Coolangatta, Australie

Les yeux résolument tournés vers le soleil, Kate ne prêtait pas plus attention à ses amis qu’au reste du monde. L’atmosphère était pesante, quoi que June restait hors de portée de tout conflit, sa candeur naturelle l’en protégeait, mais Stan en revanche semblait bouillir d’impatience et porter son sac comme s’il contenait un trésor prêt à être révélé. Et son attente se heurtait à un mur d’un mètre soixante quatorze fait de mauvais caractère et d’indifférence.

Elle céda finalement face à la serveuse qui n’y était pour rien et avait sûrement mieux à faire. Relevant la tête, elle s’inclina pour saisir la carte du menu, la parcouru sans la lire, grimaça une bonne demi douzaine de fois pour finalement lâcher un simple…

« La même chose pour moi, le Rome. »

Après quoi elle s’enfonça à nouveau au fond de sa chaise. Mais cette fois, elle ne détourna pas la tête, elle avait bien noté que Stan espérait quelque chose… un signe, un geste, du courage ? Il le trouva tout seul et heureusement, car elle n’était décidément pas d’humeur à tendre la moindre perche.

Elle observait sans ciller son manège, son ‘écoute Kate’, sa voix douce qui naviguait en eaux troubles. Elle sourit à la question de June, se disant qu’il n’y avait rien à faire, qu’au moins, elle pouvait être sure que son amie serait toujours égale quoi qu’il arrive, quoi qu’il lui arrive…

*M’intéresser ? Mais qu’est-ce qui pourrait bien m’intéresser là maintenant Stan ?*

Elle l’était pourtant. N’importe quel artifice était préférable à ça. Elle ne s’attendait à rien de précis, elle espérait simplement que ce rien lui changerait les idées. Des places de concert, une vidéo de surf, un reportage sur l’impact des ondes électro magnétiques sur la migration des baleines… n’importe quoi !

Elle ne prêta qu’une attention polie à l’homme pointé par June. C’est vrai que la silhouette attirait le regard, camouflée – c’était le mot – par une tenue trop chaude, trop couvrante pour ce temps. Celui qui l’accompagnait en revanche se mêlait à la masse et passa de ce fait inaperçu. Un coup d’œil et un soupir d’agacement plu tard, elle se pencha vers Stan…

« Vas-y raconte… qu’est-ce que t’as qui devrait m’intéresser ? »

*Bah vas-y… j’vais pas t’mordre*

Ce retour fébrile de dialogue éclata la bulle dans laquelle elle s’était enfermée depuis la venue de son petit ami et elle prit conscience soudain à quel point elle s’était montrée dure avec lui. Elle noua ses cheveux en arrière et s’avança pour poser ses coudes sur la table, signe qu’elle était prête à faire des efforts. Jusqu’à ce qu’il prononça ce mot qui fit l’effet d’une bombe.

« Hey ! Mm… » Sa pensée lui coupa le verbe.

*Mutant toi-même… nan… nan pas lui… moi.*

Et non, pas mutant lui-même, ni June, ni la serveuse, ni quiconque aux alentours sans doute. Mais elle, elle seule. Abasourdie par cette association, elle se sentit dépareillée de celle qu’elle avait pu être avant et pis, différente des siens. Et chaque fois que cette éventualité lui avait vaguement traversé l’esprit, elle s’était débattue, avait lutté de toutes ces forces pour la repousser. Mais il avait fallu qu’il insiste, il avait fallu qu’il pose un nom là-dessus : mutant.

Et quand June commenta l’information, elle croisa le regard de Stan et sut exactement ce qu’il pensait. Parce que c’était évident, parce qu’elle le pensait aussi à cet instant.

Il existait donc un journal spécialisé sur les gens comme elle, les mutants. Kate n’avait jamais entendu parler de la Sentinelle, il faut dire que Stan avait raison : Kate s’intéressait peu ou pas à ce qu’il pouvait se passer en dehors de chez elle. Et malgré l’omniprésence des médias, tous les supports possibles d’échange avec le reste du monde, Coolangatta demeurait une petite ville où il était aisé de mener une vie tranquille et relativement isolée. Elle avait entendu des histoires, bien sûr, qu’elle avait toujours prises pour des canulars. Maintenant, Stan la traitait de mutante et lui parlait d’une école à l’autre bout du monde.

« Fais voir un peu ça déjà. »

Piquée de curiosité, elle arracha le journal des mains de Stan et en découvrit la Une : « Manifestations anti mutantes ! Super. Ca promet… » Son pouls s’accélérait à mesure qu’elle feuilletait les pages...

