Un déjeuner sur les quais Saint Patrick, Cork, Irlande

La semaine avait été plutôt tranquille pour Alban. Il avait l'impression qu'il avait sans trop savoir comment réussi d'entrer dans une bagarre inutile. Peut-être même qu'arrêter de fréquenter des jeunes de son âge dans un cadre scolaire, livré aux rumeurs et aux commérages qui lui avaient posé des problèmes ces dernières années, avait été la meilleure chose qu'il ait pu accomplir.

Il se rendait actuellement et comme d'habitude sur les coups de 11h à son petit boulot de serveur. Il l'exerçait depuis quelques mois et ses talents de comédiens lui avaient généralement suffit à ne pas trop souffrir de sa timidité. Il travaillait d'ailleurs régulièrement le midi, la clientèle étant plus importante sur ce créneaux.

Il entra dans le Bumpy Shamrock Cafe par la porte de derrière et se changea pour revêtir sa tenue de service : une chemise blanche avec un pantalon noir et un bas de tablier blanc à liserés vert. Prêt en un temps record, il entra dans la salle où quelques clients consommait déjà une boisson, un sandwich ou attendait leur commande et salua un homme bedonnant et rougeot équipait d'une large moustache qui aurait pu tenir un rôle de tavernier dans n'importe quelle super production hollywoodienne à ambiance médiévale s'il ne portait pas une écharpe supportant le Cork Constitution Football Club.

Comme chaque jour, il termina son rituel d'arrivée au travail par un habituel :

"Bonjour patron." accompagné d'un geste de la main et d'une vague esquisse de sourire.

Ce rituel lui permettait de finir sa préparation avant de monter sur... les "planches".

L'employeur en question, bien calé sur une chaise derrière le comptoir renifla bruyamment et rendit son salut à Alban.

"Le p'tit, va falloir trimer c'soir. Faut qu'je sente le jus d'ton coude parce qu'là, j'sens qu'le chaland va se radiner c'soir !"

Et accompagnant la parole du geste, il leva son verre de guinness bien haut avant de le porter à ses lèvres.

L'homme était bourru mais juste. Un peu trop porté sur la bibine mais bon... C'était un passionné de vieilles histoires, de soirées alcoolisés et il avait un sérieux sens des affaires. S'il faisait un excellent compagnon de bar, il aurait fait un bien piètre père.

Il désigna du doigt un homme que Alban n'avait pas encore remarqué :

"D'ailleurs, j'suis pas l'seul à l'penser. Lui, le bourgeois poudré là-bas... Il l'a senti aussi. C'soir ça va être le début des grandes nuits de mon troquet. Et t'sais qu'j'ai comme un sixième sens pour ça, le p'tit"


L'homme en question fumait sans trop y prêter d'attention une cigarette tout en faisant bien attention à ne pas maculer de cendres son beau costume. Il semblait attendre quelque chose.

C'était sous l'oeil bienveillant de son employeur qu'Alban s'était approché du client de la haute. L'homme écouta ce que le jeune serveur avait à lui dire, impassible, se contentant juste de soulever un sourcil interrogateur à un moment de la conversation.

Il prit une longue bouffée sur sa cigarette et, ayant rejeté la fumée de façon maniérée, répondit, un petit sourire en coin :

"Mon cher, vous êtes en face d'un gentilhomme tout à fait seul. Nul autre que vous-même n'ayant décidé à m'approcher, à mon plus grand désarroi. Néanmoins, s'agissant de votre demande, je me vois contraint de vous solliciter pour me servir un peu de vin français, si vous en possédez. Sinon, votre meilleur whisky fera tout aussi bien l'affaire. Et servez-vous également, je déteste boire seul"

Il désigna un siège libre à côté de lui.

"Quant au renseignement, hormis le cas où vous seriez vous-même une danseuse exotique dotée de certaines facultés pour le moins rares et précieuses, je crains que vous ne puissiez m'être d'une quelconque utilité. Sauf si bien entendu vous pouvez m'indiquer à quelle heure va arriver cette demoiselle que je viens de vous décrire et qui est censée se produire dans votre cabaret..."

Il sourit. Largement.

Le patron, sans mot dire, disparut un instant sous le bar pour farfouiller dans la caisse des "bonnes choses". Il en sortit une bouteille poussiéreuse qu'il déboucha pour l'occasion avec quelque difficulté.

