[JustiX + LeX 6.3.2] High Society

Une fois arrivés à Paris, les élèves et leurs professeurs avaient fait un saut à leur hôtel et pris possession de leurs chambres. Visiblement Carrie et Esther avaient pas mal engagé les ressources de l'Institut pour payer le séjour : s'il s'agissait de chambres doubles à un seul lit, néanmoins elles étaient confortables et luxueuses.

Puis, en attendant le soir, Esther et les élèves avaient pu faire un peu de tourisme, tandis que Carrie se rendait à ses funérailles. Tour Eiffel, Arc de Triomphe, un rapide passage au Louvre, visite des Jardins du Luxembourg, tout avait été parcouru au pas de course... Il était hors de question d'arriver en retard à la soirée !

De retour à l'hôtel, Esther s'était aperçue que l'invitation à la soirée de John Jacob ne concernait que trois personnes. L'israélienne choisit donc d'y aller en compagnie d'Abaigh et de Lucas. Elle chargea Blake, Juan et Alixtide de s'occuper d'un petit service que lui avait demandé Jason l'autre jour... Et laissa Carrie en compagnie de ses JustiX.



Après s'être rapidement changée - troquant pour l'occasion ses confortables rangers contre des chaussures de soirée - Esther était partie, en compagnie de ses deux élèves, en direction du Waldorf. L'hôtel grand luxe de John Jacob n'était guère loin : seuls quelques 500 mètres séparaient les deux établissements.



La nuit venait déjà de tomber mais les rues paraissaient toujours aussi agitées. Le trio alla se présenter à l'entrée et un portier en grand uniforme les admis à l'intérieur.



Une fois la cour intérieure traversée, les mutants de l'Institut pénétrèrent dans la salle de réception.



Une musique discrète faisait office de fond sonores et les serveurs virevoltaient de convives en convives pour rassasier et désaltérer tout le monde avec force petits fours et coupes de champagne.

Quelques visages, au milieu de la foule, leur parurent familiers.



Dans un coin, deux hommes sérieux devisaient ensemble à voix basse.



Par ailleurs, la très jeune fille qui semblaient répondre aux questions d'un journaliste près du grand escalier ne paraissait pas totalement inconnue !



Enfin, seule, près d'un buffet garni, la jeune Cindy Phœnix - alias Papillon de Lumière - faisait tâche avec son uniforme de super-héroïne.

Esther se tourna vers Abaigh et Lucas :

"Bon, amusez-vous. Pour ma part, je vais essayer de trouver John de mon côté"

Elle regarda sa montre.

"Nous ne resterons que jusqu'à 23h30. L'ouverture du testament étant prévue à minuit. Tâchez de faire des rencontres intéressantes..."

L'israélienne disparut dans une masse de convives, laissant les deux jeunes gens à leur sort...

Paris, éternelle et légendaire ville de lumière… Et c’est à la vitesse de la lumière que les JustiX et LeX avaient parcouru la ville après leur arrivée. Du tourisme rapide, sommaire et très restreint sur les points touristiques les plus connus de la capitale française : La mythique tour Effeil, une vue des champs Elysées du haut de l’Arc de triomphe, le Louvre, etc etc… Ils avait donc tout vu, sans rien voir en même temps, par manque de temps. C’était toute fois une expérience fort plaisante pour Lucas, qui avait longtemps habité ce pays sans jamais en avoir visité la capitale. Et il était content d’avoir vu tout ça en compagnie de sa Jadounette. Quelle ville pourrait être plus romantique, pour deux amoureux ? Il se promit de passer au moins un peu de temps seul avec sa moitié, pour une balade romantique le long de la seine, un tour sur l’île de la cité, devant le parvis de Notre-Dame, au coucher de soleil…

Mais ça n’était pas pour ça qu’ils étaient là initialement : La soirée s’annonçait riche en rencontres et en évènements. Ils rentrèrent presque au pas de course au prestigieux hôtel où ils étaient descendus, et s’étaient rapidement, mais consciencieusement, préparés pour la soirée à venir. Là, Esther avait découvert qu’elle ne pourrait être accompagnée que de deux de ses élèves. Elle choisit Abaigh et Lucas, pour le plus grand plaisir de celui-ci. Il ne put d’ailleurs s’empêcher de soupirer de soulagement à cette nouvelle. Faire tout ce trajet pour voir Jacob et finalement ne pas le rencontrer, ça l’aurait frustré, le rocher.

Bref, il enfila donc une sobre chemise blanche et un costume noir bien taillé, histoire de faire classe sans trop se la péter, et consentit bon gré mal gré de s’affubler d’une cravate, elle aussi de couleur noire. Ainsi vêtu, il aurait pu passer inaperçu tant dans la réception qui se projetait que dans une cérémonie d’enterrement, mais bon…il se trouvait beau, et ne jurerait en rien avec les autres convives, il en était certain. Il ne servait à rien de se faire remarquer lors d’une telle occasion, et surtout pas en mal…

Une fois prêts, l’israélienne, l’irlandaise et le suédois prirent donc la route – assez courte – de l’hôtel où se tenait la soirée. Ils y furent donc rapidement, et traversèrent la cour intérieure, richement décorée pour l’occasion, pour pénétrer dans le corps de bâtiment de l’hôtel du Waldorf. La salle de réception n’était que faste, luxe et étalage de richesse : les grands de ce monde, toutes idéologies confondues, trinquaient autours de coupes de champagne et de petits-fours. Tout cela était un peu irréel. Lucas n’aurait jamais imaginé un jour faire partie de ce genre de réception digne des films d’espionnages les plus réputés, et durant lesquelles il se passait toujours quelque chose de catastrophique dont les invités ne se rendaient même pas compte… Il espérait d’ailleurs à ce propos que la comparaison s’arrêtait à l’ambiance…

