[Carlow - Irlande] Slán agat

Dans un quartier résidentiel de Carlow, ville moyenne près de Dublin, vit une famille d'une banalité affligeante: ils sont catholiques pratiquants, ont un niveau de vie moyen et ne font rien qui puisse attirer l'œil sur eux. Cette famille c'est les Gilday, monsieur se nomme Aban et madame Macha, tout deux travaillent dans une usine de robotique non loin de leur logement. Ces braves gens ont deux jeunes filles s'appelant Saraid pour l'ainée de treize ans et Ula pour la cadette de onze ans. Toutefois en ce moment plusieurs problèmes font des soucis pour la famille Gilday d'abord et pour la ville entière ensuite. L'ainée de la famille est entrée d'un coup dans sa phase adolescente avec son lot de disputes et d'incompréhensions du côté des parents comme de la jeune fille. Cela n'intéresserait surement pas la ville si le temps n'était pas au brouillard depuis trois semaines quasiment sans interruptions et si, lorsque le brouillard disparaissait, les nuages n'avaient pas des formes étranges.

Par un beau dimanche matin légèrement brumeux, ce qui est en soi une amélioration non négligeable, une dispute bien moins agréable vient troubler la tranquillité de la famille Gilday. Dans une demi-heure commence la prière en l'église Ballymurphy et toute la famille est sur son trente-et-un afin de s'y rendre comme à son habitude mais depuis trois semaines Saraid n'a pas l'autorisation d'y aller et cela la mécontente grandement.

"Père! Donnez-moi une raison valable pour ne pas me rendre en la maison du Seigneur ce matin. Je ne vais manger personne vous savez?"

Tous se trouvent dans le vestibule devant la porte d'entrée avec les adultes et la cadette contre la porte et l'ainée en face d'eux, les mains sur les hanches. Cette interdiction dont nombres de jeunes se satisferaient certainement est due au soupçon du père de famille concernant selon ses propres mots: la normalité et l'intégrité de l'âme de sa fille. Il y a de cela trois semaines Saraid est revenue dépitée d'une sortie dans le jardin familiale et durant trois jour elle n'a pipé mots et semblait réellement mal en point. Rien d'anormal si ce n'est que c'est depuis ce jour que le brouillard s'est installé.

Aban a vite fait le rapprochement entre les deux événements si on ajoute en plus à cela le fait que les sermons du prêtre local concernait périodiquement les mutants, ou plutôt les envoyés du diable, et leurs pouvoirs maléfiques et destructeurs. Pas tout de fois convaincu à cent pour cent de ses soupçons, le chef de famille a donc décidé de maintenir et de durcir l'enfermement de sa fille qu'elle avait elle même décidée au départ.

Aban lança un regard froid à sa fille. Puis, faisant un bref signe de la tête intima à sa femme et à la cadette de partir devant.

Sur son visage, une expression d'hésitation passa l'espace d'un instant. Puis, sans ciller, il lança d'une voix grave :

"Ma fille, nous ne devons pas faire l'œuvre du Malin. Je t'ai éduquée dans la crainte de Dieu. Tu comprendras donc facilement ce que je suis sur le point de laisser faire..."


Un homme jaillit de la porte de la cuisine. Il s'agissait d'un prêtre à l'air sévère. Il serrait dans sa main gauche un chapelet et tenait dans la droite la Sainte Bible.

Ils échangèrent un regard puis Aban quitta à son tour la pièce pour se rendre à l'office.

"Je suis le Père McDougall. J'ai été appelé par ta paroisse pour..."

Il se mordit les lèvres et égrena quelque peu le chapelet.

"Je suis là pour m'occuper de ton cas. Mais raconte moi tout... Tu dois pouvoir tout dire au serviteur de Jésus Christ le sauveur"

Le Père McDougall alla s'asseoir dans un fauteuil, esquissant un sourire forcé.

Saraid s'est très bien habillée pour l'occasion: robe blanche, collant blanc, souliers noires et veste de la même couleur cependant son expression contrariée jure avec ses beaux atours. Le regard que lui jette son père calme rapidement la jeune fille et alors que sa mère et sa sœur adorée s'en vont sur l'ordre silencieux du chef de famille, l'adolescente sait qu'elle restera à nouveau à la maison cette fois-ci. Alors qu'elle commence à baisser la tête, la jeune fille croit apercevoir un soupçon d'hésitation dans le regard de son géniteur mais il passe tellement vite qu'elle croit à un tour de son cerveau.

Quand Saraid entend son père, elle est tout d'abord exaspérée car elle a plusieurs fois expliquée à ses parents que comme les anges, des gens comme elle sont déchus et d'autres au service des hommes et du seigneur. Mais quand il se met à parler de ce qu'il va faire, la crainte l'emporte sur le reste et toutes sortes d'idées traversent son esprit, du pire au moins désagréable. La porte de la cuisine s'ouvre soudainement et la jeune fille ne peut s'empêcher de sursauter et se retourne alors vivement.

"In ainm Dé ! Vous m'avez fait peur mon père."

L'adolescente fait une petite révérence pour saluer le serviteur de dieu tandis que son père s'en va s'en lui dire un mot. Une fois le père McDougall présenté, Saraid se sent vraiment menacé et pense au rôle que joue le saint homme dans le drame qui continue à se dérouler depuis trois semaines. Alors que le père s'assied, la jeune fille s'approche de lui tout en restant le plus près possible d'une voie vers l'extérieure. Elle déclare ensuite d'une voix mal assurée malgré que son interlocuteur n'ait pas l'air d'être plus à l'aise:

"Vous êtes un exorciste mon père? Sachez que je ne suis pas possédée."

Au juron de Saraid, le Père Mac Dougall leva un sourcil réprobateur mais ne dit rien... Il soupira en revanche face aux paroles suivantes de la jeune fille.

"Je... Je suis venu ici pour m'en assurer. Tu as bien deviné : je suis bien un prêtre exorciste. Quant à savoir si tu es possédée..."

Il posa la Sainte Bible sur ses genoux et frotta son crâne chauve.

"Il y a encore beaucoup de choses que nous ne connaissons pas sur l'esprit humain. Nous ne pouvons plus maintenant nous contenter de lancer le rituel d'exorcisme sans faire quelques vérifications préalables. Je..."

Le Père Mac Dougall marqua une nouvelle pause et sourit, timidement.

