[3.11]Paris - La Défense : Attaque

« Forcément, pensa-t-il jalousement en regardant Ivy, lorsqu’on peut faire apparaître un arbre de ses fesses, on peut se permettre de faire la belle. » À peine eut-il le temps de contempler la démonstration prodigieuse de l’Irlandaise que le crépitement soudain de sa console lui fit prendre un pas de recul. Son nouveau jouet venait d’être anéanti par sa partenaire, de quoi l’enrager puisqu’à présent, il ne pouvait plus éteindre cette maudite alarme. Il aperçut du coin de l’œil un garde se ruer sur lui, le plaquant au sol pour commencer une strangulation plutôt efficace.

Ses joues virèrent progressivement d’une bonhomie rosée en un rouge suffocant ; ses yeux regardèrent impuissant le militaire s’acharner ainsi sur lui lorsque soudain Sahari se débarrassa du soldat. Après quelques longs toussotements, il remercia le professeur. Toujours allongé au sol, il constata tristement l’inconfortable et équivoque situation dans laquelle lui et l’inconscient se trouvaient. « Désolé Gilbert, déclara-t-il entre deux souffles, ce n’est pas que t’es répugnant, mais les militaires ne m’émoustillent pas. »

D’un mouvement brusque de l’épaule, il dégagea le corps pour enfin se relever. De nouveau, il fixa Ivy O’Willow avec médisance. Pourquoi cette fille possédait-elle autant de pouvoir ? Qu’avait-elle de plus pour se montrer à ce point indispensable ? Il la détestait. Une haine injustement dirigée à son égard, mais si croissante de secondes en secondes qu’il ne pouvait s’empêcher de la maudire. Lui n’avait pas ses capacités d’apprentissage, jamais il ne maîtriserait son don avec autant de maestria que cette Irlandaise aussi naïve que niaise. Sous ses airs de simplettes aux raisonnements enfantins, elle masquait une puissance capable, par deux fois, de venir à bouts d’un bataillon de soldats surentraînés. Et elle se trouvait dans un environnement étroit et urbain, à croire que si les conditions étaient à son avantage, c’est une armée entière qui se fracasserait contre ses murs de cimes et de plantes. À son niveau, on ne parlait plus de potentiel, mais de volonté divine. Elle contrôlait les végétaux, les domptait sous sa volonté excentrique et d’un seul caprice, elle pouvait complètement changer l’aridité d’une région. De quoi rendre furieux Daedalion qui n’était qu’à peine capable d’alimenter une télécommande.

« Elle m’énerve, hurla-t-il en se dirigeant vers le couloir dégagé, c’en est grotesque ! Chef, je vais essayer de voir si on trouve la porte menant aux escaliers, hors de questions de remettre les pieds dans ce maudit S.A.S. Ho et Dryade ?! C’est moi qui détruirais cette foutue machine. » Il ne s’en rendait probablement pas compte, mais il devait passer pour un lunatique à lancer ainsi un défi complètement bénin à une personne qui ne se souciait guère de lui.

Il passa près de l’allumette qui gigotait au sol dans des hurlements abracadabrants et prit soin d’éviter tous contacts avec sa peau enflammée. « Je te serais bien venu en aide Flare, mais je ne me vois vraiment pas braver un mur de feu pour te faire un bandage. » Alec, quant à lui, était toujours aux prises avec l’un des gardes. Bien que désireux de lui venir en aide, il jugea plus judicieux de s’abstenir afin de laisser à Jay le beau rôle. Le télékinésiste devrait pouvoir se débarrasser du soldat avec bien plus de facilité que Daedalion qui, au fond, n’était qu’un maigrichon possédant une force moyenne. Il s’approcha de la porte et jeta un dernier regard au Serbe dont l’épaule devait faire atrocement souffrir, mais il devina l’inutilité évidente de faire une attelle à un ostéokinésiste. Il sortit finalement de la pièce pour se diriger vers la porte la plus proche, rebranchant dans sa démarche le communicateur. Ils devaient progresser dans les locaux et le jeune homme était bien décidé à prouver sa place dans l’équipe d’assaut quitte à risquer sa vie. Si l’absence de garde le lui permit, il essaya d’ouvrir la porte menant à la pièce quatre.

Quelle déception lorsqu’il ne découvrit qu’un vulgaire dortoir mis à la disposition des gardes. Dire qu’il était persuadé d’avoir trouvé la salle des machines avant tous ses coéquipiers, et qu’à l’instar il avait choisi la pièce la plus inutile qui soit. Pas même une arme ne traînait entre les lits ni même quelques magazines malsains qu’il aurait pu revendre à l’institut. Après tout, fallait bien penser à l’avenir de temps en temps, sans quoi il finirait pauvre, serbe et prostitué. Vraiment pas la qualité de vie qu’il préconiserait à quelqu’un si attaché au confort.

