EVENT : Le dancefloor

Le rock and roll acrobatique, c’était sympa. Sympa et dynamique. Mais fallait pas abuser des bonnes choses non plus. Une pirouette par ci, une autre par là et comme par hasard dans le sens inverse, histoire de secouer la pulpe bien comme il fallait.

Ca commençait à tourner sévère là-haut et puis un peu plus bas aussi, genre au niveau de l’estomac. Kate remercia le ciel de n’avoir rien avalé depuis son arrivée, ni bu d’ailleurs, vu que les pseudos gentlemen du début de soirée avaient prétexté un voyage vers le bar pour finalement filer à l’anglaise et ne jamais revenir au coin canapé. Bilan des courses : estomac vide, donc rien à rendre… quoique la bile, c’était pire encore.

Se forçant à faire bonne figure, Kate conserva le sourire de circonstance. Un bon point pour elle, son teint naturellement hâlé et entretenu par des heures ensoleillées couvrirait parfaitement toute pâleur inopinée voire même tout virage au verdâtre nauséeux. Il était hors de propos à cet instant de refaire le décor de la salle… en même temps, elle avait déjà préparé son excuse choc et 100% anti-culpabilité : A-lix-tide ! Trois syllabes à peine prononcées qui l’innocenteraient aussitôt d’un éventuel dérapage stomacal et la porteraient au rang de victime.

*Allez Kate, t’es une battante ! Tu peux l’faire… tiens l’coup encore deux minutes et tu dis que tes escarpins te font un mal de chien*

Un seul espoir : s’accrocher à la main et aux mots de Jareld et serrer les dents, surtout, serrer les dents.

Elle l’écouta donc raconter le pourquoi du comment de sa présence… elle en avait entendu d’autres depuis son intégration à l’école et avait réalisé à quel point un passage devenait récurrent : ‘j’me suis fait chassé ou lynché au choix et je cherchais un refuge etcetera’… Le nombre d’élèves ayant connu le rejet à cause de leur pouvoir était inquiétant mais n’avait rien de surprenant. Kate n’avait pas connu ça, il y avait eu ces deux touristes américains mais rien de comparable et surtout sans importance, jamais elle ne s’était encore sentie rejetée pour ce qu’elle était. Elle lui aurait bien témoigné de la compassion si elle n’était pas si concentrée à rester consciente.

Derrière eux s’exécutait le balai enchanteur de Nan’ et Jen’. Le morceau choisi et la danse qui l’accompagnait convenaient peu au genre rock and roll mais peu importait ; leur prestation apportait une touche à la fois exotique et féérique au foyer. Et tandis que Jareld la questionnait, c’est une pluie d’étoiles qui balaya la piste de danse, mettant en lumière chaque contour de visage, chaque mouvement esquissé.

Et ça, c’était un problème. Pas les étoiles, mais les questions, parce qu’à ce stade, Kate approchait dangereusement du point limite. Faisant la moue entre la grimace et le sourire, elle plissa les yeux comme si elle cherchait ses mots…

« Hmmm… mouiii… enfin… *serre les dents* …regretter… hmm… c’est pas le mot tu vois… je… »

Hopla ! Dernière bascule. Mon dieu ça va partir… ah ! On l’a échappé belle. C’était pas loin… Les questions pouvaient attendre un peu. Ramenée vers lui, Kate répondit aussitôt au sourire de Jareld et à sa proposition avec entrain et soulagement. Déjà, elle avait stoppé net tout mouvement qui ressemblait de près ou de loin à de la danse, ce qui lui colla des vertiges.

« OUI !... ahem… j’veux dire… bien sûr… avec plaisir. Allons-y tout de suite, ça vaut mieux… de toute façon, y’a trop de monde… j‘ai besoin d’air. Je te suis. »

Deux voix familières la firent plonger. Reconnaissant l’intonation d’Abaigh et Camille, elle se retourna brusquement, trop brusquement, c’était déjà pas malin. Mais insérer ses doigts entre ses lèvres pour siffler la prestation de ses deux coéquipières fut l’erreur ultime.

Ca ressortit tout seul, d’une traite, encore plus vite que ça y était entré et le sol de la piste de danse en fut jonché. Finalement, c’était pas de la bile, encore un repas de Hjördis qui était mal passé et lui était resté sur l’estomac… enfin plus maintenant. Elle regarda son œuvre et se dit que ça avait l’air aussi ragoûtant en l’état que dans l’assiette.

