Belle journée à Glasgow

"Oh vous savez, ma bonne dame moi c'est vivre et laisser vivre mon crédo... J'y fait pas trop gaffe aux conversations des marmousets. Alors, bon..."

Il se gratta à nouveau la tête.

"Ces gars, je les vois de temps en temps. Ils traînent à gauche, à droit, en faisant rien que boire des canons. Leur "dieudosier", j'sais pas où c'est qu'il est. Moi, ma bonne dame, j'suis qu'une pauvre cloche qui boit des coups. C'est tout. Et le gars derrière le bar, c'est pareil : vivre et laisser vivre. Tant qu'on paye les coups, il est pas regardant sur la clientèle"

Alors que Jolène allait pour partir, il ajouta néanmoins :

"J'm'y souviens qu'ils ont juste dit que c'coup ci y'aurait pas "batard'eud'johnsix" pour la sauver... Si ça peut vous aider, ma bonne dame... Si ça peut vous aider..."

Jolène était maintenant de retour dans la pièce principale.

Donc le barman ne servirait à rien. Par contre si c'était Papa John Six qui avait sauvé la fille il y a quinze ans, c'était probable que Fiston John Six Junior savait où se trouvait le lieu d'incarnation. L'espoir revenait. Finalement, elle arriverait peut-être à temps.
Elle retourna en vitesse sur l'ordinateur, ouvrit le navigateur et commença ses recherches.
"John Six Junior". Elle fit des recherches sur tout ce qui pouvait donner des résultats, que ce soit sur l'annuaire sur internet, un quelconque site qui pourrait donner des informations, sa page personnelle...elle devait absolument trouver ce qu'elle cherchait sur lui, c'est à dire adresse, numéro de fixe et, si elle avait de la chance, numéro de portable pour le joindre.

Elle passerait autant de temps qu'il fallait pour trouver ces informations et quand elle les trouverait elle pourrait l'appeler. D'abord sur le portable, si elle l'avait trouvé, et ensuite sur le fixe. Il fallait absolument qu'elle lui demande où se trouvait le lieu de sacrifice.

Après de brèves recherches, Jolène trouva le numéro de fixe de John Six Senior sur un annuaire quelconque. Le fiston, quant à lui, n'avait pas laissé ses coordonnées sur le net.

Néanmoins, en appelant, elle eut plutôt de la chance. Après une petite dizaine de sonneries, une voix fatiguée mais jeune répondit :

"John Six, j'écoute... (baille). C'est à quel sujet ?"

Bon John Six père, c'était mieux que pas de John Six du tout. Elle se saisit du combiné et tapa le numéro. Il fallait qu'il réponde à tout prix...Elle soupira de soulagement lorsqu'elle entendit la voix à l'autre bout du téléphone. C'était son jour de chance apparemment.

"Jolène Ferjault. Je vous appelle à propos des adorateurs de L'enfant de la Lune, monsieur Six Junior. Ils vous recommencer cette nuit, la "réincarnation" comme y disent va avoir lieu, je dois savoir où se trouve le lieu de sacrifice où votre père avait sauvé la jeune fille...de préférence rapidement. Ils sont partis il y a quelques minutes, je me trouve à la Taverne du Chardon à Glasgow mais je ne sais pas par où ils sont allés."

Malgré la vitesse à laquelle elle parlait, sa voix restait contrôlée et ne bafouillait pas, et faisait en sorte que les autres . Si il ne pouvait pas la renseigner...qui pourrait le faire?

Il y eut un long silence au bout du combiné...

Au moment où Jolène crut que l'homme avait raccroché ou faisait une syncope, elle entendit la même voix, plus alerte, comme si certains mots dans les paroles de la mutante avait réveillé en toute hâte le jeune homme :

"Ce n'est pas une blague, n'est-ce pas ?" demanda-t-il, interloqué.

"Bon, je m'habille et je prépare du café. Venez rapidement. Si vous avez mon téléphone, vous devez avoir mon adresse... Mais à tout hasard, je vous la redonne..."

L'endroit était connu de Jolène. Ce n'était pas très loin en fait. Elle pouvait y être en dix minutes.

"J'espère que ce n'est pas une blague... Elle serait d'un goût plus que douteux".

Il raccrocha.

Il l'avait écouté, c'était déjà pas mal, ou en tout cas il lui avait donné une chance de s'expliquer. Jolène soupira. Elle ne s'en était pas rendu compte mais en attendant la réponse elle avait retenu sa respiration, comme si le moindre bruit pouvait le faire changer d'avis. C'était comme une victoire pour elle et elle se sentait revigorée. Il y avait encore une chance pour les rattraper. Une toute petite chance...Mais cette petite chance lui faisait beaucoup de bien.

Elle raccrocha le combiné et sortit du bar, presque un sourire au lèvres, presque. Ce n'était pas loin de là où elle se trouvait mais gagner du temps ne serait pas un mal. Elle insipra un coup, resserra son sac au niveau des épaules et se mit à courir dans les rues de Glasgow. Elle ne faisait pas attention aux gens qui l'entouraient, elle allait juste le plus vite que ses jambes pouvait faire, tout en faisant attention à ne pas s'épuiser inutilement, elle devait garder quelques forces au cas où.

Cette course lui faisait plus de bien qu'elle ne l'aurait crût. Pendant qu'elle sentait l'air lui brûler la gorge et les poumons, elle oubliait tout ce qui s'était passé depuis qu'elle était sortie de chez elle. Elle profitait de la courte course qu'elle pouvait faire pour s'échapper du monde et de tous les soucis qui étaient arrivés, elle allait les affronter bientôt de toute façon...