"J'aimerai que tu viennes avec moi. J'aimerai te présenter quelqu'un et..."

Il secoua la tête, ne sachant pas trop comment amener le sujet.

"Il existe un spécialiste aux Etats-Unis qui saurait, je pense, donner un avis sur ton cas. Après cela, si cela relève des mes pouvoirs, j'officierai. Mais seulement après cela..."

Nouveau sourire gêné, nouvelle pause.

"Ton père est un bon catholique. Mais il est un peu obtus. Il t'as confié entre mes mains. Et il se fiche de ton sort tant que tu ne seras pas "guérie". Je crains que tu n'aies guère le choix... Mais peut être as tu des questions ?"

Saraid a deviné juste, le prêtre qu'elle a près d'elle est bien un exorciste et si elle était beaucoup moins croyante et éduquée, elle aurait surement sorti un juron plus grossier. Elle se contente par conséquent de froncer les sourcils et de faire un pas en arrière avant que le prêtre ne continue d'expliquer sa présence. L'adolescente est inquiète et terrifiée à l'idée de se faire exorciser alors qu'elle sait parfaitement, bien que ce lui soit dure à admettre, que le saint homme n'obtiendrait probablement aucun résultat probant. Cependant il semble que le père McDougall ne soit pas très expéditif et veuille tout d'abord s'assurer de ce qu'elle est avant de faire quelque chose ce qui rassure la jeune fille, légèrement.

*Pourquoi semble t-il aussi... nerveux?*

Regardant le prêtre mais ne disant rien, l'ainée des Gilday écoute attentivement l'homme et ne peut s'empêcher de se poser des questions sur sa nervosité apparente tout au long de ses phrases entrecoupées de gestes égocentriques et de silences. Lorsque le saint homme aborde la question du spécialiste, Saraid craint de devoir voyager avec l'homme entre deux âges non pas à cause de la peur de ce que pourrait faire le prêtre mais plutôt de la gêne qui il y a déjà entre eux. L'adolescente se permet un sourire triste quand son père vient dans la conversation suivi d'un air tout à fait sérieux.

"J'en ai plusieurs mais voilà la première et la plus importante: avez-vous peur mon père? Pour la suite et dans le désordre: part-on nous aux Etats-Unis ou c'est l'expert qui se déplace? Qui est cet expert? Comment va-t-il déterminer si je suis ou non possédée et chose qui n'a rien à voir, je jure sur la bible et devant Dieu que je ne suis en aucun cas possédée et que si c'est tout de même le cas alors je ne crains pas le châtiment que vous m'infligerez car Dieu est le seul juge dont je crains la sentence.

Le Père Mac Dougall tenta à nouveau un sourire.

"Je n'ai pas peur des enfants du Seigneur mais bel et bien du Démon. Mais si le Démon t'habite alors je ferai mon devoir sans craindre ni férir..."

Il égrenait toujours le chapelet, ne quittant pas des yeux la jeune Saraid.

"Ton père est un brave homme. Mais il est certains concepts qui le dépasse. Moi... Je suis un homme de foi mais de raison. Il est révolu le temps où l'on dressait des bûchers à travers l'Europe pour détruire ce que nous ne comprenions pas. Il est révolu le temps où l'on ne cherchait pas d'abord à comprendre... C'est pour cette raison que je veux te présenter à mon ami... Le Docteur Joseph T. Beck"

Ceci étant dit le Père sembla se rasséréner. Il avait vidé son sac. Et ses mains parurent moins crispées sur son beau et ancien chapelet.

"Le Docteur Beck est un psychiatre. Il est spécialisé dans le suivi des enfants... anormaux. Il m'a écrit récemment pour me parler d'un jeune homme parmi ses patients qui nécessiterait l'utilisation d'un rituel d'exorcisme. Je pars demain le rejoindre aux États-Unis. Je compte t'y emmener pour qu'il t'examine également..."

Il eut pour la première fois un sourire non feint. Posant son regard bienveillant sur le visage de Saraid, l'homme de foi demanda :

"Cela te convient-il ?"

Le prêtre que Saraid a devant elle est un homme pieu, droit et décidément pas aussi borné que son père, en parlant de lui l'étroitesse d'esprit de celui-ci chagrine l'adolescente qui a surement besoin d'autres choses que du mépris dans cette période difficile. Le saint homme manipule toujours son chapelet tandis que la petite se voit douter sur le fait qu'elle soit possédée ou non. Elle ne comprend pas comment quelqu'un comme elle peut avoir le Mal en elle alors qu'elle est pieuse et prie tout les soirs à voix haute la bible à la main.

Le docteur que lui présente le père McDougall est inconnu de la jeune fille qui se demande bien comment un psychiatre peut bien mieux savoir qu'un prêtre si le démon est en elle ou pas. Perplexe, elle n'entend pas l'homme pieu discourir sur la première raison de son voyage mais comprend parfaitement qu'elle doit partir avec lui. Ceci dit elle s'approche du prêtre jusqu'à ce qu'elle puisse toucher le chapelet. En temps normale et de ce qu'en sait Saraid, les personnes possédés ne peuvent pas toucher les objets consacrés et elle n'a pas ouvert la bible depuis un certain temps, la connaissant bien.

"Cela me convient mais avant... Me permettrez-vous d'effleurer votre chapelet mon père si cela n'est pas trop demandé? Juste une vérification pour moi-même. Nous partons dans longtemps?"

Sa voix trahit le fait qu'elle espère que la réponse soit négative car elle veut dire au revoir à sa sœur et à sa mère en premier lieu. Son père se moquant apparemment du destin de sa fille, l'adolescente se soucie moins de ce dernier. Les relations avec sa mère et sa sœur ont toujours été meilleur qu'avec son père qui prend son rôle de chef de famille très au sérieux ce qui ne laisse guère de place à la tendresse, rôle dévolue à la mère.

Le Prêtre ne cilla pas et laissa Saraid toucher le chapelet. Il n'y eut pas de réactions et le Père Mac Dougall parut rassuré.

Il finit par ajouter :

"Nous partons demain, mon enfant. L'affaire qui m'appelle aux États-Unis ne peut attendre..."


Les adieux avec sa jeune soeur furent déchirants. Sa mère, plus distante en raison de l'influence qu'exerçait Aban sur elle, parut retenir avec difficulté ses larmes. Quant au paternel... Il n'adressa pas la parole à sa fille.