Esther Kofman les laissa en plan dès l’entrée, prétextant vouloir retrouver John Jacob. Lucas aussi désirait ardemment revoir son ‘mentor idéologique’, et caressa un instant la fleur séchée qu’il avait placé en boutonnière en voyant sa prof référente s’avancer dans la grande salle. Il aurait bien le temps de rencontrer Jacob quand celui-ci aura décidé d’apparaître. Pour l’instant, lui et Abaigh avaient une consigne : rencontrer du beau monde. Il se tourna vers sa coéquipière et lui sourit avant de faire un rapide tour d’observation de la salle, cherchant de ses yeux gris le ‘beau monde’ à rencontrer. Du monde, il y en avait, à n’en pas douter… mais Lucas ne fut pas certain que ‘beau’ était un adjectif tout à fait adapté. Ainsi, lorsqu’il aperçut Lange – qui n’en était pas un - et Llewellyn, poète autoproclamé, il soupira et détourna le regard. Les deux hommes célèbres s’arrachaient les pages des journaux, ces derniers temps, et pas forcément en des termes élogieux…

Les yeux suédois tombèrent alors sur une autre scène, une jeune roussette qui se faisait interviewer. Avec son physique très particulier, et ses habitudes à se renseigner sur tout ce qui concernait Génosha, il n’eut pas de mal à reconnaître la présidente des tribunaux punitifs des crimes du 13 avril, charge honorable en soi, si elle n’était tenue par cette demoiselle, fervente partisante de l’extrême droite Génoshéenne. Une fois de plus, Lucas détourna le regard, qui fut attiré par une tache de couleur ressortant des tons classiques de l’assemblée : la thésarde Cindy Phoenix admirait un buffet dans une apparente solitude.

Une fois de plus le sourire aux lèvres, il se tourna vers Abaigh.

« Je vais aller voir une vieille connaissance… Viens avec si tu veux ! Enfin… Si tu n’as pas en projet d’aller séduire le sieur Llewellyn pour lui soutirer des informations sur les criminels du 13 avril… ou espionner sa conversation avec son patron… »

Et sur cette plaisanterie, il fit un clin d’œil à la jeune femme et se dirigea vers le buffet d’un pas alerte. Au passage, il s’empara de deux coupes de champagne sur un plateau qui passait à proximité de ses mains, et poursuivit son chemin jusqu’au Papillon de Lumière.

« Hello ! Comme on se retrouve. Ça va bien ? »

Il ignorait totalement si elle se souviendrait de lui, mais l’avait accostée avec naturel et sympathie. Il lui tendit une des deux coupes de champagnes avant de poursuivre :

« Lucas, si tu ne te souviens pas… Sur Génosha… »

Petit sourire de connivence.

« John Jacob est dans les parages ? Tu as déjà pu le voir ? Comment se fait-il que tu sois toute seule ? »

Cindy sourit en voyant arriver Lucas.

"Mais bien sur que je me souviens de toi et de tes amis... D'ailleurs la jeune fille avec qui tu es venue..."

Elle baissa les yeux et ajouta d'une toute petite voix :

"C'est ta petite amie ? Je croyais qu'elle était avec l'autre fille dont j'ai mangé le prénom..."

D'un petit signe, Papillon de Lumière refusa la coupe de champagne :

"Jamais quand je suis en service. N'oublie pas que je suis une héroïne..."

Nouveau sourire complice... Puis, elle reprit plus sérieuse :

"Je suis venue voir John. J'ai des trucs à lui faire valider pour ma thèse et je dois admettre qu'il est devenu drôlement occupé... Voir même préoccupé ces derniers temps"

Elle enleva son béret et le posa sur la table.

"Bref, je fais comme tout le monde ici, j'attends qu'il revienne pour lui toucher quelques mots... Et je surveille les oiseaux de mauvais augure..."

D'un signe discret, elle montra Lucy Adams.

"Enfin, je ne suis pas tout à fait seule. J'avais un cavalier qu'on m'a fourni, mais il semble lui aussi assez occupé ce soir..."

Abaigh, quant à elle, put se placer non loin des deux avocats sans qu'ils lui prêtent la moindre attention. L'homme qu'elle n'avait pu réussir à identifier parlait lentement et distinctement. Si le ton était calme, il n'en était pas moins ferme et déterminé.

"... vous m'aviez dit que vous vous y connaissiez en droit français, Llewellyn... J'attends donc bien que vous résolviez ce problème dès la première heure demain. Notre client a exigé que ce document ne tombe en nulles autres mains que les siennes. Et vous ne voudriez pas décevoir, si tôt, Holland Manners, non ?"

Lloyd Llewellyn avait l'air gêné. Et il tremblait même un peu. Il voulut ajouter quelque chose mais... Son interlocuteur ne lui en laissa pas le temps.

"Ne dites rien. Contentez vous de remplir votre part du travail"

L'avocat-poète déglutit bizarrement mais tenta tout de même :

"Mais comment bloquer ce Cacheux avant l'ordonnance du juge ?"

Il fut fusillé du regard et l'homme inconnu d'Abaigh termina, cinglant :

"Contentez vous de remplir votre part du travail"

Puis il tourna les talons et s'éloigna de Llewelyn...

Une drôle de lueur s'alluma dans les yeux de Cindy quand Lucas démentit toute communauté sentimentale d'intérêt avec l'irlandaise. La jeune fille voulut dire quelque chose mais hésita un court instant. Puis, elle reprit :

"Ah oui, vous accompagnez Esther. Enfin, j'dit Esther mais je devrais plutôt dire le Docteur Kofman. Après tout, nous ne nous connaissons guère et je doute qu'elle se souvienne de moi... J'avais du assister à un ou deux de ses cours du temps où elle était l'assistante du pauvre Professeur Bateson"

Elle remit son béret sur la tête avant d'ajouter :

"Elle vient pour le testament, c'est ça ? John est intenable depuis qu'il a appris que le Professeur Bateson l'avait couché dessus, tout comme les Docteurs Kofman et Misrahi et ce fumier d'Elliott... Je me demande bien ce qu'il y a dedans..."

Se laissant entraîner par Lucas, dans un petit rire sonore, à travers la foule, elle poursuivit :

"Tu es plus entreprenant que ce pauvre Inspecteur Épaulard. Mais, bon assurer la sécurité d'un prisonnier dont la tête est mise à prix, ça a de quoi faire oublier une cavalière que l'on connait juste de vue..."

Arrivés à proximité de Lucy Adams, les deux jeunes gens purent écouter l'interview de la Présidente du Tribunal Spécial de Génosha.

