EVENT : Le dancefloor

Au vu de ses infinis talents diplomatiques, Luther avait réussi à calmer le jeu. La panthère s'était retransformé en chaton et était retournée au panier, Chris allait sans doute calmer ses ardeurs dans un endroit isolé, Anna s'était résignée à trouver quelqu'un de moins macho. Bref, tout rentrait dans l'ordre, et le dancefloor se repeuplait de nouvelles personnes qui n'intéressaient pas le jeune québecois. D'ailleurs, son autre centre d'intérêt, Angel, avait quitté la scène.

Il était temps pour lui de tirer sa révérence également, et il décida d'aller s'enquérir de l'état de ce cher Paolo. Il sortit alors de la pièce en envoyant un baiser à Daedalion du bout des droits, avec un sourire malicieux.

Salon

C’est en descendant les escaliers menant au Hall de l’institut que le jeune Daedalion, alors en amicale compagnie de l’optimiste Rachel, constata le soupçonneux tableau que lui offraient les complaintes hormonales. Son amie à son bras, il passa près du couple suspect sans lâcher mot, mais son regard, fortement insistant, suffit à révéler l’éloquence de sa pensée. Wind bénéficiait d’une immunité, et pour cause elle appartenait à Iacobo, à l’instar, elle pouvait être victime d’une surveillance injuste de la part du Dandy. Si ses yeux s’entichèrent d’étonnement lorsqu’ils s’attardaient sur la féminine Orphée, ils s’éprirent de colères en survolant Hadès. Pour s’attirer la haine de Daedalion, Chris n’eut pour seule méchanceté celle de naître en possession du même pouvoir que ce dernier.

Une fois sur la piste de danse, son dégoût de la masse lui revint rapidement. Il leva même les yeux lorsque Rachel fit un quelconque signe à Luther. « Évite de traîner avec ce type, lui murmura-t-il, il est bien pire que moi. Si je peux paraître mauvais, à l’occasion, lui est incapable de se lier à une autre personne. Je joue le sociopathe, Luther en est un». Incapable de se mouvoir au rythme de ce tintamarre, il se contenta de danser d’une manière commune. « On s’en fout, reprit-il, je t’ai promis de danser, on danse ».

Tout en continuant ses timides mouvements, il se saisit de son communicateur pour s’adresser à Iacobo. « Je ne sais pas si je me fais des idées, mais tu devrais surveiller Wind, elle est dans l’escalier liant le hall aux couloirs des chambres, en compagnie de cet abruti Chris. Si t’as besoin d’aide…». Il raccrocha et regarda Rachel avec une mine enfantine : « Je peux huer le couple de monstres qui s’apprête à faire un numéro malsain ? » La provocation de Luther vint le narguer une fois de trop. Aucune réponse immédiate ne lui fut adressée, mais d’ici la fin de la soirée, il apaiserait sa colère.

La prestation culinaire de la bête et de l’obèse ne sut que réprimer un vomi qui bouillonnait depuis les entrailles du Dandy. Si l’étreinte des deux horreurs fut suffisante à répugner Daedalion de sa propre homosexualité, le talent de gourmets d’Alixtide parvint à lui faire renier sa condition d’omnivore. Une grève de la faim s’imposait, ne serait ce que pour interdire le renouvellement d’une telle exhibition publique. Tout le monde, même les plus étroits de la caboche, félicitait l’aberration de sa bonhomie constante face à sa condition pourtant moins honorable que celle d’un ténia perdu dans les intestins d’un amateur de tartare. Par moments, en de rares occasions, il comprenait la détresse de certains parents contraint de pratiquer l’infanticide pour épargner au monde la responsabilité de leurs progénitures.

Pourtant Alixtide vivait. Plus étonnant encore, la chose s’était trouvée une immondice graisseuse capable de l’aimer. Si l’amour moche n’avait rien à envier à celui des éphèbes, personne ne trouvait romantique de voir deux éléphants copuler sur la chaîne découverte. Mais la comparaison ne se montrait guère pertinente, on chassait ces animaux pour l’ivoire, il n’y avait malheureusement rien à convoiter chez les rejetés de l’A.D.N. « Nah, dit-il à Rachel les yeux fermés, qu’ils s’amusent, c’est rare de voir des monstres tenter de se civiliser ».

