[Oryx 4.1] Coup de Gong

Bureau de Carrie

Après avoir discuté avec sa collègue des options qui s'offraient à elle pour renouer avec ses nouveaux élèves, Sahari décida de faire un peu de paperasse dans son bureau. Et de préparer son prochain cours. Elle n'aurait jamais imaginée que Carrie, qui avait dit qu'elle irait croquer un morceau, s'arrêterait au salon pour régler un conflit qui, une fois encore, impliquait une bonne partie de ses élèves. Aussi chantonnait-elle une berceuse de chez elle tout en classant quelques piles de papiers, jusqu'à ce que son téléphone sonne. Ça n'arrivait, pour ainsi dire, jamais. Elle lui décocha donc un regard suspicieux, avant de décrocher.

"Bonjour, ici Sahari..."
"Oui euh..."
"Eh bien... enchantée monsieur!"
"Oui, je vais l'appeler. Ça ne vous dérangera pas d'attendre un peu?"

Plus la conversation avançait, et plus l'africaine semblait aller de surprise en surprise, mais surtout elle gagnait en effervescence. Elle était désormais debout lorsqu'elle appela Camille, par son communicateur.

"Camille, j'aimerais que tu viennes immédiatement dans mon bureau."

S'apercevant que l'ordre pouvait paraître un peu plus sec qu'elle ne le désirait, elle ajouta vite-fait :

"Tu as un appel important, et je ne voudrais pas le faire patienter inutilement..."

Ensuite, en attendant l'arrivée de son élève, elle pris les évaluations qui traînaient sur son bureau et les rangea dans un tiroir, ainsi que divers autres documents qu'elle préférait ne pas laisser à la vue des élèves, puis elle lança un coup d'œil à la fenêtre.

Jardin - Mémorial

Camille s'arrêta, essoufflée, devant la porte de sa nouvelle-ex-nouvelle prof. Elle n'avait pas eu l'occasion de réellement utiliser son pouvoir depuis quelques jours, et fut satisfaite de voir que tout allait bien, au moins de ce côté-là. Des autres, par contre, tout allait de mal en pis, elle aurait quelque chose comme deux-cents problèmes à régler après cette réunion, dans le meilleur des cas. Néanmoins, elle préférait, puisque c'était possible, prendre les choses par leur bon côté, à savoir : à priori, on lui faisait confiance de nouveau, et ça, c'était chouette-tip-top.

Elle regarda la porte du bureau, se demanda quoi faire : frapper ou entrer ? Frapper, c'était une marque de respect, mais aussi d'indécision. Entrer, c'était une marque de volonté, et d'un certain manque de bonnes manières. Elle voulait absolument que son entrée soit la plus correcte possible.

Du reste, elle se demandait à qui référait cet "appel important". Il n'y aurait pas eu autant de formes si c'était papa-maman. Ou alors, en deux mois, Sahari avait énormément changé de façon de s'exprimer.

Finalement, pour résoudre son premier problème, elle décida de frapper et d'entrer, après tout, c'est pas comme si elle était pas attendue, elle ferait d'une pierre deux coups. Et haussa les épaules : son énigme allait être résolue dans les cinq secondes, et son cerveau avait besoin d'un peu de repos dans l'immédiat. Elle souffla en coup, s'essuya rapidement le visage pour éviter qu'il ne luise de transpiration, toqua et entra d'un pas qui se voulait décidé mais pas trop.

Chuis là m'dame.

Elle s'arrêta respectueusement face au bureau.

Camille arriva bien rapidement, à la surprise de la professeur qui n'avait pas songé qu'elle userait de son pouvoir. La jeune fille semblait motivée, et cela réconfortait Sahari dans son choix de la reprendre dans son équipe. Elle l'accueillit d'un sourire, puis l'invita à s'asseoir en avant du bureau, tirant elle-même sa chaise plus près du téléphone.

"Il s'agit de Daniel McCuffrey. Je ne lui ai pas demandé pourquoi il appelait. Il est en attente sur la ligne, pour l'instant, et je compte bien qu'on lui parle toutes les deux, avec le haut-parleur. Ça te va?"

Sachant qu'elle avait été voisine de geôle de McCuffrey, Sahari s'inquiétait légèrement de la raison de l'appel, mais aussi de l'intérêt de Camille à discuter avec lui : elle ne semblait pas avoir appréciée leur séparation... Elle négligea totalement le message de la jeune islandaise, dans leur communicateur.

McCuffrey répondit rapidement à Camille, comme si il avait attendu qu'on lui parle, pour que la conversation se poursuive le plus rapidement possible.

"Bonjour Camille. Je vais bien, et vous?"

Il leur laissa quelques secondes pour répondre, Sahari faisant signe que oui, de la tête, puis reprit :

"Tu te souviens de Jordan Clifford, dans la cellule voisine à la tienne? Je... Vous devez savoir qu'il est décédé, n'est-ce pas?"