*… conscients de la dangerosité mutante… COSEQUEM… hommes vêtus de noir s’attaquer à des mutants… partout en Australie… légiférer quant au problème mutant… répression… terroristes… imposer le regroupement… l’horreur et la folie mutante…*

Ses mains tremblantes relâchèrent le journal qui atterrit sur la table, ouvert en deux ; un petit bout de papier coincé dans la reliure. Dessus, quelques mots griffonnés… Institut Xavier… l’adresse situait l’établissement quelque part à New York et un numéro de téléphone. Elle avait vu le nom de l’institut dans un article, elle ne savait plus lequel. Elle perdait le fil, noyée dans cette masse d’informations.

« Comment… comment j’ai pu passer à côté de ça ? Et pourquoi… » Murmura-t-elle.

*Pourquoi veulent-ils tous nous enfermer ou… ou nous exterminer ?*

Pour la première fois à propos des mutants, Kate pensa ‘nous’.

« Juuune, c’est pas… laisse tomber. »

Effectivement, il valait mieux. Ce n’était pas June qui avait besoin de retourner sur la planète Terre, ce n’était pas June qui était différente et qui devait faire face à ce que cette nouvelle identité impliquait mais elle. C’était elle la mutante, elle qu’un bon nombre de personnes traitait d’animal dangereux et sanguinaire, elle qui était en danger d’être arrêtée, envoyée dans un ghetto et quoi d’autre encore ?

Et comme toute bonne crise de paranoïa qui se respectait, celle-ci plongea Kate dans un état alerte et méfiant où les voisins de table étaient regardés de travers juste parce qu’ils étaient voisins de table, où même la serveuse paraissait louche… et longue aussi… où était passée la commande ? Se doutait-elle de quelque chose ? Pensait-elle diminuer ses forces en la privant de son panini Rome ?

*J’deviens barge… Mais c’qui y’a de sûr, c’est que ça craint… si quelqu’un apprend pour moi, j’suis en danger et p’têt même Stan ou mes parents et… euh… nan Stan j’suis pas d’humeur là et…*

Et elle n’eut pas le temps de lui dire qu’elle n’était pas d’humeur romantique, encore moins maintenant que ce matin et que si son soutien importait à ses yeux, elle était bien trop nerveuse et perturbée en revanche pour se laisser aller à un bon gros câlin dans ses bras. Ca aurait pourtant été plus sympa que ce qui l’attendait…

« Qu’est-ce qui y’a encore June… ? »

Il était l’anti Stan, littéralement. Plus fluet, l’expression fragile, des cheveux courts si bruns et la peau du visage si pâle, ça faisait ressortir ses grands yeux bleus. On ne voyait qu’eux, on n’en oubliait presque les balafres argentées qu’il arborait, comme autant de blessures de guerre. De guerre, c’était ça, on était en plein dedans. Son regard lui parut si froid, mécanique quand il se jeta sur elle sans prévenir.

Elle ne put rien faire et subit cette chose, lisse, longue et tonique frôler son menton, la paralyser de peur, passer derrière sa nuque pour finalement contourner puis enlacer sa gorge et serrer, encore et encore jusqu’à ce qu’elle entendît, sous l’effet d’une carotide comprimée, son propre pouls s’affoler. La respiration quasi suspendue, ses poumons se remplissaient doucement dans un râle plaintif à mesure que s’écarquillaient ses yeux.

*P’tain ! CA ! Ca craint vraiment… De l’air ! Respire… Au secours… appelez la police… NON ! Pas la police… Appelez personne… Respire… personne… Stan ! Mais fais quelque chose… tu sers à rien là… Respire… Ca m’gonfle… Et… et d’où il sort lui déjà ?!*

Elle engageait une bataille contre elle-même pour ne pas se débattre ; elle savait pertinemment qu’un geste de sa part pouvait lui être fatal, vu sa position. Elle remarqua vraiment pour la première fois l’autre homme. Un brun ténébreux, beau garçon, le regard vif et le poil luisant, certainement charmant en d’autres circonstances mais dans le cas présent, son calme arrogant et ses leçons de lecture enrageaient Kate encore plus.

*Des gens comme vous… des psychopathes vous voulez dire… Respire…*

Redressée sur son siège, ses bras avaient balayé sans le vouloir le journal de la table ; il gisait à terre, à côté, le petit bout de papier avec l’adresse de l’école. Kate n’y prêtait plus du tout attention. Le visage rougi, elle commençait à sentir les premiers signes de suffocation, sa tête tournait… La conversation allait être difficile.