Jetant un regard autour de lui, il constata avec effroi l’universelle gaîté qui émanait de ses camarades. Il suffisait qu’on leur serve des festivités pour que la plèbe cesse de penser. Les empereurs romains, à leur époque, organisaient des jeux, l’offrande différée, mais la stratégie restait la même. On en venait presque à oublier le parterre de cadavres qui gisait sous leurs pieds, mais peut-être qu’en retrouvant un bout d’ossement du petit Louis, les mutants cesseraient de perpétuer cette illusion de normalité. Ils dansaient sous l’épée de Damoclès en ignorant le tranchant de la lame, gesticulant en des rites reproductifs pour apprécier l’accalmie précaire qu’un huit clos isolé procurait. Autour d’eux, leurs ennemis oeuvraient à leurs destructions, et pour seul enseignement, les pensionnaires disposaient d’une leçon de cuisine de la part d’un être se sustentant de déjections. « Iacobo est le seul ici pour qui j’ai de l’estime, reprit-il, je n’ai fais que l’informer de ce qui me paraissait louche. Je ne suis pas comme vous autres, capable de penser que nous sommes tous gentils et bien intentionnés. Regarde Luther, il n’en est que l’exemple flagrant. Un garçon, lors d’une fête, ne veut qu’une chose, et pour l’obtenir, il usera de galanterie, de compréhension et d’écoute. Mais au final, derrière son apparence de gentleman à la force héroïque et aux yeux tourmentés, ne se cache que l’ignoble serpent en quête de sa prairie».

Sur cette belle métaphore aux ornements romantiques, il entendit, bien malgré lui, les différentes références sur son coéquipier. Il tourna brièvement son visage vers Georgia et Camille, puis les héla : « Il se fout à poil, donc il est sympa ? Dire que nous sommes le bastion censé façonner un nouveau monde de tolérance. Avec de tels critères, on élira un président vêtu d’un anorak qu’il ouvrira à chaque fin de discours pour exhiber ses pubiens. Luther est un con enfermé dans son patois, on devrait ériger un bûcher, le foutre dessus et le carboniser une bonne fois pour toutes. Ce sera l’occasion de se faire griller des marshmallows ».

« Aïïï-euuh !

… Nan nan mais t’excuse pas surtout… ABRUTI ! J’ramasse mon bras et ça s’ra parfait ! »

L’ouragan Chris était passé, emportant au passage l’épaule de Kate. Sa broche déjà fragilisée par sa danse fébrile céda sous le choc et vola dans les airs pour atterrir sur le sol, menacée de mille pas rythmés et libérant une vague châtain clair sur le visage furieux de l’australienne. Décidément, elle découvrait un peu plus chaque jour les nombreux culs-serrés de l’Institut et lâches en plus ! Les culs-serrés étaient très couards dans leur genre : ils frappaient du balai qui les tenait droit puis s’éclipsaient avant qu’on ait eu le temps de leur en coller une en représailles.

Ca se payerait. Un jour. Tout se payait.

Mais pas maintenant. Primo, il était grand le bougre, une vengeance frontale et purement physique serait difficile. Mieux valait privilégier l’attaque éclair bien organisée et sécurisée au maximum genre couteau dans le dos après lui avoir administré une dose de somnifères digne d’un bœuf. Deuzio, mise à part son épaule luxée et à nouveau cette odeur nauséabonde qui envahissait les lieux, elle était plutôt bien là, sur la piste de danse, à se trémousser comme elle savait le faire, c’est-à-dire n’importe comment.

Et le partenaire avait l’air agréable. Bonne tête.
Puis malin aussi. Déjà, il était resté stoïque devant les déhanchements extravagants de la surfeuse… même pas un rictus ! Alors là, chapeau. Stan se moquait toujours d’elle à ce propos, d’ailleurs Stan ne dansait jamais avec elle… question de réputation.
Ensuite, Jareld l’avait subtilement entrainé dans une danse à deux, comme si de rien n’était. Et ça marchait…

« J’te suis, ok. Mais si tu m’balances en l’air pour un triple flip arrière, j’m’étale par terre ! »

Let’s go rock’n’roll !