Il y eut un instant de silence que Sahari rompit.

"Nous... je veux dire, je... j'ignorais que... cela..."

Elle passa sa main droite dans ses cheveux et la laissa glisser sur le côté de sa tête, replacer un peu son foulard et finalement rester accrochée sur son épaule droite, tout en lançant à Camille un regard qui signifiait "Tu en avais entendu parler?"

"Selon le journal local où j'ai eu l'information, la cause n'était pas encore déterminée, mais lorsque j'ai été au salon funéraire, j'ai entendu de drôles d'histoires sur une attaque mutante... Un homme-panthère, paraitrait-il."

Il prit une nouvelle pause, laissant le temps aux femmes de bien intégrer l'information, puis se relança :

"Mais je ne crois pas que Philip soit réellement coupable. Ça ne concordait pas du tout avec ce que Jordan m'avait raconté de leur relation perdue... n'est-ce pas?"

Nouvelle pause, encore une fois bien placée. Daniel, s'il n'avait pas été politicien, aurait facilement pu devenir conteur...

"Quand j'y suis retourné, après la fermeture, pour voir les marques de ladite attaque -je sais, ce n'est pas très moral-, je n'ai pas vu la moindre plaie ou lacération sur sa peau. Pourtant, il m'aurait semblé qu'une telle attaque laisse des traces, bien que je n'aie pas l'expertise d'un médecin légiste, évidemment"

"Oui, il me l'avait racontée aussi."

Sahari paraissait perplexe. Pourquoi McCuffrey les appelait-il? Pas seulement pour les aviser qu'un activiste pro-mutant était décédé dans des circonstances douteuses, quand même. À moins que c'était pour les avertir de quelque chose, ou leur demander de l'aide. Non, certainement pas.

"Et vous savez ce qui l'a réellement tué?"

Décidément, la diplomatie ne serait jamais son fort. McCuffrey reprit, un sourire dans la voix.

"Je ne suis pas coroner non plus, malheureusement."

"J'ai l'impression qu'on a voulu éliminer Jordan. Bien que la raison m'apparaisse floue, j'imagine facilement que ça ait un quelconque rapport avec notre codétention. Et de donner une mauvaise image aux mutants en lançant d'affreuses rumeurs sur leur compte. Viser la famille, c'est viser en plein dans le coeur des gens, croyez-en un politicien."

"J'ai demander à Janie de rester prudente et de se montrer discrète, pour ne pas s'attirer d'ennuis. Bien que je ne le crois pas grandement nécessaire, j'aimerais vous faire le même conseil, Camille."

Sahari sembla s'enorgueillir légèrement et répondit aussitôt :

"Je ne laisserai personne faire de mal aux élèves qui se trouvent sous mon égide, m'sieur McCuffrey!"

Elle fronça alors les sourcils.

"Pas vraiment aux autres élèves non plus, en fait..."

Il y eut un nouveau silence.

"Mes amis? Mais de qui...? Ceux qui sont venus me tirer de la prison? Je ne pensais pas à eux du tout. Je ne crois pas qu'ils accordent la moindre importance à la vie d'un pauvre type comme Jordan, malheureusement."

Il avait dit "pauvre type" avec un certain dédain de ses propres paroles, comme si c'étaient celles d'un autre qui étaient dans sa bouche.

"Alors que vous, à l'institut, m'avez semblé vous soucier davantage des humains et des gens normaux."
Il semblait désormais un peu gêné, au ton de sa voix, et Sahari hochait de la tête, prévoyant visiblement où il voulait en venir.

"Je sais que vous ne me devez rien, mais bon, je me suis dit que ça pourrait vous intéresser et que vous pourriez avoir l'envie de rétablir les faits."

"Bien." trancha Sahari, d'un ton sec.
"Nous allons y réfléchir, monsieur McCuffrey..."

"Faites vite, la maison sera vidée et les meubles vendus aux enchères dès la semaine prochaine..."

Alors que Sahari lançait un regard interrogateur à Camille, ce fut McCuffrey qui trahit ses pensées :

"Pourquoi avez-vous dit 'Tant pis'?"

L'africaine semblait avoir perçu le désagrément de Camille et lui demanda sur les lèvres "Qu'y a-t-il Camille?" pour ne pas que le politicien ne l'entende, puis elle s'adressa au téléphone.

"Nous laisseriez vous un instant pour discuter, M. McCuffrey?"

"Très certainement Mme Fouba.

Après l'avoir remercié, elle remit la ligne en attente et réitéra sa question, à voix haute cette fois, en prenant appui sur son bureau.