Tandis que le vieil irlandais remplissait le verre du bourgeois, il marmonna à l'attention d'Alban :

"Va donc boire avec c'bonhomme de la haute. Mais va pas croire qu'il faut qu'tu prennes l'habitude d'paresser avec les clients. Lui, il transpire l'oseille. C'est différent"

Presque à contrecœur, l'homme servit ensuite la bière du jeune mutant, faisant bien attention à ne pas remplir complétement la pinte.

Une fois qu'Alban eut récupéré les deux verres, son employeur précisa :

"Ouais, une p'tiote qui voulait s'couer son popotin dans mon échoppe. J'lui ai dit oui mais j'pensais pas que ça ferait v'nir M'sieur Melmoth. D'ailleurs, j'savais même pas qu'il était encore parmi nous... Enfin, si c'est bon pour les affaires, c'est bon pour moi... Mais là, la p'tiote, elle est déjà à la bourre..."

L'homme invita à nouveau Alban d'un signe de la main à s'asseoir.

"Je vous en prie, très cher. Vous avez été un serveur tout à fait diligent et compétent, vous avez bien mérité de vous installer avec un ami des arts vous désaltérer avec votre..."

Il tortilla du nez puis ajouta d'un ton un peu hautain.

"... bière"

M. Melmoth trempa ses lèvres dans son verre de vin français et commenta d'une façon tout à fait maniérée :

"Cela me rappelle Paris ville de lumière... Je vous en suis gré, jeune homme"

Reposant le verre, il reprit :

"Les artistes sont toujours en retard et en avance. En retard, car ils sont insensibles aux contraintes pesantes de la convenance. En avance, car ils sont toujours comme des phares dans la nuit guidant le regard des pauvres âmes vers le ciel. Cette jeune femme qui n'en est plus tout à fait une arrivera pour mettre du brillant dans cet... endroit. Pensez-vous bien que mes pas me conduisent dans d'autres lieux plus... incandescents. La raison de ma présence ici n'est qu'exotique et dansante. Néanmoins, votre compagnie me semble fort agréable... Mais ma foi, parlez-moi un peu de vous ! Peut-être qu'ainsi l'attente me semblera moins pesante..."

"Il faut parfois négliger son plaisir au nom de la simple réalité. Même si tout cela a l'air bassement matériel, nous sommes peu nombreux à pouvoir nous élever au-dessus des contraintes de la grisaille quotidienne, mon jeune ami"

Melmoth sourit et trempa à nouveau ses lèvres dans le vin français.

"Mais que feriez-vous, mon jeune ami si la liberté venait frapper à votre porte ? Fermeriez-vous les yeux pour mieux vous accrocher à votre petit monde étriqué mais rassurant ? Ou accepteriez-vous les contraintes d'une vie de bohème libre mais périlleuse ?"

L'homme partit dans un rire sonore avant de reprendre :

"Ne vous tourmentez pas des paroles d'un poète un peu ivre ! Vous êtes un très bon garçon de café ! Sartre serait fier de vous et..."

Il cligna de l'oeil et ajouta :

"... n'est pas Melmoth qui veut"

Reposant son verre qu'il avait toujours à la main, le bourgeois se lança sur un ton pompeux dans une description de qui il était :

"Mon nom n'est pas bien connu des jeunes générations. Je pense que le nom de Sebastian Melmoth est honni par ici pour ce qu'il représente : à savoir la liberté faite homme. Je suis parti de cet endroit il y a déjà bien longtemps de cela, après avoir déshonoré les miens... J'ai été aux États-Unis où j'ai observé et écrit. Mais j'avais comme de la tristesse en mon cœur... A son retour le fils prodigue à retrouver une grande maison vide... De l'argent à dilapider pour conduire une existence scandaleuse et incandescente. Depuis, je cherche les miens pour les mener à la Terre promise, libérés de la honte du quotidien... Ma présence en ces lieux est d'ailleurs exceptionnelle. Je préfère user mon spleen chez Billy Chang"

Melmoth semblait en avoir pour des heures à pérorer sur lui-même... Néanmoins, quand une jeune fille entra dans l'établissement, il se tut.


