isolé du reste de l’institut n’était peut-être pas le climat le plus propice pour préserver une réserve émotionnelle. Ça n’était qu’un ‘truc’ pour garder le mental, mais cette voie de sortie lui permettrait de garder les idées au clair… Ou tout du moins, il l’espérait. Cassandre n’avait pas bougé, ou pas beaucoup en tout cas : elle se tenait toujours près de la fenêtre, immobile et pensive. Il posa son regard sur elle, se parant malgré lui d’un air suppliant, qu’elle ne pourrait de toute façon pas voir. La sincérité, la vérité, c’est tout ce qui comptait.

« Mademoiselle Cassandre… Je suis désolé de ce qui vient de se passer. Je… j’avais imaginé tout à fait autre chose de cette entrevue… »

Il enchaîna assez vite pour qu’elle n’ait pas le temps de se faire des films peu recommandés pour la santé mentale du suédois.

« Je voulais juste vous le dire, vous l’avouer. Ce secret me dévorait depuis trop longtemps, et j’ai eu tort de vous demander votre aide. C’est en ayant su écouter ce que j’avais à dire que vous m’avez aidée. Je ne vous demande aucune solution à… ça. J’ai appris à vivre avec, et ‘ça’ se fait de moins en moins présent, même si… enfin… bref… »

Il ne devait pas retomber dans l’étalage de ses sentiments : il avait d’autres choses à dire.

« Si je suis venu ici, c’est parce que vous le dire était une étape importante pour moi, afin de me libérer un peu. Tout ce que je veux, c’est vivre normalement, d’être un couple normal avec Jade, et de n’avoir pas ce sentiment de la trahir à chaque instant si je pense à vous ou si vous êtes présente… Et puis… et puis j’aimerais pouvoir oser vous rendre visite comme tout le monde ici, quand je ne vais pas bien là-dedans… »

Il se frappa la tempe du doigt à deux reprises… Geste automatique que Cassandre ne pourrait pas voir… Il n’en avait que trop peu conscience. Et oui, Lucas n’était pas venu une seule fois en consultation depuis son arrivée à l’institut, malgré des épreuves très dures à traverser : la mort ‘éventuelle’ de son père, la volonté de laisser sa propre mère sans nouvelle, de se faire passer pour mort auprès de tous ceux qu’il avait connu auparavant, la mort de compagnons comme Kieran, le décès de River, le départ de Mr Fish, unique professeur dont il s’était senti très proche – au point de l’enlacer, d’ailleurs – et enfin les crimes dont il avait été témoin sur Génosha. Tout ça, il n’en avait parlé à personne… Il avait tout gardé pour lui, sans jamais le sortir… Et tout ça grouillait dans sa mémoire. Il savait que ça lui faisait du mal, qu’un jour, tout pourrait ressortir de manière peu enviable…

Ça ne devait pas arriver, et c’était pour ça, et pas pour autre chose, qu’il s’était rendu ici.

« J’aimerais que ce que je…ressens pour vous se change en une admiration saine, en un amour familial, comme vous le disiez, car vous méritez tout ça, de la part de tous les mutants ici présents… Vous… vous comprenez ? »

Il avait quelque peu imposé sa présence à Cassandre, pour le coup, et redoutait qu’elle ne réagisse mal, en le renvoyant tout bonnement sans avoir pris le temps d’écouter ce qu’il avait à dire. Et puis aussi, il espérait que ce revirement de situation, derrière une barrière émotionnelle solide, porterait ses fruits…

Cassandre sursauta et se retourna vivement lorsque Lucas entra à nouveau dans le bureau, cette fois sans frapper. Le jeune homme se confondait en excuses et en explications, comme s'il regrettait sa propre délivrance, ou du moins les conséquences qui en découlaient. Même avec toute la bonne volonté du monde, en l'état actuel des choses, la psychologue ne pouvait pas imaginer occulter totalement la révélation qu'il venait de lui faire et prétendre que cela était parfaitement normal, bien que la supplique du mutant se fasse pressante.
Les excuses de Lucas embarrassèrent encore plus la Grecque : sa réaction avait-elle été à ce point négative qu'il ressentait maintenant le besoin de limiter les dégâts ? Là où il lui demandait ardemment son aide une minute plus tôt, le jeune homme lui affirmait ne plus en avoir besoin. Devant ce revirement, elle doutait à présent de sa propre réaction. Qu'avait-elle fait qui suscite cette anxiété chez le jeune homme ? Plus que la simple déclaration de sa flamme, elle se sentait accusée dans le seul aspect de sa vie qu'elle se démenait pour rendre irréprochable : sa conscience professionnelle. La croyait-il égocentrée au point de lui refuser son assistance psychologique pour motifs personnels ?
Blessée, elle se retourna vers la fenêtre, avant de reprendre la parole.

