Grenade, Espagne

Fixant la pendule de la salle, Lili agitait son stylo au rythme de la trotteuse. Dans cinq minutes, il serait quatre heures, la fin des cours. Elle irait voir le professeur qu'Alejandro était censé avoir à cette heure-ci. Des fois que son petit-frère se soit repointé au collège... Son départ de la veille avait troublé la jeune fille, depuis, il était introuvable. Elle se mordit la lèvre inférieure en regardant du coin de l'oeil sa voisine envoyer un message de son portable. Après avoir noté dans le coin de sa feuille de cours "Maria à José : rdv après fçs", elle se mit à écouter un bout de la leçon d'aujourd'hui. Comme d'habitude, c'était incompréhensible, il avait fallu tomber sur une prof de français fan de Verlaine ! Déjà que la poésie était dure à comprendre, dans une langue étrangère, c'était encore pire. En plus, la rouquine n'était d'humeur ni à écouter des poèmes approximativement traduits - comment pouvait-on traduire des poèmes ? - par des élèves tentant leur chance, ni à observer ses camarades qui se livraient à des activités aussi passionnantes que s'envoyer des messages, dessiner ou dormir. Alors elle suivit encore cette aiguille, comme si elle avait un pouvoir sur le temps, jusqu'à ce que la sonnerie libératrice sonne enfin.

*Ramón va se jeter sur la sortie, Sara, Elvire, Olivia et Ana juste après, mais elles vont bloquer le passage pendant une minute environ... Il faut que je me lève juste après Ramón.*

Sans noter les devoirs que de toute façon elle ne ferait pas - cette prof était folle, elle leur demandait des choses impossibles ! - Luz se précipita à la suite du garçon qui était déjà prêt à s'échapper deux minutes avant la fin du cours. Ensuite, elle traversa les couloirs déjà bondés, attrapa au passage la main de Candela, sa soeur, et se rendit à la salle 102 d'où une foule d'enfants sortaient. Elle se mit un peu en retrait, suivie de sa soeur, en attendant que la pièce se vide. Pour patienter, elle se chargea de lui donner les directives :

"On se renseigne pour voir si Ale est venu en cours... On sait jamais... ça coûte rien d'essayer... Faudra aller voir à l'église après. Dans toutes les églises."


*De toute façon, on a déjà appelé ses amis... Mais où il se cache ?*

S'activer à la recherche de son frère permettait à Lili de ne pas culpabiliser. Enfin, elle finissait toujours par se dire que c'était de sa faute... Il avait peur d'elle, de ce qu'elle était, à cause de ce qu'elle lui avait montré. Mais c'était stupide ! Elle n'avait jamais rien fait d'aussi horrible que détruire un établissement pour sans-abris ou quoi que ce soit que ces bandes de mutants s'acharnaient à faire ! Il y avait des cinglés partout, c'était trop facile de rejeter la faute sur des gens différents. Mais elle ne s'énervait pas, son frère était petit, il n'avait pas tout compris, il avait eu peur... Maintenant il fallait juste le retrouver pour lui expliquer que tout ça ne la concernait pas, qu'il n'était pas en danger avec elle. Après un long soupir, elle se décolla du mur sur lequel elle était adossée, pour faire signe à Candela d'entrer dans la salle.

"Pff tout ça me gonfle vraiment..."

Oui, c'était une grosse perte de temps qui aurait pu être évitée.

[Bonjour et rebienvenue sur AX ! Tu connais le fonctionnement donc inutile de préciser qu'à partir de maintenant les PNJ, l'action et à peu près tout relève de ma seule compétence... Bon jeu ! Et n'oublie pas de lier ta fiche !]

Les deux gamines entrèrent dans la salle 102... Compte tenu de ce que Lili avait pu lire sur l'emploi du temps de son frère, il aurait du assister à un cours d'espagnol avec Mademoiselle Villaverde, une affreuse vieille fille souvent habillée avec des robes qui semblaient avoir été directement taillées dans des rideaux à douche... Or, aussi surprenant que cela pouvait paraître, la personne qui rangeait ses affaires dans une vieille sacoche en cuir usée...



... ne correspondait pas réellement à l'idée que Lili avait pu se faire de Mademoiselle Villaverde !

L'homme, interloqué par l'arrivée des deux petites filles, les regarda avec de grands yeux tout ronds. Il se les frotta avec ses petits poings serrés. Puis afficha un des sourires les plus radieux que Lili avait jamais vu.

"Bonjour Mesdemoiselles !" lança l'homme. "Que me vaut l'honneur de votre délicate présence dans ma salle d'enseignement ?"

Il s'approcha des deux gamines en tendant une main amicale.

"Je suis Don Francisco Queralto de la Vega. Seigneur de la plume et des belles lettres. Et vous ? Êtes vous deux muses échappées de l'antique mythologie grecque ?"