Saraid et le Père Mac Dougall voyagèrent sur un avion de ligne. Les places avaient été payées par l'établissement où exerçait le Dr. Beck.

Ils débarquèrent à l'aéroport de Philadelphie où une voiture les attendait. Du peu qu'avait appris Saraid pendant le voyage (le Prêtre étant assez réservé), ils se rendaient à l'Institut Tobie Nathan, une fondation privée chargée de traiter les problèmes psychiatriques des jeunes mutants. Visiblement, Mac Dougall devait intervenir dans le traitement d'un certain Billy... Mais, Saraid n'en appris pas plus.


La voiture les déposa devant une très belle propriété quelque part aux alentours de onze heure du soir.

Le chauffeur attrapa leurs bagages et conduisit Mac Dougall et Saraid à l'intérieur du bâtiment. Là, la réceptionniste informa le Prêtre que le Dr. Beck l'attendait et qu'il verrait Saraid le lendemain à la première heure. En attendant, la jeune fille pourrait se reposer dans une chambre de la section 3. Le chauffeur l'y amena.

Il s'agissait d'une chambre double, plutôt agréable et meublée avec gout et luxe. Peu d'effets personnels. Deux lits, une bibliothèque et un bureau. Une petite porte semblait donner sur des toilettes. Il n'y avait pour le moment personne et le chauffeur laissa Saraid seule.

Quelques instants plus tard, elle entendit un bruit de chasse d'eau et constata que la porte des toilettes venait de s'ouvrir. Une jeune fille en sortir.


"Ah, ça doit être toi ma nouvelle cothurne. Moi c'est Emily... Enchantée et bienvenue à la maison des fous !" lança-t-elle mi amusée, mi curieuse.

C'est avec un soulagement immense que Saraid constate que le chapelet ne lui fait aucun mal et qu'aucune brûlure ne vient l'agresser. Force est de constater qu'elle ne soit pas la seule à paraitre rassurer de cet état de fait. Le père McDougall étant pressé d'après ses paroles, l'adolescente est tout de même heureuse de partir que le lendemain malgré son empressement à savoir ce qui lui arrive. Par ailleurs le brouillard semble s'éclaircir un peu à travers les fenêtres, ce qui ne peut qu'arranger les humeurs de chacun.


Le soir même la pieuse jeune fille prépare sa valise avec le strict nécessaire: sa bible, des vêtements comme des robes, des jupes, des collants et d'autres choses du même acabit et un nécessaire de toilette. Le lendemain vient le temps des adieux douloureux après le silence de la veille, sa sœur est la plus bouleversée car encore jeune et même Saraid se permet de pleurer alors qu'elle sert sa mère dans ses bras brièvement. Son père ne semblant toujours pas se soucier d'elle, l'adolescente se demande si on peut haïr quelqu'un de son sang. Une fois les adieux passés, le voyage vers l'inconnu commence.


Les deux seuls moyens d'atteindre les Etats-Unis étant le bateau et l'avion, le deuxième a été choisi pour sa rapidité et les places payées par le médecin. Saraid ne sait pas si son père aurait payé son voyage dans le cas contraire dans son empressement à se débarrasser d'elle. Durant le vol elle lit la bible et tente par attaque surprise de questionner plus en détail le prêtre sur le lieu où ils se rendent et sur le mystérieux garçon qui doit se faire exorciser. Le saint homme étant relativement peu enclin à la conversation la jeune fille n'obtient de lui que le nom du centre, l'Institut Tobie Nathan et le prénom du "patient", Billy.

Le binôme pour le moins atypique atterrit à l'aéroport dans la soirée au grand soulagement de l'ainée des Gilday qui a eu peur tout le long que la machine s'écrase. Observant la foule tandis que le prêtre récupère leurs bagages, Saraid constate que les personnes en ces lieux semblent pour le moins pressés ce qui est le cas aussi de son accompagnateur qui la pousse gentillement vers la sortie. Une voiture les attend depuis un certain temps à l'extérieure et les mène à une splendide et immense demeure une fois la fille convaincue de s'y engouffrer.

Un réceptionniste des plus banales en apparence les informe une fois à l'intérieur que le médecin ne peut prendre en rendez-vous la jeune adolescente avant le lendemain. Ceci étant une évidence à l'heure tardive pour Saraid, celle-ci s'est déjà posé la question de savoir où et avec qui elle va passer la nuit. Mi-contente, mi-inquiète de ne pas dormir en compagnie du prêtre, elle suit donc docilement le chauffeur de la voiture sans jeter des coups d'œil inquiet au saint homme qui l'a accompagné jusque là. Durant le chemin la jeune pieuse espère qu'elle sera seule dans sa chambre car qui dit section dit malade et qui dit psychiatre dit malade psychologiquement.

L'homme la laisse dans une chambre avec un lit double, ce qui n'est pas pour rassurer Saraid, relativement cossue. Alors qu'elle s'attarde sur la bibliothèque et le manque apparent de choses indiquant qu'une personne dort dans ces lieux, la porte de ce qui semble mener vers les toilettes au son qui en sort s'ouvre. Une fois la surprise et le sursaut terminés, L'adolescente peut détailler la fille qu'elle a en face d'elle : à peine plus âgée, mince avec une coiffure stricte elle ne parait pas être folle. Une fois qu'elle ait fini de parler, l'irlandaise n'en est plus tout à fait sûr.

"Saraid et Dieu me garde de la folie pour le moment. J'espère ne pas rester trop longtemps en ces lieux étranges."

Son interlocutrice ne parait nullement surprise de sa venue mais plutôt curieuse de savoir ce que Saraid fait dans sa chambre du moins selon cette dernière.

"Dieu ? Eh ben il semble avoir déserté les lieux, ma belle... Enfin, si ça peut t'être d'un quelconque réconfort de t'y référer, libre à toi... Perso, c'est pas ma religion mais bon. Un peu de mysticisme ça peut pas faire de mal. Et chacun ses croyances, tant que ça reste des foma, si tu vois ce que je veux dire..."

Elle s'assit sur son lit et farfouillant en dessous du matelas en extirpa un paquet de cigarette. Emily le tendit en direction de Saraid :

"Si tu fumes, fais toi plaisir... C'est interdit et pas bon pour la santé mais bon, on n'est que de la boue qui se lève, comme on dit. On se dresse, on regarde la boue pas vivante, on fait un petit tour et puis on redevient de la boue pas vivante..."