Elle semblait timide et un peu perdue. Le patron d'Alban observa la nouvelle arrivante d'un air courroucé.

Alban écouta Melmoth un moment et se prit à la réflexion que lui proposait l'homme.

"J'imagine que si l'opportunité se présentait, je prendrais mes cliques et mes claques, et j'irais essayer de de monter sur les planches. Mais de là à en être convaincu je n'en sais pas grand chose, juste que j'ai le choix entre courir mes rêves par mes propres moyens ou accepter ceux de ma famille."

Puis le bourgeois répondit à la question d'Alban et entama un monologue qui convenait parfaitement au jeune homme. Apparemment l'individu avait tenté l'expérience de partir avec peu de choses en poches, s'en était sortit, et mieux encore, était revenu pour trouver une fortune par hasard. Alban se serait senti un peu jaloux s'il en avait eu le temps, néanmoins sont regard fut attiré par ce qui avait fait taire le bourgeois. Une jeune femme que le tenancier regardé avec courroux.

Alban vida sa bière en reprenant son plateau.

"Monsieur Melmoth j'espère que vous apprécierez votre séjour dans notre établissement. Je vais aller m'occuper de ce changement de scène sinon j'ai bien peur que l'acte ne soit trop élevé dans le volume pour que l'audience soit satisfaite."

Puis, sans plus de cérémonie, Alban s'éloigna du gentilhomme de velours et s'en alla vers la jeune fille et son patron. Il attrapa la jeune fille par le bras lui fit contourner le bar pour l'envoyer dans l'arrière boutique dans un mouvement digne de n'importe quel vaudeville.

"Pour vous changer ou préparer c'est par la, suivez le mouvement." Il stoppa son mouvement en adjoignant la jeune fille à aller dans l'arrière boutique et se retourna vers son patron. "Elle doit commencer par où ? Par quoi ? Sinon vous lui criez dessus derrière et je tiens le bar. On le fait comment ?"

Habitué au comportement de cet homme un peu rugueux mais pas si méchant, Alban avait préféré évacuer les problèmes afin de ne pas déranger les clients sans pour autant donner d'explications ni même marquer spécialement de pause afin de noyer un peu le ver, quitte à tout se prendre dans la figure. Ce ne serait pas plus amer que le verre de bière qu'il venait de vider avec précipitation.

"Mieux vaudrait pour vous que vous appreniez à monter les planches sous vos pieds..." soupira Melmoth d'un ton rêveur.

"Oui, allez dresser la scène... Cette jeune personne doit être mise en valeur. Il s'agit peut-être de la dernière chance... de votre établissement pour faire partie de l'Histoire"

Acquiesçant au départ précipité d'Alban, Sebastian Melmoth continua à boire son vin français...

La jeune femme opina du chef, non sans avoir été surprise par la prise en main d'Alban. Elle marmonna quelque chose qui ressemblait à un merci mais le jeune serveur n'était pas bien de ce qu'il avait entendu...

En fait, la fille semblait réellement terrorisée. Comme si elle allait monter sur scène à contre-cœur.

Pendant qu'elle se changeait (ou cherchait à s'enfuir) dans l'arrière-boutique entre les caisses et les produits d'entretien, l'employeur éructa à l'attention d'Alban :

"Mais le p'tiot j'ai l'air de quoi ? D'une fichue meneuse d'revue ou d'un patron de bar ? Hein ? Ell'fait c'qu'elle veut voilà tout ! Tant qu'c'est bon pour le commerce ! Et t'as qu'à t'en occuper, spèce de couleuv'e !

L'homme était fâché. Aussi il retourna se servir une pression.

Au bout de quelques instants, la jeune fille sortit pieds nus, en débardeur blanc et pantalon noir. Elle avait attaché ses cheveux et observa avec terreur la salle du bar. Les ivrognes présents ne semblaient guère faire attention à elle et seul les regards du patron (courroucé) et de Melmoth étaient posés sur elle.

La fille sembla se recroqueviller quand Alban lui adressa à nouveau la parole. Elle leva deux petits yeux apeurés vers le mutant et hocha la tête machinalement à tout ce qu'il dit.

Finalement, elle lança :

"C'est... c'est la première, oui"

La fille renifla.