Candela soupira et, ignorant l'homme et son salut, alla s'affaler sur une chaise non loin de là.



"La barbe. Un remplaçant. Reste plus que l'Eglise" marmonna-t-elle, un poil gronchonne.

"Alors bonjour les élèves" répliqua Don Francisco en agitant vigoureusement la main de Lili tout en la serrant.

Faisant un clin d'œil appuyé, il lança à la petite fille :

"Moi aussi j'ai été élève il y a très très longtemps... Juste avant les dinosaures et après la boule de feu. Et même si ce n'est jamais trop tard pour apprendre, je suis dorénavant un conquistador qui se meurt d'amour !"

Relâchant la main de Lili, il alla s'affaler dans la même position que Candela.

"Un bien charmant garçon cet Alejandro... Un bien charmant garçon. Très vif ! Très curieux ! Et c'est pour ces raisons, j'imagine..."

Il marqua une pause en baissant des yeux tristes vers ses chaussures. Avant de redresser la tête comme un diablotin jaillissant hors de sa boîte !

"Qu'il a préféré aller à la grande école de la vie aujourd'hui !"

Réfrénant un sourire de plus en plus envahissant, il précisa :

"Je n'ai pas le bonheur de connaître ce garçon. Mais peut être pourrais-je vous aider dans votre quête Mesdemoiselles les élèves ? Mais sachez que je n'ai AUCUN élève. Jamais. Seulement des amis qui attendent quelques bons conseils de ma part..."

Candela soupira ostensiblement. Le remarquant, Don Francisco poursuivit, l'air jovial :

"La petite demoiselle trouve que le vieux fou parle beaucoup trop. Mais je suis un esthète mes petites demoiselles ! Je ne vibre que pour le verbe. Et ma plume est mon épée. Dans toutes les escarmouches je fais mouche !"

S'arrêtant un court instant qui sembla durer une éternité... Avant de reprendre plus grave que jamais.

"Mais ça c'était avant que Dulcinea s'en aille avec mon cheval et mon brave Sancho Pança... Je ne suis plus maintenant qu'un vieux fou abandonné, sans quête, sans belle, sans compagnon, sans monture..."

Francisco fit une révérence à la fois compliquée et obséquieuse.

"Alors je vous salue bien bas, mes petites demoiselles"

Et l'homme repartit dans le rangement de ses affaires dans sa sacoche.

Candela se laissa lever de bon cœur. Visiblement la proximité du vieux fou n'avait pas enchanté plus que ça la petite sœur de Lili.

Une fois les deux gamines hors de l'établissement scolaire, Candela fit une drôle de moue et demanda à sa sœur un rien agacée :

"Et maintenant ? On abandonne ou bien ?"

Ouf, enfin sorties. Lili avait réellement eu peur que le professeur les retienne pour parler encore et encore. Mais il les avait laissée non sans leur faire des adieux atypiques. Enfin, ce n'était pas le moment de s'en préoccuper. Alors qu'elles étaient devant leur collège, Candela se remit à râler. Elle ne savait faire que ça, elle, râler ! Comme si la situation n'était pas assez agaçante et compliquée ! La rouquine croisa les bras et regarda sévèrement sa soeur.

"Abandonner ? J'ai dit quoi hein ? J'ai dit quoi ? On va voir dans les églises ! Ca m'étonnerait qu'il soit pas allé prier ! Puis il doit bien dormir quelque part tout de même..."

Elle fit signe à sa soeur de la suivre et commença à marcher en direction de l'église la plus proche. Elle marmonnait "abandonner... son propre frère... dort peut-être dehors" tout en songeant que tout ça était réellement sa faute. D'accord, même s'il dormait dehors, il ne mourrait pas de froid, la température atteignant déjà des sommets, mais il y avait tellement de malades dehors, il pouvait lui arriver n'importe quoi... Tout ce que Luz espérait c'était qu'Ale avait trouvé un endroit sûr où passer la nuit. En fait elle espérait réellement qu'il soit allé voir du côté des ecclésiastiques, à eux, on pouvait leur faire confiance.

*J'espère qu'il a rien raconté surtout... Normalement il devrait ne rien avoir raconté...*

Elle se demanda alors comment réagirait sa famille. Candela... Paco... ses parents... Ils n'avaient jamais abordé le sujet des mutants, elle ne pouvait pas prévoir leurs réactions. En tout cas, une chose était sûre, s'ils la savaient responsable de la fugue d'Alejandro, ils lui en voudraient beaucoup.

"Ca ne devrait plus être très loin..." disait-elle, comme si sa soeur découvrait la ville, mais c'était plus pour elle-même.