"... notre jeune République est souveraine. A partir de là, nous jugeons en toute souveraineté les ennemis de notre Nation. Et même si nous apprécions l'intérêt que porte la Communauté Internationale au respect des droits des mutants et à la poursuite des gens qui se sont rendus coupable de génocide à notre encontre, nous ne plierons pas aux exigences de la Cour Pénale Internationale"

Le journaliste, un jeune homme un peu mal à l'aise, demanda d'une petite voix vacillante :

"Cela signifie que les exécutions programmées auront lieu ?"

Le visage de la petite demoiselle Adams se ferma :

"Cela signifie que nous apprécierions grandement que la Communauté Internationale nous livre les prisonniers qu'elle a d'ores et déjà en sa possession. Ni plus, ni moins. Pour le reste, les droits de la défense sont assurés, les criminels ont droit à un procès équitable..."

"Mais le Procureur de Génosha lit les pensées des accusés !" s'indigna le journaliste.

"Ce qui rend encore plus facile les démonstrations. Nous ne voyons aucun inconvénient à cela..."

Comme si elle avait vu le béret de Cindy, Lucy Adams fit signe au journaliste que l'entrevue était terminée. S'approchant à petits pas des deux jeunes gens, elle lança un "Bonsoir" glacial.

"Qu'avons nous là ?" reprit-elle sarcastique. "Un autre humain qui joue à être mutant ? Mademoiselle Phœnix, je ne comprends toujours pas la volonté de votre employeur de me faire entendre raison... Là où il est manifeste qu'il n'a pas voix au chapitre !"



Pendant ce temps, Abaigh avait établi un premier contact avec Maître Llewellyn. Ce dernier accepta volontiers la coupe de champagne et la vida d'un trait, ayant l'air de ne rien écouter de ce que la jeune fille disait. Puis, un sourire béat aux lèvres, il considéra en silence, de la tête aux pieds, l'irlandaise. Il bomba finalement le torse, remit droit son nœud de cravate et déclama d'une voix anormalement maniérée...

"Ô toi, fleur parisienne / Je te mire à travers mes persiennes / Mais qui es tu ? Ô beauté solaire / Pour avoir tant de raisons de me plaire..."

Il toussota avant de reprendre d'une voix normale :

"Bonsoir, chère Demoiselle. Je suis - comme vous le savez - Maître Lloyd Llewellyn. Vous avez peut être lu mon livre ? Ou alors vous avez écouté l'une de mes plaidoiries sur support numérique ?"

L'homme se saisit de deux autres coupes de champagne. Il en tendit une à l'irlandaise :

"Seul ce breuvage a le même éclat que vos yeux, ma chère Demoiselle... Mais j'ignore tout de vous : êtes vous une journaliste souhaitant une interview ? Ou bien une étudiante en droit à Panthéon-Assas qui veut des conseils d'un ainé ? Ou alors..."

Il sourit plus largement.

"Une simple admiratrice ?"

"Un assimilé donc" trancha Lucy Adams d'un ton sec. La petite demoiselle semblait avoir l'habitude de faire les questions et les réponses... Déformation professionnelle ? Quoi qu'il en soit, elle enchaîna d'une voix peu avenante :

"Le problème tel que vous le posez n'est pas dénué d'intérêt. Néanmoins, les seuls politiques que je tolère devant mon Tribunal sont ceux qui ont les menottes aux poignets... Les gouvernants ont, de tout temps, fait la parfaite démonstration de leur cupidité, de leur manque de convictions... Il est nécessaire, je pense, pour les acteurs sociaux, et notamment ceux de la justice, d'agir en politique. Surtout que notre affaire, celle des mutants..."

Elle fixa d'un regard noir Cindy - qui était explicitement exclue par les derniers propos de la magistrate - avant de poursuivre :

"Celle des criminels du 13 avril est éminemment politique. Mais dites-moi, jeune assimilé... Vous devez bien avoir un avis sur la question, non ? Peut-on nous enlever le droit à nous, République de Génosha, de pouvoir juger des individus qui ont tenté de nous exterminer ?"

Enchaînant rapidement, elle ajouta, d'un ton cassant :

"Parce que c'est ce qui est en train de se produire ! Mademoiselle Phœnix, pendant que votre gourou est en train de boire du champagne avec les agents du PISS, ces derniers entendent nier notre droit à obtenir réparation des crimes commis à notre encontre ! J'ai appris que deux prisonniers de plus sont entre les mains de ces milichiens vendus à l'internationalisme humain ! C'est un scandale ! Et dire que Jacob m'a fait venir ici pour trouver un "arrangement acceptable"..."

Cindy avala sa salive péniblement. Visiblement la jeune thésarde semblait ressentir une certaine crainte à l'égard de Lucy Adams.

Cette dernière, n'en ayant cure, termina à l'attention de Lucas :

"Pourquoi serais-je venue accompagnée ? Vous trouvez que j'ai l'air de ne pas pouvoir me débrouiller seule parce que j'ai l'air d'une gamine ? Mon greffier est mort sur Génosha, il m'a été indiquée que je ne pouvais venir avec mon Procureur car il est télépathe... Si je ne peux venir accompagnée par un de mes collaborateurs, à quoi bon amener quelqu'un ? Je peux très bien me débrouiller seule... Croyez-moi, jeune assimilé"

Et elle ponctua ces dernières paroles par un large sourire. Un sourire de prédatrice.



Le sourire de Llewellyn était toujours figé dans un rictus béat : visiblement Abaigh était tout à fait au goût de l'avocat.

"Faisons donc connaissance ma chère Demoiselle... Néanmoins, si vous avez la chance de me connaitre, je ne peux malheureusement en dire autant..."

La mine de l'avocat se renfrogna l'espace d'un instant quand l'irlandaise mentionna l'altercation qu'il venait d'avoir.

"Oh, vous savez... Il s'agissait de Jérôme Lange qui est, en quelque sorte, mon employeur... Enfin, du moins le temps que je passe associé principal !"

Il sourit bêtement. Bizarrement sa voix avait fait un drôle de trémolo sur ces deux derniers mots.

"Vous savez, je défends tous les criminels de guerre génoshéen et ça me prend beaucoup de mon temps. Puis je suis poète aussi, écrivain, je donne des conférences, du coup..."

Llewellyn se passa la main dans les cheveux et redressa à nouveau son nœud de cravate.