Sa gorge la brûlait, ses yeux en pleuraient, elle leva ses yeux dépités vers la scène où nos deux druidesses se battaient comme des chiffonnières et ne pût prononcer qu’un seul mot… « Alixtide ».

La musique se termina juste avant l'introduction de Camille et Abaigh, aussi Amy s'écarta-t-elle de Vincent pour regarder la scène et le début du petit sketch des deux apprenties druidesses. Elle ne pourrait pas regarder l'intégralité de leur spectacle. D'ailleurs, à peu près à la moitié de celui-ci, elle se tourna vers son cavalier.

"Désolée, je dois t'abandonner. Faut que j'aille me préparer.."

Sur ces mots, elle esquissa un sourire à l'adresse des deux Lex et de Vincent et rejoignit les coulisses, puis la scène.

la scène

Bien qu’il voulût attendre que l’Indienne réponde à son offre, un bruit de gorge attira son regard. Au milieu de la piste, sous l’ambiance paillette d’une fête habillée, un visage, rougit par le rejet, entachait le décors surréaliste d’une horde de jeunes mondains extasiés par l’amateurisme de leurs égaux. Si la scène ne s’accapara que peu son attention, la demoiselle à la digestion bancale sut réveiller le monstre dédaigneux que la téléporteuse venait d’anesthésier. « Excusez-moi quelques minutes, déclara-t-il rapidement à sa compagnie, le devoir m’appelle ». D’une habile démarche, il s’en alla vers la valseuse de repas, s’accroupissant prés du gluant forfait pour en discerner les aliments.

« Je dirais moule frite, commença-t-il, ou hot dog. Quoiqu’il ne soit pas impossible que je me trompe, je ne suis pas expert ». Il se releva, ses mains plongées dans ses poches et ses yeux pétillants de méchancetés. « Enfin bref, son regard s’attarda tour à tour sur Jareld et sa cavalière, je doute qu’une telle prestation digestive ait su répugner votre gentleman. L’ambiance de cette soirée semble propice à l’étreinte, et qu’importe l’inhospitalité odorante du palais lorsque l’appel de la langue se fait entendre ». Franchement fier jusqu’alors de son éloquence, le Dandy continua sa tirade : « Honnêtement, j’ai rarement vu une telle démonstration de bon goût. Moi-même, si je me retrouvais en compagnie d’une telle chose, il pointa l’homme du menton, je matérialiserais de la sorte ma répugnance. Devant une telle extase gastrique, et étant le premier sur la scène du crime, c’est dans mon devoir, et sale besogne s’il en est, de vous octroyer un surnom qui vous hantera jusqu’à la fin de votre séjour ici ». Mimant une brève réflexion, il lança : « Gerbouille me paraît bien, et suffisant pour un être tel que vous ».

Son visage s’illumina d’un sourire moqueur. S’attaquer ainsi à une créature déjà mise à terre n’avait rien de glorieux, mais pour le chasseur qu’il était, l’entraînement comportait aussi son lot de satisfaction. Il regarda le couple infortuné avec une aisance cruelle, affichant sans le moindre regret la perverse satisfaction qu’il ressentait en humiliant la nouvelle de la sorte. Il en oublia la pauvre Rachel et sa requête, mais après tout, l’absence de Ken l’arrangeait. Le Justix n’hésiterait pas à venir lui faire la morale, tant, à son inverse, il prenait plaisir à se montrer chevaleresque.

*P’tain Kate ! T’as pas été une battante sur ce coup… t’as été une grosse crado ouais. J’ai pas fait ça… j’ai pas pu faire ça… est-ce que j’ai vraiment fait CA ?! P’têt que personne a remarqué…*

Touchante mais grotesque théorie.
Déjà les ombres fondaient sur elle pour entamer leur valse.

L’herpès purulent.
Ca lui allait comme un gant tiens… rien qu’à le regarder, ça démangeait de lui refaire le portrait. Et son fiel finement brodé collait à la peau jusqu’à irritation, jusqu’à défigurer de honte et de haine. Et ce petit air de supériorité dégoulinant de son sourire malsain. Le genre de gars capable de se pointer à votre mariage juste pour le plaisir de gâcher le plus beau jour de votre vie, histoire que vous tiriez la tronche sur les six cents quarante deux photos qui vous ont coûté aussi cher que la robe. Daedelion donc, comme toute pourriture qui ne se respectait pas, fut le plus rapide sur les lieux et s’appliqua non sans style à déverser son vomi… le sien étant verbal, chacun son truc.

Et chacun son tour. Ramenée en quatrième vitesse à la réalité par les piques acerbes du jeune parasite, Kate lui lança un regard encore rougi mais furieux.