Après quelques minutes de course, ce fut légèrement essoufflée et les joues rouges qu'elle arriva à l'adresse donnée par Mr Six. Elle se ressaisit quelques secondes, histoire de ne pas trop souffler et frappa à la porte.

"Monsieur John Six, c'est moi qui vous ai appelé il y a quelques instants!"

Enfin, elle allait pouvoir rattraper ces adorateurs qui l'intriguaient tant. Et après...après...elle pourrait ouvrir le paquet...Penser à cela lui donna un peu d'entrain. Plus vite ce serait fini et plus vite elle pourrait ouvrir le paquet qui pesait dans son sac.

Un jeune homme lui ouvrit la porte.


"Venez. Nous allons passer dans le bureau de père..."

Il ajouta, un peu agacé :

"Dépêchez-vous sinon votre café et mon thé vont refroidir"

La demeure de John Six Senior était plutôt agréable. Ancienne. Poussiéreuse. A la décoration chargée. Mais agréable. Le père de ce jeune homme semblait avoir été un homme de culture.

Jolène traversa plusieurs pièces remplies de livres, d'objets anciens, de tableaux... Elle ne put s'empêcher de remarquer que le thème de la Lune était très prééminent : nombreuses étaient les œuvres présentes dans cette bâtisse qui y faisaient directement référence.

Le bureau ne dérogeait pas à la règle : nombreuses cartes de la Lune, gravures classiques, représentations magiques de l'astre lunaire... Il y avait un peu de tout aux murs. Sans compter qu'elle ne put s'empêcher de noter la présence d'un matériel d'astronomie abîmé au sol.

John Six Junior s'approcha d'un siège recouvert d'un drap blanc usé et, virant ce dernier, libéra la chaise pour Jolène.

"Asseyez-vous et servez-vous à boire"

Il s'installa en face, derrière le bureau. Des boissons chaudes se trouvaient sur celui-ci.

Devant la jeune fille, au dessus d'une belle bibliothèque, Jolène remarqua une série de masques d'animaux assez anciens. John Six Père collectionnait les belles choses... Mais aussi les objets inquiétants.

"Alors les Enfants de la Lune existent toujours ?" commença-t-il de sa voix nasillarde. "C'est très curieux, oui très curieux... Et quel est votre intérêt par rapport à eux ? Vous voulez participer à leurs fêtes ?"

Jolène n'en croyait pas ses yeux, tous ces livres sur la Lune, tous ces objets, le père avait vraiment passé sa vie à ça apparemment. Elle regardait avec attention toutes les cartes du ciel qui se trouvait dans le bureau et lorsque ses yeux tombèrent sur le matériel d'observation ses yeux s'agrandirent. Incroyable. Toute cette science...elle aurait bien aimé connaitre le père, ça devait être un vrai puits de sciences. Par contre son fils...il y avait quelque chose qui la dérangeait. Comme si il était plus perturbé par la jeune fille que par les informations qu'elle lui apportait et que ce n'était qu'une vulgaire plaisanterie. Elle n'aimait pas ça du tout, elle se sentait vexée.

Elle prit place sur le siège. Au moins, il lui prêtait assez d'attention pour lui avoir préparé du café, qu'elle ignora superbement. Elle n'était pas venue là pour boire mais pour récupérer des informations. Et vite.
En levant la tête elle remarqua les masques. Elle eut une grimace en les voyant. Ils étaient pour le moins...originaux. Tout cela était bien étrange, et elle aurait aimé en savoir plus. Plus tard peut-être? Pour le moment, les mondanités n'étaient pas de mise et ces masques n'étaient pas la priorité du moment.

"On dirait que oui..."

Elle eut un sourire sarcastique, il n'était pas censé être plus au courant qu'elle sur eux?

"Vous m'avez l'air d'être au point."

Elle marqua une pause avant de reprendre, en essayant ne pas contrarier son interlocuteur. Elle planta son regard dans celui de monsieur Six.

"Et je vous ai expliqué au téléphone de quoi il s'agissait. La secte va faire un sacrifice cette nuit et j'ai besoin de savoir où s'était passé le dernier. Pour anticiper vos questions, comment je le sais? J'ai croisé des membres qui ont tenté de me "recruter". Ils avaient l'air d'être sous l'effet d'une drogue. Et j'ai fait mes recherches sur internet pour en savoir plus sur eux, je suis tombé sur un dessin du sacrifice en question, la jeune fille brûlant vive dans un monstre de paille. C'est en discutant avec quelqu'un dans la Taverne du Chardon que j'ai entendu dire qu'ils emmenaient une jeune femme à un "Dieu d'osier" cette nuit même et que la jeune fille s'était débattue. "

Elle marqua une pause, il devrait se contenter de la version courte, ce n'était ni le lieu ni le moment de raconter sa vie. Elle ouvrit tout de même son sac et en sortit le pendentif en forme de Lune.

"Et il y avait ça sur le lieu de la bagarre."

C'était son seul atout palpable. Le reste n'étaient que paroles.

"Suis-je encore catégorisée comme un mauvais plaisantin? Ou vous allez m'aider et me dire où se trouve le lieu de sacrifice?"

Le jeune homme eut l'air surpris de ce qu'il entendait. Puis agacé. Puis captivé... Finalement, il se passa un long moment de silence après que Jolène eut fini de parler... L'homme ne cillait pas. Non. Il avait les yeux écarquillés de stupeur. Et John Six n'avait même pas touché à son précieux thé...

Il avala sa salive puis lâcha d'une voix rapide :

"Purée, vous avez l'air sérieuse... Diablement sérieuse !"