« Des… des gens comme… comme moi ?! »

*Allez… Kate… Respire… c’est le moment idéal pour assumer tu crois pas ?*

« Vous êtes… à la masse alors… parce… parce que des gens comme m… moi… ce sont des m… des mutants, ok ?... J’suis mu…tante… »

Les gens disaient qu’on voyait toute sa vie défiler quand on frôlait la mort de près. Ses potes du club le soir sur la plage, sa mère qu’elle ne voyait quasiment jamais parce qu’elle travaillait trop pour subvenir aux besoins de la famille, son père qui lui avait appris tout ce qui comptait à ses yeux, son petit ami qui se trouvait être son béguin d’enfance et le seul amour qu’elle ait connu de toute sa courte existence, sa meilleure amie June, toujours à côté de la plaque, son bahut et puis la mer, le goût du sel dans la bouche et la glisse, ces instants de grâce derrière lesquels elle courrait sans cesse.

Mais Kate ne voyait rien du tout, ça n’était peut-être pas son heure ou alors les gens disaient n’importe quoi sur l’heure fatale.

Ce que Kate voyait, c’était ce nuage opaque et sombre qui lui brouillait un peu plus la vue à chaque seconde. Et ce qu’elle sentait, c’était ce goût amer d’adrénaline dans sa bouche sèche, ses mains moites et agitées qui tentaient de se raccrocher à quelque chose et ce bourdonnement dans les oreilles qui couvraient les voix autour d’elle. Ca sentait le roussi en somme.

Il n’y aurait pas de héros, personne qui ne vînt à sa rescousse et réussît à l’arracher de cette fâcheuse situation. Et son instinct lui soufflait que les poings fermés de Stan n’impressionneraient guère un homme avec des cornes sur le crâne. Elle était seule maintenant, d’ailleurs elle l’était depuis le début de cette histoire.

Elle s’en voulait déjà ; elle culpabilisait d’avoir mis en danger ces amis et d’avoir tourné les pages de ce maudit journal dont elle n’avait jusqu’ici jamais entendu parler, elle leur en voulait à eux, ces deux abrutis, de l’avoir ainsi forcé la main, de l’avoir mise à découvert sur la place publique et enfin de la juger. Mais elle ne s’en voudrait pas d’être ce qu’elle était, il n’en était pas question et c’était même sa nouvelle condition qui pouvait la sortir de ce mauvais pas.

Il n’était plus temps d’assumer mais de revendiquer…

La liane était plus lâche à présent, elle glissa difficilement ses doigts entre elle et sa gorge pour mieux reprendre sa respiration ; le brouillard et le bourdonnement s’amenuisaient.

*Booonn… c’est pas gagné mais j’respire… Lui, m’a l’air moins revêche… j’peux p’têt le rallier à ma cause… mais l’autre cornu ! Ca va être plus difficile… si j’me plante, i’m’embroche Stan…*

Elle adopta une position de reddition, bras en l’air, paumes vers le sol et jeta successivement un coup d’œil à Stan puis à June pour les intimer de ne pas jouer les têtes brûlées. Puis elle s’adressa à la bête d’un ton autoritaire…

« Pas des vôtres ? Vous… vous vous prenez pour qui ? Dieu ? A décider qui est du bon ou… du mauvais côté de la barrière ?! JE SUIS MUTANTE, OK ! Et… et je suis désolée de pas avoir de stigmates, je suis vraiment désolée d’avoir tout juste découvert… ça mais je suis mutante et… et…

*Va te faire voir… hmm nan…*

« Et… je peux le prouver, ok ?! »

Elle se tourna alors vers celui qui la tenait prisonnière et le regarda dans les yeux, elle adoucit son regard et sa voix, elle avait besoin qu’il la crut.

« Je vous jure que je peux le prouver… Et… ça va vous paraître dingue mais… je peux peut-être faire quelque chose pour vous… vos… vous avez plein de cicatrices sur le visage… de blessures… je peux les guérir… enfin je crois… je peux essayer... c’est ça… c’est ce que je fais… je sais soigner… je peux le prouver. Laissez moi une chance… faites-moi confiance. »

*Pourvu que j’y arrive, pourvu que j’y arrive…*

*Mais oui bien sûr…* Se dit-elle, bouche bée, devant la tentative de libération de son amie. Nul doute que les couteaux à beurre représentaient une vaine menace mais son cœur se trouva gonflé de fierté devant le courage de June ; même lancée à deux cents à l’heure, la rouquine fonçait droit dans le mur, c’était beau l’amitié !

*Oui, c’est cela… ouiii* Ca, c’est ce qu’elle se dit, complètement ahurie, quand elle vit ses liens retourner à l’état de poussière, un nuage libérateur qui permit enfin à ses poumons de se remplir pleinement. Elle passa sa main sur sa gorge brûlée d’avoir été enchaînée et tenta de reprendre ses esprits autant qu’une respiration plus calme et régulière.