Sahari écoutait son élève, les sourcils froncés et les lèvres pincées. Elle savait fort bien qu'elle s'était absentée à ce moment, et bien qu'elle aurait pu se défendre d'avoir été séparée des Oryx à ce moment parce que l'équipe était éclatée, elle n'y pensa même pas. Elle était déçue et frustrée par les paroles de Camille, qu'elle sentait comme un coup dans son dos, mais reprit contenance en un long soupir.

"Je comprend donc que tu préférerais que ces gens veillent à ta sécurité, plutôt que le personnel enseignant de l'institut? Que tu n'as pas confiance en moi, ni en les autres professeurs? Mais surtout que les valeurs de tolérance et d'amitié que nous tentons de vous transmettre ne valent rien à tes yeux? Tu as entendu ce que McCuffrey a dit, non? Ganymède se contre-fiche de la vie d'un humain!"

Et simplement au ton de l'Africaine, on devinait aisément qu'elle trouvait cette opinion scandaleuse.

Un petit "cling", annonçant probablement que Sahari avait reçu un courriel, se fit entendre et la professeur se radoucit.

"Personne ne veut être emprisonné, ni tué. Et je ne veux pas que ça arrive à personne, non plus. Je ne connaissais pas ce Jordan, mais je suis désolée d'apprendre sa mort, crois-moi."

Elle saisit l'épaule de Camille, avec une douceur relative, comme pour... pour quoi au juste? Lui redonner du courage?

"Oh oui... on la sent bien, ta peur."

L'africaine se pencha un peu, pour être un peu plus au même niveau que Camille, et lui lâcha l'épaule. Elle n'avait pas passé plus de commentaires sur les surfer boys, croyant que ça ne ferait pas avancer la discussion.

"Ne t'inquiète pas... La peur ne résout rien. Elle ne nous permet pas d'avancer, elle ne fait que nous retenir dans un cocon d'insécurité. Je ne dirais pas que je n'ai peur de rien, mais j'essaie!"

Elle se redressa et retourna derrière son bureau en désignant le téléphone du menton.

"Nous l'avons déjà assez fait attendre, je crois..."

Elle appuya presque aussitôt pour reprendre la ligne et eut à peine le temps de s'excuser du temps d'attente que McCuffrey s'exprima.

"Je vous ai envoyée l'adresse de Jordan par courriel. Il m'a fallu un certain temps pour le trouver, la page de votre institut ne livrant pas facilement vos identités..."

"Comme ça, vous aurez déjà toutes les informations lorsque vous partirez pour Huntingdon."

"Je ne savais pas..." répondit la professeure à son élève, avant de reprendre à l'attention du politicien.

"Votre confiance est très touchante, M. McCuffrey, mais je préfère ne pas prendre de décision trop hâtive. J'y réfléchirai d'abord et en parlerai ensuite avec mes élèves."

Sahari sembla avoir une illumination, tout à coup.

"Au fait, connaîtriez-vous une madame Coupland?"

"Hum... C'est le nom de la mère de Janie, il me semble, pourquoi?"

Une de nos élèves, Amarenna, m'a passé un message de sa part. Merci bien et bonne fin de journée, monsieur."

"Au revoir. Tenez-moi au courant."

Sahari attendit que le politicien raccroche avant de libérer elle aussi la ligne.

"Ce que tu veux! Tu m'avais semblé un peu pressée, alors je ne te retiendrai pas plus longtemps!"

Elle éteignit la petite lampe sur son bureau et se dirigea vers la sortie.

"Et moi je vais goûter à la truite de Miss Snorri, une véritable cordon bleu!" dit-elle en ouvrant la porte, comme si la conversation précédente n'avait rien de scandaleuse ou angoissante.
De toute façon, il n'y avait pas vraiment de meilleure façon de réfléchir à un problème que la panse pleine.
Retournant à son bureau, Sahari en ouvrit un tiroir et en échangea le foulard qu'elle portait pour un châle rose qu'elle enserra autour de sa tête.

cuisine

Camille hocha la tête silencieusement. L'annonce de la valkyrie lui était complètement sortie de l'esprit. De toute façon, sa religion ne l'autorisait pas à manger de la truite.

Merci.

Elle se leva, et ouvrit la bouche, hésitant un instant à balancer clairement tout ce qu'elle avait sur le coeur. L'idée avait fait son chemin : la dernière fois, c'était aussi pour ne pas avoir parlé qu'elle avait pété son câble. Mais sa démarche du jour était toute autre, elle voulait prendre ses problèmes à bras-le-corps, et agir plutôt que réagir. Laura, Abaigh, Georgia. Ordre à définir. Du coup, elle finit par se retourner.

Rien.

Elle franchit la porte avec une démarche qui, si elle n'avait rien de celle d'une gagnante, était un peu distanciée de celle d'une condamnée à mort en sursis. Après tout, tant qu'il y'a de la vie, il y'a de l'espoir. Et puis avoir tous ses ennuis en vingt-quatre heures permet d'être tranquille ensuite pour au moins trois mois.

Chambre/Cuisine