Puis comprenant qu'il venait de faire preuve d'un manque cruel de savoir-vivre, il précisa :

"Je m'excuse de mon comportement désinvolte... Je vous avais prise pour l'une de ces nombreuses filles en plein mal-être existentiel qui prenaient contact avec mon père pour en savoir plus... Et savoir où trouver cet endroit "si merveilleux" où les enfants de la Lune se retrouvent pour se livrer à leurs parties habituelles de débauche..."

Six retira ses lunettes et se pinça le front.

"Vous l'aurez bien compris, je ne suis pas comme mon père... Lui, était fasciné par ce mouvement. Il en a été membre d'ailleurs. Il avait même abandonné tout pour lui : son travail de professeur d'université, sa femme et, sans oublier, un petit garçon de dix ans..."

Il fit la moue. Visiblement, il avait quelques tics et une grosse rancœur.

"... qui se trouve maintenant, adulte, devant vous. Mais le passé est le passé. Quoi qu'il en soit, il a rapidement déchanté en rencontrant le Gourou et en comprenant que les enfants de la Lune, c'est un peu plus que des drogues hallucinogènes, de la libération sexuelle de masse et quelques rites new age. Beaucoup plus. le Gourou Towen était un cintré"

Six toussa. Et reprit :

"Mon Père avait compris qu'il se tramait quelque chose d'horrible : une pauvre jeune vierge un peu déséquilibrée allait être sacrifiée suite à une immonde nuit de noce. En étant enfermée dans leur dieu d'osier. Il ne l'a pas entendu ainsi. Et alors que le pantin d'osier commençait à être dévoré par les flammes, il se précipita à l'intérieur pour délivrer la jeune fille. S'armant d'un bâton enflammé, il frappa au visage le Gourou et s'enfuit à travers les bois..."

La mine de Six était grave. Il s'éclaircit la voix et poursuivit :

"Ça c'était, il y a 15 ans. Mon père n'a jamais repris sa vie de famille. Il n'a même plus jamais remis les pieds à l'université, préférant accepter un poste plus modeste à Glasgow. Les rares fois où je suis allé le voir, il marmonnait des inepties au sujet d'un éventuel retour de la secte... Voyant de la magie et des signes partout..."

C'est avec une légère larme dans l'oeil que le jeune homme termina le récit de la vie de son père :

"C'était mon père. Je l'aimais ce vieux fou même si on ne s'est jamais réellement compris. Vous voyez, jeune fille, je suis un scientifique. Un psychologue plus exactement. Je ne crois pas dans les puissances de l'esprit ou le surnaturel. Je... Je suis différent mais ça n'a rien de magique. Et ça, mon père ne l'a jamais su... J'aurai aimé le lui dire, me confier à lui mais..."

Six se moucha bruyamment et détourna le regard.

"Il a été tué. On a volé des trucs ici. Aux dires d'un voisin, il y aurait eu 4 hommes mais... Au fond, arrêter les coupables ne changera rien à la terrible vérité : John Six Senior est mort. Et..."

Il prit une gorgée de thé.

"Mon père aurait adoré parler avec vous. Mais quoi qu'il en soit, je parle, je parle et.... votre problème reste entier. Alors, nous allons appeler la police et leur signaler le problème. Je sais où est leur lieu de sacrifice. Ce sera plus simple pour eux"

Le jeune homme décrocha le téléphone et fit le numéro. Au bout de quelques minutes, il devint blême.

"C'est occupé... Punaise..."

Et c'est avec un air complétement consterné qu'il dévisagea Jolène :

"Vous n'allez quand même pas y aller ? Ces types sont des tueurs. Non franchement..."

Il tremblait.

"Franchement que comptez-vous faire là bas ?"

Elle eut un petit sourire quand Six s'excusa. C'était une victoire pour elle, non seulement il l'avait crût mais en plus il se reprenait. Elle pouvait comprendre que de se faire attaquer par des greluches en manque d'action et de sensations fortes pouvait être usant à force, voir énervant.
Lorsqu'il se mit à parler de son père, les sourcils de Jolène se froncèrent. Décidément, les père étaient bien mauvais ces derniers temps mais ce qu'il lui disait ne l'étonnait pas plus que cela. Seul un membre, ou un ex-membre, aurait put en savoir autant sur la secte. Elle ressentit une sorte de sympathie pour le jeune homme. Se voir abandonner par son père ne devait pas être un chose facile...et le voir mourir sans avoir put lui pardonner ne l'était pas plus. Il lui avoua être psychologue. Ainsi il restait scientifique malgré tout, même si il n'avait pas suivit les traces de son père. Quelque chose la gênait dans le reste de son discours "Je suis différent mais ça n'a rien de magique."...il serait un mutant? Non...il dit que ça na rien de magique...mais les mutations sont génétiques...

Elle s'arrêta de réfléchir lorsqu'il tenta d'appeler la police. Elle ne souhaitait pas plus que cela de les voir intervenir mais elle avait conscience de ne pouvoir rien faire toute seule, ou à deux. Elle n'eut pas besoin d'un dilemme intérieur, de toute façon ils ne répondaient pas, elle était à la fois contente de cela, elle pourrait agir, mais d'un autre côté, elle avait peur. Si ils étaient tous aussi effrayants que ceux qu'elle avait déjà vu, et aussi fous, elle ne pourrait pas faire grand chose. Malgré cela, elle garda un visage impassible. Elle devait trouver une solution. Si ils faisaient une diversion, l'un d'entre eux pourraient aller libérer la jeune femme. Enfin si il acceptait de l'aider.

"Vous venez avec moi, n'est-ce pas?"

Si ils étaient deux, ça pouvait être possible, plus que toute seule en tout cas. Elle inspira un grand coup. Puis son regard fut attiré par les masques si effrayants qu'elle avait vu...Il y aurait peut-être un moyen en fait. Il leur faudrait juste quelque chose d'assez grand...Pour leur faire peur...les effrayer un peu...