Alors que les petites filles déambulaient dans les rues de Grenade à la recherche de l'Église que leur famille fréquentait, elles trouvèrent bientôt l'objet de leur quête urbaine.



San Juan de la Cruz. Le bâtiment en imposait et c'était de l'ancien situé dans un vieux quartier de la ville andalouse. Comme épargné par le temps, comme vierge de toute modernité, c'était un lieu de recueillement et d'apaisement pour les âmes en détresse ou en errance...

Seul ombre au tableau, un petit troquet était situé juste en face de celui-ci. Candela, peu adepte de la pratique religieuse, était comme à son habitude plus intéressée par les glaces que l'établissement vendait également. C'est donc sans surprise que le regard de la gamine se tourna vers le bar. Elle demeura quelques instants silencieuse, puis tira sa grande sœur par la manche :

"Regarde, la dame... Regarde, elle a allumé une cigarette !"



L'acte en tant que tel était tout ce qu'il y avait de plus anodin. Une très jeune femme qui fumait une cigarette. Sauf que... Sauf que cette dame lui disait quelque chose. Elle avait déjà croisé cette adolescente un peu atypique qui était assise dans ses vêtements colorés tout contre la fenêtre, une jambe sur son siège...

La jeune fille venait d'allumer sa cigarette avec les doigts. Et expirant une longue bouffée de fumée, elle observa Lili et Candela, les gratifiant d'un petit signe de la main.

[Note MJ : nous sommes à peu près vers 17h00... Il s'agit donc du dîner et non du déjeuner Juste pour bien fixer le repère temporel... ]

Candela, comme à son habitude, s'empressa d'oublier la mutante pour se concentrer sur le parfum de la glace qu'elle allait commander. Elle se saisit de l'argent si gentiment offert par sa sœur et, sans même daigner la remercier, alla se placer dans la file d'attente pour obtenir une glace. A vue de nez, ça devrait l'occuper pour 5 petites minutes...

Alors que Lili s'approchait de la jeune pyrokinésiste, cette dernière lui fit un sourire apaisant. Se redressa sur sa chaise et d'un signe de main lui montra le siège qui lui faisait face.

La mutante tortilla du cou pour lire ce qui était écrit sur le cellulaire de Lili. Le sourire se fit plus large et elle se permit même un petit rire sonore.

"Toi, non plus à vrai dire" se contenta-t-elle de dire à la petite en guise d'introduction.

"Mais ça, tout le monde s'en fiche... Les gens se regardent pas entre eux. Ou peut être pas, en fait..."

Elle enleva son chapeau et le posa sur la table.

"Moi je raconte que je me tartine les bouts des doigts de souffre quand je me fais attraper et toi ? Tu racontes quoi aux mauvaises personnes ?"

La jeune femme se passa la main dans les cheveux et se pencha en avant, vers la petite Lili.

"Vraiment ? Alors comment j'ai pu te voir ? Hum ?"

Reprenant sa position initiale, elle entreprit de faire des ronds de fumée avec sa cigarette.

"Bon j'ai un sacré sens de l'observation... Papa dit toujours que je vois tout partout. C'est peut être parce que MOI, quand j'étais petite, on me voyait pas..."

Petit sourire en coin.

"Ce qui expliquerait mes problèmes avec les garçons, mais bref..."

Elle marqua une petite pause, comme pour choisir ses mots.

"Pas se faire attraper. C'est une bonne technique. Jusqu'au jour où le chasseur t'attrape, bichette. Et là... Mieux vaut être invisible. Ne pas avoir d'adresse ni d'attaches fixes..."

Regardant distraitement sa montre, elle poursuivit d'une voix enjouée :

"Les mauvaises personnes ce sont... Les fâcheux qui te regardent de travers car tu as des couleurs dans les cheveux. Ou parce que ta robe est taillée de manière étrange. Ou parce que tu as renoncé à l'usage des chaussures. Ou... parce que tu allumes tes cigarettes sans briquet ni allumettes"

Nouvelle pause. Nouveau passage de la main de la jeune femme dans ses propres cheveux.

"Bref, tu as compris l'idée. Tous ceux qui s'attardent sur ta différence. Tous ceux qui te voient, te percent à jour et... te veulent des mauvaises choses"

Elle toussota légèrement avant d'écraser d'un ample geste du poignet sa clope dans le cendrier prévu à cet effet.

"Enfin... Alice, je crois que tu es tombée dans le terrier du lapin blanc. Les puissances des ténèbres sont de sortie et ce soir, c'est soir d'orage"

Tandis que l'inconnue prononçait ces drôles de paroles, Lili put voir du coin de l'œil la petite Candela, piaffant toujours d'impatience dans la file d'attente...