Elle allait pouvoir gérer. Pas de flip à l’horizon. Et contre toutes attentes, elle se laissa prendre à ce rock acrobatique soft mais improvisé… un pas en arrière, deux en avant, on tourne et on retourne et rebelote… pas toujours au point mais ça dansait rondement.

« Enchantée Jareld ! »

Eut-elle à peine le temps de lâcher entre deux mouvements. Les présentations étaient faites. Kate hocha simplement la tête en entendant ‘Nexus’ mais se ravisa aussitôt de tout commentaire. Personne n’était parfait et tout le monde ne pouvait faire partie des Oryx. Elle devrait s’y faire… il y avait les ‘autres’ et peut-être même qu’il y en avait de sympas dans l’tas.

A quelques mètres à peine, Niko et Alixtide enterraient définitivement le concept de gastronomie, répandant une odeur pestilentielle dans la salle. Mais Kate n’y était pas, profitant juste des effets odorants du show. Elle écoutait Jareld lui parler de l’Institut et objecta rieuse…

« Sauf pour ce qui est de la cuisine ! Ca va pas du tout… faut faire quelque chose, j’sais pas, une pétition… Mais j’ai pas à me plaindre jusque là, si ce n’est que ma famille me manque et la plage encore plus… »

Jareld l’envoya tourner à bras tendu, lui laissant environ un quart de seconde pour repenser aux missions évoquées et au risque qu’elles faisaient courir aux élèves. Un risque mortel. Son pouvoir l’en protègerait-elle un jour ? Pensée aussitôt évanouie par une nouvelle pirouette. Les lumières et les visages présents défilaient à toute vitesse à chaque virevolte, accélérant un peu plus son palpitant tant par l’excitation que par la crainte d’emmêler ses pieds.

Et vint la question, elle ne l’avait pas vu venir celle-là. Elle éclata d’un rire nerveux, lâchant dans la foulée : « Tu veux dire à part foutre en l’air une carrière prometteuse ? » puis esquissa quelques mouvements de danse avant de revenir à la charge, plus sérieuse…

« Ce qui motive ma présence ici ?... Hmm… laisse moi réfléchir… J’me suis rendue compte que j’étais mutante et ça cadrait pas avec mes plans de vie alors j’ai pété un câble et avant que j’ai pu faire quoi que ce soit… j’me suis fait agressée par deux types, affichée dans toute ma ville et mon p’tit ami s’est fait coffrer par ma faute en l’espace de deux heures… »

Elle soupira profondément tandis qu’elle exécutait un énième pas… « Et… je n’savais pas quoi faire sur le moment mais je savais que quelque chose de différent m’attendait ici… quelque chose qui faisait partie de moi… Je crois que c’est à peu près ça… Et toi ? C’est quoi ton histoire ? »

le bar

Le temps que les trois Lex et Vincent rejoignent la piste de danse, le numéro d'Alixtilde et Niko s'était déroulé, plus dégoûtant que jamais. La jeune femmedétourna rapidement la tête afin d'éviter le haut le coeur qui menaçait de la submerger à ce que racontait le puant et ce qu'exécutait le gros mutant. C'était, réellement infecte. La fin du numéro n'arriva pas assez vite au goût de la franco-américaine pratiquement submergée par le dégoût. Et lorsque le puant commeça à passer dans les rangs pour fare goûter leur oeuvre de puanteur, elle se détourna à nouveau pour danser, espérant que le prochain numéro serait plus joli. En même temps, pour éviter un peu plus l'approche de Gargoyle, elle se rapprocha légèrement de Vincent s'absorbant dans la musique qui passait à cet instant. Le numéro suivant, Jen et Nan ne tarda pas à commencer.