"Du coup, j'ai omis de potasser une toute petite affaire que Jérôme m'avait confié... Un truc de testament... Rien d'intéressant. Vraiment quelque chose d'insignifiant... Du coup, il était un peu fâché... Mais vous savez ce que c'est avec les gagne-petits !"

Nouveau sourire de connivence. Par ailleurs, l'avocat venait de poser la main sur l'épaule de la jeune irlandaise. Et ses yeux fixaient d'un air stupide la jeune fille.

"Marie ? Comme une de mes clientes qui attend son exécution dans une geôle génoshéenne..."

Il toussota légèrement. Puis, imperturbable, afficha à nouveau son éternel sourire.

"Oh, vous savez, associé principal chez Lange & Manners, il ne faut pas en faire une telle histoire..." fanfaronna à nouveau l'avocat.

"Après tout, ce ne sont que les avocats de Future Cope, d'une kyrielle de firmes pharmaceutiques et d'ingénierie aéronautique... J'ai même eu ouïe dire..."

Il baissa d'un ton et approcha sa bouche de l'oreille de l'irlandaise, marquant par la même occasion une légère pause pour humer sa chevelure.

"Nous serions les avocats de Cornelius van Damme"

L'avocat se redressa et recommença à parler normalement.

"Mais bon, en dépit de leur réputation internationale, ils sont venus me chercher, moi, Maître Lloyd Llewellyn, défenseur des droits des mutants partout dans le monde !"

Il bomba le torse et ajouta :

"J'ai été l'avocat de Donna Mathews, j'ai même été l'avocat d'un loubard de l'Institut Xavier... Enfin, tout ça pour dire... Tout ça pour dire que cette petite affaire ne m'emballe pas plus que ça, vous voyez ?"

Prenant au vol une nouvelle coupe de champagne, il poursuivit :

"Mais rassurez-vous, le défunt n'est pas de la famille de Jérôme. Il s'agissait d'un... On va dire chercheur en sciences humaines. Nous représentons sa fille légitime qui s'oppose à ce que l'acte soit lu à d'autres personnes qu'elle-même. Il y a tout un tas de grouilleux, d'universitaires minables en mal de reconnaissance qui ont été conviés... Et, je dois convaincre un juge de s'opposer à la lecture publique. Voilà tout... Bon, j'ai UN PEU OUBLIE de faire les démarches aujourd'hui... Mais je comprends difficilement pourquoi Holland Manners est si énervé ? L'associé de Jérôme aurait indiqué qu'il me "pendrait à un croc de boucher" si je foirai cette formalité..."

Petite pause pour mieux ménager ses effets.

"Il est un peu excessif, non ? S'il croit m'impressionner ! En plus, le testament doit être ouvert ce soir et Jérôme veut quand même que j'aille voir le juge demain... J'veux dire : c'est foiré, c'est foiré... Tout le monde s'en fout de ce testament poussiéreux. Je vois même pas l'intérêt de me lever demain matin. Enfin, j'irai à la lecture quand même tout à l'heure à l'étude de Maître Cacheux, le notaire"

Llewellyn se passa à nouveau la main dans les cheveux.

"Mais dites-moi tout sur vous ! Vous voudriez faire un stage chez moi ?"

Visiblement, l'avocat ne tenait pas si bien que ça l'alcool...



"Vous parlez peut être vrai, jeune assimilé. Néanmoins, vous ne nous en voudrez pas de n'avoir nullement confiance en la justice humaine. Bizarrement, elle était où quand nous avons été attaqués ? Et puis, en s'obstinant à refuser de procéder à l'arrestation de Max Renn et des dirigeants de Future Cope, elle fait obstacle au travail de la justice. Nous ne voulons pas des peines symboliques à l'encontre des génocidaires : ce sera la mort, sinon rien !"

Une lueur de fanatisme brillait dans le regard de la jeune Présidente. Un serveur voulut s'approcher du petit groupe pour les ravitailler en boissons mais d'un geste Lucy Adams le figea... Au sens littéral du terme.

"Allez-vous en" ordonna-t-elle.

Le jeune serveur retrouva sa liberté de mouvement. Déglutit. Et fit demi-tour.

Cindy, quant à elle, saisit la main de Lucas dans la sienne et bafouilla :

"Moi, tu sais... Je suis une humaniste universaliste. La peine de mort est une chose abominable. Et on ne lutte pas contre le crime - quel qu'il soit - avec d'autres crimes. De plus, Mademoiselle Adams..."

Papillon de Lumière leva le menton. Fière. Mais tremblante. Visiblement ça lui en coutait...

"Mademoiselle Adams, Avenir Mutant est un mouvement fasciste. Génosha n'a pas besoin de ça. Et la justice ce n'est pas la vengeance. Vous parliez de procès équitable mais notre République est trop jeune pour pouvoir bénéficier d'institutions juridiques stables... Il est essentiel que les prisonniers soient jugés à l'international..."

"Idiote..." siffla Lucy entre ses dents. Puis, relevant la tête, elle désigna le duo Abaigh / Llewellyn.

"Je connais cet homme... Cet avocat minable. Son cabinet représente TOUS les criminels de guerre. Ceux qui sont dans la procédure, les bouchers qui ont saigné mon peuple. Mais aussi les autres : les Future Cope, les Sky Engineering, les Parallel Treatments... Bref : Pyramid. Je trouve décidément que nous ménageons trop ces gens là..."



C'est à ce moment que Lucas et Abaigh entendirent une voix familière brailler... Le ton était indigné même si les paroles étaient inaudibles... Esther sortit furieuse de ce qui semblait être un petit salon privé... pour aller se diriger vers le buffet.



A sa suite, une jeune femme venait d'apparaître, l'air amusée, dans l'encadrement de la porte de ce petit salon...