"Je sais pas trop ce que je vais faire. J'ai toujours été bonne en danse à l'école et... Pitié, laissez-moi le faire, j'ai vraiment faim"

Détournant le regard vers la salle, comme si elle ne pouvait plus soutenir celui d'Alban à qui elle venait de faire cette honteuse confession, la jeune danseuse ajouta plus calmement :

"J'ai juste besoin qu'on me dégage un coin du bar. La musique, je me contenterais de celle qui passe et... moi c'est Agatha"

Elle jetait des coups d'œil à droite, à gauche, raide comme un piquet, attendant de pouvoir commencer mais ne sachant pas trop où se mettre.

Agatha releva la tête et se mordit la lèvre. Visiblement quelques unes des paroles d'Alban avaient fait tilt dans la tête de la jeune fille.

"T'es un artiste aussi ?" demanda-t-elle d'une petite voix.

Puis secouant la tête, elle ajouta aussi sec :

"Laisse... Faut que j'm'y mettes sinon je pourrais jamais le faire..."

Elle laissa le jeune serveur s'occuper de débarrasser un coin de l'établissement sous le regard intéressé de Monsieur Melmoth.

"Ce n'est pas une question de choix, mon jeune ami mais une question de pouvoir. Mais je vous remercie néanmoins d'être aussi dévoué..."

Finalement, la jeune fille lança un dernier sourire à Alban qui était retourné au bar. Elle s'avança timidement dans l'espace que le serveur lui avait aménagé, leva le bras gauche lentement et gracieusement et... se lança dans un exercice de danse classique.

On ne pouvait pas dire qu'Agatha ne s'y connaissait pas en danse. Pointe. Demi-pointe. Des entrechats. Toutes ces choses qu'on apprenait en danse classique.

C'était même plutôt bien fait à vrai dire et ça collait avec la musique. Mais...

... force était de constater que la jeune fille n'avait pas l'air de s'éclater. Et même pour tout dire c'était plutôt... soporifique.

Sebastian Melmoth bailla de manière bien peu discrète et, sans quitter Agatha des yeux, reprit un peu de vin.

Le patron soupira en se resservant une nouvelle pression.

Quant aux autres clients...

"Dégage la grosse ! C'est nul !"

... ils n'avaient pas l'air ravis qu'une telle manifestation culturelle vienne envahir leur établissement.

"Vas y montre tes fesses ! Fais pas ta maline !"

Des éclats de rires montaient des quatre coins du bar. Agatha fut même aspergée par un verre de bière. La jeune femme semblait réellement souffrir. Comme si elle dansait contrainte et forcée.

Puis...


... la jeune fille se dédoubla d'un seul coup à la stupéfaction générale. Plus personne ne riait. Plus personne ne buvait. En fait, même Agatha (les deux) semblai(en)t choquée(s).

Le spectacle était terminé. Il n'y avait plus un bruit.

Le patron brailla :

"C'est une fichue mu..."

Mais il n'eut pas le temps de terminer sa phrase... Il s'effondra contre son comptoir d'un seul bloc.

Alban put constater que tous les autres clients avaient subi le même sort. Lui-même se sentit comme pris au piège...

... quand le serveur ouvrit les yeux à nouveau, il était au sol dans une flaque de bière. Il entendait des ronflements dans le bar : son patron et les autres clients faisaient dodo. Melmoth avait disparu. Agatha (redevenue une) était penchée sur lui :

"Ça va ?"

Agatha tourna autour d'elle-même tentant elle aussi de comprendre ce qui s'était passé. Elle précisa tout de même :

"Je me suis réveillée il y a quelque chose comme 5 minutes. Enfin, j'dis que je me suis réveillée mais je me souviens pas de m'être endormie. Je me rappelle juste que c'était affreux. Que tout le monde se moquait de moi et que j'avais envie de me cacher et que..."

La jeune danseuse s'arrêta nette. Puis reprit, un peu trop rapidement :

"Enfin, voilà ce dont je me souviens... Qu'est ce qu'il s'est passé à ton avis ?"

Alban, examinant les lieux put voir que tout le reste du bar roupillait dans de drôles de positions. Comme s'ils s'étaient tous endormis sur place. En renversant leur chopine qu'ils tenaient à la main ou en tombant de la chaise sur laquelle ils étaient assis. Étrange.