Ce qu'elle redoutait se produisit. "Comment j'ai pu te voir ?", voilà ce que lui dit la mutante. Pourtant, Lili était persuadée de ne jamais s'être faite remarquer. Alors c'était elle qui s'était faite piéger à son propre jeu ? C'était... impossible ! Et surtout un très gros coup pour son ego... La fumeuse continuait avec son sens de l'observation, elle n'arrêtait pas de se flatter tout en enfonçant de plus en plus la rouquine. Mais elle allait arrêter ? C'était SON talent à ELLE, d'observer les gens sans être visible, pas question qu'on lui pique ! Enfin... elle se concentra un maximum pour faire jouer une autre de ses capacités, celle de se calmer alors qu'elle était à la limite de l'implosion, celle de ne rien laisser paraître. Mais elle était énervée. Elle redevint sereine en écoutant le reste des paroles de la jeune femme.

"Oui je vois..." dit-elle en guise de réponse, les yeux rivés sur ses pieds déchaussés.

Il y avait eu beaucoup de fois où elle avait été disputée par ses professeurs. Mais non, ce n'était pas sale, tout du moins, ça devait l'être autant que de laisser traîner ses mains sur des murs ou quoi que ce soit du genre. Pourtant on n'avait jamais été obligé de porter des gants. Puis il y avait ce qu'elle n'avait pas choisi, que ce soit sa couleur de peau ou de cheveux, ou ses pouvoirs bizarres, tout ce qui faisait qu'elle n'était pas comme les petites andalouses normales.

En observant la fille se recoiffer, elle se demanda alors ce qu'il se passerait si sans faire exprès, elle mettait le feu à ses cheveux. Puis elle se mit totalement à divaguer ce qui fit détourner les yeux de Lili en direction de sa soeur. Encore en train d'attendre ! Bon de toute façon, ils ne dîneraient pas avant vingt-deux heures, comme d'habitude, mais depuis toujours, sa famille avait été habituée à ne pas avoir d'encas. Alors elle était assez sceptique quant à l'appétit qu'il resterait à Candela une fois le repas servi. Enfin, au moins son objectif d'avoir un peu de temps devant elle avait pu s'accomplir sans difficulté.

"Tu veux dire quoi là ?"

Même si finalement elle n'avait pas imaginé discuter comme ça avec cette jeune femme, plus elle en saurait, mieux ce serait.

En baissant les yeux, Lili remarqua que son interlocutrice avait également enlevé les grosses rangers qu'elle avait du précédemment porter, pour se mettre à l'aise, seulement en collants verts...

La femme cessa soudainement de sourire. Et secoua la tête, comme compatissante pour un malheur dont Lili ignorait tout à l'heure actuelle.

"En ville... Quelque part se trouve un homme. Un chasseur. LE chasseur. Il cherche quelque chose. Et c'est un mauvais homme. Qui a fait beaucoup de mal à beaucoup de gens. Mais il a un talent. Son talent c'est de débusquer les fuyards ou les gens qui cherchent... tout simplement à rester discrets. Il n'y a que bien peu d'humanité dans son regard. Certains disent - mais ce sont des trouillards - qu'il peut tuer d'un simple regard"

La femme eut à nouveau un léger sourire.

"C'est pour ça qu'il faut rester planqué, ma puce. Parce que quand tu es perchée dans ton arbre, quand tu t'es fourrée dans ta petite niche écologique, quand tu as choisi de prendre les chemins de traverse... Eh bien ! Rien ne peut t'atteindre ! Mais en revanche, une fois que ta vie a basculé, il n'y a plus de retour possible..."

Prenant la sucrette de son café refroidi et l'ouvrant, la femme entreprit de la déverser sur la table.

"Mais le temps passe et le chasseur s'approche. Sais tu devenir invisible ? Pas au sens propre bien sur... Mais sais tu te fondre dans la masse le moment venu ?"

Elle sourit à nouveau.

"Tu peux m'appeler Teresa. Si ce n'est pas mon vrai prénom, tout du moins c'est un joli prénom"

La petite fille aperçut Candela, revenant du comptoir, avec une glace à deux boules, l'air manifestement contente de ce qu'elle tenait entre ses mains fébriles.

"Enchantée, Luz... En fait, je ne parle pas de se fondre dans la masse au point de perdre ton individualité..."

Teresa se leva d'une traite et lança avec emphase :

"Regarde-moi, je suis discrète ou pas ?"

Effectivement, on pouvait se poser la question... Mais ce ne fut pas celle que posa la petite Candela en arrivant à proximité de la table.

"Dis, Luz, c'est qui la femme qui fait peur ?" lança-t-elle avec tout le tact dont pouvait disposer une gamine qui allait se faire un délice glacé.

Teresa répliqua par un regard amusé et un grand sourire. Puis reportant son attention, sur la jeune mutante, elle termina :

"Bon, en tout cas moi je vais filer voir des copines... Et toi, tu fais quoi ? Tu veux venir ou tu as mieux à faire ?"