"Je n'ai jamais abandonné ceux qui comptaient sur moi. Cela ne changera pas, quelle qu'en soit la raison." répondit-elle après avoir écouté, plus ou moins de force, le coup de grâce du mutant.

"A présent, laisse-moi seule, s'il te plaît. Nous reparlerons de tout ça à tête reposée." finit-elle par lui dire. Elle éprouvait maintenant une envie irrépressible de se replonger dans le travail qu'elle avait entrepris avant la visite de Mina. Se replonger à corps perdu dans le travail pour court-circuiter ses pensées du moment.

Nora était penseuse. Monsieur Vadim ferait appel à elle. Elle en éprouvait de la fierté mais aussi de la peur. Celle de ne pas être à la hauteur et de ne pas s'intégrer parmi tous ces mutants. Mais bon, elle avait décidé de changer de vie. De prendre son destin en main. Et ce n'était pas facile.

Toute timide et même pâle, Nora Winter avançait avec lenteur dans le couloir des professeurs comme si une barrière invisible essayait de la retenir. Cette barrière s'était une partie de son subconscient qui lui rappelait qu'aller vers cette mutante "diseuse de bonne aventure" n'était qu'au final de la poudre aux yeux.
Nora attendait aussi qu'il n y ait plus personne dans le couloir des professeurs. Où du moins que personne ne la voit aller chez madame Deneos.

Oui Nora avait des soucis, oui, elle essayait de faire face comme une grande en se trouvant des raisons valables où non. Après tout, s'était des soucis mineures, d'une certaine manière. Et puis comme ça, sur un coup de tête, elle avait décidé de voir Cassandre Deneos alias Sibylle. D'abord parce que c'était la psychologue de l'institut et Nora la trouvait belle. Belle et triste. C'est le regard de la professeur qui l'avait décidé à venir tout compte fait. Nora se demandait aussi ce qu'elle avait à trouver les femmes belles. Enfin, les femmes.. peut-être deux.

Enfin, Nora parvint devant le bureau de l'étrange et mystérieuse professeur au pouvoir inquiétant. Pour Nora, c'était presque pire que de fouiller dans la tête des gens pour la moralité. Nora, elle, aimait user de son pouvoir. Pas par méchanceté, pour un tas de raisons qu'elle dévoilerait peu-être.

Bien droite devant la porte, Nora frappa les trois coups fatidiques. Elle se demanda si Cassandre allait lui dire d'entrer avant qu'elle est frappée. Si ce n'était pas le cas, Nora laisserait à la psychologue trente, non, vingt secondes. Si dans le délai, elle n'entendait pas un "Entrez ! " ou autres invitations, elle ferait demi-tour.

Nora avait du courage, mais là, arrivée devant la destination, le courage s'étiolait à grande vitesse.

Partir. Elle lui avait demandé de partir, visiblement troublée émotivement par la discussion. Elle ne semblait plus apte à entendre quoi que ce soit de la part du mutant suédois, qui ne sut comment réagir à son injonction, voulant répliquer à nouveau mais s’en empêchant de toute son auto-persuasion. Elle avait réitéré sa promesse d’aide, et ce malgré les explications que Lucas venait de lui apporter. N’avait-elle pas compris qu’elle venait de l’aider, de lui faire faire un grand pas dans sa vision de son problème ? Il n’en savait rien. Il ne pouvait concevoir que la Grande, la Belle, la Parfaite Cassandre ne puisse pas saisir un des problèmes des occupants de l’institut, quand bien même elle était prioritairement concernée par ce souci.