Melmoth avait disparu en revanche. Son verre était terminé et il y avait un peu d'argent qui avait été déposé sur la table.

Le jeune serveur, voyant Agatha de dos, eut l'impression que quelque chose dépassait de son pantalon. Comme une étiquette.

Agatha eut l'air catastrophée quand Alban la traita de sale petite mutante, en dépit du ton de la voix du serveur... Comme si cela lui rappelait de bien mauvais souvenirs. Le fait qu'il lui ébouriffe les cheveux la sortit de cette espèce de flashback de mauvais aloi et elle sourit :

"Je crois que le nier serait ridicule. C'est en partie à cause de ça que maintenant je dois mendier dans les bars..."

Elle jeta un coup d'œil sur la table de Melmoth et commenta :

"Il était bizarre ce type... Tu m'avais dit qu'il était venu pour me voir mais en même temps il a eu l'air de s'ennuyer tout le temps où je dansais... Bizarre..."

Quoi qu'il en fut, elle suivit à la lettre le plan d'Alban. Elle passa la serpillère et il se changea. Puis il alla réveiller le patron, pendant qu'elle passait ses vieilles frusques. Le vieil ivrogne grommela quelque chose comme quoi il fallait le laisser dormir. Il semblait aller bien mais ne comptait pas pour autant se réveiller.

Le ménage terminé, les deux jeunes gens se retrouvèrent dans la rue. Agatha tendit un bout de papier à Alban. Il s'agissait de la carte de visite de Melmoth mais aucune adresse ou numéro de téléphone n'y étaient notés. Au verso, quelques mots avaient été écrit au stylo :


La jeune fille avala sa salive et laissa à Alban quelques instants pour réfléchir.

"C'est bizarre, hein ? Je l'ai trouvé dans mon pantalon, tout à l'heure en me changeant..." lança-t-elle un peu nerveuse.

La jeune fille haussa les épaules et dit :

"De toutes façons, je n'ai nulle part où aller. Et comme je ne serai jamais payée pour ma minable prestation, je vais pas cracher sur un repas !"

Un voile d'inquiétude parcourut son doux visage.

"Si tel est le cas, il s'agit d'un homme très inquiétant. J'ai fait exprès de changer de région quand... Enfin, quand dans mon village on a appris l'existence de ma... différence"

Un truc dans sa voix témoignait à la perfection du fait qu'elle avait une certaine gène à évoquer sa condition de mutante.

"Tes dons de serveur ?" ricana-t-elle. "Le fait que tu saches débarrasser une table tout en la nettoyant ?"

Agatha avait l'air plus enjouée. Elle serra sa main dans celle d'Alban avant de sombrer à nouveau dans le tracas.

"J'ai peur... Je crois qu'on est en face d'un truc qu'on comprend pas... Mais il faut qu'on sache ce que me veut cet homme. Ce n'est pas normal"


Une fois arrivés chez Alban, le duo de nouveaux amis prit un bon déjeuner que la jeune fille dévora avec avidité. Elle s'excusa de son empressement en précisant que ces derniers temps elle avait sauté un peu trop de repas.

Puis vint le temps des recherches...

Billy Chang, ça ne disait rien ni à Alban, ni à Agatha, nouvelle dans la région. Pas de traces dans l'annuaire téléphonique ou dans tout autre registre officiel... Au bout de quelques longues minutes, ils trouvèrent néanmoins leur bonheur sur un forum de libertins.

IlDottoreMagnifico : J connai un super endroi a cOrK. CA s'apèl ché Bilie Chang é sa se trouv dan l'impace de la lantern. Cé hyper select é cé pa pour lé peti pervert looooooooooool. Tenue class exigé sinon t'entr pa é tu trouv pa l'endroi. Cé dé gen bizzzar (même pour des détraké com moi EXPDR) mai tu pass la meilleur soitré de ta vi

Il n'y avait pas d'autre renseignement. Mais Alban se souvenait de l'impasse : l'endroit le plus glauque, le plus sombre de la ville où il résidait... Peu éclairée, mal famée et surtout... remplie d'établissements ayant depuis bien longtemps fermé boutique ! A son souvenir, il n'y avait RIEN à cet endroit. Du moins rien d'apparent...