À sa plus grande surprise, Lucy Adams donna raison à Lucas, ce qui raffermit un instant sa fierté : il avait vu juste, et perçu une bonne solution à la situation qu’elle présentait comme inextricable. Cependant, elle retomba vite droite dans ses bottes… Une telle personne ne se laissait pas avoir si aisément, et elle détourna la conversation sur la présence d’une aide humaine lors de l’attaque du 13 avril. Si seulement ceux-ci avaient été au courant d’une telle action d’envergure, ils auraient peut-être fait quelque chose… Certainement même. Même si Lucas était conscient que les plus grosses puissances mondiales étaient tout à fait au courant que quelque chose se préparait contre Génosha, il croyait dur comme fer qu’elles ignoraient tout de l’impact meurtrier de ces attaques… En fait, ils l’ignoraient tous : personne ne pouvait s’attendre à ce qui c’était passé…

Elle poursuivit alors sur les arrestations des personnes qu’elle aurait voulu mettre au pilori sans attendre, les dirigeants de Future Cope, en particulier… Lucas dut admettre qu’elle n’avait pas totalement tort sur la question… Et il répondit en ce sens, dans la mesure et la diplomatie :

« Bien des hommes et des mutants méritent de comparaître devant la justice, c’est un fait… Et bien trop sont innocentés trop rapidement, ou par des moyens peu recommandables… Je m’imagine qu’un jour, d’une manière ou d’une autre, ces hommes et ces mutants seront punis de leurs actes : par la justice ou par leurs propres armes… »

S’ensuivit alors une scène assez troublante en soi : un serveur vint pour les ravitailler en boisson - bien que le verre de Lucas était encore plein – et Lucy Adams trouva opportun de faire étalage de son pouvoir, jusqu’ici inconnu par le jeune suédois : elle immobilisa totalement l’homme avant de lui donner l’ordre de s’en aller… Lorsqu’il eut récupéré l’entièreté de ses moyens, l’homme ne se fit pas prier et tourna les talons, apeuré… Empathe ou figeuse ? Il ne savait pas bien la nature de son pouvoir, mais avait pu en voir les effets… Une personne dangereuse en soi, qui pouvait très bien lui nuire en cas d’ennui… Une personne à ne pas attaquer sans un solide bouclier mental, en quelque sorte…

Suite à ça intervint enfin Cindy, suite à la demande de Lucas. Après avoir agrippé la main du suédois, elle étala ses idées avec fierté et crainte, d’abord à Lucas, puis directement à Lucy, qu’elle n’hésita pas à taxer de fasciste, elle et son parti… ce mot qui brulait les lèvres de Lucas depuis qu’il avait aperçu la juge, mais qu’il s’interdisait de prononcer pour rester dans le ‘politiquement correct’. Lucas hocha la tête à ses paroles, à chaque mot. Elle avait entièrement raison dans ce qu’elle disait, et rejoignait la façon de penser du suédois, celle qu’il avait évoquée l’instant d’avant. Il fut cependant outré d’entendre la présidente juridique insulter ouvertement Cindy, argumentant sa parole outrancière en désignant Llewellyn, une autre personne tout aussi peu recommandable. Là encore, elle n’avait pas tort : ces personnes n’étaient certainement pas des agneaux exempts de tout soupçons concernant les affaires du 13 avril, et même les affaires post-13 avril.

Lucas voulut calmer la donne entre les deux demoiselles, dans cette conversation qui s’envenimait petit à petit…

« Même au nom d’une cause prétendue noble et justifiée, le mal n’est pas permis, Mademoiselle Adams. Ces hommes que vous désignez devront eux-aussi être punis pour leurs méfaits, comme je l’ai dit… Mais certainement pas par la mort… C’est vraiment une… »

Mais il fut interrompu par une voix qu’il connaissait bien, depuis quelques temps : celle d’Esther. Et elle était loin du calme qu’elle avait suggéré à ses élèves, tonnant et vociférant en bondissant hors d’un petit salon, visiblement mise furax par une demoiselle au sourire espiègle qui ne dit rien de bon à Lucas. Il n’avait aucun souvenir d’elle… Melle Kofman se dirigea vers le buffet, non loin de sa propre position, donc. Brièvement, il jeta un œil à Abaigh, en prise avec le poète-avocat véreux et aux idéologies sonnant aussi faux que sa sincérité. Elle ne pouvait pas abandonner son poste, alors que lui le pouvait…

« Mademoiselle Adams, veuillez nous excuser, mais nous avons à faire. Nous nous recroiserons sans doute au cours de la soirée… »

Et sans plus de détour, il la salua d’un signe de tête, emportant Cindy dans son sillage en profitant du fait qu’elle lui avait saisi la main avant de parler à Lucy. Il se dirigea avec elle jusqu’au buffet, profitant du trajet pour lui murmurer à l’oreille :

« J’espère qu’elle tirera des leçons de cette conversation, même si… j’en doute… »

Il lui fit un clin d’œil, un sourire, et Lucas se tourna vers le buffet où Esther fulminait autant que les petits fours.

« Lucas au rapport… Vous connaissez Cindy Phoenix, je crois… »

Mais l’heure n’était pas aux mondanités : Lucas n’avait pas envie de se faire gifler par sa prof référente.

« Que s’est-il donc passé là-dedans qui vous ait mis dans cet état ? Qui est cette femme ? »

Cela ne le regardait peut-être pas, mais bon… Il voulait quand même le savoir, et s’inquiétait pour Melle Kofman, et pour la raison de leur présence ici…

Après tout, nul n’avait encore aperçu John Jacob, ce soir… Et ça, ça le regardait, et pas qu’un peu !

Lucy Adams fusilla une nouvelle fois le duo humaniste du regard. Visiblement son agacement n'allait que grandissant. Et c'est d'une voix sèche qu'elle accueillit la fin de leur conversation :

"Que cela vous plaise ou non, je suis seule maîtresse de mon Tribunal. Et si votre sensibilité d'assimilé vous empêche de vous satisfaire de l'exécution de criminels dûment jugés, vous n'aurez qu'à regarder ailleurs... Continuez à faire pousser des fleurs, chantez des protest songs assis en tailleur, nous pendrons nos accusés avant le nouvel an..."

Cindy se laissa, quant à elle, entraîner avec soulagement. Serrant sa main un peu plus fort dans celle de Lucas.

"Elle fout les jetons... Parce qu'au fond sa révolte, son radicalisme me rappellent que notre combat est difficile : prôner la paix et la concorde dans un monde en flammes est-ce vraiment réaliste ? John est si fort qu'il me fait penser à Jaurès. Mais ils l'ont tué. Et j'ai peur qu'un jour il reçoive plus qu'une lettre anonyme..."