Emily sortit une cigarette pour elle et poursuivit :

"Ici t'es à la section 3, donc on peut dire que pour le moment t'es chanceuse. Après ça dépendra du résultat de ta rencontre avec le Docteur Beck mais..."

Elle approcha son index du bout de la cigarette et levant les yeux vers Saraid ajouta :

"Mais dit moi, qu'est ce qu'il vient foutre le prêtre qui devait venir avec toi ? J'ai pas réussi à en savoir plus et ma thérapeute a pas voulu cracher le morceau ?"

Une flamme jaillit du doigt d'Emily et vint allumer la cigarette. Elle sourit largement :

"T'as vu ce truc de frimeuse que je fais avec mon pouvoir ? Avant j'y arrivais pas... C'est ça de m'entrainer en cachette... J'ai pas le droit bien sur mais... Je fais ce qui me plait"

Et elle partit dans un petit rire sonore.

Saraid remarque que la jeune fille n'est pas vraiment du même monde qu'elle en tout point et si cela ne lui fait pas peur, ça ne lui plait pas non plus. Elle ne relève pas les blasphèmes faits par Emily car l'adolescente en a assez des discussions théologiques pour un moment, ceux entamées avec ses parents l'ayant suffisamment dégoutée. Elle ne peut retenir une grimace indiquant son avis sur la question mais alors que sa comparse lui propose une cigarette, son expression passe de la petite grimace de réprobation à la grande de dégout.

"Non merci, sans façon..."

Passé ce moment, l'irlandaise trouve une certaine similitude entre l'expression de la fumeuse et le fameux « Souviens-toi que tu es né poussière et que tu redeviendras poussière » dans l'idée ce qui la fait sourire un moment. Alors qu'elle ouvre son unique valise pour s'assurer qu'elle a toujours tout, sa compagne de chambrée lui explique que la section trois est pour ceux dont le cas n'est pas trop grave. Saraid ne peut s'empêcher de se poser des questions, en voyant Emily, sur la psychologie des autres bien que cette dernière ne soit pas bien méchante.

La question sur le prêtre la prend par surprise et levant ses yeux vers la fumeuse, son regard se pose sur son doigt surmontée d'une flammèche. La première chose qui lui vient à l'esprit à ce moment là est l'image de Satan ce qui la pétrifie un moment. Puis lui viennent à l'esprit certaines paroles du père McDougall sur ce qu'est censé être l'endroit où elle se trouve et qui elle est donc encline à rencontrer. D'une voix pleine de fascination et de respect elle pose aussi une question.

"Tu a fait aussi un pas de plus vers Dieu par rapport au commun des hommes? C'est assurément un don utile bien que potentiellement destructeur. Moi je n'ai rien d'utile ni de puissant mais je remercie le Seigneur de me l'avoir accordé."

Une pointe de jalousie dans le son de sa voix fluette contredit les paroles de la pieuse jeune fille cependant elle est tout de même sincère dans ses paroles. La fumeuse n'étant pas dangereuse au premier abord selon elle, Saraid se décide de répondre à moitié à la question de son interlocutrice.

"Le père Mac Dougall est ici pour un certain Billy à ce que j'ai compris, il n'est pas très bavard comme prêtre."

Emily tira à nouveau sur sa cigarette et sourit à Saraid. Puis, prenant une grande inspiration elle récita :

"Dieu créa la boue.
Dieu éprouva sa solitude.
Alors Dieu s'adressa à une partie de la boue : Lève-toi !
Vois tout ce que j'ai créé, dit Dieu, les montagnes, la mer, le ciel, les étoiles.
Et moi, j'étais une partie de cette boue qui s'est levée et a regardé autour d'elle.
O bonheur d'être de la boue debout !
Et moi, boue, je me suis levée et j'ai vu quel bon travail avait fait Dieu.
Bravo, Dieu !
Toi seul pouvait le faire, Dieu ! Moi, j'en aurais certes été incapable.
Je me sens bien peu de choses, comparé à toi.
Tout ce qui peut me donner le moindre sentiment d'importance, c'est de penser à toute la boue qui ne s'est pas levée et qui n'a pas regardé autour d'elle..."

La jeune fille s'arrêta et posa son regard sur Saraid.

"Rien n'est sacré pour moi, pas même Dieu. Seul l'homme a de l'importance..."

Elle sourit, se leva, ouvrit la fenêtre et jeta la cigarette encore allumée par la fenêtre.

"Mais, je ne suis que de la boue qui un jour ou l'autre disparaîtra. Et là je saurais qui composait mon karass et quel était mon wampeter..."

Emily alla s'asseoir à nouveau sur le lit.

"... mais en attendant, autant profiter de la vie ! Ce qui n'est pas le cas de ce pauvre Billy..."

Une expression de consternation put se lire sur le visage de la jeune fille. L'espace d'un instant seulement.

"Billy est en quelque sorte le wampeter du faux karass composé de tous les gens qui prennent un malin plaisir à le torturer. L'exemple typique du gogotruche humain. Unis par une haine déraisonnable, certains tentent de trouver le sens de la vie en martyrisant un quelconque bouc-émissaire..."

Ce qu'Emily dit a un certain sens pour Saraid mais croyant impossible pour une jeune fille de sortir ce genre de choses toute seule, elle se demande bien d'où elle vient et quelle a été son éducation. Elle se relève complètement après la fin du monologue et fronce les sourcils comme si cela peut l'aider à résoudre le mystère de sa quasi-coreligionnaire. Ces derniers forment presque un v lorsque la fille brune parle de Dieu et des hommes.

"Je ne partirais pas sur les discussions théologiques pour le moment, il y en a déjà eu trop avec mes parents, Dieu les prenne en sa sainte garde."

Il fait relativement bon à l'extérieur comme peut le remarquer Saraid car son interlocutrice a ouvert la fenêtre afin de jeter sa cigarette à l'extérieur. La fumée suit plus lentement le produit dont elle est issue au grand regret de l'irlandaise qui s'évente avec sa main. Une fois débarrassée de son poison qu'elle prend volontairement, Emily retourne s'asseoir sur son lit tandis que l'adolescente pieuse la suit du regard. Lorsque la fumeuse évoque d'une façon un peu étrange et pas vraiment compréhensible la probable mort prochaine de Billy, l'adolescente venue de loin se pétrifie.