Les recherches sur Melmoth furent plus surprenantes encore. Si rien ne semblait être en lien direct avec le gentilhomme qu'il avait servi, Alban trouva un certain nombre de données sur un vieux livre irlandais, écrit par un certain Charles-Robert Maturin au 19ème siècle.

Si les données compulsées par Alban ne semblaient pas de la première utilité, deux éléments marquèrent son esprit.

Tout d'abord, cette phrase résumant l'argument du livre en question :


Quant à l'autre détail troublant, il résidait dans la gravure représentant l'auteur...


"On dirait que c'est toi !" s'écria à plein poumons Agatha en tapant du pied.


A l'heure dite, les deux amis se retrouvèrent dans l'impasse de la Lanterne. Comme prévu, il n'y avait pas grand chose. Néanmoins, le fond de la longue impasse semblait être un peu plus animé. Toujours pas trace d'un établissement, mais quelques personnes s'y trouvaient. Un clochard, un couple de jeunes gens et un homme de dos, plutôt baraqué, qui dansait sur place comme s'il entendait une musique venue de nulle part...

La jeune fille avait l'air aussi mal à l'aise quand à sa condition de mutante qu'il l'était par rapport à la sienne, aussi, ne développa-t-il pas plus loin pour l'heure. Il prirent donc assez rapidement la direction de l'appartement du jeune homme qui était à 10 minutes à pied du Bumpy Shamrock et à 5 minutes de l'échoppe de ses parents. C'était l'avantage de vivre en centre-ville. La jeune fille semblait vraiment inquiète et Alban pour l'heure n'étant pas un grand professionnel de l'empathie ni même spécialement de la sympathie était surtout curieux. Il eut néanmoins la délicatesse de laisser Agatha le prendre par la main si cela pouvait la réconforter.


L'appartement d'Alban était un petit deux pièces sous une toiture la deuxième pièce n'étant qu'une petite salle de bain et la cuisine étant greffée à la pièce principale. Un canapé à priori dépliant occupé un angle de la pièce et se trouvait à côté de celui-ci une étagère occupée par un poste de radio quelques classeurs et pochettes cartonnées et un nombre assez impressionnant de livre de théâtre d'origines diverses mais immanquablement en version bilingue lorsque le dramaturge n'était pas un auteur anglais. Une petite partie si on fouillé un peu hébergeait de la poésie. En face du canapé se trouvait un large bureau d'angle occupé sur un côté par un ordinateur et sur l'autre partie par une machine à coudre. Le mur était tapissé de croquis de costumes épinglés plus ou moins en désordre. Le reste de la chambre était occupé par une grande armoire et une petite table qui entourée par une chaise sur laquelle Alban mangeait. Il prépara à manger de façon simple mais agréable, il n'était pas un cuisinier hors pair, loin de là, mais étant amateur d'épice maitrisait leur utilisation de façon plutôt correcte ce qui permettait généralement de sauver ses plats.

Après le repas les recherches furent pour le moins choquantes. Que ce soit sur les informations apportées sur les lieux, sur le sieur Melmoth ou sur l'auteur de l'ouvrage évoquant Melmoth.

"J'ai besoin de prendre une douche. Je reviens."

Il profita de l'occasion pour s'isoler et se calmer. Si les inquiétudes d'Agatha ne l'avait de prime abord pas plus affecté que ça, pour le coup il flippait gravement et la douche semblait bien froide. Cela eut le mérite de lui remettre les idées d'aplomb et de le calmer un peu. Il sortit de la douche en caleçon comme si de rien n'était par rapport à la présence d'Agatha dans les lieux mais en n'en menant pas large.

"Si tu veux te rafraichir, n'hésite pas."

Il se dirigea vers les armoire set farfouilla un peu. Elles aussi semblaient bien remplies et plus ou moins ordonnées. Il en sortit une serviette pour le cas où Agatha veuille se laver, une tenue pour lui à nouveau très semblable à la précédente mais plus colorée et plus ouvragée. Le tout constituait un pantalon blanc dont le tissu portait des motifs végétaux très discrets, une chemise rose clair et assez discrète, un manteau qui intégrait un faux veston et qui était lui aussi blanc avec les mêmes motifs végétaux. Venait se nouer sur le tout une lavallière rouge.

