[Norvège] Du bois debout au débat d'en bas...

La pique de Harald fut accueillie par des grommellements qui eurent tôt fait de faire oublier l'argument qu'il avait soulevé. Certains marmonnèrent, d'autres hochèrent vigoureusement la tête d'approbation, mais rapidement, tous se tournèrent vers Antonin qui refaisait son entrée.

Il jeta un œil à Olesen, et à la mère d'Harald, vérifiant rapidement qu'ils avaient fini de discuter, puis il reprit son concert, alternant des morceaux à une voix avec ceux à plusieurs voix, chantant aussi bien dans un registre d'homme que dans des voix de femme, atteignant des hauteurs assez vertigineuses sans sembler fournir d'efforts particuliers.

Vint ensuite la dernière chanson


Il sembla à Harald qu'il avait mis tout son cœur dans celle-ci. Harald pouvait nettement sentir le bois de son banc vibrer sous ses fesses, et certaines lampes vaciller lorsqu'Antonin chantait le chœur complet, mais malgré cela, il n'avait pas mal aux oreilles. Il était même plutôt ému, et il eut la surprise de constater qu'autour de lui, même les personnes les plus bourrues et celles les plus réfractaires à l'idée de voir un mutant chanter avaient du mal à contenir leur émotion, et laissaient parfois échapper une petite larme qu'ils écrasaient bien rapidement.

Quand finalement le silence revint, il sembla alors très pesant, presque coupable d'exister après ce qui venait de se passer. Antonin s'inclina profondément, sans rien dire, puis rompit le silence, avec sa voix baryton habituelle :

"Bonne soirée à tous, merci de votre présence ici, et merci pour l'église."

C'est finalement quand il tourna les talons que les gens se décidèrent enfin à applaudir.

Les gens finirent d'applaudir et commencèrent peu à peu à quitter les travées pour se diriger vers la sortie de l'église. A cet endroit devait sans doute attendre la mère de Harald afin de faire la promotion de son action pour restaurer l'église de bois debout. Avec quel succès? Harald l'ignorait, il n'y pensait d'ailleurs presque plus. Il était toujours sous le choc émotionnel dont Antonin Karoly était le responsable.

Les gens paraissaient eux aussi troublés, ils quittaient silencieusement le batiment, ils ne parlaient plus, du moins c'était ce qui semblait à Harald.

Alors que l'église se vidait, Harald restait toujours sur son banc, prostré, indécis, en pleine réflexion. Il aurait un million de questions à poser à Karoly, mais il ne savait pas si celui-ci souhaiterait s'en ouvrir avec le jeune norvégien. Harald s'était montré trop insistant, il le regrettait, il n'avait pas voulu l'exaspérer, mais c'était de l'inédit pour lui.

Il avait compris beaucoup de choses ce soir. Harald se retourna et regarda la sortie. Il hésitait.

C'est quand finalement l'essentiel de l'assemblée se retrouva au niveau de la porte d'entrée à discuter, et qu'Harald se retrouva bien seul, qu'Antonin se décida à venir le voir.

"Eh bien Harald, tu as l'air tout secoué ! C'est sûr que ce n'est pas vraiment ce qui se fait de plus habituel comme concert, mais tout de même... Je ne pensais pas que ça te bouleverserait à ce point !"

Il semblait beaucoup plus affable et détendu que précédemment. Sans doute le contrecoup de la fin du spectacle, et la descente de la pression.

Harald eut un léger sursaut, il n'avait pas attendu Karoly s'approcher de lui alors qu'il regardait la sortie et hésitait à partir comme le reste de l'assistance.

Il se retourna vers son interlocuteur et dit :
"Ah! Euh... C'était tout bonnement magnifique!... Bravo!"

Harald se gratta la nuque et d'un ton un peu gêné, continua :

"Alors vous m'avez vu, n'est-ce pas? Nous sommes semblables, nous sommes des... mutants? Que sommes-nous au juste? Jamais je n'ai rencontré quelqu'un aussi spécial que moi, il n'y a d'ailleurs que mon père qui sache mon secret. Comment faites-vous pour vivre avec ça et au su de tout le monde?"

Au fur et à mesure du flot de questions qui se déversait de sa bouche, Harald reprenait confiance en lui.