"J'ai bien une idée...mais il me faudrait les masques de votre père."

Elle montra du doigt ce qui se trouvait au dessus de l'armoire.

"Nous pourrions leur faire peur à l'aide de ceci. Si ils sont sous l'emprise de drogues, ça devrait marcher...Il faut juste trouver une manière pour faire quelque chose d'impressionnant...Pourquoi pas les attacher sur ce drap? En courant à travers les bois, ou assez loin pour qu'ils ne puissent pas voir précisément ça pourrait faire illusion. Avec en plus de la lumière inquiétante et des bruits étranges ça pourrait marcher."

Elle était sérieuse en disant cela, c'était assez impressionnant. Dire une idée aussi folle sans ciller, il fallait y croire. Bon...les bruits et la lumières, c'était qu'elle avait vu trop de films...elle n'y croyait pas vraiment mais il fallait proposer...au cas où...

"L'un d'entre nous contrôlera les masques...et l'autre ira récupérer la jeune fille...tant que la diversion marchera...Et si vous savez faire quelque chose qui peut aider ce plan, j'en serais ravie"

Si, comme elle le croyait, c'était un mutant, il avait peut-être eut une mutation utile pour servir cette idée folle.

"Mon Dieu, j'étais sur que vous alliez dire ça" lâcha dans un étranglement Six.

Il la regarda fixement d'un oeil tremblant, puis ajouta :

"Vous êtes sérieuse, n'est ce pas ?"

John retira à nouveau ses lunettes et se massa les tempes.

"En même temps, je serai le dernier des lâches si je vous laissez y aller toute seule... Bon, c'est OK"

Se redressant pour se saisir d'un masque de chien, il le tendit à Jolène.

"Votre idée est théoriquement bonne. Mais ces masques ne leur feront pas peur. Loin de là. Ils en portent tous un. C'est la tenue de cérémonie : un masque d'animal, une robe blanche façon toge romaine et rien d'autre. Et bien sur... Le pendentif que vous m'avez montré est celui de l'Enfant de la Lune"

Il sourit timidement, s'appuyant contre la bibliothèque.

"Mais vous avez raison : ce sont des drogués. Ils sont dans un état second dans les cérémonies habituelles. Alors j'imagine que pour le retour de leur foutu Enfant de la Lune... On peut jouer là-dessus : selon mon père, Towen les tenait avec des miracles pourris et... Un truc imprévisible pourrait les captiver. Mais ça supposerait que vous arriviez à les approcher suffisamment... Et je doute qu'il laisse passer une étrangère à la cérémonie sans heurts..."

Une pause fut marquée. Comme si l'homme hésitait. Puis... Ses semelles, ses pieds, son corps décollèrent de quelques centimètres l'espace d'un court instant. Revenu sur le plancher des vaches, il avoua :

"Je suis un mutant. Je flotte plus que je ne vole. Mais je suis un mutant, oui"

Six avala sa salive et, passant à tout autre chose, termina :

"Il nous faudra ma voiture et une lampe. Je n'ai pas d'armes en revanche. Mais... Comment les approcher ?"

Ce psychologue était peut être de très bonne volonté mais... Il était dénué de tout sens pratique.

Encore mieux...si ces masques étaient les masques de cérémonie, il suffisait de les mettre pour passer inaperçus...pas besoin de son plan étrange. Un sourire s'afficha sur son visage. C'était parfait. En plus il allait la suivre, un atout en plus. Finalement, ce serait plus simple que ce qu'elle aurait crût.

Lorsqu'il se mit à léviter, Jolène eu un mouvement de recul involontaire. Elle avait été étonnée de le voir quitter le sol puis de le voir atterrir. Voila un pouvoir qui, si il n'était pas contrôlé, devait être plus embêtant qu'autre chose. Et surtout voyant.

"Effectivement, ça pourrait nous être utile."

Elle avait dit ça les yeux dans le vague, perdue dans ses pensées, elle réfléchissait déjà à ce qu'il faudrait faire. Ils se déguiseraient tous les deux...peut-être pourrait-elle mettre le collier en pendentif, ou Six, histoire de les perturber un peu...et là il se mettrait à léviter. Elle profiterait de l'occasion pour s'infiltrer dans le monstre végétal et sauver Ailein des flammes. Comme ça, ça semblait simple...Elle doutait qu'en réalité ça le soit.

"J'ai pas d'armes non plus mais on peut espérer ne pas en avoir besoin."

Elle soupira. Sinon ils pourraient prendre des couteaux mais elle doutait de l'efficacité d'une telle arme en face d'un pistolet. Elle se massa le front.

"Ensuite, il nous suffira de mettre des toges et des masques pour nous infiltrer au milieu d'eux. Il ne nous remarqueront pas...Il faudra que vous vous mettiez à léviter, et j'irais chercher la jeune femme. Après...je propose une course effrénée jusqu'à la voiture...à moins que vous ne puissiez aussi nous faire disparaitre..."

Elle lança un léger sourire vers Six Junior. On ne savait jamais...

"Il y aurait peut-être un moyen d'utiliser le collier, pour les perturber un peu...Sinon je propose qu'on se mette en route tout de suite."

John Six cogita un long moment avant de, finalement, conclure :

"OK, on fait ça"

La suite des événements se déroula comme dans un film. En accéléré. Le psychologue récupéra deux draps blancs, deux masques (un de cochon pour lui, celui de chien pour Jolène), deux lampes torches, ses clés de voiture et... Ils partirent en toute hâte à bord du petit cabriolet de Six.