Enfin, il sortit une robe assez simple mais plutôt jolie. Bien taillée qui n'empêcherait personne de se déplacer librement. La robe était composée de couleurs plus sombres que ce que portait Alban dans des teintes vertes et noires.

"Apparemment il faut être bien habillé pour entrer. Autant se fondre dans la masse, comme tu le sens. dit-il en positionnant la robe sur lui même et en écartant le volant comme s'il allait la porter lui-même.


Et c'est ainsi qu'à l'heure prévue ils se retrouvaient dans l'impasse qui ne suggérait rien de bon. Rien de bon, du tout. Là c'était clair, Alban n'en montrait rien mais il n'en menait pas large du tout se préparant presque à se faire sauter dessus par n'importe lequel des individus. Néanmoins celui qui semblait le plus pertinent par rapport à ce qu'il cherchait était le mec bizarre qui dansait tout seul, aussi, Alban s'approcha-t-il de lui. Il l'observa un instant et tenta de trouver une logique mais ses talents de danseurs lui semblaient pour l'heure un peu trop piètres.

"Bonsoir, excusez-moi Monsieur pourrais-je vous poser une question ?"

Alban attendit une réponse quelconque en se tenant bien droit et en restant aux aguets comme s'il tenait une bonne grosse paranoia.

Agatha lavée, peignée et revêtue de la robe que lui avait prêté Alban semblait une autre femme. Au charme terriblement envoutant. Aussi, quand le mutant adressa la parole à l'homme dansant, ce dernier, en se retournant, sourit niaisement à la jeune femme.

Il sentait l'alcool, avait des yeux fous et des cheveux en bataille. Il portait un complet et sa cravate était ornée d'une épingle sur laquelle était fixée ce qui ressemblait à une perle.

Il puait le fric. Et le négligé.

"Une question ? Une question ?" bredouilla-t-il hors de lui.

"Ce sont les satanées questions et les satanés mystères qui font que ce pays part en vrille ! J'ai fait le voyage depuis Londres pour venir ici et me retrouver bloqué DANS CETTE RUELLE ! Moi ! Lord Gorce, anobli par sa Satanée Majesté en personne !"

L'homme était confus et continuait à faire des pas de danse, comme mu par des mouvements réflexes.

"L'incandescence dans la décadence mes fesses ! A l'intérieur, ce n'est pas un club. A l'intérieur..."

Il se prit la tête entre les mains et se mit à pleurer.

"A l'intérieur... C'est de l'information liquide... Le Graal, bordel le Graal... Le Christ sur la Croix... Il y a des gens qui ne sont pas des gens... J'aurai pas du mettre ma main sur les fesses de la Maîtresse de maison, j'aurai pas du m'énerver... J'aurai pas du LE regarder dans les yeux !"

Lord Gorce poussa un hurlement qui venait du fin fond des âges. Le jeune couple hâta le pas et s'en alla en direction de la sortie de l'impasse et le clochard ricana. La scène semblait amuser ce dernier plus que de raison.

L'homme qu'Alban avait accosté n'était pas ce à quoi il s'était vraiment attendu même s'il ne s'attendait pas à rencontrer quelqu'un de bien dans cette impasse surtout au vu de la réputation du club.

L'homme était finalement pire que tout. Alban avait songé à interroger le clochard plutôt que celui qui était plutôt assuré de connaître les lieux et il aurait dû se tenir à cette idée. Enfin.... ils avaient ainsi obtenu un complément d'informations. Le clochard ricana lorsque le lord bourré eut fini son monologue. Alban était dépité il avait pitié du pauvre homme qui vivait à un tel point dans la luxure qu'il en devenait drôle. Il mourrait d'envie de lui mettre un coup de pied aux fesses et de le dégager de la voie publique mais se retînt.

"Lord Gross ? Ça vous vas bien..."

Alban se tourna vers le clochard et s'abaissa sur ses genoux pour se mettre à sa hauteur. Il le fixa un instant du regard.

"Monsieur Melmoth voulait voir mon amie ici présente. J'imagine que c'est le bon endroit vu qu'on dégage ouvertement les gens qui manquent de classe comme notre ami si vulgaire ici présent. Vous avez des informations ? Vous servez de videur ou c'est juste parce que les lords vulgaires sont des cibles faciles ?"

Alban avait un regard insistant mais pas méchant alors qu'il s'adressait au clochard.[i]