"Excusez-moi pour toutes ces questions, je me comporte un peu comme un vieil élan solitaire parfois. Mais vous me comprennez j'imagine..."

Antonin se surprit à sourire face à l'enthousiasme teinté de désarroi de Harald. Le pauvre semblait perdu.

"Semblables, c'est vite dit... Je n'ai pas la sensation que tes talents se situent au niveau vocal... Mais il est vrai que j'ai vu que tu as carbonisé accidentellement une sculpture. Manque de maîtrise encore..."

Il s'appuya sur le dossier de la rangée devant Harald, et croisa les bras.

"Quant à ce que nous sommes... Eh bien... Des mutants, comme tu l'as dit. On peut aussi dire que nous sommes des humains, à un petit détail près. Pour ma part, je compte sur l'effet de surprise. Les gens ne savent pas a priori quand ils viennent au concert, qu'ils vont assister à une démonstration de pouvoir. Sinon, les réactions sont globalement comme tu as vu à l'entracte : surprise, agacement. Il est assez rare qu'il y ait du rejet, ou de la violence, parce que la plupart des gens sont touchés par la musique. C'est grosso modo comme ça que je m'en sors, mais j'ai déjà aussi du mettre dehors quelques importuns."

À l'évocation de ce souvenir, un sourire mystérieux s'afficha, puis il reprit.

"Rester seul n'est pas un bon plan quand on est mutant. On apprend toujours mieux en compagnie d'autres, et je ne parle pas que de l'usage de ses talents."

Harald écoutait avec attention ce que lui disait Antonin.

"Oui mais moi, je ne fais pas de la musique... Et je ne pense pas que le fait de changer une belle sculpture en un tas de charbon va me faire des amis, bien au contraire! Et là mon humanité sera rudement remis en question..."

Le jeune norvégien parut retrouver espoir quand Antonin Karoly lui parla d'autres mutants.

"Seul? Mais vous êtes le premier mutant que je rencontre, j'ignorais jusqu'à aujourd'hui qu'il existait d'autres personnes spéciales! Auprès de qui pourrais-je apprendre? Vous?"

Antonin rit brièvement à la question d'Harald, avant de répondre.

"Sincèrement, non. Excuse moi d'être dur, mais je ne tiens pas à t'avoir constamment dans mes pattes, sans pouvoir t'expliquer quoi que ce soit.

Ça m'étonne que tu n'aies jamais entendu parler de mutants... Surtout si ton père est au courant, ce n'est pas comme si tu étais un ermite. Tu ne lis jamais les journaux ? Depuis un an, certains ne parlent que de cela..."

Il se tourna un instant vers la mère d'Harald, qui discutait avec des gens, et avec Olesen. Harald ne pouvait pas entendre ce qui se disait, il n'entendait qu'un brouhaha confus.

"Il y en a pas mal d'autres... Même les vieux à côté de toi ont entendu parler de l'institut Xavier, en Amérique. C'est d'eux qu'ils parlaient... les destructeurs en Amérique."

Il se tourna à nouveau vers la sortie, afficha un petit sourire, puis dit à voix basse, comme si quiconque pouvait entendre de toutes façons.

"Ta mère et le curé local n'apprécient pas trop de te voir discuter avec moi."

Harald accusa le coup en entendant les premières réponses d'Antonin. Il s'attendait à ce que le hongrois ne veuille pas se charger d'un tel fardeau, mais il fut quand même déçu. Ce qui le surprit davantage, c'était que d'autres mutants existaient et s'il avait été un peu plus ouvert au monde, il l'aurait appris! Mais pourquoi son père ne lui avait rien dit non plus, il devait être sûrement au courant lui!

"L'Institut Xavier? C'est une école pour mutants? Mais ils ont détruit quelque chose? Si c'est le cas, je n'ai aucun intérêt à aller frapper à leur porte!"

Harald se tourna vers la sortie comme le lui indiquait Karoly, et remarqua sa mère en grande discussion avec Olesen. Il n'entendait rien mais ça n'avait pas l'air d'être enthousiaste.