La jeune chercheuse sourit timidement : un peu de calme lui aurait fait tant de bien... Calme qu'Esther était bien incapable de lui donner. L'ethnopsy regarda furieusement Lucas et son amie. Puis, prenant une grande inspiration, la mutante israélienne lâcha, un brin confuse :

"Oui, oui je me souviens... John m'a parlée de vous. Et je crois même que je vous ai donné un cours ou deux, il fut un temps... Mais là bas..."

Elle se saisit maladroitement d'une coupe de champagne.

"Là bas, ils ont ce fumier de Vilsmaier !" s'indigna Esther. Puis, tentant sans grand succès de se calmer, elle ajouta :

"C'était un de nos ravisseurs quand Nemo a fait des expériences sur moi... Nous l'avions laissé filer à l'époque... Mais je ne pensais pas que ce serait LUI le prisonnier du PISS ! Et qu'il bénéficierait d'une sorte d'immunité en échange de renseignements..."

Elle but quelques gorgées de champagne et ajouta :

"John est à l'intérieur. Avec un flic, André Épaulard ainsi que Vilsmaier. Et cette femme..."

Esther la désigna d'un air agacé :

"Cette femme travaille pour le PISS. C'est une mutante. Une thermokinésiste. Et oui, je la connais. C'est même ma cousine..."



"Ah, une amoureuse des arts et des lettres !" s'exclama avec emphase l'avocat. Puis bombant le torse, il ajouta :

"J'adore les sportives ! J'en ai aimé beaucoup. Et beaucoup m'ont aimé. Elles sont si souples et si..."

Il prit une autre coupe de champagne qu'il vida aussi sec. Son oeil commençait à s'éteindre. Et ses gestes étaient de plus en plus hésitants.

"J'aime une irlandaise / Et c'est sa main que je baise / Elle court, elle court / L'Irlandaise, mon amour / Matin de Dublin, Printemps Etats-Uniens / Ce coeur sourd devient gordien..."

Lloyd se pencha pour tenter d'attraper la main d'Abaigh et la mener à ses lèvres. Le regard pétillant de désir.

"Ma chère demoiselle, ne faites pas attention à celles-ci... L'une est flic au PISS, l'autre je ne sais pas. Mais l'Agent Haza garde en détention plusieurs de mes clients. Nous ne sommes pas en très bon termes donc. Quant à Paris... Seriez-vous heureuse de visiter le duplex que le cabinet me permet d'occuper à Saint-Germain-des-Prés ?"

"Oh, ils comprendront, je suis sur..."

Lloyd vacillait quelque peu. Et il avait de plus en plus de mal à regarder Abaigh dans les yeux : l'avocat semblait piquer du nez.

"Et puis, c'est un duplex, ils resteront au rez-de-chaussée pendant que nous irons... en haut. Pour..."

Le baiser déposé sur sa joue fit sursauter l'avocat. L'air totalement stupide, il recula pour s'appuyer contre le mur. Puis voyant l'irlandaise s'éloigner, il lui fit un petit sourire triste de la main... Avant de saisir au vol une autre coupe de champagne !

*
**

L'irlandaise avait enfin rejoint Esther, Cindy et Lucas.

"Oui ma cousine" lâcha Esther, toujours aussi furax, toujours aussi brusquement.

Puis, elle se sentit tenue de préciser :

"Nous ne sommes pas en bon termes"

L'israélienne était agitée. Presque hystérique. Elle trempa à nouveau ses lèvres dans une coupe de champagne. Respira un bon coup. Et poursuivit :

"C'est ça. Vilsmaier a négocié sa peine et son lieu de détention, en gros... Les agents du PISS en échange ont obtenu des noms, des adresses et sa participation en tant que témoin au procès à venir devant la Cour Pénale Internationale"

Visiblement, cela n'enchantait pas Aleph.

"Bien entendu Génosha est furax. Et John essaye de faire tampon entre Lucy Adams et la Direction du PISS. A la base, Adams devait pouvoir interroger Vilsmaier sous la surveillance des flics, Épaulard et ma pauvre cousine... C'était ça le deal. Et c'est la raison de la présence de ce criminel ici. Mais... Visiblement Lucy Adams a changé d'idée... Elle n'a pas voulu communiquer de la soirée"

Faisant signe aux 3 jeunes gens, les deux mutants et l'humaine, de la suivre, Esther se dirigea vers la pièce qu'elle avait quitté précipitamment quelques instants auparavant...

"Nous n'allons pas tarder à aller voir ce testament finalement. Mais je vais vous présenter tout de même..."

Passant devant sa cousine, Aleph lâcha froidement :

"Ma cousine, Zoahara Haza..."

La jeune femme leur fit un grand sourire amusé qui contrastait pleinement avec la froideur de leur référente...

A l'intérieur, dans un petit salon se tenaient 3 hommes...



John Jacob, bien entendu...



Un type avec un veste élimée et un nœud qui le faisait ressembler à un œuf de Pâques... Cindy, l'apercevant, sourit toutes dents dehors, lâcha la main de Lucas et s'écria :

"Épaulard !"

L'homme semblait également content de voir la fille. Même si un truc dans son regard ou dans son maintien montrait qu'il cachait quelque chose... De même, le policier rangea rapidement un message qu'il tenait à la main.

Enfin, le dernier buvait du thé et ne semblait guère ravi de tant d'agitation... Il portait également un uniforme sombre.



"Les enfants qui vont ont été confiés sont-ils tous morts que je n'en reconnaisse pas un seul, Mademoiselle Kofman ?" demanda l'homme au manteau long. "Et puis, ne rêvez-pas, Mademoiselle Kofman, je ne serai pas vraiment jugé... Une simple assignation à résidence dans une île paradisiaque... Si j'avais su ce qui allait m'arriver je me serais rendu plus tôt !" fanfaronna Vilsmaier.

Abaigh ne tarda pas à rejoindre le trio Esther-Cindy-Lucas près du buffet de la soirée. Apparemment, elle en avait fini avec Llewellyn pour le moment, et en un regard, Lucas put le voir appuyé contre un mur, certainement un peu groggy par le champagne… A moins bien entendu que l’irlandaise ne lui ait fichu une bonne trempe pour mauvaise conduite. Même s’il ne partageait pas l’intimité de la jeune mutante cloneuse, il lui connaissait un caractère vif et réactif, tout était donc possible. Pendant que sa compatriote de l’institut revenait de son périple au pays du Droit pénal, Lucas écouta la réponse d’Aleph, qui précisa un peu inutilement qu’elle n’était pas en très bons termes avec sa cousine. Ça crevait les yeux ! Et Lucas n’avait aucune envie de s’immiscer dans les histoires de famille d’Esther. Il se contenta donc de hocher la tête à cette mention, et écouta la suite avec attention. Elle était en effet bien plus importante pour la raison de leur présence ici, à ce gala mutant, et pour comprendre l’énervement de l’ethnopsychologue.