*
**

Filant à travers les rues de Glasgow, Six lança à sa passagère :

"Je propose que vous gardiez le pendentif. Dans leurs traditions, il ne peut être porté que par une femme. L'Enfant de la Lune. Si je le mets, je risque surtout de passer pour un hérétique. Alors que vous... Ils ne sauront plus qui sacrifier"

John Six gara la voiture en toute hâte à l'entrée d'un champ. Il enjoignis la mutante de le suivre, dans le fossé.

Accroupis au fond de ce dernier, les deux jeunes gens étaient à deux doigts d'interrompre un rituel impie. Six attrapa la main de Jolène et la redressa, juste ce qu'il fallait pour voir sans pour autant être vu.


Le "dieu d'osier" était bel et bien là. Quatre hommes étaient présents autour avec des torches.

Un peu plus loin, faisant un cercle autour du Dieu, il y avait une masse indistincte de gens qui semblaient porter de longues robes blanches et quelque chose sur la tête. Les fidèles.

Les bois, quant à eux, étaient assez loin derrière la construction de paille. Si John Six Senior avait pu, il y a 15 ans, s'enfuir par là, cela relevait du miracle...

Six Junior s'adressa à nouveau à Jolène :

"Mince, on est trop loin pour voir. Va falloir y aller au jugé.... Mince, mince, mince..."

Il se passa la main dans les cheveux tout en déboutonnant son col de chemise :

"On fait quoi ? On se change et on y va ensemble ? Ou bien ?"

Elle porterait donc le collier, si ça pouvait les aider. Elle ouvrit le petit fermoir et se l'attacha autour du cou, le cachant, pour le moment sous son t-shirt. Le reste de la route se passa rapidement. Trop rapidement. Les pneus de la voiture crissèrent avant qu'elle ait put s'en rendre compte. Il l'emmena dans un fossé, pour pouvoir voir sans être vus. Elle observa la scène. Il y avait beaucoup de monde... mais au moins être discret au milieu de cette foule serait simple, c'était un bon point pour eux, une personne de plus ou de moins ne changerait rien et ne serait pas facilement repérable parmi eux. Malheureusement, il faisait trop sombre pour qu'ils puissent voir autre chose que les personnes. Ils ne pouvaient pas savoir où se trouvait la jeune fille, si elle était déjà dans le dieu ou si elle se trouvait au milieu de la foule. C'était gênant mais ils ne pourraient pas faire autrement.
Par contre, comment son père avait put fuir par les bois? A moins de courir très vite et de pouvoir porter la fille en même temps...c'était étrange.

C'est vrai que maintenant il fallait passer à l'action. Selon elle, y aller en deux fois serait plus efficace. Elle y allait en première, se fondait dans la masse et une fois qu'elle s'est assez rapprochée, John passerait à l'action en flottant. Elle profiterait de la confusion pour récupérer la jeune fille. C'était jouer gros, mais elle ne voyait pas comment faire autrement.

"Allons y en deux fois...Je passe en première, je me fonds dans la foule et je tente de voir où se trouve Ailein...Après quelques minutes vous faites votre entrée en flottant...Il faudrait qu'ils vous remarquent...si vous pouviez faire un discours du genre "Je suis l'envoyé de l'enfant des étoiles, vous vous trompez d'incarnation...", quelque chose du genre. Vous trouverez certainement de meilleurs mots que moi. Pendant ce temps j'essayerais de me rapprocher de la jeune fille et de la libérer."

Elle prit une inspiration. Il fallait qu'elle s'enfuie sans elle, elle elle ferait diversion.

"Il faudra que je sorte le collier à ce moment là...vous me désignerez comme véritable incarnat. Si ils ne réfléchissent pas trop, ils me poursuivront. Vous récupérerez alors la jeune fille. Moi...j'essayerais de courir plus vite qu'eux..."

C'était risqué, elle le savait. Mais d'un autre côté, il n'y avait pas d'autres solutions, ils leur faudrait courir à un moment où un autre. Elle ne voyait pas la jeune fille tenir longtemps. Elle avait plus de chances. Enfin elle l'espérait.

L'homme soupira.

"C'est donc à moi d'être un nouveau faux prophète ? OK... Je vous laisse de l'avance alors... Au pire du pire, je viendrais vous chercher avec la voiture mais... Cela signifierait que vous aurez échoué et que cette pauvre fille sera perdue"

Il tendit le masque de chien et un drap blanc à Jolène.

"Je crois qu'il est grand temps pour vous d'y aller. Vu le peu que je vois d'ici, ils attendent le Prêtre. Puis, il y aura les incantations... Euh... La très courte nuit de noces et... Les flammes. Je vous laisse 15 minutes. Après j'arrive. Bon courage..."

John Six sourit. Ça se voulait rassurant mais ça ne l'était guère.

"Bon courage Jolène. Si mon père vous aurait certainement apprécié, moi... Je vous admire énormément. A... tout à l'heure"

Il y avait eu comme une hésitation dans ces derniers mots. Comme si rien n'était moins sur. Il détourna le regard, pudiquement, pour laisser un peu d'intimité à la mutante pendant ses derniers préparatifs.

"Merci...et ne m'enterrez pas trop vite."

Elle se changea rapidement, ce n'était pas le moment de lambiner. Elle fit bien attention de laisser le collier sous sa bure et plaça sons masque sur son visage. Elle voyait mal avec. Ca la gênait mais il faudrait faire avec. Une fois qu'elle se sentit prête, elle jeta un dernier regard à Six et lui fit un signe de main, pour lui dire que tout était ok.

"A tout à l'heure..."

Elle était plus confiante que ne l'était le jeune homme. Ou en tout cas paraissait l'être.