"L'exorcisme... La mort... Le bûcher... Je ne veux pas brûler!"

Saraid perd alors ses moyens et se met à pleurer sur son sort d'abord puis sur celui du pauvre Billy ensuite. Dans un excès de panique déraisonné, l'irlandaise a l'impression étrange que la température a légèrement baissé bien que cela soit normal avec une fenêtre ayant été ouverte il y a peu.

Emily, un peu gênée devant les pleurs de sa nouvelle cothurne, eut un mouvement de recul. Elle observa quelques instants les larmes de Saraid puis s'approcha d'elle et la prit dans ses bras.

"Chut, poulette... Chut, poulette, tout va bien se passer... Je les laisserai pas te faire du mal..."

Et la jeune mutante, fatiguée de sa journée, s'endormit dans les bras de la jeune pyrokinésiste et eut un sommeil sans rêve...


Le lendemain, Saraid ouvrit les yeux brusquement : quelqu'un tambourinait à la porte. Emily grogna et commenta :

"6h00, notre journée de galériennes commence... Amène-toi !"

Et sans entrain, Emily alla farfouiller dans son armoire et en sortit deux serviettes de bains. Elle en jeta une à Saraid.

"Prends aussi des habits propres, on va à la douche !"

Peu après, elles se retrouvèrent, leur serviette de bains sous le bras, dans le couloir. Là, les deux filles franchirent une autre porte et se retrouvèrent... dans une espèce de pièce qui servait à la fois de douche collective et de robinetterie pour se débarbouiller la figure. Il y avait de petits crochets pour accrocher ses vêtements et un bon nombre de filles étaient occupées soit à se doucher soit à se brosser les dents.

Si certaines avaient l'air complétement éteintes, d'autres étaient en pleine conversation.

"Bienvenue dans le monde fabuleux de la promiscuité, ma belle" lança dans un soupir sans entrain Emily tout en se débarrassant de ses vêtements. "Si t'es pudique, pas de malaise. Dit-toi bien que la plupart des filles ici sont carrément à l'ouest..."

Tandis que Saraid découvrait cet univers de promiscuité sordide et misérable, elle aperçut qu'un groupe de filles la montrait du doigt tout en ricanant.

Fatiguée de tout ce qui lui arrive depuis les trois dernières semaines, Saraid finit par calmer ses larmes et s'endort d'un coup d'un seul sans prendre le temps de se changer ou même de rejoindre son lit. On aurait assommé la jeune fille qu'elle aurait surement eu la même impression de temps se compressant jusqu'à croire que l'on a fait un bond dans le futur.


Le bruit qui la réveille en sursaut vient tout simplement de la porte que l'on tambourine sans ménagement très certainement dans le but, atteint, de les sortir du sommeil. Il est relativement tôt par rapport aux heures habituelles à laquelle l'irlandaise se réveille pour la gaelscoil ce qui explique son air complétement perdue et son silence totale. La jeune fille retient la serviette plus qu'elle ne l'attrape une fois celle-ci contre son torse et suit tel un mort-vivant l'habituée des lieux une fois des vêtements attrapés, les plus simples qu'elle a.

*Dieu me garde du fait de rester ici! Plutôt mourir!*

Le spectacle auquel elle assiste finit de la réveiller, une bonne partie des filles de la salle de bain collective ressemble à s'y méprendre à des personnes lobotomisées et les douches sont elles aussi collectives. L'idée de se déshabiller devant tout le monde lui fait peur si bien que cela doit se voir car Emily tente de la rassurer. Alors qu'elle accroche ses vêtements a un crochet, Saraid ne peut s'empêcher de faire l'analogie entre les lieux où elle se trouve et les vieux films que sa mère affectionne.

"Cearca..."

Ce qui lui fait sortir ce qualificatif peu élogieux est une bande de filles la montrant du doigt tel une nuage ayant une forme peu glorieuse. L'adolescente les ignore et se dépêche de se déshabiller avant de tenter de rejoindre une douche libre, le visage rouge.

*Au moins je serais propre devant Saint-Pierre.*

Le rendez-vous avec le psychiatre devant se dérouler dans peu de temps, la pieuse jeune fille a toujours peur de ce qu'il va se passer après mais est aussi curieuse de savoir ce qu'elle est vraiment. Néanmoins la peur l'emporte sur la curiosité et c'est une petite fille terrifiée et perdue qui marche parmi les autres jeune gens.

Tandis que Saraid prenait sa douche à côté d'Emily, cette dernière lança :

"Fais pas gaffe à elles... T'arrives avec une grosse réputation : après tout, t'es la nana qui est venue avec le Prêtre, tout le monde sent bien qu'il y a quelque chose de louche qui se trame mais..."

Elle sourit nerveusement à Saraid. L'une des filles du groupe des moqueuses venait de s'approcher.

"T'inquiètes, je suis avec toi"


La jeune asiatique vint se poster devant Saraid et la dévisagea de la tête aux pieds, un sourire malsain sur les lèvres. Elle eut un ricanement avant de lancer d'une voix très déplaisante :

"Alors la nouvelle, on vient avec son ami le curé ? T'es aussi barge que Billy, c'est ça ? T'as besoin d'un exorcisme ?"

Au vu de la tête que faisait Emily, la cothurne de Saraid n'était pas au courant de l'exacte raison de la présence du curé.

La jeune inconnue ajouta :

"T'inquiètes pas... On va bien te recevoir. On va te faire la misère comme à Billy. Et tu paieras comme lui a payé... C'est pas un exorciste qu'il te faudra mais quelqu'un pour t'administrer les derniers sacrements. Enfin, vu que t'es dans la même chambre que la timbrée ici présente, si t'aimes les rituels de barge tu seras servie..."

Le visage d'Emily avait pris une drôle d'expression. La jeune femme rougissait des paroles qui étaient prononcées et, instinctivement, elle se rapprocha de Saraid comme pour la protéger.

L'asiatique n'y fit aucunement attention et tourna les talons. Néanmoins, avant de quitter la pièce d'eau, elle ajouta :

"La nouvelle... Dis toi bien que si t'as un lien quelconque avec Billy, tu sortiras les pieds devant. Après tout, il a tué une fille ici. Ce n'est que justice..."