Elle avait remarqué le coup d’œil du plus jeune envers son aîné et l’air contrit de son visage à cet instant intrigua Kate. Quel pouvait être leur lien ? Le plus grand était-il son professeur, son mentor, son guide spirituel sur le difficile apprentissage du tueur en série ? La survenue des deux mutants avait déclenché une foule de questions, mais face à l’envie d’obtenir des réponses, le besoin de survivre à cette agression l’emportait largement dans la balance.

Elle avait proposé au jeune mutant de soigner ce qu’elle avait pris pour des cicatrices, en espérant qu’il acceptât, qu’il la laissât le toucher et qu’elle y arrivât… beaucoup de ‘si’ au final. Sinon, il y avait bien un plan B, il y avait toujours un plan B… qui se résumait à peu près à cette équation : couteau à beurre de June + le bras de Stan en bon cobaye consentant + baiser de Kate = régénération des tissus, cqfd. Elle l’avait déjà fait, elle l’aurait peut-être pu le refaire. Mais elle n’aurait plus l’occasion de vérifier sa formule d’algèbre, elle avait foiré.

*Mmm… des tâches qui pigmentent ta peau…* Elle pensa à June, s’attendait à ce qu’elle sorte une de ses énormités à tout moment comme ‘Waouh ! Great ! C’est comme les tâches de rousseur, quoi ! Moi aussi j’en ai plein !’ De toute façon, ça ne pouvait pas être pire : monsieur tentacule était vexé et la bête à cornes s’approchait, se faisant plus menaçante. Elle se tourna vers le premier pour tenter de réparer son erreur…

« Ohh ! Ok… je vois… oups, boulette hein ? Mouais… écoute j’suis désolée… euh… Hile c’est ça ? T’as essayé d’m’étouffer alors j’peux t’appeler par ton p’tit nom hein ?... Ecoute Hile… je savais pas… je pensais que… enfin je croyais te rendre service mais bon… c’est cool si c’est pas des cicatrices. Nan mais t’as raison… faut assumer… d’ailleurs ça fait stylé, j’t’assure, j’aime bien… enfin sur toi ! Ca va super bien avec euh… avec ces trucs qui te sortent des mains… la grande classe… »

Reprenant une grande inspiration, elle pesa chaque mot à l’attention du second.

« Et vous… si je comprends bien, que je sois mutante ou pas, ça ne fait aucune différence… En fait, que je lise ce journal ou pas, ça ne doit pas non plus en faire. C’est quoi votre but au juste ? Vous arpentez les rues et frappez au hasard n’importe qui, du moment qu’il a une tête d’humain, c’est ça ? Bah vous allez avoir du boulot les gars ! Qu’est-ce que vous me voulez à la fin ? »

Lui, elle ne l’aimait pas, c’était acquis. Elle savait que le club des trois ne pouvait pas faire le poids face à deux mutants, la bave aux lèvres. Soit la communication entre adultes matures et raisonnables portait ses fruits, soit il y avait le plan C, il y avait toujours un plan C : courir.



[HJ: Ok, merci Si c'est à propos des tâches de peau du jeune mutant, c'est vrai que je m'étais posée la question (la prochaine fois je demanderai avant) et j'avais hésité entre marques de blessures et conséquence hybride. Bon, c'est pas grave, j'ai tenté, je me suis plantée (enfin Kate s'est plantée^^), tant pis pour elle]

*Kate… ferme-la. Tu t’enfonces…*

La moue circonspecte, elle n’osait plus émettre un son de peur de froisser un peu plus le jeune mutant. Sa dernière tirade l’avait manifestement enterrée de quelques mètres encore et le souvenir brûlant de leur dernier contact lui interdisait tout nouveau dérapage. Il fallait sortir de ce guet apens ; la torture endurée pendant la matinée lui semblait à présent de tout repos.

Elle tenta de lui lancer un dernier coup d’œil d’excuse, accompagné d’un air misérable comme il faut, histoire de lui faire comprendre qu’elle se sentait minable. Dernière parade avant une hypothétique tentative de cent mètres chronomètre en main : faire amende honorable et essayer de s’en sortir à l’amiable… essayer de survivre par le compromis, marchandage à haut risque.

Ca n’aurait sans doute aucun effet positif…

*Naann… ça marchera pas… merde, June ! L’a fallu que tu l’fass…*

Non, ça n’aurait pas d’effet et oui, il était possible de s’enterrer encore un peu. Point de non retour. Point critique où le temps se suspendait, focalisé sur cette image d’une peau si fragile, douce et laiteuse, à la merci d’un fou furieux, de ses cornes brandies comme un couteau.