Elle enjamba le fossé et commença à se diriger vers le groupe de personnes qui se trouvaient en face d'elle, la tête baissée et le pas lent. Une fois qu'elle serait arrivée elle regarderait où pourrait se trouver la jeune fille, au milieu d'un groupe, ou proche du dieu de paille...ou au pire, elle chercherait un des garçons qu'elle avait déjà croisé dans la ruelle. C'était surement eux qui l'avaient. Ils semblaient être importants dans la hiérarchie.
Il faudrait qu'elle fasse vite, elle n'avait qu'un quart d'heure pour la trouver.
Pour le moment elle restait silencieuse, ne sachant pas comment réagir pour paraitre inaperçue.

Vêtue seulement du drap de Six, son masque qui lui obstruait la vue sur la tronche, Jolène avançait pieds nus dans le champ, faisant attention à ne pas marcher sur des ronces ou se blesser sur un caillou. La course serait relativement hors de propos pour la fuite. Il faudrait improviser.

Elle dut faire bien 500 mètres avant d'arriver à hauteur des fidèles. Là, elle eut une meilleure vision de la situation.

Le Dieu d'osier était encore à une vingtaine de mètres d'elle. Et il était de toutes manières gardés par quatre homme masqués. Elle ne pouvait voir ce qu'il y avait - ou pas - à l'intérieur de la fausse divinité.

Quant aux fidèles... Ils ne lui prêtaient guère d'attention. Preuve s'il en était besoin que son stratagème avait fonctionné.

Ils étaient plutôt en nombre. 30 peut être 40. Tous masqués et vêtus à sa façon. Il n'y avait en revanche nulle trace d'un prêtre ou d'Ailein. Elle était arrivée à temps.

Deux individus masqués, juste à côté d'elle, chuchotaient.

"C'est dingue. Quand je pense que demain je n'aurais pas à servir des hamburgers. Punaise, t'y penses ça ? Et demain, plus de parents, plus de télé bidon, plus rien de l'ancien monde" lança une voix masculine et juvénile. Il avait un masque de cheval.

"Moi je faisais ça pour voir des gens. Les rencontrer sans les rencontrer. Tu vois, avec les masques... D'ailleurs, j'sais même pas qui t'es et... J'm'en fous. Seul le Bouc et l'Enfant ont de l'importance. Nous autres, on patauge là en attendant. Et c'est déjà beaucoup. Mais je me demande si ça va marcher..." répliqua une voix d'adolescente. La fille portait un masque de tigre.

Bon en fait, pour la course à pied, c'était mort, pour elle et pour les autres. Il faudrait improviser sur le coup. De toute façon, fallait d'abord trouver le prêtre et sa fille, mais ça ne serait pas simple au milieu de cette foule.
Elle s'arrêta lorsqu'elle entendit des chuchotements. Un cheval et un tigre discutaient ensembles. Elle écouta leur conversation. Malheureusement, ils semblaient être en possession de tous leurs moyens. Elle pesta intérieurement, ça rajoutait une difficulté supplémentaire à son sauvetage. Par contre, ils ne semblaient pas fanatiques, et ils étaient jeunes...ils devaient avoir son âge à peu près. Ils lui ouvraient une porte pour trouver "le bouc et l'enfant" comme y disaient. Elle se rapprocha d'eux quand la jeune femme eut fini de parler.

"Je peux déjà te répondre que non...préviens tous ceux que tu peux, qu'ils se tiennent sur leurs gardes, la police risque d'arriver d'un moment à l'autre..."

Elle prit une pause avant de continuer. Sa voix se voulait plus grave, plus adulte qu'elle ne l'était vraiment mais Jolène paraissait assez sûre d'elle pour que ça ne fasse pas tiquer.

"Il y a des complications mais ce n'est pas à vous que je dois le dire..."

Elle tourna la tête de chien vers la foule, comme si elle cherchait quelque chose, ou quelqu'un. Intérieurement, elle était fiévreuse, c'était un coup à la "ça passe ou ça casse". Elle espérait que ce serait la première. Elle tentait de se persuader de sa réussite futur. Ils étaient jeunes, ils n'étaient pas fanatiques, on pouvait espérer qu'ils soient nouveaux dans la secte et que donc ils ne se méfient pas trop. Certes, il y avait beaucoup d'inconnues, trop même, mais Jolène n'avait pas prit le temps de réfléchir avant de parler. Elle ne pouvait pas, et ne devait pas réfléchir, ça paraitrait étrange sinon.
Instinctivement, elle évaluait la distance qui la séparait de la voiture et le temps qui lui faudrait pour l'atteindre en marche rapide. Trop. Et bien, il fallait faire en sorte de ne pas fuir, voila tout.

"Il faut que j'annonce quelque chose au bouc, c'est important, et urgent. Vous savez où il se trouve?"

Elle n'avait strictement aucune idée de ce qu'elle pourrait lui dire mais elle chercherait en route. Il faudrait bien qu'elle trouve...ou alors elle foncerait dans le tas. Une solution qui ne l'enchantait guère, mais si elle n'avait pas le choix...après tout c'était rien, seule contre une quarantaine de personnes, du gâteau!

*Il ne reste plus qu'à espérer qu'ils soient crédules...*

Elle priait intérieurement pour que ça marche. A qui? Elle n'en savait strictement rien et à vrai dire ce n'était pas ce qui la perturbait le plus, à ce moment précis. D'ailleurs, étant athée, elle n'attendait pas grand chose, mais ça avait l'avantage de la rassurer un peu.

L'homme au masque de cheval ricana :

"La police ! Ne t'en fais pas, elle viendra pas. Les apôtres se sont occupés de leur trouver un os à ronger. Normalement, elle est à l'exacte opposée d'ici en train de gérer une catastrophe quelconque... Amie, aie foi dans les apôtres : le Grand Bouc leur fait entièrement confiance. Regarde : ils ont retrouvé la prochaine incarnation de l'Enfant de la Lune - celle qui porte le pendentif sacré - et ils ont tué John Six. Alors la police... Dans quelques minutes, elle ne sera plus un problème..."