Emily, presque à bout de souffle, relâcha la pression quand l'asiatique fut sortie. Et posa son regard dans les yeux de Saraid, comme pour encourager cette dernière à s'exprimer.

Ne voulant pas quitter la seule personne qu'elle connait dans cet endroit misérable, Saraid prend donc sa douche juste à côté d'Emily. Après lui avoir expliqué pourquoi on la pointe ainsi du doigt, elle comprend maintenant que c'est plus compliqué qu'une moquerie d'anciennes auprès de la petite nouvelle. Une jeune asiatique venant du groupe de poules, comme l'irlandaise les a surnommé, s'approche finalement du duo provoquant une certaine nervosité chez la fille pieuse. Les paroles de sa camarade ne la rassurent guère face au sourire mauvais et au regard scrutateur de celle qui vient de les rejoindre.

*J'aurais peut être dû compléter mon explication sur la présence du prêtre, elle a l'air plutôt bien informée contrairement à ma collègue de chambrée.*

Vue la tête de sa cothurne, l'irlandaise craint que cette nouvelle ne lui soit défavorable dans leur relation. Quoi qu'il en soit elle se concentre pour le moment sur l'asiatique qui est la menace la plus immédiate. Et la menace en question a l'air sacrément dangereuse qui plus est si bien que la peau de la jeune fille passe d'un coup du rouge au blanc. Comme pour réagir à sa peur profonde et pour l'instant plus ou moins contrôlée, Emily se rapproche d'elle pour la soutenir. Rapport ou non à cela, la mauvaise graine se retourne et se prépare à partir sans menacer auparavant Sairaid de mort ce qui finit de la transformer en statue de marbre. Une fois l'asiatique sortie, l'adolescente se détend très légèrement et pose son regard sur la fumeuse qui attend quelque chose étant donné comment elle fixe l'irlandaise.

"Sympa... Les filles du coin... Je ne connais pas Billy si tu veux savoir mais je sais que le père McDougall est un exorciste. Par contre c'est quoi cette histoire de meurtre parce que on se croirait tout de même dans un mauvais film d'horreur le temps passant?"

La fille des Gilday n'est pas rassurée du tout et sa voix tremble alors qu'elle parle, elle pense à nouveau aussi à ce qu'est l'institut: un hôpital psychiatrique, ni plus, ni moins. Faire confiance à qui que ce soit en ces lieux peut être fatale à l'adolescente et elle se décide donc de se méfier de tout et de tout le monde à commencer par Emily.

"C'est Kodachi... Elle a été internée ici pour des faits criminels... J'en sais pas plus mais elle a le chic pour me foutre les jetons. C'est comme si elle savait toujours tout sur tout. J'sais pas comment elle fait mais..."

Emily baissa d'un ton et chuchota à l'oreille de Saraid :

"Je veux dire, je pratique effectivement les rites de ma religion mais... Personne n'est au courant à part ma thérapeute et une amie qui est partie avant son arrivée à la fondation. Ce n'est pas possible qu'elle sache, ce..."

Elle marqua une pause, comme pour cogiter ce qu'elle allait dire par la suite.

"Maureen, ma psy me ferait jamais ça. Elle n'aurait jamais bavé quoi que ce soit sur le bokononisme. Elle..."

Emily arrêta l'eau de la douche et fit face à nouveau à Saraid.

"Quant à cette histoire de meurtre, c'est des racontars. Effectivement, y a une fille qui embêtait Billy qui est morte. C'est le Dr. Beck, lui même, qui a constaté le décès. Il nous as dit qu'elle s'était ouverte les veines. Rien à voir avec un meurtre... Rien..."

La jeune fille se saisit de ses vêtements et après avoir enfilé le strict minimum fila comme une dératée hors de la salle de bains...


Une fois que Saraid fut rhabillée et qu'elle eut mis le pied dehors, elle tomba sur l'un des nombreux gardiens / infirmiers de l'établissement. Elle n'eut pas le temps de chercher où était passée Emily que déjà l'infirmier l'attrapa par le bras et la conduisit à travers divers couloirs et escaliers, jusqu'à une aile du bâtiment qui semblait réservée au personnel...

Ils s'arrêtèrent devant un bureau dont une plaque indiquait qu'il était celui du Docteur Joseph T. Beck, le directeur médical de l'établissement. L'infirmier toqua à la porte puis fit entrer dans la pièce Saraid.


La porte refermée, Saraid se retrouva seule en compagnie d'un homme en blouse blanche qui portait des annotations et des chiffres à côté de noms inscrits sur un tableau effaçable.

La jeune femme remarqua qu'en face de la plupart des noms étaient portés les numéros 1, 2 ou 3. Elle identifia également son propre nom et remarqua qu'aucun numéro n'y était inscrit.

L'homme lança d'une voix gutturale :

"Bonjour, Saraid. Je suis à vous dans un instant. J'ai juste ce petit travail à terminer et après nous parlerons. Votre ami, le Prêtre Mac Dougall m'a demandé conseil aussi je traiterais votre cas avec toute l'attention qu'il mérite. En attendant, si vous avez des questions..."

L'asiatique est une criminelle d'après Emily ce qui ne rassure pas la nouvelle venue loin de là mais explique la facilité avec laquelle la dénommée Kodashi l'a menacée de mort. La partie de la conversation avec la folle furieuse sur les rituels étranges trouvent aussi leur explication bien que Saraid n'ait jamais entendue quoi que ce soit à propos du Bokononochose, l'Islam oui, le judaïsme aussi mais le Bokomachin jamais. L'irlandaise se demande alors si ce n'est pas qu'un délire d'une adolescente perturbée comme l'asiatique mais en moins dangereux.

*Je suis entourée de folles. Mon dieu fait que je ne reste pas ici.*

Le prétendu meurtre n'en est pas un d'après sa collègue de chambrée mais force est de constater que Kodashi en sait beaucoup sur des choses qu'elle ne doit pas savoir. Pourtant seul Dieu, pour une jeune fille aussi pieuse, est omniscient et cette dernière tente donc de trouver une explication plus logique. Après tout elle-même fait des choses avec le brouillard, Emily joue avec le feu alors l'idée d'une asiatique lisant dans les pensées ou quelque chose approchant n'est pas stupide. Malheureusement Saraid n'a pas le temps de partager son avis avec sa presque coreligionnaire car celle-ci s'est enfuie précipitamment.