C’était son amie qu’il tenait et c’était à cause d’elle alors il n’y aurait pas de marchandage, le compromis n’était plus d’actualité. Par contre, se jeter sur l’assaillant pour lui arracher boyaux et cornes de ses propres mains devenait un scénario envisageable. Elle se voyait lui enfoncer ses petits couteaux à beurre sous les ongles et puis mordre jusqu’au sang son bras tandis qu’elle lui enverrait un coup de pied dans les parties… après tout, mutant ou pas, il le sentirait passer.

Inconsciente ? Bah oui. Mais elle mourrait dans l’honneur !

Entre deux fantasmes sadiques, elle tiqua un peu quand elle entendit le cornu évoquer l’Institut Xavier. Cet article dans le journal émergea dans sa mémoire et l’adresse griffonnée par Stan sur le bout de papier… c’était bien de cela qu’il parlait.

*Pourquoi i’m’parle de ça ? Mais nan j’veux rien rejoindre du tout et… tu vas la lâcher enflure… et… mais SI ! Si, je veux ! C’est CA! Bon sang… Le bout d’papier !...* Et la lumière fut. Bon, trop tard.

« NOONNN ! » Hurla-t-elle en se jetant sur June. Quelques gouttes de sang s’épandaient sur la table tandis que Kate entourait son amie de ses bras à la manière d’un rempart. Elle leva ses yeux paniqués vers le mutant et ne put articuler que la dernière pensée cohérente qui lui avait traversé l’esprit… « Mais siii… je veux ! C’est ça… le bout d’papier… le papier… »

Elle l’avait déjà fait, elle pouvait le refaire, elle priait pour. Mais comment ? Jusqu’à aujourd’hui, ça n’avait marché que deux fois, toujours sur la même personne, Stan et toujours de la même manière, un baiser. Elle ne réfléchit pas, elle n’y arrivait pas d’ailleurs, elle prit le visage de June entre ses mains et colla ses lèvres aux siennes.

[HJ : oh ! Ca… ah ah ! AH AH ! Ok. Monsieur (madame) nous viendrait-il (elle) d’outre Atlantique ?^^ Ca devrait aller néanmoins, je crois deviner ce que « Bordel de tabaslaque » signifie ]


June était la deuxième personne que Kate embrassait de sa vie et malgré le fait qu’elle tentait de guérir sa plaie, elle n’en trouva pas ça moins étrange. D’abord parce qu’elle n’avait connu que les lèvres de Stan jusqu’à ce jour, ensuite parce que ces lèvres là étaient celles de sa meilleure amie. Elle avait partagé beaucoup de choses avec June, tout ce que pouvait contenir sa vie d’adolescente, mais elle n’avait jamais imaginé échanger ça.

Elle n’avait non plus jamais imaginé devoir poser ses lèvres sur une plaie ouverte et goûter à la saveur du sang sur ses papilles…

*Beurk ! C’est crade !... Oh merde ! Ca marche ! J’l’ai fait… je l’ai fait !*

La tête relevée sur le cou de June, elle devenait témoin privilégié de son propre tour de passe-passe. Les contours de l’entaille s’unissaient peu à peu pour venir mourir en un minuscule point qui disparut à son tour ; il ne restait plus rien que la peau fragile, douce et laiteuse d’avant, si ce n’était le passage d’une coulée de sang poisseux maintenant.

Elle n’était pas sortie d’affaire pour autant : il y avait toujours ces deux mutants et la foule qui ne bougeait pas mais qui n’en perdait pas une miette et ce fichu journal…

Mais l’espace d’un instant, elle se sentit submergée par un sentiment de joie et de fierté à la fois. Elle l’avait fait, pour la première fois elle l’avait fait parce qu’il le fallait et qu’elle voulait le faire. Ca faisait parti d’elle, c’était une évidence à présent et l’éventualité qu’elle pouvait le refaire, encore et encore et plus que pour une simple coupure se révéla.

Un élan de confiance la gagna ; June recroquevillée dans ses bras, elle leva les yeux vers les trois hommes. Stan avait essayé de la défendre comme il pouvait mais il fulminait surtout.

Elle, elle avait oublié le petit bout de papier envolé, le journal tâché, les gens autour. Tandis qu’elle se prit à bercer June, elle s’adressa à l’aîné des deux mutants.

« Vous avez gagné. Aucun de nous ne peut vous faire de mal. Et après ? Vous connaissez cet institut… l’Institut Xavier. Alors parlez m’en, je veux en savoir plus. Qu’est-ce que c’est et qu’est-ce qu’ils font ? Vous avez déjà été là bas ? »

C’était une pourriture, elle ne l’aimait toujours pas, encore moins sans doute mais elle était lucide. Ce n’était ni Stan ni June qui pourraient répondre à ses questions, eux oui, enfin peut-être. Elle fit une grimace à l’idée que ces deux barges pouvaient lui venir en aide, pire, qu’ils partageaient quelque chose ensemble.