« Bas les pattes, la hyène ! On t’a pas sonné… j’me suis sentie mal, ça n’a rien à voir avec Jareld et ça peut arriver à tout l’monde… Occupe toi plutôt d’tes fesses, ça t’détendra ! » Railla-t-elle la voix remplie de rancœur. Couverte de honte, elle s’approcha cependant de Daedelion sans se démonter et prit soin de ne pas couvrir sa bouche de la main afin de lui faire partager sa douce haleine… « Et t’avise jamais de m’appeler comme ça ou t’auras à le regretter un jour ! »

La p’tite frappe.
Après une brève hésitation, Vincent se décida à faire ce qu’il faisait de mieux… à savoir, jouer les Zorro même quand il n’y avait personne à sauver. Il débarqua, aboya tant qu’il put, jetant de l’huile sur un feu éteint. Si Daedelion atterrissait un jour au pays de Candy, nul doute qu’il en ressortirait aussi fier qu’un paon au bout de deux heures seulement, laissant derrière lui une terre à feu et à sang, la pauvre petite pendue par les tripes.

La super copine.
Affectionnant peu les démonstrations de muscles hormis celles faites sur scène, Kate détourna vite son attention vers Yamina qui s’enquit d’elle…

« Je… oui… ça va là… j’crois que j’ai surtout besoin de me rafraîchir… merci. »

Ca, c’était de la copine ! De celle qui ne reluquait pas votre mec du coin de l’œil, qui accompagnait votre beuverie en vous consolant après chaque déboire amoureux et qui relevait vos cheveux quand vous aviez la nausée en fin de soirée.

Le gars bien.
Essuyant les larmes qui avaient coulé le long de ses joues d’un revers de main, Kate se sentit ragaillardie par les mots de Lars. Elle adressa un clin d’œil de reconnaissance à celui qui se montrait aussi chevaleresque à son égard que gentleman auprès de sa cavalière. Elle était bien tombée la Mina.

La copine avisée.
La plus maligne de tous. Elle prit des nouvelles, histoire d’être gentille et hop ! Se barra vite fait à l’autre bout de la salle en prétextant le coup de la serpillère. Bien joué Rachel…

La décharge ambulante.
D’utilité publique, SAS Détritus pouvait se targuer d’assurer un service de nettoyage express. Accroupi devant son butin gustatif dont il s’attribua d’office la possession, Alixtide écarta rapidement une concurrence inexistante et rassembla en quelques mouvements compulsifs les restes stomacaux de la surfeuse… dans ses yeux, on pouvait lire ‘Mon préciiiieux’…

Aussi éprouvée que déshydratée, Kate affichait encore un visage pâle inhabituel. Elle se tourna vers Jareld, la mine contrite, deux doigts posés sur ses lèvres…

« J’suis vraiment désolée… Je… j’vais faire un détour par ma chambre… »

Dernier coup d’œil désolé vers Alixtide ; mais c’est Daedelion qu’elle fusillait du regard quand elle ajouta sans vergogne « Mais quel porc ce mec ! Ca m’donne envie d’vomir de voir ça… » avec un air qui semblait vouloir dire ‘la prochaine fois que j’me sens mal, je m’arrange pour t’avoir dans la ligne de mire’.

Debout, en équilibre devant la flaque de vomis, Daedalion savoura, non sans contentement, le mur qui s’érigea si rapidement pour contrer sa moquerie. Il s’admit trouver la chose étrange. Personne dans l’assemblé ne s’accorda le luxe du rire devant une jeune demoiselle relâchant son dînet en plein rock acrobatique. Pourtant la scène était anodine, et rares demeuraient les moines capables de n’éprouver qu’un vague stoïcisme devant la détresse putride d’une autre. S’aidant de son pied droit, il ôta sa chaussure gauche pour l’offrir à Alixtide, qu’il toisa ensuite de la même façon qu’un maître dédaigne son chien. « Voilà, lâcha-t-il, surtout, reste sage ».

Le nombre de dissidents ne sut décourager la bête. Il fallait laisser place à l’orgueil pour occire la bienséance valeureuse dont certains, trop répugnés par le vice, s’évertuaient à entretenir. Terrible affliction que la bonne conduite, capable d’étouffer l’atypisme mauvais pour ne laisser régner qu’une gentillesse universelle. Le lavage de cerveau ne prendrait pas. Quelqu’un vomissant en pleine danse était chose risible, et si la pensée Zacharienne convainquit ses camarades de l’inverse, le Dandy, dans sa normalité suffisante, continuerait de rire des accidents amusants. Après le départ de Kate, et son nouveau fumet buccale, dont l’odeur lui arracha une grimace, il se détourna vers la foule pour la faire taire.