Il ne savait plus vraiment quoi faire, ni même comment réagir, alors il resta planté là, inactif, bouche bée, complètement désarmé, abasourdi. Ce n’est que lorsque trois coups ricochèrent sur la porte qu’il se rendit compte qu’il devait quitter la pièce au plus vite. Blanc comme un linge, il marmonna plus ou moins une réponse à l’attention de Cassandre :

« Bien… nous… nous nous reverrons plus tard alors… »

Tournant les talons sans plus attendre, et ouvrit la porte que l’on venait de marteler. C’était Nora, une ex-coéquipière Cérésix. Il tenta de lui sourire, mais ses lèvres restèrent soudées dans une crispation gênée. Cassandre serait sans doute ravie de la recevoir pour penser à autre chose… Il la salua donc brièvement, trébuchant maladroitement sur ses mots :

« Bonj…Salut ! Tu viens voir Cass…Mademoiselle Deneos ? Je… Je file moi, à plus ! »

Et sans s’attarder, il prit la direction de la sortie du couloir, sans même savoir où il allait aller…
Il n'avait pas envie que la télépathe vienne fouiller ses pensées pour apprendre la dérangeante vérité sur ses sentiments envers Cassandre...

Hall

Nora fut comme paralysée lorsque la porte s'ouvrit. Une statue de chair lorsque que Lucas sortit du bureau de Sibylle. L'ancien chef de Cérésix, le beau Lucas. Elle ouvrit la bouche pour répondre et aucun son ne sortit. Visiblement, il n'avait pas l'air des plus heureux. Un signe ? Elle hésitait à faire demi-tour mais vu sa tête, elle se connecta à son esprit par ce que c'était plus simple. Même si dire Cass... d'abord et vu sa tête, il n'y avait pas besoin d'être télépathe pour sentir un trouble. Le voir malheureux lui faisait de la peine. Et elle compris qu'elle ne lui en parlerait pas. Comment pouvait-on aimer cette professeur...

Nora n'aimait pas. Elle ne le savait elle-même et les sentiments lui faisaient peur. Elle avait peur d'être esclave. Elle se rendit bien compte que Lucas la fuyait. Elle ne lui en voulait pas, elle le trouvait sympa. Et mignon. Elle soupira intérieurement. Peu de chance qu'ils deviennent des amis. Juste des équipiers. Comme avec quasi tous ces mutants. Se trouvant bête de rester devant la porte ouverte, Soulrider pénétra sans bruit dans l'antre de la professeur. Et referma bien vite la porte. Elle la sentit lointaine. Et si belle. Doucement, son esprit effleura celui de Cassandre pour essayer de voir un fragment de pensées. Pis, elle murmura :

" Je... C'est Nora Winter, j ai frappé et Lucas est sorti mais je peux attendre... J'ai rendez-vous maintenant, je crois... "

Elle se sentait ridicule et attendit une réponse qui serait peut-être colérique ou froide. Cassandre savait peut-être que Soulrider venait de s'immiscer dans son esprit. La porte était fermée, impossible de fuir.

Décidément, c'était sa journée. Tous les élèves s'étaient donnés le mot pour venir la voir cet après-midi. Après la première touche de Mina, l'estocade de Lucas, elle se demanda de qui viendrait le coup de grâce. Puis elle se souvint : Nora lui avait demandé une entrevue, c'était juste. Entre sa préparation de l'excursion sud-africaine et les visites des élèves, cela lui était complètement sorti de l'esprit.

Toujours debout, près de la fenêtre, la psychologue prit le temps de reprendre contenance, puis se retourna vers la télépathe.

"En effet, nous avions rendez-vous, Nora."

Cassandre croisa les bras dans son dos et inclina la tête sur le côté, dans la posture didactique qu'elle prenait parfois en salle de classe. Tentant d'établir le contact avec l'esprit de la mentaliste, Nora se heurta au bouclier psychique de Cassandre, et fut renvoyée dans les cordes avec un bon mal de crâne. De toute évidence, Nora avait les yeux plus gros que le ventre ; bien qu'en apparence fragile, la nature n'avait pas totalement démuni la non-voyante.

"Je peux t'aider ?" s'enquit-elle aussi doucement que d'habitude, mais perplexe devant le geste indiscret de la télépathe. Une phrase anodine dans la situation de rendez-vous, mais qui vue sous l'angle de la tentative d'intrusion, demandait une explication.