Harald chuchota :
"S'ils savaient ce que j'étais... N'y prêtez pas attention pour ma mère, elle est un peu bigote et conservatrice mais totalement inoffensive. Et cela vaut aussi pour Olesen. J'espère que ce dernier ne reniera pas sa promesse de vous héberger."

Antonin répondit sur le ton de la confidence.

"Oh non, il ne reniera pas sa promesse... Il a trop peur que j'aille détruire son presbytère, et l'église au passage... Peut-être même le village. Qui sait... Certains mutants, quand ils sont contrariés deviennent de véritables machines de guerre !"

Son ton avait été suffisamment léger pour qu'Harald comprenne qu'il s'agissait d'une plaisanterie. Même si, un petit doute persistait. Après tout, rien qu'en chantant, il avait fait vaciller des bancs... Que se serait-il passé s'il avait hurlé...

"C'est difficile à dire s'ils ont détruit quelque chose... D'aucuns appellent ça de la légitime défense. En tout cas, de ce que j'en sais, ils sont intervenus de façon musclée pour sortir des gosses lobotomisés d'un savant fou à Paris... Après, à toi de voir si tu peux vivre avec ça. Ils clament qu'ils veulent la paix dans le monde, mais il ne faut visiblement pas leur chercher des poux. De toutes façons, il n'y a pas d'autre école pour mutants au monde."

Il adressa quelques sourires encore en direction d'Olesen et de la mère d'Harald.

Harald hocha la tête, ça se tenait après tout, lui même n'était pas le dernier à ruer dans les brancards quand certains jeunes dépassaient les bornes.

"En même temps, vous n'avez pas été à l'Institut, pas vrai? Donc on peut s'en sortir tout seul."

Alors que Harald allait prendre congé du chanteur, il se ravisa.

"Vous qui voyagez, vous devez savoir où cet Institut se trouve, et comment on s'y rend, n'est-ce pas? Je pense que je vais essayer de récolter des infos sur cette école, et si cela parait coller peut-être que... Ils acceptent tout le monde?"

Antonin eut un soupir amer.

"Ne crois pas que ça a été aussi facile que ça. Et j'ai aussi été aidé... Quant à l'institut, tout le monde peut trouver sans difficultés où il se trouve, il ne se cache pas..."

Il s'interrompit alors que la mère d'Harald s'approchait, accompagnée d'Olesen. À en juger par l'apparente inexpressivité de son visage, elle n'était pas contente.

"On rentre Harald."

Elle n'adressa même pas un au revoir au chanteur, se contentant d'attraper son fils par l'épaule pour quasiment le jeter dehors. Ce n'est qu'une fois dans la voiture qu'elle commença à distiller son venin.

"Un mutant ! Une de ces horreurs de mutants ! Dans mon église en plus ! Et nous nous sommes associés à cela ! J'ai des frissons rien que de penser que mon nom pourra être associé à jamais à cette monstruosité."

Harald se retourna et vit sa mère avec sa figure des mauvais jours. Cela n'augurait rien de bon, la situation allait tourner au vinaigre. Son maigre seuil de tolérance avait été atteint.

Harald n'eut pas le temps de piper mot, qu'il fut saisi et poussé manu militari vers la sortie par sa mère. Il ressentit une honte vivace, honte du comportement inflexible et irréfléchi de sa mère, honte de sa lâcheté, de se laisser manipuler comme un enfant devant tout le monde, et surtout devant Antonin Karoly. Il avait horreur de se donner en spectacle mais il aurait du réagir, résister.
Au seuil il fit d'une voix forte :
"Au revoir Antonin, et merci!"

Piètre résistance en vérité. Au moins, il avait remercié Antonin, il lui devait bien ça.
*Il doit se payer ma figure, tiens. En tout cas je lui souhaite bien du courage avec Olesen.*

Dans la voiture qui s'éloignait vers le domicile des Brattbakk, la mère d'Harald explosa tant et si bien que son fils d'abord abasourdi par tant de haine, serrait les poings d'une rage contenue.
"En quoi Antonin Karoly est-il un monstre?! Qu'a-t-il fait pour te mettre dans un tel état? Il a chanté de façon divine, et ce pour le bien de l'église."

*Ton nom EST associé à une monstruosité, et même plus, l'horreur, c'est toi qui l'a enfanté, Maman*, voulut-il lui jeter à la figure.