*Holala… i’va où lui ?!... ahh… bas les pattes !*

En considérant que leurs contacts s’étaient tour à tour révélés assez douloureux pour June comme pour elle, Kate appréhenda l’approche du mutant. Elle craignait une nouvelle attaque et à chacun de ses pas, enfonça un peu plus ses ongles dans la chair de June. Ca lui faisait un bien fou et puis, la rouquine lui était redevable après tout.

Quant il fut juste à côté, elle retint sa respiration, suivant d’un regard méfiant sa main dégager sa mèche et frôler le cou de June avec une douceur qui ne lui ressemblait pas, ni à lui, ni à ses cornes ou à la façon dont il s’était jeté sur nos jeunes surfeurs avec son acolyte.

Kate l’écoutait avec attention, elle le trouva soudain las dans le choix de ses mots, comme épuisé d’un combat impossible à mener. Il s’obscurcissait à chaque minute ; une fois menaçant et agressif, une autre tempéré et doux dans ses gestes. Une âme aussi difficile à lire que les yeux qu’il cachait. Il lui semblait ne plus représenter aucun danger, pour eux trois en tous cas ; une bête effrayée qui essayait de survivre, voilà à quoi il lui faisait penser…

*C’est pas vrai ! Quel enfoiré ce mec !... Hin ! Bah il l’a pas volé celle là !*

Elle l’aurait bien aimé que ce coup de poing fusse le sien pour cette fois et celui de Hile lui décocha un sourire.

Kate était d’une nature pacifiste, elle aurait mille fois préféré la fuite à cette confrontation… quoique, maintenant. Mais voir cette amas de voyeurs lâches qui n’avait pas levé le petit doigt une minute plus tôt et d’où maintenant s’échappait des insultes à leur encontre, à son encontre ! Elle aurait aimé que des cornes lui poussent et des tentacules aussi et pouvoir mettre une bonne raclée à cet empoté de touriste.

*Guerre… cohabitation ! C’est l’état d’siège ou quoi ?! Depuis quand j’suis censée être en guerre contre plusieurs milliards d’êtres humains ?!*

Elle tenta de les retenir, souffla un « Attendez » dans la panique générale. Elle n’en avait pas fini, elle, il y en avait tellement plus, mais ils disparurent en un éclair tandis que les sirènes grandissaient. Elle avait deviné devoir faire un sprint, elle s’était juste trompé de moment et là, ça semblait le moment parfait…

Elle resta bloquée une seconde, l’expression figée sur Stan et éclata de rire.

« J’suis pas sure que tu peux encore m’appeler porte bonheur après tout ça mais oui… oui, ça va très bien… faut foutre le camp ! »

Fuir les flics? Elle n'y croyait pas elle même... Ca lui donnait envie de rire plus, de hurler, de l'étreindre. Elle agrippa son cou, réduisit la distance entre leurs deux visages pour rejoindre ses lèvres. Elle l’embrassa enfin, vraiment, pour la première fois depuis des jours.

*Merde… et re merde… j’crois qu’on est en plein dedans là !*

Petit retour en arrière, vitesse accélérée. Les mutants avaient pris la poudre d’escampette, la foule avait dénoncé, la police avait été appelée et était arrivée sur les lieux gyrophares allumés et les trois surfeurs étaient restés plantés au milieu de ce bazar, cerclés et pointés du doigt. On en était là.

De quoi se souvenait-elle ? Les lèvres encore collées à celles de son petit ami, Kate avait senti sa main prendre la tangente, comme détachée de son corps et de sa volonté surtout, entraînée par l’élan de June. Elle s’était laissée guidée d’abord parce qu’il leur fallait s’enfuir et au pas de course et puis elle avait compris. Compris que Stan ne viendrait pas, qu’un baiser et un malheureux bout de papier scelleraient leur séparation et que son sacrifice lui attirerait les foudres d’une populace vile et affamée. Et la police, ensuite ? Qu’allaient-ils lui faire ? L’enfermer, appeler ses parents et porter plainte mais pour quoi… roulage de pelle avec une mutante ? Ca semblait absurde, toute cette histoire l’était, elle n’y comprenait rien, juste que ça lui avait arraché le cœur.

Elle se souvenait ne pas lui avoir répondu, elle n’en avait pas eu le temps, elle aurait aimé lui dire qu’elle le sortirait de là, qu’elle expliquerait tout à ses parents, que tout était sa faute et qu’elle trouverait un moyen de réparer… mais elle n’avait pas eu le temps. C’est comme si ses jambes l’avaient porté malgré elle et que l’urgence avait primé sur sa parole.