« Vous me faites bien marrer, déclara-t-il à ses détracteurs sur un ton légèrement emporté, vous ne riez de rien et vous vous complaisez dans votre petite bulle paresseuse. Bon sang, si quelqu’un dégobillant en public ne vous arrache pas une grimace ou un rire de dégoût, j’ai largement sous-estimé ma place en ces murs. Et pourtant, vous n’êtes guère plus honorable que moi. Lars qui s’attribue le beau rôle tout en décampant en une chorégraphie théâtrale grotesque. C’est bien beau de prendre la défense de la demoiselle en détresse, surtout lorsque, par dépit, on s’abandonne à la compagnie d’une chose se nourrissant de cadavre. Ne t’étonne guère si, après copulation, elle t’émascule pour apaiser sa faim. Jareld trop préoccupé à montrer des pas de danses, certainement appris dans un salon pauvre en meuble en compagnie de sa grand mère, pour impressionner sa cavalière au détriment de sa santé. Mais le plus honorable, et de loin, il s’approcha de Vincent, évitant soigneusement Alixtide et le vomi, et l’attrapa par le col de sa veste, l’homme qui vante ses muscles en délaissant sa cervelle. Celui qui préfère blâmer plutôt que de secourir. Quoi ? La couche d’Amarenna ne te suffit pas, il faut aussi que tu déniaises Gerbouille pour te sentir homme ? »

Sans grande surprise, il épargna Yamina qui eut la décense de ne pas joindre sa verbe à la foule. La politesse payait finalement. Peu lui importait, pour l’heure, il provoquait délibérément Vincent pour le pousser à bout, las d’être toujours esseulé dans sa misère.

Le coup le percuta de plein fouet. Daedalion sentit sa respiration devenir difficile alors que ses mains, sous la douleur, lâchaient leurs prises. Son bras aussi lui faisait mal. La poigne de Lars eut son effet et son avant-bras s’en trouvait maintenant complètement engourdi. Déjà en équilibre, une bourrasque survenue de nulle part vint le déstabiliser complètement, l’obligeant à chuter. D’un malheureux réflexe, il parvint à éviter de s’étaler complètement au sol grâce à un appui que lui prodigua sa main encore valide, qui n’eut d’autres ressources qu’un parquet souillé de vomi.

Ses inspirations étaient bruyantes, ses expirations, elles, se mutaient en une toux affirmée. Il ne parvenait pas à regagner sa concentration, contraint par la douleur à essayer d’atténuer la souffrance plutôt qu’à répliquer. Il regardait, mortifié, ses ennemis se réunir sous la bannière d’Innozager pour prendre son parti. Sa voix l’abandonnait temporairement, l’obligeant à endurer toutes les injures sans pouvoir s’en défendre. Agenouillé au sol, humilié à sa condition de détestée, il abandonna tout espoir de vengeance. Puis, vint la mélodie.

Une voix douce et puissante s’empara de ses sens. Il oublia le temps d’un chant le mal qui l’accablait. Sa respiration, comme guidée par une force harmonieuse, se synchronisa avec les paroles de Wind. Elle se calmait, s’attendrissait en respect pour l’imposante Diva. La musique lui déroba sa souffrance pour libérer le misérable des maux qui le hantait. Ce n’était pas que sa douleur physique qui s’atténuait progressivement, mais aussi sa colère qui, au fil des mois, l’avait aliénée auprès de ses camarades. Tout semblait si vain, emporté par une grâce transcendante que seul le lyrisme passionnel d’une jeune fille sut jusqu’alors dévoré en une danse sonore. L’étreinte de l’art eut raison de sa faiblesse, le temps d’un chant, car aussitôt la scène fut désertée, toutes ses néfastes émotions le possédèrent à nouveau. La rage l’emporta et le pathétique Dandy, rampant telle la limace qu’il croyait être, se dirigeait vers son ennemi.

Sa manche couverte de vomis, un pied déchaussé, il tendit son bras pour tenter de saisir la jambe de Vincent et y administrer une décharge. Il sentait sur ses épaules les regards inquiets de ses amis, la détresse qu’il infligeait à Rachel, la honte qui s’exprimait par une attaque aussi lâche, mais le vers poursuivait son chemin destructeur, dans l’espoir de pouvoir ce soir disparaître sous terre.