Teresa sourit doucement à la petite Candela :

"C'est ça les affres de l'adolescence, p'tite chérie. On se transforme, on change et on finit par devenir méconnaissable. Mais tout ça, ce sont des histoires qu'on raconte pour faire peur aux enfants..."

Elle ramassa en toute hâte ses affaires - paquet de cigarettes, portefeuille, petite monnaie - et les fourgua dans une besace usée.

La petite Candela, les yeux écarquillés partagés entre l'inconnue et sa glace, ne sut trop que dire. Au bout de quelques instants de réflexion, elle répondit néanmoins :

"D'accord... Allez faire vos trucs de grandes. Et moi je me farcis les bigots en cherchant Ale. J'ai compris..."

Elle avait l'air un poil fachoun' en témoignait ce dos furibond qu'elle exposait à la vue de sa grande sœur. Puis se retournant, elle termina avec un grand sourire :

"Et si j'ai des nouvelles du p'tit, je t'appelle. Et je dirai pas aux vieux ce que t'es allée faire..."

Teresa batailla pour remettre ses rangers puis finalement les trois filles sortirent de l'établissement. Candela se mit en direction de l'église, pendant que les deux autres battirent le pavé de Grenade, à la recherche du point de rendez-vous de la pyrokinésiste.

S'ensuivit une bonne dizaine de minutes de discussion laborieuse sur la pluie et le beau temps, quand finalement Teresa poussa un cri triomphant. Elles étaient arrivées !



Elles venaient de s'engager dans une impasse. Tout au bout, une porte s'ouvrit révélant une jeune femme...



"Salut Terry, c'est qui ta copine ?" lança la nouvelle arrivante, une boisson à la main. Son ton était un peu hésitant, comme si le verre n'était pas le seul de la journée.

Teresa sourit et répliqua du tac-au-tac :

"C'est Luz, une jeune fille pas discrète... Et Luz, je te présente, Tracey, une jeune fille électrique !"

La fille fit une drôle de grimace de fausse rebelle avant de lever le verre à la santé de Luz, de le vider et de la gratifier d'un "Salut chérie !" tonitruant.

Un toussotement appuyé sur leur gauche, leur révéla la présence d'une personne qui n'était pas là l'instant d'avant. Ca Luz en était sure !



"Et moi je poireaute depuis une demi heure. Teresa, tu fichais quoi ?"

La pyrokinésiste ne se laissa pas démonter et fit les présentations express :

"Luz... Lo'ann... Lo'ann... Luz"

Lo'ann fit un léger signe de la main à la petite fille avant de demander à Teresa :

"Tu sais, j'ai encore vu ton père aujourd'hui... Il est lourd"

En examinant son portable, Luz découvrit un petit SMS de sa sœur :

"le kuré di kil a vu ale é kil a r1en conpri de se kil lui a di. il parlai de toa et pi apres il é parti avec 1 monsieu. jai vu aussi le prof de tout a lheur déguisé en none. merki pour la glasse. a+"

Teresa soupira, en revanche, à l'évocation de son père. D'un ton mi agacé, mi amusé, elle commenta :

"Ok, Lo'... En ce moment, tu sais, il est insupportable. Il tient encore moins en place que son ami, le Marcheur. Ah, je te jure ! Dès fois, je sais pas ce qui me retient de leur tordre le cou à ces deux là..."

Lo'ann redressa la tête. Toujours l'air aussi amorphe, aussi pensive.

"Tu sais... Ce coup ci..."

Elle dévisagea Lili d'un air suspicieux. Aussitôt, Teresa se permit, de préciser, au vol :

"Elle est clean. On peut lui parler. Et puis, elle est un peu comme nous..."

Faisant une drôle de moue et agitant rapidement les bras, la pyrokinésiste fantasque, ajouta :

"Elle est un peu BIZARRE"

Les deux autres femmes se regardèrent brièvement. Puis haussèrent les épaules de concert. Tracey, quant à elle, lança, un brin indignée :

"Terry, OK, pour ta pote... Mais... Ne dis pas du mal du Marcheur. Il m'a recueillie quand j'allais au plus mal..."

Petit regard attendri de l'amie qui comprend, accompagné de la main de Teresa qui se posait sur l'épaule de la jeune femme.

"Ouais, je sais, ma belle..."

Un léger silence s'installa. Puis, Lo'ann reprit :

"Enfin, tu sais, Terry, cette fois... J'étais avec un garçon. Et tout allait bien et... Enfin, je vous fais pas un dessin les filles... Pis d'un coup, ton père a pris sa place comme il le fait tout le temps ! Et tout ça, pour me parler du fait qu'on devait se voir toutes les trois et qu'il y avait, quelque part, dans Grenade, un petit en danger. Pis, il est parti après avoir vérifié qu'il y avait bien un préservatif dans la poche du garçon qu'il avait "possédé"... Un vrai coupe-faim !"