La jeune femme reporta donc le regard sur la scène pour ne plus l'enlever tant la danse de l'indien et les jeux de lumière de Nova étaient magnifiques. C'était, réellement, captivant et un large sourire enjoué s'était dessiné sur le fin visage de la jeune femme. Elle ne savait pas si Yriah et elle parviendrait à faire mieux mais, en tout cas, elle essayerait d'approcher de leur niveau. Mais, d'un seul coup, la pression était montée d'un cran. Elle n'avait pas craint la prestation d'Alixtilde et Niko, tant le dégoût qu'ils lui avaient inspiré était grand, mais là, c'était un autre niveau. C'était d'une autre beauté, d'un autre niveau. Elle avala sa salive avec peine tout en applaudissant avec entrain et se tourna vers Vincent.

"C'était magnifique. Tu ne trouves pas?"demanda-t-elle avec des étoiles dans les yeux.

Une nouvelle chanson commença alors pour les occuper le temps d l'entracte avant le prochain numéro. Un slow. Enfin si l'on pouvait dire ça comme ça. Il ne restait plus qu'à danser. Elle avait espéré quelque chose qui bougerait un peu plus et leur permettrait de danser tous les quatre, mais c'était impossible. Elle passa donc ses bras autour du cou de Vincent et commença à danser tout en regardant Juan et Hjördis.

"C'est ce qu'il y a de plus facile. Les mains sur les épaules du partenaire, ou sur sa taille, et il suffit de suivre le rythme."

Elle leur adressa un clin d'oeil et continua de les regarder un instant. Le rythme de la chanson, pourtant, était un peu étrange, la poussant, de temps en temps à s'écarter pour s'adapter réellement au rythme. Elle n'avait jamais réellement essayé de danser sur ce genre de musique. Un peu écossaise, ou irlandaise.

*C'est de la danse pour Ivy, ça...* pensa-t-elle, amusée.

"Ouais, bon... Pas si facile que ça, je l'admets. Un peu trompeuse la musique..." conclut-elle en riant à la fin de la chanson.

Quel étrange phénomène que le préjugé, cette tare habile qui, même chez ceux essayant de lui échapper, s’immisce perfidement pour insuffler des paroles malheureuses. Il suffisait que deux personnes partagent la même orientation sexuelle pour que les espiègles cultivant l’excentrisme canonnent l’air de ragots indignent. Boursouflée d’une rancœur encore incomprise, la demoiselle s’exagérait en filouteries verbales appuyées par un dédain jusqu’alors réservé aux snobs jugeant indigne la compagnie de la plèbe. L’aumône du regard demeurait la moindre des subtilités lorsque les paroles se confondaient en attaques aisées dont la seule qualité fut une finalité, malheureusement inaccessible si les mots eux-mêmes n’étaient que pures mesquineries ; il ne suffisait qu’un peu de dignité pour daigner reconnaître celui que l’on attaque, même si parfois la perfidie discrète restait préférable à la contemplation de l’échafaud.

Daedalion, pourtant facile à briser, s’extasiait de la quiétude de son opposante qui dénigrait son entière personnalité pour amoindrir par avance sa pertinence. « Voilà une curieuse affirmation, souffla-t-il légèrement divertit, venant d’une personne portant l’exacte tenue d’une autre ». Il ne niait pas partager quelques similitudes avec le Serbe, bien au contraire, leurs traits de personnalités se rejoignaient en une misanthropique exubérance qui leur valait bien des reproches, si souvent légitimes, mais l’abondance de subtiles divergences, maigres en apparence, creusaient ce discret fossé qui était à l’origine de la diversité entre tous les hommes. N’était-ce pas l’homme sage qui, pour venir en aide aux deux cailloux, déclara : « Les similitudes apparentes ne cachent que des différences plus profondes ».

Se contentant donc de sa simple rhétorique, il retourna vers Rachel, en discussion avec Yamina, et approuva son contentement. La prestation de l’Algonquin et de sa mie se prouva féerique, et la sincérité du partage lui fit ravaler ses perfidies précédentes. « Il a mon vote, déclara-t-il avec entrain, dire que sans Rachel j’aurais loupé un tel spectacle ». Ses yeux s’attardèrent sur Yamina, majestueusement habillé par une robe blanche soulignant la perfection de son teint mate. « Ho, bonsoir Yamina, se reprit-il, confus de son impolitesse, je vais aller me chercher à boire, vous voulez quelque chose ? » Le garçon était visiblement assoiffé par le climat désagréable de la soirée.