Le masque de tigre était moins catégorique. La voix d'adolescente reprit :

"N'empêche que si elle a quelque chose d'important à dire au Grand Bouc, mieux vaut qu'elle le fasse. Sa fureur sera sans limite si on a empêché une adepte de lui révéler quelque chose d'importance..."

Le cheval marqua une pause. Puis dévisagea Jolène, avant de terminer :

"Très bien. Va voir les apôtres. Ils sont aux pieds de notre Dieu. Le Grand Bouc est occupée. Il va bientôt rencontrer son épouse alors... Va voir les apôtres, ils sauront te répondre"

*Celle qui porte le pendentif sacré hein?*

Sous son masque animal, un sourire apparu sur son visage. Donc si quelqu'un d'autre avait le pendentif...Six avait eu raison...En se rassura en sentant le métal sur sa peau, le bijou caché sous sa toge.
Son sourire disparut juste après. Bien sûr, c'était évident qu'ils l'avaient tué mais que celui qui se trouvait en face d'elle l'avoue avec autant de désinvolture ça...
Il fallait qu'elle se calme, elle aurait le temps de se passer les nerfs une fois le sauvetage effectué...pas avant, sinon elle mettrait leurs trois vie en danger.

Celle qui portait le masque de tigre l'aida tout de même. Elle calma son compagnon. Le cheval répliqua. Il fallait qu'elle aille voir les apôtres.

*Surement ceux que j'ai croisés dans la ruelle...*

Elle fit un signe de tête pour saluer les deux adeptes.

"Merci Amis...et je pries pour que vous aillez raison à propos des policiers...il serait dommageable qu'ils interviennent."

Puis elle se dirigea vers les apôtres d'un pas rapide, tout du moins aussi rapide que l'état actuel du sol pouvait lui permettre. il fallait qu'elle se presse pour trouver le grand bouc si elle avait bien compris...
Une fois arrivée à leur hauteur, elle s'adressa à celui qui était le plus proche d'elle, contrefaisant sa voix, pour lui donner une tonalité plus grave, plus adulte...au cas où ce soient ceux qu'elle avait déjà rencontré.

"Ami, j'ai besoin de votre aide. Je dois trouver le grand bouc, pour lui annoncer quelque chose de la plus grande importance...que je ne peux révéler qu'à lui seul."

Elle regarda rapidement derrière elle, comme si elle était poursuivie.

"Il faut faire vite..."

L'un des apôtres, à tête de bélier, lui répondit d'une voix qui lui était tout à fait familière : il s'agissait de Rod.

"Amie, tu sais quel prix t'en couteras de déranger le Grand Bouc pour rien ? Son ire serait alors sans limite et les derniers outrages te seraient infligées en juste rétribution pour ton affront ! Mais soit... Tu sollicites, le Grand Bouc, le Grand Bouc tu rencontreras. Mais saches... que ses pouvoirs n'ont de limite que son imagination perverse et débordante. Si ta raison est futile, ton existence le deviendra. Et la grande conjonction des astres ne pourra rien faire pour toi"

Il s'écarta, laissant le libre accès au Dieu d'osier.

Jolène gravit lentement l'échelle de bois qui permettait d'entrer dans la structure.

Une fois à l'intérieur de cette dernière, elle s'aperçut que la chose était grossièrement construite. Il y avait de nombreux clous apparents un peu partout et... l'existence même de cette divinité ne pouvait être que temporaire. S'ils y mettaient le feu, nul doute qu'elle s'effondre rapidement, tuant par la même occasion toute personne qui s'y trouverait présente.

Il y avait une autre échelle qui permettait d'accéder à une pièce plus haut. De là-haut, Jolène pouvait entendre des pleurs de gamine apeurée.

Puis, la mutante entendit une respiration lourde. Se retournant, elle vit qu'elle n'était pas seule.


Assis sur une chaise rudimentaire, un vieil homme en robe. Ces yeux avaient l'air mort. Sans la regarder (mais comment aurait-il pu ?), l'homme lança d'une voix étonnamment puissante :

"Ô toi fidèle, qui es-tu pour oser troubler le Grand Bouc au soir de sa nuit de noce ?"

Le discours de Rod lui glaça le sang...Dans quelle galère s'était-elle fourrée? Et comment allait-elle pouvoir s'en sortir? De toute façon elle ne pouvait plus reculer maintenant, c'était trop tard...il lui fallait réussir la mission, c'était ça ou la mort, voir pire. Elle réprima un frisson, elle ne flancherait pas, pas maintenant. Une fois le passage libéré, elle entra dans la divinité.
La structure ne paraissait pas solide, mieux valait ne pas être à l'intérieur quand elle prendrait feu.

Une fois arrivée en haut de l'échelle, elle entendit des pleurs. C'était Ailein! Il lui suffirait d'aller la récupérer et tout serait fini...enfin...Elle commença à se diriger vers l'échelle lorsqu'elle entendit la respiration derrière elle. Elle se retourna vivement, pour voir un vieillard portant une longue barbe grisâtre et affublé de cornes de boucs. Il ne la regarda pas, ses yeux ne lui permettait plus, mais sa voix suffit à l'impressionner. Il n'était pas étonnant qu'il ai réussit à convaincre autant de personnes de le suivre. Sans réfléchir, elle tomba à genoux et posa la tête contre le sol, en signe d'humilité. Il ne la voyait pas mais elle avait la mauvaise impression qu'il savait tout ce qui se passait dans cette pièce. Elle devait rapidement inventer une excuse pour expliquer la raison de sa présence. Et il s'agissait de trouver quelque chose de convaincant si elle ne voulait pas être découverte.