Teresa fit un sourire de connivence à Lo'ann puis reporta son attention sur Lili :

"Alors... Petite miss... Tu dois avoir des tonnes de questions à poser ? Non ?"

*Mince...*

Pouvant faire plusieurs choses à la fois, elle continua d'écouter tout en tapant une réponse pour sa soeur. Mais à chaque fois qu'elle écrivait un mot, Luz effaçait, elle ne pouvait pas croire que son frère ait parlé d'elle ! Enfin... apparemment, elle ne s'était pas réellement faite repérer, puisque le curé n'avait rien compris... Mais le "monsieur" avec qui il était parti l'inquiétait par contre, et pas seulement à cause de ce qu'aurait pu lui dire Ale... Et le prof déguisé en nonne ? Mieux valait-il ne pas trop chercher à comprendre... Mais entre ce que disait Teresa et ce que disait le texto, la rouquine était complètement perdue. Elle finit par écrire :

Luz à Candela a écrit:"Ok... Dis-le à Paco. Saura quoi faire."

Voilà qu'elle se déchargeait d'une responsabilité pour laisser le soin à son grand-frère de s'occuper de cela... Mais pourquoi continuait-elle à se faire du soucis ? Son inquiétude disparut tout d'un coup pour laisser place à une certaine surprise lorsqu'elle entendit Teresa dire "elle est un peu comme nous" puis "elle est un peu bizarre", en insistant sur ce dernier mot. En y songeant bien, ce n'était pas vraiment une surprise, finalement. Après tout, Lo'ann avait semblé apparaître de nulle-part et Tracey avait été présentée comme une jeune fille électrique. Avec tout ce qu'avait lu Lili sur internet, elle pouvait deviner plus ou moins ce dont étaient capable les deux jeunes femmes. Tout ceci était... tellement intéressant qu'elle en oublia son petit-frère, le temps d'écouter avec attention les paroles de Lo'ann.

Mais ce fut justement en les écoutant bien que les pensées de la jeune fille se recentrèrent sur Ale. Bon, ce petit grenadin en danger pouvait être n'importe qui, mais elle était tellement obsédée par la fugue de son petit-frère, qu'elle s'imagina tout d'un coup que c'était de lui qu'il s'agissait. Ca ne pouvait pas être quelqu'un d'autre ! Mais qu'est-ce que les trois filles et un père qui 'possédait' les gens apparemment avaient à voir avec Ale ? Et... qu'est-ce que ce prof faisait déguisé en nonne ? Toute cette histoire était complètement débile ! En se retenant de rire à cette image - puis aussi parce qu'elle était complètement stressée - elle répondit à Teresa :

"Oh, pas des tonnes juste que..." rougissant à force de réprimer son rire, elle continua péniblement sa phrase "...je...je vois pas du tout... de qui vous parlez... Enfin juste... je suis un peu perdue... Mais c'est... normal non ?"

Puis elle finit enfin de parler, un large sourire ayant pris place sur son visage. Il disparut aussitôt qu'elle se rappela à quel point c'était sérieux et vrai et à quel point son frère semblait être dans une mauvaise situation là. Voire ses deux frères, si Paco s'en mêlait. Elle saisit à nouveau son portable.

Luz à Candela a écrit:"Finalement (si t'es pas rentrée), dis rien, je m'en occupe."

"Désolée... ma soeur..."

Tracey alla s'asseoir près de Lo'ann, pendant que Teresa, mettant ses poings fermés de part et d'autres de ses hanches afficha une moue désapprobatrice à l'attention de Lili.

"Tu es une petite comédienne, c'est ça ?"

Silence un petit peu pesant, pendant lequel la petite fille sentit les regards exagérément courroucés des trois copines peser sur elle. Puis, comme par magie, l'air chafouin de Teresa se transforma à nouveau en large sourire.

"Mais on adore ça !"

Elle alla s'asseoir avec ses deux amies et croisant les jambes, dans un geste ample, poursuivit :

"C'est normal d'être perdue, ma puce. C'est normal. Après tout, tu es une petite fille, ton corps change et, non, ce n'est pas sale. Nous sommes toutes passées par là. Pas vrai les filles ?"

Cette question dans le vent déclencha chez Tracey un lever de pouces accompagné d'une grimace de connivence, tandis que Lo'ann soupira ostensiblement, trouvant certainement que Teresa en faisait, peut être, un petit peu trop...

