Albany, un nouveau départ

La station de bus était une de ces grandes stations qui desservaient, via des bus de bon standing, les différentes villes de l'Etat. Un moyen de transport relativement économique, compte tenu de temps à passer dans les engins, qui fonctionnaient tous au moyen d'une pile à combustible embarquée.

La plupart des arrêts étaient propres, les bancs en ordre, le sol balayé, mais un arrêt dénotait parmi tout cela : jonché d'ordures, le banc couvert de tags globalement illisible, car recouverts d'un certain nombre de tracts montrant l'effigie d'un homme, manifestement un religieux catholique, brandissant une grosse croix en or sertie de pierres précieuses, et criant "Sus aux mutants, parquez-les, Purifiez-les !"

C'est avec une certaine amertume que June put remarquer que cet arrêt était celui où devaient se placer les gens en route pour Salem Center...

Les craintes de June furent rapidement fondées, car à peine eut-elle fait quelques pas, dans l'attente du bus, que quelqu'un vint la voir. D'un pas tranquille et assuré, une bure noire flottant au vent. Il s'avança et toisa June d'un regard perçant et assuré, enchâssé dans un visage dont les rides et la barbe taillée soigneusement trahissaient un âge certain, mais en même temps une force intérieure contenue. June put sans peine reconnaître Benoît Saize, l'homme sur les tracts

"Eh bien ma fille... Que faites-vous en cet endroit maudit ? N'êtes-vous pas au courant que le bus que vous comptez prendre vous emmènera tout droit en enfer ?"

Le prélat se pencha légèrement en avant, pour mieux voir le visage et les yeux de June, d'un regard inquisiteur. Puis il tourna théâtralement les talons pour faire quelques pas avant de se retourner à nouveau.

"Non ma fille. La vérité est bien pire que ce qu'on raconte... Ces monstres sont des fous sanguinaires qui ont assassiné une quantité innombrable de personnes durant une visite de leur repaire... Un misérable piège dans lequel de trop nombreux innocents ont trouvé la mort. Moi-même, je manquais de me faire assassiner par ces enfants, dressés à un âge proche du votre à tuer sans réserve tous ceux qui tenteraient de leur résister."

Comme pour ajouter à l'ambiance dramatique, un vent glacial se mit à souffler.

"Comment s'appelle votre tante ? Êtes-vous sûre qu'elle sera encore en vie quand vous arriverez ?"

"Bien, bien, bien, bien, bien...."

Le prêtre n'écouta pas vraiment le reste de ce que disait June, préférant jeter un regard en direction des phares du bus qui approchait. Il se retournera vivement quand elle parla du Seigneur.

"Le Seigneur ? Il n'a que faire des gens qui vont risquer leurs vies dans un repaire du mal. Je peux vous aider, si vous voulez... Moi et mes fidèles sommes toujours prêts à soutenir une personne qui vient s'égarer dans des lieux pareils... Suivez mon conseil. Dites à votre tante de déménager... Nous pouvons l'aider elle aussi."

Le père la laissa monter dans le bus sans rien dire, un sourire bienveillant affiché aux lèvres.

La chauffeuse du bus, une femme d'une quarantaine d'année dont, visiblement, l'unique peur était qu'un inconnu lui offre des fleurs et semble s'intéresser à elle. Une fois son billet contrôlé, June put s'assoir où elle voulait, le bus était parfaitement vide et propre.

Les portes se refermèrent, et le bus démarra sans bruit, produisant tout juste un petit sifflement.

La majeure partie du trajet s'effectua sans encombre, quelques autres passagers rejoignirent June et, comme toujours, se placèrent aux antipodes les uns des autres.

La plupart de ces gens étaient endormis pendant que le bus était sur une route nationale lorsqu'un bruit d'explosion se fit entendre et que le bus quitta la route, réveillant les passagers qui se mirent à hurler.

La conductrice se leva dans l'allée et ouvrit les portes.

"Est-ce que tout le monde va bien ? Les pneus ont explosé, je ne sais pas pourquoi. Je vous conseille à tous de sortir et de vous éloigner du bus, je vais actionner la balise pour demander des secours, ils devraient rapidement arriver. En attendant, sortez dans le calme."

Marchant tranquillement, June buta sur quelque chose de métallique. Un panneau indicateur renversé. Là encore, passablement taggué, mais on pouvait encore y déchiffrer un 4km.

Elle se retrouva finalement le nez contre le panneau, plaquée au sol, légèrement étourdie, et une sensation cotonneuse dans les oreilles, alors que des débrits incandescents tombaient de partout autour d'elle.

Une certaine agitation règnait. Des gens courraient... Était-ce les autres passagers ?

Une voix se fit entendre au dessus de June, alors qu'elle se faisait relever vivement par quelqu'un qui lui tirait sur le col.

"Debout ! Avec les autres !"

Un regard de côté où se trouvait le bus, il n'y avait plus qu'un cratère. l'inconvénient des nouveaux moteurs, s'ils explosaient, c'était l'apocalypse... Mais normalement, ils étaient prévus pour résister à des tirs d'armes automatiques.

June put alors voir qu'un petit commando armé de lance roquettes portatifs tenait les différents passagers en otage, dans un coin de la prairie traversée par la route. Le commando était tout vêtu de noir, mais, paradoxalement, une grosse croix religieuse rouge ornait le dos de leurs blousons.