Elle se souvenait avoir poussé des gens, s’être faufilée entre les murmures et les cris pour se frayer un passage et puis dans sa course chaotique s’être retournée vers le couple de touristes américains pour les honorer d’un magnifique bras d’honneur. Au point où elle en était… Et puis elle avait couru sur les traces de June aussi vite qu’elle pouvait ; y’a pas à dire, le sport, ça entretient. Un dernier coup d’œil jeté en arrière, elle se souvenait l’avoir vu, pris au piège, comme une proie sur le terrain de chasse de fauves. On en était là.

« Ouaaaiis, t’as raison, c’est super fun !... Stan… il est… il… »

Un soupir d’écœurement et un mouvement d’épaule dans la direction du café pour finir sa phrase. Elle déplia le bout de papier chiffonné et le parcourut des yeux. L’encre était souillée de sang, de poussière mutante et de transpiration maintenant, mais elle restait lisible ; on pouvait toujours y discerner l’adresse et le numéro de téléphone. Elle reprit aussitôt…

« June, écoute-moi… il faut que j’arrive à joindre cet institut… Je sais que c’est la merde et Stan encore plus et on va peut-être même nous rechercher… y’a cette serveuse déjà, c’est pas la première fois qu’on bouffe là bas mais pour l’instant… il faut que je les appelle, tu comprends ? Je crois… enfin peut-être… je crois qu’ils peuvent m’aider tu vois, m’apporter des réponses sur… sur qui je suis. »

Elle regarda aux alentours ; il n’était pas question de se faire arrêter, surtout après ce que Stan avait fait, il fallait que ça serve à quelque chose.

« J’sais pas si c’est prudent de rester ici, on devrait p’têt décoller… hey, t’as pas ton téléphone sur toi ? »

« Mais comment tu sais ça ?... ah ouais… ok, tes parents »

Les plus grandes villes à des heures de décalage horaire, les îles avec un goût de paradis au bout d’une paille, les pistes blanches interminables où glissaient les skis et autres paysages colorés et exotiques à l’autre bout du monde… autant de destinations que ni Kate ni sa famille n’avaient les moyens de connaître. Mais June venait d’un autre milieu. Quoi qu’il en soit, sa mémoire s’avérait efficace, au bon endroit au bon moment.

Kate attrapa le téléphone portable de son amie et le glissa dans la poche de son jean en attendant. Il ne fallait pas rester à découvert et risquer de se faire prendre. Par chance, elles étaient à deux pas d’une boutique qu’elles connaissaient bien pour l’avoir fréquenté à maintes reprises ; on y trouvait la panoplie du parfait petit surfeur : qualité et prix raisonnables avec en prime les conseils du patron. Dave était un passionné, ancien professionnel, tout comme le père de Kate, d’ailleurs il lui ressemblait. Elle se sentit immédiatement plus en confiance en passant la porte d’entrée, pensant que la police ne ferait pas le tour des commerces pour les retrouver.

Elle se rappela toutes les fois où elle était venue, c’était chez Dave qu’elle avait acheté la planche qu’elle utilisait et c’est même lui qui en avait dessiné les graphismes, jaune fluo pour la frime, vagues vertes comme ses yeux et le « half-moon » tagué sur la pointe. Mais elle n’avait pas le cœur à la fête aujourd’hui, elle lui adressa un sourire forcé pour la forme…

« Hey ! Dave, salut ! Comment ça va ? » Sans attendre sa réponse, elle se tourna vers June, la suivant d’un regard appuyé… « Ma… mais où tu vas… ? »

*Trop tard. Super. Elle me plante.*

La silhouette de la rouquine s’échappa dans le bâillement de la porte sans laisser à Kate l’occasion de la retenir. Elle fit face à Dave, les épaules levées et les mains coincées dans les poches arrière de son jean, adoptant autant que possible un air détaché.

« Euh… comment tu peux m’aider ? Ha ha… oh tu sais… j’suis juste passée en coup de vent, enfin June surtout apparemment… on traine quoi. Tiens… j’vais en profiter pour jeter un coup d’œil dans les rayons, i’m’faudrait un nouveau pain de wax, j’sais plus où j’ai mis le mien… c’est dingue c’que j’peux être tête en l’air aujourd’hui… hé hé… ça doit être la compet’ ! Te dérange pas surtout… j’connais la maison ! »

Lança-t-elle accompagné d’un clin d’œil ostentatoire. Accélération vers le rayon des cires, donc. Face à l’étalage des produits, elle en saisit un et fit mine d’en lire la composition qu’elle connaissait déjà par cœur pourtant. De son autre main, elle attrapa le portable de June et posa fébrilement le pouce sur le clavier numérique.