Sa mère ricana, tout en conduisant, visiblement trop vite, et visiblement très énervée.

"Tu as entendu aussi bien que moi... C'est un mutant... Une ignominie crée par le malin pour détruire l'humanité. Et il n'y a pas pire démon que celui qui se donne un visage angélique pour berner les crédules."

Elle partit ensuite d'une sorte de rire hystérique.

"Oh mon dieu Harald... Mon propre fils... Il t'a fourré des idées démoniaques dans la tête, c'est ça ?"

Elle continua ensuite à parler toute seule, à base de c'est pas possible...

Harald n'en croyait pas ses oreilles et répondit à sa mère plus violemment qu'il ne l'avait jamais fait :
"Mais tu es en plein délire! Tu hurles au diable et vois des démons qui sont prêts à fondre sur toi? Satan en train de pousser la chansonnette dans une église en bois debout, ben voyons!"

Harald recouvrit un semblant de sang-froid en entendant le rire hystérique de sa mère.

"N'as-tu jamais songé que bien au contraire les mutants étaient un don de Dieu pour aider les hommes? N'as-tu jamais pensé que peut-être à Borgund même il y avait un mutant qui avait peur de vivre à cause de l'intolérance de certains comme toi?"

Harald se tint à la poignée au plafond de la voiture qui roulait un peu trop vite.

"Maman, ralentis s'il-te-plait."

Sa mère ne semblait pas encline à ralentir, bien au contraire, sa conduite allait en accélérant, et était de plus en plus brusque.

"Un don de Dieu ?! Après ce qu'ils ont fait ? Tu n'as donc pas entendu qu'ils ont manqué de détruire des monuments en France ? Oooh... Mais je comprends... c'est ce mutant, il t'a endoctriné, c'est ça ?"

La voiture s'arrêta finalement, Harald et sa mère étaient arrivés. Rejoindre la terre ferme n'empêcha toutefois pas sa mère de continuer à vitupérer.

"Ces monstres... Endoctriner mon fils... Tu ne sortiras plus de la maison Harald, et crois moi, s'il y a un mutant à Borgund, je le trouverai, et je le brûlerai vif !"

Son père sortait de la maison pour aller les accueillir, et regarda d'un air effaré la scène.

Harald referma la portière du véhicule et regarda son père, l'oeil hagard. Il était partagé entre la consternation de voir sa mère dire de telles ignominies et la colère de se sentir rabaissé à l'état de monstre ambulant. Il aimait sa mère, même s'ils s'étaient éloignés il y a quelques temps. Mais ce dernier épisode portait un coup au coeur du jeune norvégien, une hémorragie inextinguible et très douloureuse.
Après une légère panique, Harald se ressaisit, l'amertume sourdait dans sa poitrine comme un lent poison. Un sourire féroce et sans joie se plaqua sur son visage :

"Papa, sors le fusil et allume les torches! Ce soir, on part à la chasse au mutant! Vous en trouverez déjà un chez Olesen. S'il te plait, tu laisseras à Maman le soin de l'achever, j'espère qu'elle le regardera droit dans les yeux quand la vie le quittera. Désolé de ne pas pouvoir participer à la curée, Maman a décidé de me cloîtrer à la maison."

Harald se dirigeait vers la maison, s'arrêta un instant et dit à sa mère :

"J'espère que tu me raconteras tout le plaisir que tu auras éprouvé. Avec un peu de chance, il te chantera un petit requiem. Peut-être qu'il te livrera aussi le nom des mutants de la région... En tout cas, je ne resterai pas dans cette maison très longtemps..."

Son père regarda alternativement Harald et sa mère, l'air éberlué. Qu'est-ce qui avait bien pu se passer pendant ce voyage en ville qui avait pourtant tout de la normalité... Surtout dans un projet qui, normalement, rapprochait les deux membres de sa famille.