"Pardon...je ne vous aurais pas dérangé si ce n'était pas de la plus haute importance..."

Elle tentait de gagner du temps comme elle le pouvait.

"Mais c'est pour une raison vitale que je suis ici...la cérémonie risque d'être compromise!"

Elle releva la tête.

"En venant ici, j'ai croisé des voitures de police....Elles venaient dans notre direction. Ca pourrait être anodin si je ne les avais pas clairement entendu dire l'endroit où ils allaient...ici même, dans cette plaine...Je suis arrivée plus vite qu'eux, mais ils ne devraient pas tarder."

Elle avait l'air apeurée. Etait-ce à cause de son rôle ou ce qu'elle ressentait vraiment? On ne pouvait pas le dire. Elle avait conscience d'avoir dit un mensonge difficilement croyable. Tête de cheval, lui avait bien expliqué que tout avait été fait pour que cela n'arrive pas.

"Si je suis venue à vous plutôt que d'en parler directement à d'autres membres, c'est que je crains qu'il n'y ai un traitre à Son retour parmi nous...je ne voulais pas l'alerter."

Elle priait intérieurement pour que l'intervention de John ne tarde pas trop elle n'avait pas fait attention au temps qui s'était passé, et que tout ne soit pas remit en question à cause de ses modification du plan initial, à vrai dire, maintenant elle s'en voulait de ne pas avoir plus réfléchi.

Alors qu'elle se prosternait devant le Grand Bouc, ce dernier eut comme un grognement de plaisir :

"J'aime ta soumission et ta voix, fidèle parmi les fidèles. La soumission, la crainte, le désarroi, voilà des sentiments qui me flattent l'âme. L'Enfant de la Lune te gardera peut-être en distraction une fois son avènement venu avec un tel comportement"

Il partit dans un rire sordide en entendant le mot "police".

"Tes craintes sont infondées, jeune fidèle ! Les policiers ne sont que des tigres de papier. Leur temps est compté. Mais tu as raison... Hâtons la cérémonie ! La brebis égarée est prête. En haut. Attendant la venue de l'homme à cornes. Attendant la venue du Grand Bouc"

En revanche, l'histoire du traitre fut prise plus au sérieux. Bien plus.

"Comment ? Mais..."

Le Bouc marqua une pause. Puis se leva. Résolu.

"John Six est mort pourtant. Aurait-il des fidèles ?"

C'était comme s'il se parlait à lui-même. Il ne faisait plus du tout attention à Jolène. Il se dirigea rapidement vers l'entrée du Dieu d'osier.

De ce qu'entendit la mutante, il s'adressait aux fidèles. Leur demandant de faire couler leur propre sang pour prouver leur soumission.

Elle tremblait. Il l'avait crûe...c'était incroyable...elle se voyait déjà morte...ou en train d'être torturée alors qu'elle aurait été découverte. Mais cela ne se passerait pas ainsi apparemment. Une victoire de plus...

*En fait...il n'en a que deux...et...*

Non...il ne fallait pas qu'elle pense...elle craignait d'être entendue par le grand bouc...d'une manière où d'une autre. Il fallait qu'elle se calme et qu'elle profite de l'instant qu'il lui offrait de réflexion. Maintenant qu'elle était entrée, que faire? Si elle avait eut une lame elle aurait put le blesser, il lui tournait le dos maintenant...mais elle n'avait que ses mains et sa cervelle à disposition...pour le moment, elle ne ferait rien...il valait mieux attendre qu'ils se soient tous entaillés les veines avant de pouvoir partir. Il n'y aurait aucune gloire à fuir un champs d'agonisants mais au moins ils seraient en vie.

En attendant, il fallait faire descendre Ailein, avant de penser à une quelconque fuite. Elle se plaça de telle manière qu'elle pouvait guetter le retour du grand bouc et se rapprocha de la deuxième échelle. De là, elle pourrait discuter avec Ailein plus discrètement.
Elle chuchota, pour qu'il n'y ait que la jeune femme qui puisse l'entendre.

"Ailein...c'est Jo'...décris-moi comment c'est en haut...fais comme si tu t'adressais à un fidèle que tu tenterais de convaincre pour qu'il t'aide à t'échapper...Il ne faut pas que le grand bouc découvre quoique ce soit..."

Elle jeta un coup d'oeil inquiet vers l'entrée, il ne fallait pas qu'il revienne au bon moment. Sa voix se fit plus rapide, plus pressante.

"Si tu es libre de tes mouvements, il faudra t'enfuir quand le grand bouc sera revenu et qu'il se sera installé...je t'avertirais pas un "Grand bouc"..."

Puis elle se tut et se plaça dos à la deuxième échelle, les mains croisées sur le ventre, comme si elle montait la garde pour que la jeune fille ne puisse s'échapper. Il fallait que ça marche, elle n'avait pas fait tout ça pour se faire prendre maintenant, ce serait plus que ridicule...

Il y eut un petit moment pendant lequel seuls des litanies mystiques se faisaient entendre : le Grand Bouc continuait à exhorter les fidèles depuis là où il se trouvait. Du sang. Toujours du sang. Encore du sang.

Finalement, la voix d'Ailein retentit doucement :

"Au secours... Je suis en haut de l'homme d'osier. Je suis attachée sur un lit de fortune. Je... Je ne peut pas m'enfuir seule..."

Le vieux Bouc était toujours occupé. Et les cris des fidèles portaient jusqu'ici. Entre l'extase et la souffrance, Jolène n'aurait su dire qu'elle était leur tonalité majeure.