« Je n’ai pas envie de pisser, répondit-il à Dryade lorsqu’elle le rejoignit, je vais juste rétablir l’équilibre des choses. Ce n’est pas normal qu’une irresponsable comme toi soit la plus puissante d’entre nous, c’est un peu comme si Dieu avait donné aux ornithorynques la faculté de penser. » La voix de Sahari se fit subitement entendre dans le communicateur soulevant un pertinent état de fait : plus de gardes, plus d’alarmes. « Tsss, pensa-t-il avec vocabulaire, pourquoi que j’y ai pas pensé ?! » Chaque minute qui défilait lui révélait progressivement le gouffre de puissance qui le séparait d’Ivy et d’expérience de Sahari.

Il sortit de la pièce, enjamba le corps métallique sans surprise et rejoignit son professeur et sa coéquipière dans la majestueuse salle informatique. Tous ces réseaux électriques le rassuraient, si jamais ses ennemis venaient à user de l’électricité pour les abattre, il n’aurait qu’à feindre la mort. Il se déplaça entre les circuits, regardant les diodes et le fameux champignon, mais, par égard pour feue madame la console, il ne toucha à rien. Il ne désirait pas réitérer la maladresse informatique qu’il avait causée. « Ça ne serait pas ça le fameux mécanisme ?! Vu la taille de la salle et de toute cette machinerie, il plaça alors son index sur son front pour le gratter doucement, ça ne m’étonnerait pas que l’on ait touché le gros lot. Désolé Orion… Mais, de grâce professeur ne frappait pas sur l’appareil comme sur la vitre, essayons d’en avoir le cœur net avant de marteler des objets inanimés. »

Et voilà ! Il l’avait fait ! Balancer un sarcasme sur un professeur, un rêve d’enfant meurtris enfin réalisé. Après une courte jouissance intellectuelle, il parcourut le lieu, longeant les murs et s’émerveillant du jeu coloré des diodes. Il fit rapidement le tour avant de venir se placer aux côtés de Iacobo. « Il lui est arrivé quoi à Orion ? Simple changement de style ou un cadeau du garde ? »

Du coin de l’œil il regarda le satyre avec remord. Dire qu’il était passé à ses côtés sans même lui apporter son aide. Pendant plus de dix secondes, il fut dévoré par le regret, puis, il s’auto convainquit qu’après tout, si un type de son gabarit n’était pas capable de vaincre le garde, qu’est ce qu’un Dandy comme lui aurait bien pu faire ? Il haussa les épaules avec nonchalance et attendit la suite des évènements.

Pour un amateur de hautes tenues vestimentaires, il fut difficile de contenir son extase devant une pièce d’une telle qualité. « Ça c’est du costard, lâcha Daedalion avec une fascination presque enfantine, quel dommage de le ruiner avec une telle tronche amorphe. » Il regretta presque immédiatement ses paroles. La création des canons n’échappa pas à son regard de Dandy épuisé par la bataille et, persuadé de sa propre importance, il s’imagina immédiatement la cible prioritaire de « machine ». Un magistrale : « et merde » traversa ses pensées tandis que Math et Sahari réagissaient d’ores et déjà à une situation périlleuse. L’une, amatrice incomprise d’objets tranchants et contendants, balança des poignards et l’autre, jeune skater à la gueule appréciable et aux hormones évidents, tenta d’enflammer les créations du stoïque.

« Je ne bouge mes miches que pour l’homme que j’aime », répliqua intelligemment Daedalion à Ivy alors qu’il la suivait, traîné par le poignet. La rouquine dispensa des ordres avec un aplomb déconcertant, de quoi enrager de nouveau l’ex-détenu à la fierté inexistante. « Ce n’est pas que je veuille détruire cette machine pour sauvegarder notre espèce, Dryade, je veux prouver à l’univers l’injustice qui m’accable. » Sur ces mots emplis de modestie, il se détacha de la grippe de l’Irlandaise pour lui aussi, se mettre à couvert derrière une unité.