*Bon, tentons de la rattraper même si elle a l'air passablement perturbée.*

L'adolescente se rhabille au plus vite et sort à son tour afin de partir à la recherche de la seule personne un peu près amicale dans l'institut sinistre. Malheureusement à peine le pieds droit dans le couloir que voilà un infirmier qui l'attrape par le bras et la mène sans grand ménagement vers une destination qui revient d'un coup à l'esprit de l'irlandaise.

"Le rendez-vous avec le psychiatre! C'est là que vous m'emmenez?

L'infirmier aurait pu être un nuage que son expression et son sens de la communication aurait surement été identique car ce dernier ne lui répond même pas. L'escapade dans le dédale du bâtiment permet à la jeune fille de stresser quand à l'issu de cette rencontre si bien que lorsque elle finit par se retrouver seule avec le docteur, elle se met à trembler et à avoir les larmes aux yeux. L'homme n'est heureusement pas agressif dans ces paroles ce qui a pour conséquence la légère détente de Saraid et elle peut donc répondre à la question du thérapeute avec tout de même la voix chevrotante.

"C'est monnaie courante de se faire menacer de mort dés son arrivée où je dispose d'un traitement de faveur? Sinon... Vous allez faire quoi docteur?"

La nouvelle venue s'est habillée le plus simplement possible avec une robe à manche longue blanche arrivant aux genoux, des souliers vernis noirs et des chaussettes montantes blanches elles aussi. Se tenant les mains et les bras maintenus devant elle, Saraid a plus de la petite fille modèle que de l'adolescente rebelle.

Le médecin finit d'inscrire un numéro sur le tableau puis, après avoir posé son feutre, alla s'asseoir à son bureau. Il joignit les mains et poussa un long soupir pensif.

"Hum... Des menaces de mort ? Pourquoi pensez-vous que quelqu'un vous en voudrait ?"

Il marqua une pause pour méditer une autre question puis poursuivit :

"L'objectif de notre entretien est de déterminer de quelle section vous relevez. J'ai besoin de savoir pour cela si vous êtes mutante ou si vous pensez seulement être mutante. Et de connaître votre degré d'inadaptation à la société"

Le Dr. Beck bailla grossièrement avant de demander :

"Vous sentez-vous en principe persécutée ? Et... vos pouvoirs, ils sont de quelle nature ? C'est quelque chose que vous voyez comme un avantage ou un fardeau ?"

Le psychiatre ne fait pas trop attention à sa nouvelle patiente dans l'immédiat et continue à s'occuper de son tableau. Saraid ne savant pas trop quoi faire, elle attend donc patiemment que le médecin finissent d'écrire en regardant un peu aux alentours. La première question porte sur la menace qu'elle a reçu mais l'asiatique pouvant peut être lire les pensées, ce n'est pas forcément une bonne idée de lui dire quoi que ce soit.

"Certaines de vos patientes me voient d'un mauvais œil, à cause du père McDougall je crois. Et elle sont loin de l'enfant de cœur."

L'irlandaise tremble en y repensant tandis que l'homme poursuit son interrogatoire, l'air réellement passionné par ce qu'il fait. Déçue par la question sur ses pouvoirs, elle fait un peu la moue mais finit par répondre.


"Honnêtement je croyais que ce serait vous qui m'apprendrez plus en détails mes capacités. De ce que j'en ai vu je dirais que je peux provoquer un gros brouillard et faire des formes dans les nuages. Rien d'extraordinaire donc mais c'est un don de Dieu et je l'accepte avec humilité. Et pour la persécution... A part une de vos filles, je n'ai pas à me plaindre si ce n'est de mon arrivée en ces lieux."

Pas habituée à se lever aussi tôt, la jeune fille baille aussi tout en mettant sa main devant sa bouche comme le veut la politesse.

"Excusez-moi je n'ai pas l'habitude de me lever tôt."

Le Dr. Beck écouta avec attention les paroles de la jeune fille, sans manquer de la détailler de la tête aux pieds d'un regard intéressé. Il avala sa salive et répliqua finalement :

"Dieu semble être une figure importante dans votre vie. Mais n'avez-vous jamais pensé que Dieu n'avait peut-être rien à voir dans ce qui vous arrivait, non ? Vos prétendus "pouvoirs" pourrait être l'œuvre du Diable, vous ne pensez-pas ?"

Tout en parlant, le psychiatre prit un bloc-note et un stylo. Il commença à jeter dessus quelques notes.

"Quelle fille ? Et puis... Vous trouvez à vous plaindre d'être ici ? Vous pensez que c'est... injuste ?"

Il se frisa la moustache et eut un sourire malin. Enfin, il termina par une étrange requête :

"Un gros brouillard ? J'aimerai bien voir ça maintenant... Oui, ce serait intéressant"

La jeune fille pieuse soupire légèrement, elle qui veut éviter à tout pris les discussions théologiques, la voilà obligée d'expliquer son point de vue. Saraid respire profondément et commence son monologue.

"Ce que beaucoup de gens oublient docteur, c'est que Dieu est amour et que c'est lui qui nous crée. Lors de jugement lui seul décidera si il est bon de m'envoyer en enfer", elle déglutit à cette idée, "ou si j'ai ma place au paradis. Mes pouvoirs je ne les ai pas demandés, je n'ai rien fait pour les avoir et je pense, ça n'engage que moi, que selon la manière dont je les utiliserais alors ils me précipiterons tout droit en enfer... ou non. Nous sommes jugés pour nos actes, pas pour notre nature docteur. Et comme Dieu est amour et pardon, si même mes dons étaient d'origine démoniaque, comment pourrais-je être envoyée en enfer si je les utilise pour aider les gens dans le besoin ou si je les utilise pas. Après tout ce serait une certaine forme de résistance contre la tentation comme Eve et la pomme."

L'irlandaise ayant fini son monologue, elle reprend son souffle et tente discrètement de voir ce qui est écrit sur le bloc-note. Tandis qu'elle se balance d'avant en arrière, l'adolescente répond à la deuxième question d'une voix moins assurée.