Sa mère ne répondit pas à l'attaque, son père non plus. Ils ne le suivirent pas dans la maison. Son père allait sans doute demander des comptes. Harald n'entendit pas grand chose, du fait de l'insonorisation. Juste que ça parlait fort, puis le bruit de la voiture qui repartait.
Quelques minutes plus tard, son père le retrouvait

"Eh bien... Il y avait donc un mutant en ville. Je ne m'attendais pas à ce qu'elle réagisse si violemment. Mais bon... Avec toutes les recherches qu'elle a fait sur les mutants, ce n'est pas étonnant. Ça va toi ?"

Il semblait assez concerné par l'état psychologique de son fils, ça n'avait probablement pas du être facile...

Harald s'était affalé sur le canapé, sans se dêvetir ni se déchausser, sacrifiant seulement le bonnet de chaude laine noire. Il n'entendait pas grand chose de ce qui se passait dehors et il était partagé entre l'envie d'aller espionner l'échange entre ses parents et la perspective de rester là ruminer de sombres pensées.

Il entendit le moteur de la voiture vrombir, et les graviers crisser sous les pneus du véhicule. Puis la porte s'ouvrit, des pas lents qui se dirigaient vers le salon. Harald n'osa pas lever les yeux pour découvrir qui s'approchait, il était las de cette dispute et ne se sentait pas de reprendre les hostilités. Il accueillit la voix de basse de son père avec soulagement.

"Bof, bof... Maman est devenue complètement hystérique au sujet des mutants. Au moins nous sommes fixés sur la réaction potentielle qu'elle pourrait avoir en apprenant ce que je suis. Pour elle en tout cas, cela ne fait pas de mystère, je suis une abomination tout droit sortie de la gueule ardente des enfers. C'est juste qu'elle ne le sait pas encore. Eh oui les mutants détruiront le monde..."

Harald souffla tout bas, pour lui-même :
*Le Ragnarok...*

Puis le jeune homme se reprit et raconta à son père la fin d'après-midi avec sa mère et la rencontre enthousiasmante avec le mutant Antonin Karoly.

"Tu ne m'avais jamais parlé d'autres mutants, Papa, et Karoly m'a certifié qu'ils ont pas mal parler d'eux ces derniers temps. N'as-tu jamais entendu parler de l'Institut Xavier? Tu me l'as caché? Maman aussi a fait des recherches viens-tu de dire, qu'a-t-elle trouvé? Dis-moi tout s'il te plait."

Son père ne répondit pas immédiatement à la question, se contentant de s'assoir.

"J'ai préféré ne pas trop t'en parler pour ne pas t'emballer... Ta mère a rapidement eu des idées très arrêtées, et ça aurait beaucoup compliqué les choses. Et puis... Ces autres mutants sont loin. L'Institut Xavier est aux États-Unis, c'est un grand trajet. Je ne sais pas ce qu'ils valent, les informations sont tellement contradictoires... Je ne sais pas si ce serait le mieux pour toi."

Il avait plus ou moins cherché à le protéger, ou alors, à le garder... Qui sait...

Harald fit la moue :

"Alors qu'est-ce qu'on fait? Je continue de vivre dans le mensonge, en essayant tant bien que mal de cacher des pouvoirs que je ne maîtrise pas? Avec le risque que quelqu'un découvre ce que je suis à chaque instant, pire si ce quelqu'un est Maman. On s'éloigne l'un de l'autre à cause de ce lourd secret, je suis sans cesse sur le qui-vive en sa présence... Et peut-être que si cela continue comme ça, on y arrivera plus, ça va éclater, surtout si elle se met dans des états pareils en évoquant les mutants. Il ne faut pas qu'elle le découvre."

Harald se demanda si justement cela ne serait pas mieux pour tout le monde qu'il parte, loin, pour les Etats-Unis pourquoi pas, cela lui donnerait un but. Une nouvelle vie... L'Institut, peut-être, si celui-ci en valait la peine. Il fallait se renseigner, se rendre compte par soi-même. Comme l'avait dit Karoly, les pensionnaires de l'Institut savaient se défendre, et dans ce monde ce n'était pas du luxe.
Un espoir un peu fou commençait à naître. Il exposa à son père son idée, son projet. Il devait apprendre à voler de ses propres ailes un jour ou l'autre, savoir se protéger lui et les siens.