Esther parla donc de l’ « arrangement » de Vilsmaier avec les agents du PISS. Le suédois avait entendu quelques rumeurs comme quoi les forces de l’ordre usaient parfois de tels stratagèmes douteux pour s’assurer une prise d’information correcte, mais n’y avait jamais réellement cru : pour lui, les criminels se faisaient avoir par cette technique et finissaient de toute façon le restant de leurs jours en prison, mais vu le sérieux et la colère d’Aleph, ça ne semblait pas être l’exacte réalité, et ce Vilsmaier allait sans doute vraiment se pourvoir d’un traitement de valeur. Une méthode un peu malsaine, qui fit grincer les dents de Lucas… Pas très honnête, tout ça… Il commençait à comprendre la position très campée de Lucy Adams – sans pour autant lui pardonner ses visions extrémistes – sur son refus de reléguer les criminels du 13 avril aux agents du PISS et au tribunal international.

Et là le nom de John Jacob fut prononcé : son rôle dans tout ça était de servir de tampon ente les autorités de Génosha et les humains du PISS. Rôle ingrat s’il en était, qui déclencha un léger déclic chez Lucas concernant la conversation qu’il avait eue avec Lucy Adams : ‘Jacob m’a fait venir ici pour trouver un arrangement acceptable’… Ainsi était-ce de cette affaire qu’elle parlait. Lucas crut bon de le préciser en un murmure à Esther, une fois qu’elle et terminé de parler de cette affaire, citant même la raison de la présence de la juge sur place.

« Heu… j’ai parlé à Lucy Adams, et je crois qu’il vaudrait mieux la tenir à l’œil… Elle ne semble pas du tout prête à se mêler au PISS de quelque manière que ce soit, et… apparemment elle n’hésite pas à faire étalage de ses pouvoirs… »

Entre un Vilsmaier mort et un Vilsmaier qui pourrait toujours être jugé ‘justement’, Lucas préférait largement la seconde solution.

Lorsque Mademoiselle Kofman se dirigea vers la pièce qui contenait tout ce beau monde, il lui emboita le pas en jetant un regard un peu angoissé à Abaigh : cette soirée ne se passait pas exactement comme il l’avait imaginée… Mais il resta tout de même sur les talons d’Esther, avec une certains avidité de revoir Jacob, après tout ce temps… Il frotta d’un doigt les pétales de la fleur séchée qui décorait sa boutonnière, et il salua d’un bref mouvement de tête la cousine d’Esther, une certaine Zoahara Haza.

« Bonsoir… »

Elle semblait de meilleure humeur qu’Aleph, mais Lucas crut comprendre qu’il ne s’agissait pas forcément d’une très bonne nouvelle… Ils pénétrèrent alors dans la pièce, et Lucas fit un bref tour d’horizon des personnes présentes : Un type habillé assez étrangement, avec un gros nœud autour du cou, dont Lucas apprit bien vite que c’était le fameux Epaulard par la réaction joyeuse de Cindy, sa cavalière, à sa vue. À côté se trouvait Vilsmaier, dont il avait vu le portrait caricaturé sur certains blogs, encadré d’une affiche ‘wanted’ comme dans les antiques westerns. À la plus grande surprise indignée de Lucas, il prenait tranquillement le thé, bien loin de son statut de prisonnier et de criminel de guerre. Le suédois l’imaginait tout de même muni d’une paire de menottes, au moins…

Et puis, il y avait… Jacob, John Jacob. Même s’il savait que ce n’était pas le moment pour partir en effusions joyeuses de retrouvailles, il ne put masquer son excitation à la vue du jeune homme, ses yeux gris brillant d’émotion et d’intérêt, son visage se parant d’une joie à peine contrôlée… Joie directement entachée par la remarque acerbe de Vilsmaier. Lucas serra les poings et les mâchoires. Pour qui se prenait-il, celui-là, à balancer de tels sarcasmes dans sa position, et des piques sur les morts éventuelles d’amis de l’institut. Tout de go, il lui répondit d’un ton un peu froid :

« Vous feriez mieux de garder pour vous ce genre de parole… Il serait dommage que vous vous voyiez rôtir autrement que sous vos palmiers… Et puis vous savez, les îles paradisiaques ne sont pas très sûres, de nos jours… »

Génosha en était l’exemple frappant. Lucas ne se voulait pas menaçant, mais se sentait le devoir de remettre à sa place cet inopportun trop bavard… Lorsqu’il avait évoqué la rôtisserie de Vilsmaier, le suédois avait jeté un regard en coin à sa référente calorifique… Il savait pertinemment qu’il ne fallait pas trop échauffer le caractère brûlant de la thermokinésiste.

Une fois le cadre placé, il put saluer le reste des personnes présentes, en particulier John Jacob…

« Bonsoir. Je suis Lucas Shaam, et j’accompagne Mademoiselle Kofman ce soir. John, ça me fait plaisir de vous revoir… »

Les mots ne pouvaient pas exprimer ce qu’il ressentait, mais sa voix tremblant l’excitation laissait bien deviner sa joie de revoir le ‘leader’ de l’Inter-MHT. Il avait utilisé le prénom du vieil homme de manière naturelle, comme il lui avait conseillé sur Génosha… Enfin, dans ses souvenirs du moins.

"Lucas !" gronda Esther en entendant les propos du garçon au sujet de Vilsmaier. L'israélienne lui lança un regard noir avant de reprendre, hors d'elle :

"Herr General, si vous n'étiez pas sous main de justice, je vous réduirai en cendres moi-même..."

Léger toussotement de la part de John Jacob. Visiblement tout le monde était à couteaux tirés et il était inutile d'en rajouter.

La chef des LeX eut un léger soupir et se ressaisit, tentant tant bien que mal d'oublier le sourire amusé qu'affichait ostensiblement le prisonnier.