"Heuuu... Je pense qu'elle a certains pouvoirs lui permettant de savoir si je l'ai dénoncée ou non docteur. Je n'ai pas vraiment envie de savoir ce qu'elle ferait si elle apprenait que je l'ai dénoncée. Pour ce qui est de l'injustice ou non d'être ici, je dois vous avouer que je préférerais être chez moi bien tranquillement avec une vie normale et pas avec des filles étranges. Après comme vous êtes un spécialiste de ce qui m'arrive c'est plutôt une bonne chose de vous rencontrer"

Ce n'est plus tout à fait vrai car si la nouvelle venue attendait auparavant cette entrevue, l'idée de rester dans cet institut a considérablement atténuée son enthousiasme. Quand le psychiatre lui demande de faire une démonstration, elle se met à paniquer et ne réussit qu'à bafouiller quelques mots.

"C'est que... C'est involontaire docteur... Puis le brouillard en intérieur... Je vais essayer."

La jeune fille perturbée par la demande ne trouve rien de mieux que de fermer les yeux et de ce concentrer sur un brouillard tout en récitant une prière.

Le psychiatre continuait à gribouiller des notes tout en écoutant la jeune Saraid. La jeune mutante put apercevoir quelques mots inscrits sur le calepin :


Finalement quand vint le moment pour Saraid d'utiliser son pouvoir, rien ne se passa... Le Dr. Beck sourit doucement et referma son calepin. Il se leva et poussa un petit bouton situé sur son bureau. Un infirmier ouvrit aussitôt la porte.

"Je vous remercie d'amener cette jeune fille en section 2"

Puis, reportant son attention sur Saraid, il ajouta :

"Merci pour cet entretien, cela a été très instructif, Saraid. L'infirmier, ici présent, va s'occuper de vous conduire à votre nouvelle chambre. J'espère que vous y serez plus à votre aise, je crains en effet que dans votre situation votre amie Emily ne soit une mauvaise influence"


Une fois de plus, Saraid fut conduite sous bonne garde dans une autre aile du bâtiment. La chambre qui lui fut affectée était cette fois vide de toute occupante. Les murs étaient blancs et la chaise et le bureau étaient rivés au sol. Une armoire métallique contenait quelques effets personnels - pas de vêtements - qui indiquaient que cette chambre était double. Deux petits lits, également fixés au sol, étaient là. Sur l'un d'eux, une blouse d'hôpital était pliée en quatre.

L'infirmier commenta :

"Enfile ça. Je dois récupérer tes lacets, ceintures et autres bijoux. Tu les laisseras sur le pas de la porte. Les règles sont un peu plus strictes dans la section 2 mais tu vas t'y faire. Nous t'enverrons le reste de tes affaires quand nous aurons fait le tri"

Et il s'en alla laissant Saraid, seule dans cette chambre dont le verrou était fixé à l'extérieur.

Elle put entendre, quelques instants plus tard, des chuchotements dans le couloir. Y jetant un œil, elle aperçut quelques résidents de la section 2 - filles et garçons - circulant librement dans les couloirs, tous vêtus de l'immonde blouse d'hôpital, sans chaussures et l'air passablement hagards. De temps à autre, deux jeunes femmes en blouse de médecins passaient dans le couloir.

Ce que l'irlandaise voit sur le calepin ne lui plait pas du tout, enfin un mot surtout la gêne: paranoïa. Mais dans la tête de Saraid il vaut mieux être prise pour une folle vivante qu'être une saine d'esprit morte et l'asiatique n'apprécierait surement pas de s'être faite dénoncer, surtout par la nouvelle pensionnaire. La volonté de puissance est relativement présente, elle l'avoue elle même intérieurement mais ce qui la gêne en l'état est son manque de contrôle sur ses capacités. Avoir un pouvoir est bien mais même un pouvoir puissant, ce qu'elle sait ne pas avoir, ne sert à rien si on ne le contrôle pas et pire même, peut être dangereux.

*Mon dieu pas la section un*

Ses yeux s'écarquillent de terreur à l'idée de se retrouver dans un endroit cent fois pire que là où elle a passé la nuit qu'elle trouve déjà glauque et terrifiant. Dés que le psychiatre annonce son envoi en section deux, l'enfant pieuse remercie le Seigneur de ne pas avoir pu faire une démonstration ce qui selon elle, l'aurait envoyée directement en section un. Terrifiée tout de même à l'idée de se retrouver avec des gens passablement fous, elle n'entend même pas le docteur lui parler et suit l'infirmier comme un nuage le fait avec le vent.


*Je suis seule... Mon Dieu m'as-tu abandonnée? Où est-ce une épreuve afin de vérifier si je suis digne de toi?*

Sa chambre de la veille passe pour un lieu de repos pour princesse à côté de la chambre d'hôpital psychiatrique où elle va surement passer une partie de sa vie. En pensant à cela Saraid tremble et sent les larmes lui monter aux yeux. Tout est parfaitement rivé au sol comme si les patients étaient des fous furieux adultes et non des adolescents complétement perdus. En jetant un regard sur une armoire trônant dans cette chambre, l'irlandaise devine qu'elle ne sera pas encore seule cette fois-ci bien qu'elle s'inquiète grandement sur l'identité de la personne.

*Si je ne suis pas folle je vais assurément le devenir si je reste ici.*

L'infirmier finit par parler et cela surpris tellement la jeune fille qu'elle sursaute légèrement avant de rester ébahi devant la demande qu'on lui fait. Regardant une nouvelle fois la chambre, elle trouve normal que certain puisse avoir envi de se faire du mal pour sortir de ce lieu sinistre. Une fois l'homme dehors, l'irlandaise finit quand même par obtempérer et ôte ses vêtements pour enfiler l'espèce d'horrible blouse qu'on lui a donnée avant de déposer toutes ses affaires sur le pas de la porte avec toute une hésitation sur son collier de baptême.


*Ils ne vont certainement pas me laisser la chaîne mais le pendentif ?*

Tout en tirant sur le médaillon, Saraid jette un coup d'œil à l'extérieure pour découvrir quelque chose d'absolument terrifiant. Ce coup là elle est sûre, elle a atterri en plein milieu d'un film d'épouvante: des enfants guère plus âgés qu'elle trainent dans les couloirs tels des zombis sans but. La détresse envahit la jeune fille qui sert son médaillon dans les poings et se jette sur son lit pour y pleurer à chaude larme.

"Seigneur qu'ai-je fait pour mériter cela?"