"Bon, reprenons les filles... Elle c'est Luz. Elle cherche son petit frère. Celui qui a disparu hier. Et c'est une... M... U... T... Enfin, vous avez compris l'idée. Père l'a vue tout à l'heure. Et bon, visiblement elle a trouvé que Père était... Pénible ? Envahissant ? Incompréhensible ? Vous le connaissez quoi ! Bref, elle a filé à l'anglaise... Ce qui est curieux pour une andalouse..."

La jeune pyrokinésiste semblait prendre un malin plaisir à raconter son histoire.

"La suite vous l'imaginez... Vous êtes dans la rue, vous allez faire du shopping... Et la vendeuse prend les traits de mon père... Le flip total. Enfin, bref... J'ouvre l'œil et le bon..."

Geste mimant l'ouverture de l'oeil.

"Parce que j'en ai un autre aussi mais... Bref. Intuition paternelle : le petit frère aime les églises. Donc, Père va jouer à la religieuse. Il adore ça, me demandez pas pourquoi... Et, moi je vais me poster en observation dans les parages... Coup de chance, j'attire l'attention de ladite Luz ici présente. Je la baratine... Et nous voilà !"

Tracey applaudit et siffla la conteuse d'histoire. Lo'ann se contenta de soupirer et de lancer entre ses dents :

"Et, encore une journée de plus dans nos vies de collégiennes... Ça veut dire qu'on doit l'aider ?"

La pyrokinésiste opina vigoureusement du menton. Un large sourire impeccable affiché sur sa tête d'innocente inconséquente.

*Une petite comédienne ?*

Là, pour le coup, elle était sûre que la seule chose qu'elle avait dissimulé - pas très bien d'ailleurs - était son fou rire naissant. Après, Teresa parlait peut-être en général... Enfin, apparemment, elle ne semblait plus lui en vouloir, même si Luz avait eu peur durant un instant qu'elle ne soit déjà plus appréciée. La pyrokinésiste continua avec tout un discours sur l'adolescence, ou quelque chose du genre, qui n'avait aucun rapport, mais Lili la laissa parler, elle ne voulait pas la contrarier. Pourtant, tout ça semblait inutile et vraiment hors-sujet et Lo'ann semblait du même avis qu'elle. Néanmoins, elle fit semblant de s'intéresser à ces paroles en faisant des "mmh" de sa bouche, bien placés. La suite, par contre, était beaucoup plus intriguant. Comment Teresa pouvait-elle savoir que son frère avait disparu ? En fin de compte, la rouquine n'avait jamais pu lui demander s'il était là ! Après, on lui disait qu'elle avait vu le fameux 'Père', qu'elle avait trouvé pénible, etc. Ah bon ? Quand est-ce qu'elle avait pu voir son père ? Elle n'était pas sortie du collège à part l'après-midi où la seule personne qu'elle avait vue, c'était cette mutante...

*Ca devient de plus en plus compliqué... Mais comment elle sait tout ça ? Y a une de ses copines qui lit les pensées en fin de compte ?*

Puis là, tout s'éclaircit. "Le prof de tout à l'heure déguisé en nonne", c'était donc le père de Teresa ! Et cette-dernière avait bien calculé son coup pour l'amener au milieu de ses copines ? D'un côté, elle se sentait comme quelqu'un qui s'était bien fait avoir... de l'autre, apparemment ces filles allaient l'aider à retrouver Ale, ce qui pouvait être rassurant. Il n'en était pas moins que son ego en avait pris un sacré coup. Elle avait encore tellement de choses à apprendre ! Alors qu'elle était restée silencieuse durant toute l'histoire, elle finit par demander :

"Comment on va s'y prendre ?"

Parce qu'apparemment, le petit en danger, c'était bien son frère et elle ne voulait pas qu'il lui arrive quelque chose. Mais pourquoi... pourquoi était-elle allée lui montrer ces articles sur les mutants ? S'il était parmi elles maintenant, il pourrait se rendre compte qu'il y en avait de tout à fait respectables... Même si Teresa et ses copines faisaient un peu peur au premier abord, elles semblaient gentilles. Tout de même, mieux valait ne pas trop leur faire confiance, car c'était tout de même presque des inconnues pour la jeune fille, mais elle n'avait pas vraiment le choix si ces filles l'aidaient pour Alejandro.

"Je suppose que tu dois le savoir, mais il est parti avec quelqu'un. Puis... je ne trouve pas ton père pénible, juste que j'étais préoccupée !"

"Aïe" s'exclama Teresa, visiblement contrariée. Puis reprenant rapidement sur un ton étonnamment grave, elle ajouta :

"Non, ça on le savait pas... C'est fâcheux... Très fâcheux même... Du coup, je suis plutôt bien embêtée là..."

Lo'ann prit le relai et tenta d'expliquer la situation à la petite mutante.

"Tu sais... Nous... On n'est pas des super mutantes. En fait, on est surtout bien planquées à l'ombre. Et, on est très discrètes... Mais pour ce qui est d'intervenir..."