*Hmmm… c’était quoi déjà ? Merde ! Elle aurait dû le noter… ah ouais 1887… euh 3463434… et j’enchaine par… le papier*

Elle commença à composer le numéro de l’Institut… *Mais qu’est-ce que j’vais leur dire ?!*

Concentrée sur ce qu’elle avait à faire, Kate suivit d’un regard distrait Dave s’éloigner et s’affairer, lui laissant le champ libre. Elle n’avait vu personne d’autre dans la boutique et espérait qu’aucun nouveau client ne passe le pas de la porte. Elle ne courrait pourtant pas de danger immédiat et elle pensait qu’il existait une chance infinitésimale qu’un témoin du café entre à ce moment, la reconnaisse et se précipite pour prévenir la police, mais les récents événements l’avaient rendue nerveuse et aux aguets.

Tandis qu’elle composait les derniers numéros déchiffrés sur le papier, elle murmura le prénom de son amie, se demandant où la rouquine avait jugé bon d’aller à un moment aussi crucial. Elle aurait aimé qu’elle eût été là, qu’elle l’épaulât pendant son appel, elle l’aurait aimé l’attendre mais sa curiosité emportait le combat et de loin. Elle ne pouvait pas attendre, il fallait qu’elle sache et maintenant.

Trois longues sonneries plus tard et au bout du combiné, la voix d’une femme. Une voix fatiguée…

*Holala… j’y ai pas pensé… si ça s’trouve il est vachement tard là bas… ou tôt… combien d’heures de décalage i’peut y avoir ?* Elle respira un grand coup et se lança…

« Bonsoir ! Euh… Sahari… Moi c’est Kate… je m’appelle Kate Stripe et euh… est-ce que je suis bien à l’Institut Xavier ? Parce que j’ai trouvé votre numéro… enfin c’est mon p’tit ami qui l’a trouvé pour moi, peu importe… dans un journal… hmm la Sentinelle et je cherchais à vous joindre, à joindre l’Institut Xavier… je vous dérange pas j’espère ? Je ne sais pas quelle heure il peut être chez vous, je vous appelle d’Australie… »

Elle ne savait pas par où commencer exactement ni même si la femme au bout du fil pouvait lui être d’une quelconque aide, mais elle savait encore moins à qui d’autre s’adresser. Le silence qui suivit sa présentation lui parut une éternité, elle était suspendue au téléphone comme une corde au-dessus d’un précipice, seule chance avant de perdre définitivement pied.

*Booon… bah déjà j’suis au bon endroit et elle a pas l’air méchant… avec un peu d’chance, j’vais pas passer pour une folle*

Rassurée par la réponse, elle essaya de rassembler son courage et ses idées dans un tout cohérent…

« Et bien oui ! Justement… je ne suis pas sure de savoir comment mais je crois que vous pouvez m’aider, oui… et j’en ai besoin parce que vous n’imaginez pas la journée d’enfer que je viens de vivre… C’est un truc de barge ! Ca avait bien commencé pourtant, ce matin encore, j’ai été surfé comme je le fais tous les jours et c’était vraiment super vous voyez et puis mon p’tit ami… Stan, celui qui m’a donné votre numéro… il a débarqué et moi, j’étais énervée contre lui parce qu’il avait trahi ma confiance et j’avais envie de lui arracher les yeux et lui, il se pointe, mine de rien, comme s’il s’était rien passé et il me file ce journal à la con… à la con oui ! Parce que là, on s’est fait carrément agressé par deux types à cause du journal… y’en avait un qui avait deux énormes cornes sur la tête et l’autre qui a essayé de m’étrangler avec des tentacules ! Vous vous rendez compte ?! Des tentacules ! Et y’a des gens qui nous traitaient de mutants et… et la police est arrivée et je crois qu’ils ont arrêté Stan et moi j’ai couru et maintenant je suis là, avec un pain de wax dans les mains, je sais pas quoi faire et June qui m’a laissée tomber… une journée de barge quoi ! »

A défaut de s’être montrée claire, elle avait vidé son sac et ça lui faisait un bien fou. Elle marqua une légère pause pour reprendre son souffle avant d’ajouter…

« Est-ce que je vous ai dit que j’étais mutante aussi ? Parce que je crois que je le suis, ça fait pas un pli. J’ai réussi à guérir Stan et puis June aussi… ils saignaient, je les ai touchés et pouf ! Ils saignaient plus. Et je… enfin je comprends pas grand-chose à tout ça et je pensais que vous… que vous pourriez m’aider peut-être ? »