Les preneurs d'otages ne dirent rien, et laissèrent le groupe d'otages un petit peu interdits dans leur champ. Les gens parlaient, s'asseyaient. Seul quelqu'un essaya une fois de s'enfuir, et il fut rattrapé fermement, mais sans violence inutile, et ramené dans cet espèce d'enclos humain.

Quelques instants plus tard, un bus vint. Non pas le bus attendu, celui qui avait été appelé par la chauffeuse du bus, mais un qui venait de Salem Center. Il était tout blanc, ce qui contrastait avec le noir des preneurs d'otages, toutefois, la même croix rouge se trouvait dessus.

Il s'arrêta à proximité de l'enclos, et comme prévu, Benoit Saize en descendit. Un gros missel à la main.

"Mes enfants, je suis ici pour vous sauver de l'apocalypse qui vous attendait... Mon coeur ne pouvait se résoudre à vous voir vous rendre, innocents comme les agneaux que l'on emmène à l'abattoir."

Il les regardait tous d'un air bienveillant, et la plupart des gens se dirigèrent vers le bus, bien décidés à quitter le milieu de nulle part, quitte à prendre le monorail ensuite !
Lorsque son regard se posa sur June, il avait l'air nettement moins accueillant.

"Vous avez tous été bernés... Par cette fille !"

Il pointa un doigt inquisiteur sur June, et les regards des autres passagers se tournèrent vers elle. Dans le style manipulateur des foules, Benoit Saize s'y connaissait...

"C'est une mutante et une menteuse. Une envoyée du malin qui venait vous livrer au créateur de son engence maléfique..."

Le coeur de June rata un battement. C'était bien elle qu'il désignait ? Ce type avait un détecteur de mutants à la place du cerveau ou quoi ? Maintenant, elle commençait vraiment à avoir peur. Comment s'en tirer ? Elle ne pouvait pas fuir et elle avait tout le monde contre elle... Génial, n'est-ce pas ? Complétement tétanisée, elle recula, comme si le doigt du Père avait été chauffé à blanc.
En revanche, les derniers mots de l'extrêmiste la firent réagir et une profonde colère s'empara d'elle, plus forte que la peur qui cessa de la paralyser. D'habitude, elle aurait réfléchi. Mais d'habitude n'incluait pas de telles conneries sur les mutants.
"Mon créateur ? Mon père, vous voulez dire ? Il n'est pas si malin que ça, d'ailleurs je le bats au Scrabble."
Elle se tourna brèvement vers les autres passagers, puis vers les gars qui tenaient des armes et enfin revint au visage de Benoît Saize.
"Comment auriez-vous voulu que les livre à..", elle fit mine de réfléchir, "au créateur de mon engeance maléfique ? En les mordant ? En faisant exploser les pneus ? Hé bin nan. Manque de chance, moi, j'ai rien fait et jamais eu l'intention de faire quoi que ce soit. Et encore dommage pour vous, c'est vous et pas moi qui avez fait exploser les pneus, c'est vous qui nous avez tenus en otages, et devinez quoi ? C'est vous qui pointez vers nous des lance-roquettes. Entre vous et une gamine qui a jamais rien demandé à personne, il y a de quoi douter, vous ne trouvez pas ? "
Et puis, avec l'énergie du désespoir, elle lui balança, les yeux brillants de larmes qui peinaient à sortir :
"Vous êtes complètement malade."

Le saint homme ne répondit rien du tout. Se contentant de fixer June. Les autres passagers du bus hésitèrent un instant : entre ficher le camp et éviter les problèmes et tenir front à des commandos, le choix était vite fait. Ils entrèrent dans le bus en esquivant le regard de la jeune fille. Une fois que tous furent rentrés dans le bus, le père jeta un regard à un membre des commandos et fit un petit hochement de tête. Les autres commandos entrèrent à leur tour dans le bus, et Benoit Saize à son tour. La porte se referma, et le bus fila.

Le dernier commando restant sortit alors une arme de poing, et la pointa sur June.

Difficile de dire combien de temps s'écoula entre le moment où June se recroquevilla et celui où l'impensable se produisit.
Un fort bruit métallique se fit entendre, suivi par la chute d'un corps.

"C'est fini ma cocotte."

La voix un peu rauque de la conductrice du bus se fit entendre. Elle avait assomé le ravisseur avec le panneau indicateur vu un peu plus tôt. Elle semblait toutefois moins vaillante qu'au premier jour, mais...

"T'en fais pas pour moi. J'ai déjà vu des hommes, et c'est pas celui là qui arrivera à me tanner le cuir."

Elle lui recolla un coup de pieds dans les côtes.

La chauffeuse regarda son panneau indicateur qui avait maintenant une grosse bosse, puis son bus... Enfin... les roues et le chassis, parce que le reste ne ressemblait plus à un bus.

"Bah oui que je vais à Salem... Dans l'autre sens, y'en a pour 50 bornes avant de retrouver la civilisation, alors j'ai autant aller dans ce sens là... Et je me ferai rapatrier depuis là-bas. D'ailleurs, je vais faire des photos, comme ça mon patron me donnera une prime de risque, depuis le temps que je lui dis..."

Elle sortit son portable, et prit des photos du bus, et de l'agresseur, avant de se mettre en route.