« Je ne sais pas qui sont Loom et Pulse, mais merci du briefing. » Daedalion agrippa d’une main un ensemble de câbles, serrant de toutes ses forces sa prise tout en cherchant à rester hors du champ de vision de « machine ». « Des projets tu dis ? Continua-t-il tout en réfléchissant au geste à adopter, comme quoi ? Après un sauna, tu vas bâtir un hammam ? Inventer une nouvelle salade directement à partir de l’écorce de ta peau ? Ou simplement essayer déterminer l’apport patriotique d’un trèfle tatoué sur les fesses d’un Leprechaun ? Tu pourrais faire tellement de bien avec ton pouvoir, je te hais justement pour l’usage complètement abruti que tu en fais. Je me demande ce que la sentinelle dirait si une mutante venait à vaincre l’aridité d’une région dévastée par les affres de la famine. Tsss, au lieu de ça, tu fais des saunas. Toi et Cloud, vous êtes amis non ? Imagine le bien que vous pourriez accomplir juste en combinant vos pouvoirs. » Il jeta un dernier regard à Ivy, ses yeux furieux montraient l’absolu mépris qu’il ressentait à son égard. « Je hais les Candides dans votre genre ! »


Son cri le surprit lui-même, le son de sa voix s’était complètement métamorphosé pour devenir aussi grave qu’un ténor d’opéra. Il profita de son hurlement pour tirer d’un coup sec sur les câbles dans l’espoir de les arracher. Il n’avait jamais testé son immunité à l’électricité et profitait de l’occasion pour le faire. Usant de sa rage pour dissiper ses craintes d’une mort par électrocution, il se lança dans une entreprise aussi hasardeuse que périlleuse.

L’Irlandaise possédait cette étrange imperméabilité candide dont disposent les enfants en bas âges, un don universel qui s’évince tristement avec la conscience croissante des adultes. Elle avait répondu aux attaques verbales d’un Dandy furibond par une vérité déroutante. « Il faut laisser sa chance au produit ». Une phrase qui trottait maintenant dans son crâne, martelant ses neurones avec un sadisme nouveau, une cruelle pensée envahissante détrônant tout son cynisme pour l’exposer à l’ampleur de son intolérance. Pouvait-il réellement juger une personne telle qu’Ivy ? Lui qui, lorsqu’il découvrit son don, s’était contenté de se jeter à la police pour quérir une aide. Il n’avait rien accompli de décent au cours de sa vie pour exiger la perfection d’une autre personne. Son inquisition était injuste, il pointait du doigt quiconque lui exposait ses défauts et tous dans cette pièce, (à part Iacobo), lui rappelaient la noirceur et la nocivité de chacune de ses paroles. Même Sahari révéla son ras-le-bol de cette attitude, elle qui avait jusqu’alors ignoré ses provocations.

Daedalion sortit son paquet de cigarettes et se saisit de l’une d’elles qu’il glissa entre ses lèvres. Il s’alluma sa drogue avec une extase non dissimulée et aspira une première bouffée de fumée en une grimace orgasmique presque indécente. « T’as peut-être raison Dryade, dit-il une fois son faciès de nouveau normal, mais j’émets quelques réserves. Je suppose qu’on verra ta vraie valeur une fois ton potentiel maximal acquis. En attendant… » Il leva les yeux au plafond, rabaissa ensuite ses pupilles au sol et se gratta vivement la tête ce qui fit virevolter frénétiquement ses cheveux. Il maugréa alors dans sa barbe un murmure arraché à ses entrailles qui symbolisait parfaitement la douleur de cette parole sincère : « pardonne-moi ».

« Hey Math, reprit-il sur un ton plus prononcé, tu veux peut-être le torturer aussi ? En plus, tu salis ce beau costume. Pour ma part, je ne suis pas un animal, hors de questions que je vous laisse faire. Je propose qu’on le laisse partir ». Il ne pouvait certainement pas imaginer la douleur des autres élèves qui avaient perdu des proches dans la bataille, mais pour sa part, ramener un cafard dans son logis ne pouvait que déclencher une invasion de son espèce. S’il avait bâti une telle machine, d’autres essaieraient de s’accaparer son savoir. Un scientifique de cette envergure ne pouvait être maintenu captif, il disposait du même privilège que ces scientifiques nazis qui trouvèrent asile dans les pays vainqueurs en échange de leurs expertises. Il était intouchable, le seul moyen de s’en débarrasser serait de l’achever, mais il s’opposait aussi à accomplir une barbare exécution. Même la pestilence que dégageait une telle créature intolérante ne méritait pas une ascension sur l’échafaud, alors à défaut, autant le remettre en liberté en espérant qu’il retienne la leçon. Il inhala de nouveau du tabac et se dirigea vers les armoires, alors qu’il allait les ouvrir, il eut une idée.

« Pourquoi on ne mettrait pas le feu au complexe, déclara-t-il avec une pyromanie prononcée, on aura pas à chercher les plans et on lancera un message à tous vos… Non, nos ennemis». Il marqua un temps d’arrêt puis conclu : « Par contre, j’embarque le costard quoiqu'il arrive. »