Elle avala sa salive et poursuivit :

"Le père de Terry et ses amis nous ont donné pour consignes d'aller retrouver ce petit garçon qui parle de mutante à tort et à travers... Visiblement, ce qu'il a dit n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd. Et manque de bol, il y a le Chasseur en ville, qui traque déjà un groupe de mutants... Ce type..."

Tracey coupant la parole à son amie se lança dans la description du bonhomme en question. La jeune femme était ivre de rage. Et de terreur aussi...

"Ce type est un monstre ! Comme ceux qui m'ont réduite en esclavage avec ma sœur ! Voilà, il n'y a pas d'autres mots... Ce qu'il cherche c'est vendre des mutants à des types dégueulasses pour leur faire faire des choses horribles. On m'a même racontée qu'il y avait un de ses clients en France qui organisait des combats à mort !"

La pyrokinésiste posa un regard attendri sur Tracey, puis tenta de calmer le jeu :

"Disons que ton frère n'a pas de chance. Il est selon toute vraisemblance tombé dans les mains de ce Chasseur. Qui à mon avis, va le garder en otage, le temps de débusquer sa mutante de sœur... Il y a de grandes chances qu'en même temps, il traque les proies qui l'ont fait se déplacer à Grenade... Mais..."

Elle recoiffa une mèche rebelle, avala sa salive et termina :

"Nous ne sommes pas des opérationnelles. Voilà. Nous ne sommes pas habilitées à nous battre. Juste à récupérer des gens pour les mettre en sécurité. Et le Chasseur, d'après sa sinistre réputation, est un très gros poisson... Navrée, petite fille..."

En fait, elle s'était trompée. Ces filles n'avaient pas du tout l'intention de l'aider, ou du moins ne l'eurent-elles plus quand Luz évoqua cet homme qui avait embarqué son frère. Dès que Lo'ann commença à dire qu'elles n'étaient pas si douées que ça, la rouquine comprit où elle voulait en venir. Alors elles se défilaient ? Ah non, pas seulement, avant elles continuaient quand même de l'enfoncer en lui expliquant combien son frère et elle étaient en danger. Et après l'avoir angoissée de plus en plus, elles concluaient en disant combien elles étaient incapables. Tout ceci aurait donc servi à rien ? Là, pour le coup, l'humeur de la jeune fille avait changé si brutalement qu'elle ne put empêcher des larmes de se loger dans ses yeux. Elle se mit à regarder en haut pour éviter de les faire couler et quand tout eut disparu, elle fit un sourire qui était tout sauf sincère aux trois copines.

"Très bien. Donc je me débrouillerai toute seule..."

En prononçant ces mots, l'envie de pleurer refit surface et là encore, la petite andalouse dut faire un gros effort de volonté pour ne pas montrer ses yeux brillants de déception aux jeunes femmes. Elle ne voulait pas paraître pathétique, mais il lui semblait que c'était trop tard... Peut-être que dans un élan de pitié les autres reviendraient sur leur décision... Oui, finalement, maintenant qu'elle avait commencé dans cette voie, elle continua en se tournant légèrement, histoire de ne pas regarder ses interlocutrices en face. Elle fit lentement monter ses yeux vers le ciel et prit une longue inspiration, en mettant toute la peine qu'elle ressentait dans ses paroles :

"Finalement, quoi que je fasse, je me retrouve toujours toute seule hein..." faisant redescendre son regard en biais, elle soupira et murmura "...je me demande bien combien de temps j'ai perdu... Est-ce que je le retrouverai ? Qu'est-ce que j'affronterai, qu'est-ce qu'il aura subi ?" cette fois, elle n'empêcha pas ses larmes de couler le long de ses joues "Tout ça... c'est ma faute... si j'étais pas comme ça... lui il est innocent et moi... anormale..."

Elle s'essuya le visage et fit mine de repartir, lentement. Tout ce qu'elle espérait, c'était que sa prestation aurait fait changer d'avis les trois mutantes. Elle se rendit compte à quel point elle avait besoin d'elles et, pour une fois, demander de l'aide ne lui semblait pas exclu. En même temps, elle avait réellement peur avec tout ce que lui avaient dit ces filles et les remords qu'elle avait refoulés ne pouvaient plus se cacher. Elle était mal, elle voulait juste retrouver Ale et reprendre sa vie. Quelque chose lui disait que ce serait possible, avant, il faudrait 'seulement' affronter des choses... horribles... sans doute... c'était tellement flou... Ce qu'avait dit Tracey semblait trop incroyable mais l'effrayait à un point...

*Bon... je m'en vais vraiment ou elles se décident, là ?... N'empêche que... je veux pas y aller toute seule... Je sais même pas comment on fait d'ailleurs !*