Elle regarda à nouveau Lucas et, d'une voix neutre, lui signifia qu'elle était bien d'accord avec lui.

"C'est effectivement une menace. Et tant que nous ne saurons pas jusqu'où elle est prête pour arriver à ses fins, soyons vigilants..."

Le petit général s'indigna. Visiblement s'il ne craignait ni Aleph, ni les agents du PISS, l'évocation, même à mots couverts de Lucy Adams l'inquiétait.

"Hey ! Déjà que l'autre andouille de flic reçoit des courriers de menace, si en plus y a la folle génoshéenne ici, ma sécurité est compromise et notre accord ne tient plus !"

Épaulard se sentit obligé de préciser, d'une voix douce :

"Ne vous en faites pas. Il doit s'agir d'un canular. Le Murray en question qui est censé m'avoir écrit cette lettre de menace de mort est hors circuit... La situation est sous contrôle..."

"Je l'espère" lâcha simplement John d'un ton résigné... Il semblait avoir pris un bon coup de vieux. Ses nouvelles fonctions avaient déjà du l'user... Quoi qu'il en soit, il afficha un franc sourire à l'attention d'Abaigh et Lucas :

"Bonsoir les enfants... Je suis content de voir les élèves de ma petite rose des sables... Et je reconnais cette fleur ! Mais..."

Il regarda sa montre. Et fit un léger signe de la tête à Haza. La jeune femme acquiesça et explicita aux présents :

"C'est l'heure du testament. Épaulard, occupe-toi de Vilsmaier. Embarque-le dans la limousine avec les autres... Esther ? Tu viens, nous allons faire le chemin avec John dans le cabriolet..."



Tandis qu'Abaigh, Lucas et Cindy embarquaient à l'arrière d'une limousine noire, un fâcheux vint à leur rencontre : Maître Lloyd Llewellyn en personne.

L'Inspecteur Épaulard jeta un regard noir à l'avocat mais celui-ci fut plus rapide à dégainer son arme principale : sa verve. Il débita un discours hallucinant et expliqua tout simplement - au plus grand étonnement de Vilsmaier - que ce dernier était l'un de ses clients et que, bien entendu, il se rendait aussi chez le notaire pour le testament.

La voiture qui transportait John Jacob, Esther et sa cousine venant de démarrer, Épaulard décida d'autoriser la présence de Llewellyn à l'arrière du véhicule, avec Cindy et les deux mutants.

A peine l'avocat eut fini d'installer sa grosse carcasse à l'arrière de la limousine, que celle-ci démarra en trombe : pas question de perdre de vue le cabriolet.

Nulles paroles ne furent échangées pendant le déplacement sur les boulevards parisiens. La circulation était fluide et la nuit claire. Une magnifique pleine lune finissait de conférer un certain romantisme à une ambiance, malheureusement bien tendue.



Épaulard indiqua simplement quand la limousine s'engagea sur le pont de l'Alma qu'ils n'étaient plus très loin du point de rendez-vous...



Finalement, le véhicule s'engagea dans une série de petites rues, avant de déboucher sur un embranchement avec une ligne de tramway... Tant la limousine que le cabriolet qu'elle suivait fidèlement levèrent le pied... Et ce fut Llewellyn qui apporta la précision quant à leur localisation, de sa voix franchement imbibée :

"Oh, je me souviens... Chère Mary, l'étude de Cacheux n'est plus très loin..."

Puis, soudain, André Épaulard dit, d'une voix qui avait perdue toute douceur, toute humanité :

"Le Seigneur est mon Chauffeur"

Avant que quiconque ne puisse réagir, il écrasa la pédale de l'accélérateur et frappa violemment le cabriolet qui se renversa sur le côté. La limousine, quant à elle alla finir sa course contre un poteau téléphonique...

A l'arrière tout le monde avait été secoué... Llewellyn était plus ou moins dans les vapes. Cindy tentait déjà de défaire sa ceinture pour aller voir ce qui se passait dehors. Et Abaigh et Lucas présentaient de très légères contusions... De ce qu'ils purent voir du compartiment conducteur la tête d'Épaulard était écrasée contre le volant et Vilsmaier venait d'ouvrir la portière pour quitter en toute hâte le véhicule...

Et dehors, ils entendaient des bruits violents... Comme si l'apocalypse venait de commencer...

Les clones d'Abaigh formèrent rapidement un cercle tout autour de la limousine accidentée. Cela ferait une première barrière contre les riverains... Mais allait-elle tenir longtemps ?

Pendant ce temps, Esther continuait de se battre avec Haza. L'affrontement était violent et le pauvre cabriolet était en pleine fusion. Ce mélange d'arts martiaux et de thermokinésie avait de quoi terrifier ! Les deux combattantes semblaient être d'un niveau égal et le combat était parti pour durer...

Cindy sortit du véhicule, en fit le tour rapidement et annonça après avoir examiné Épaulard.

"Il est mort..."

Elle récupéra son arme de service. Et la serra fébrilement... L'inquiétude se lisait dans son regard.

Vilsmaier, quant à lui, ne savait plus trop où aller... Tiraillé entre l'envie de fuir et celle de se planquer... Mais où ? Bizarrement la voiture ne semblait pas être la plus mauvaise des cachettes.

Tout était devenu fou. L'homme qui courrait l'instant d'avant enflammé, s'écroula au sol, après avoir franchi la barrière irlandaise... et les flammes comme par magie disparurent, laissant la place à un léger givre... Il était suffisamment près des mutants - peut être 5 mètres - pour ne laisser aucun doute quant à son identité : John Jacob. Par ailleurs, de manière concomitante, l'une des deux belligérantes (mais laquelle ? Difficile à dire avec toute cette vapeur dégagée) fut mise au tapis... Sans que le combat cesse pour autant.

Déjà les clones se bagarraient avec les riverains. Ces derniers semblaient ignorer la douleur ou les blessures. Et rapidement, cela ne faisait aucun doute, les doubles d'Abaigh seraient submergés.

Sans compter les coups de feu venant des fenêtres qui commençaient à retentir en direction de la limousine réveillant à peine le pauvre avocat ivre...

Décidément, Cindy, Lucas, Abaigh et Vilsmaier, protégés par la faible barrière humaine, étaient au milieu d'un beau pétrin !