Alors qu'Harald et son père dissertaient de l'opportunité de l'envoyer ou non à l'Institut, et de ce que dirait sa mère, le téléphone se fit entendre. Son père se leva alors, et alla décrocher. Le temps de se présenter, et il devint livide, puis se contenta de réponses monosyllabiques. Quand il raccrocha, il était plus blanc que la neige, et se tourna vers Harald.

"Ta mère... vient d'avoir un accident de voiture... Nous devons aller en ville"

Il alla alors, de façon tout à fait logique, s'assoir dans le fauteuil, et fixa le mur en face de lui.

Harald regardait distraitement son père au téléphone, attendant avec impatience que celui-ci raccroche afin de reprendre leur discussion sur son projet de nouveau départ. Mais il remarqua très vite que quelque chose clochait, son père semblait avoir pris un coup dans l'estomac, il était hésitant et bref dans ses réponses, son visage devenu livide. Une main glacée enserra le coeur d'Harald, il sut qu'il était arrivé un malheur.
Avec appréhension il attendit que son père, qui venait de raccrocher, lui apprit ce qu'il pressentait déjà avec angoisse. Les premiers mots lui donnèrent implacablement raison, et il se précipita vers la sortie, mort d'inquiétude.

La main encore sur la poignée de la porte d'entrée, Harald se retourna pour demander plus d'informations, et constata avec surprise que son père ne le suivait pas. Il retourna, fébrile, dans le salon.

"Papa! Papa? Que f..."

Harald ne comprenait pas, et resta quelques secondes interdit devant son père qui était assis dans le fauteuil, immobile, le regard fixe. Le jeune homme s'approcha et posa la main sur l'épaule de son père. D'abord une légère pression, puis une légère secousse.

"Papa, qu'est-ce que tu fais? Il faut venir, Maman a besoin de nous! Euh...Tu te sens bien?"

Son père le regarda un instant d'un air hagard, puis sembla se ressaisir... Enfin... Il le regarda, ce qui était un début, puis il répondit d'une voix blanche :

"Oui... Allons-y..."

Une vingtaine de minutes plus tard, ils arrivaient au centre ville, à l'hôpital, qui était le siège d'une certaine agitation. Les nouvelles allaient vite... Trop vite... Harald put reconnaître Olesen, à l'entrée de l'hôpital. Était-ce lui qui avait appelé ? En tout cas, il s'avança vers Harald et son père, puis dit simplement qu'il allait s'occuper de lui, alors que son père entrait dans le service d'accueil des urgences.

"Je suis vraiment désolé Harald... Après une si belle journée... le seigneur nous envoie cette épreuve, et il va falloir y faire face dignement."

Quelques mots de réconfort bien maladroits...

Harald et son père sortirent très vite de l'automobile garée à l'emporte pièce sur le trottoir face à l'hôpital. Alors qu'ils traversaient la rue sans un regard sur la circulation, Harald vit Olesen venir à leur rencontre, la mine effondrée. Celui-ci retint le jeune homme tandis que son père s'engouffrait dans le service d'admission des urgences.
Harald repoussa la main compatissante d'Olesen et poussa un grognement d'irritation. Cette grenouille de bénitier l'empêchait d'accompagner son père, et Harald avait d'autres chats à fouetter que d'écouter les sermons creux du pasteur. Harald ne désirait qu'une chose : avoir des nouvelles de sa mère. Il était en âge de se trouver informé, et auprès des siens.

Après un dernier regard à l'entrée des urgences où son père venait de disparaître, Harald considéra Olesen:
"Comment va-t-elle? Que s'est-il passé?"

Le père Olesen regarda au sol, d'un air désolé.

"Elle est... très mal au point... Il ne vaut mieux pas que tu la voies tout de suite. J'ignore ce qui s'est passé. Elle est arrivée en ville comme une furie, et a manqué de renverser des passants. Il y a eu quelques blessés légers, sans gravité. Tiens ! Même Karoly a été un peu blessé. Mais le seigneur, loué soit-il, a empêché qu'il y ait d'autres drames... Mais à quelle prix. Il semble qu'elle ait perdu le contrôle de la voiture, et elle a violemment percuté un mur..."

Il marmonna alors ce qui semblait être une quelconque invocation mystique, déplorant toute la haine qui se répandait dans le bas monde, sans aucune raison...